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Les conséquences de l’application des théories des salaires d’efficience confirmeraient, en apparence
l’évolution du marché du travail suisse des années nonante: la persistance de niveaux de salaire réel
relativement élevés malgré la présence du chômage.
La préservation d’une productivité élevée et d’une bonne marge de profit, est au cœur de la théorie des salaires
d’efficience éliminerait donc toute action du type néoclassique pour réduire le chômage. Cette considération
fait donc comprendre l’importance de la détermination des coûts salariaux.
D’une part, la nécessité de préserver l’emploi a renforcé les propositions néoclassiques d’exiger une flexibilité
élevée des salaires réels pour créer des emplois et pour équilibrer le marché du travail. Cette proposition a
acquis toujours plus d’importance en fonction de la marginalisation de la théorie keynésienne. Durant ces
dernières années, les politiques budgétaires ont été en effet remises en cause par l’émergence d’inquiétants
niveaux du déficit public. Il s’ensuit une marginalisation des mesures keynésiennes pour lutter contre le
chômage et évidemment une domination des approches néoclassiques. Les déficits publics empêchent
également une diminution des coûts indirects du travail et ainsi un allégement des charges des entreprises. Les
gouvernements peuvent difficilement financer davantage la Sécurité Sociale qui représente déjà une des
principales causes des résultats négatifs des comptes publics. Si les coûts indirects du travail ne peuvent pas
être réduits, la question se concentre totalement sur le niveau des salaires réels.
De plus, un élément supplémentaire en faveur de l’argumentation néoclassique est que le niveau des
rémunérations de la main-d'œuvre est souvent considéré comme une des causes de la dégradation de la
compétitivité-prix de la Suisse vis-à-vis de ses partenaires commerciaux3. Le processus de mondialisation qui
a produit, dans les années nonante, une ouverture des marchés nationaux, a nécessité la recherche d’un surcroît
de compétitivité pour les entreprises suisses. L’évolution des coûts salariaux qui représentent souvent plus que
la moitié des coûts de production influencent les prix d’exportation et les termes des échanges. L'importance
du commerce international pour notre petit pays semble donc attribuer à la question de la flexibilité des
salaires réels un rôle qui va au-delà de la réduction du chômage. En jeu, il y aurait la force commerciale,
productive et financière suisse.
D’autre part, la volonté de représenter la réalité a conduit les néokeynésiens à rechercher les explications de
l’existence du chômage persistant, se consacrant à l’étude des comportements des agents dans des situations
d’information imparfaite et asymétrique. Ces théories du marché du travail affirment que la réduction des
salaires réels dégrade la productivité et les profits des entreprises4.
Cette dernière remarque résume effectivement l’objectif de ce travail5, qui analysant les théories
néokeynésiennes du marché de l’emploi, vise à élucider le rôle des salaires réels sur l’efficacité productive.
Afin d’atteindre ce but, on se concentre en particulier sur les théories des salaires d'efficience qui visent à
expliquer la rigidité des salaires réels et le chômage involontaire basés sur le comportement rationnel des
agents économiques.
Ces théories apportent sans doute une optique nouvelle à la question des salaires réels, puisqu’elles considèrent
la relation existant entre entrepreneurs et salariés selon des critères nouveaux qui soulignent le rôle essentiel
joué par l’offre de travail et qui visent à éliminer l’inefficacité due à la présence de l’asymétrie d’information.
Ces nouvelles approches du marché du travail sont nées aux Etats-Unis durant les années huitante afin de
représenter l’évolution réelle de la relation salariale dominée toujours plus par des principes de productivité,
d’incitation et de réciprocité. En particulier, les théories des salaires d’efficience ont été conçues dans le but de
refléter le marché du travail américain lié au secteur de l’industrie durant les années huitante. Il s’agissait,
donc, de comprendre comment les comportements rationnels des agents économiques peuvent expliquer le
manque d’adaptation de la politique salariale au niveau du taux de chômage, de comprendre pourquoi le
3 En Suisse, les coûts unitaires de la main-d’oeuvre en monnaie internationale sont plus élevés que chez tous ses partenaires
commerciaux. 60% des exportations suisses sont dirigées vers l’Europe qui même, si elle souffre d’un chômage massif et
persistant, enregistre des coûts salariaux généralement moins élevés qu’en Suisse. Il n’y a qu’en Allemagne où, les niveaux élevés
des coûts unitaires de la main-d’oeuvre en monnaie internationale sont comparables aux niveaux suisses.
4 En plus, les considérations néoclassiques en faveur de l’allègement des salaires réels afin de réduire le chômage semblent oublier
un autre aspect: le rôle de la dépense des salaires pour l'activité économique ne doit pas être sous-évalué car le salaire constitue la
source majeure de revenu (en Suisse, en 1997, 69% du revenu national correspondait au revenu salarial (OFS (1997a))).
L’importance de cet argument oblige à le mentionner même si ce travail ne développera pas ultérieurement cette question.
5 Ce travail a eu également l’objectif de synthétiser et de reprendre les apports des théories des salaires d’efficience pour le marché
du travail suisse présentés dans mon mémoire de licence intitulé: „La rigidité des salaires réels. L’apport des théories
néokeynésiennes et leur intérêt pour l’économie suisse“ rédigé en mars 1999 auprès du Séminaire de Politique Economique du
Professeur Jean-Jacques Friboulet, Université de Fribourg.