Grammatical ou transcendantal ? CAHIERS DE PHILOSOPHIE DU LANGAGE VOLUME 8 Coordonnateurs Arley Moreno et Antonia Soulez Grammatical ou transcendantal ? L’HARMATTAN Ce volume a été précédé du volume 7 intitulé : Wittgenstein en confrontation paru en 2011, sous la direction de Denis Perrin et Ludovic Soutif. Articles de : Ali Benmakhlouf, Peter Hacker, Jérôme Letourneur, Anat Matar, Arley Moreno, Melika Ouelbani, Hilary Putnam, Antonia Soulez. En appendice : un échange entre Arley Moreno et Antonia Soulez qui est à la source de ce numéro. Ce volume a bénéficié du soutien de la Recherche à l’Université Paris 8 Saint-Denis. Comité de rédaction des Cahiers de philosophie du langage : Arley Moreno, Élise Marrou, Jean-Philippe Narboux, Denis Perrin, Maïa Ponsonnet, François Schmitz, Jan Sebestik, Antonia Soulez, Ludovic Soutif, Céline Vautrin. Cahiers fondés en 1994. © L'HARMATTAN, 2012 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-96217-0 EAN : 9782296962170 REMERCIEMENTS Nous tenons à remercier la Recherche de l’université de Paris 8-StDenis qui soutient régulièrement nos Cahiers de philosophie du langage créés en 1994 et qui servent d’organe de publication à nos activités de recherches. Que soient également remerciées l’équipe LLCP à l’intérieur de laquelle, depuis 2006, travaille notre Axe innovant, ainsi que la Maison des Sciences de l’Homme de Paris Nord, à Plaine St-Denis, qui héberge depuis 2006 également nos séminaires. C’est en particulier cette dernière qui a rendu possible nos échanges outre-Atlantique, fruits de réseaux franco-brésiliens auxquels nous avons participé du temps où j’étais directrice de programme puis codirectrice au Collège international de philosophie (fin des années 1990-2004). Les échanges entre Arley Moreno et moi-même s’en sont trouvés renforcés. Nous devons à la MSH PN également d’avoir rendu possible le 10 mars 2010, l’invitation du Pr Hilary Putnam (Harvard University) en collaboration avec le Pr Karine Chemla (Professeur à l’Université de Paris7-Diderot/CNRS, Laboratoire SPHERE, UMR 7219), que nous remercions. Il est également évident que sans le travail approfondi, qu’exige la traduction de trois de ces textes, fourni par Pierre Fasula, Jérôme Letourneur et Joëlle Marelli, nous serions restés privés de la chance d’avoir parmi nos contributeurs trois éminents philosophes de langue étrangère : Peter Hacker, Anat Matar, Hilary Putnam dont la conférence qui constitue un inédit, est placée à part. En effet, nous avons pour principe depuis le début, dans un numéro de ces Cahiers, de faire si possible, une place à un texte d’un philosophe contemporain important publié pour la première fois en français. Notre gratitude va encore à Laurence Manesse-Cesarini et à sa diligence, afin de réaliser le travail de mise en forme demandé par l’éditeur. Enfin, remercions encore la maison d’édition L’Harmattan d’accueillir ce numéro de nos Cahiers. Arley Moreno et Antonia Soulez 5 SOMMAIRE Introduction : Arley Moreno et Antonia Soulez 11 Articles : 15 Grammatical et Transcendantal chez Wittgenstein Peter. M. S. Hacker (Professor, St John’s College, Oxford) 17 “Kant et Wittgenstein, le problème des arguments transcendantaux” (traduction par Jérôme Letourneur) Arley Moreno (Professeur, Université Estadual de Campinas, Brésil) 45 “La description grammaticale et sa fonction transcendantale” Anat Matar (Professeur, Université de Tel-Aviv, Israël) 75 « Le transcendantal et les cas particuliers » (traduction par Joëlle Marelli) Antonia Soulez (Professeur, Université de Paris 8-St-Denis) 95 « Le grammatical au lieu du Transcendantal, le langage en conflit avec notre exigence » Logique et grammaire 129 Melika Ouelbani (Professeur, Université de Tunis, Tunisie) 131 “Le sens comme respect des règles logiques et/ou grammaticales” Jérôme Letourneur (Doctorant Université de Paris 8-StDenis/Archives de Bergen, Norvège) 149 « Pertinence, légitimité, justesse : Warren Goldfarb et la critique de la fixité » Ali Benmakhlouf (Professeur à l’Université de Paris 12, Valde-Marne, Créteil) 159 “Logique et grammaire philosophique, entre médiévaux et contemporains” 3- Conférence 171 Hilary Putnam (Harvard University, Etats-Unis), prononcée en mars 2010 “Vers un réalisme moral raisonnable” (inédit), en traduction française pour la première fois par Pierre Fasula. 4-Appendice Petite histoire de Gram’tal Echange entre Arley Moreno et Antonia Soulez ayant donné lieu à ce numéro 189 INTRODUCTION Introduction au numéro 8 Les circonstances : La pensée de Wittgenstein soulève de manière nouvelle des questions importantes qui relèvent de l’histoire de la philosophie, ainsi, par exemple : la signification, la grammaire, les normes et le statut des règles, la communication dans le « milieu » vivant du langage, la représentation, objets et moyens, l’analogie, unité et multiplicité des traits de l’usage des mots, nom et proposition entière, désignation et action, pensée et langage, expression, intentionnalité, etc. Ces questions invitent à repenser les règles de grammaire, leur place mais aussi leur constitution dans et par le procès du langage qui est une activité avant tout. C’est autour du statut de ces règles, donc du grammatical, que, tout en tenant compte des différentes phases de la pensée de Wittgenstein, du premier au dernier, nous avons entamé, depuis quelques années, une discussion où se dessinent un désaccord, en même temps que des possibilités de s’entendre. Cela remonte en réalité à nos échanges franco-brésiliens dont les premiers datent de la fin des années 1990. Une conversation mémorable à Sao Paulo en marque le tout début. L’idée nous est ainsi venue de consacrer un numéro de nos Cahiers de philosophie du langage, soutenus par la Recherche de l’Université de Paris 8-St-Denis – aux résultats de ces travaux en quelque sorte bilatéraux qui ont exprimé et expriment encore nos préoccupations en réunissant dans ce volume des contributions d’autres interprètes de Wittgenstein qui ont généreusement répondu à l’appel. Nous ne résistons pas à l’envie de présenter au lecteur quelques aspects de cet échange contrasté et toujours amical qui sous-tendent ces travaux. Nous avons conservé le vif d’un échange se faisant parfois par mail, parfois plus concrètement, si l’on peut dire, quand la chance nous offrait la possibilité de nous retrouver dans les mêmes lieux, dans un pays ou un autre. Cependant, c’est à Kirchberg en Basse-Autriche, grâce à un Symposium Wittgenstein qui se tenait dans les hauteurs du village, proche des lieux où Wittgenstein avait enseigné comme instituteur dans les années au début des années 1920, que, réunis autour d’une bonne table à l’heure du déjeuner, entre deux conférences un mois d’août 2010, nous avons poursuivi notre entretien 11 durant lequel a germé tout naturellement l’idée de donner une forme concrète à notre discussion par la réalisation de ce numéro. Le lecteur trouvera en appendice, retranscrit, l’échange qui fut alors le nôtre. Arley Moreno et Antonia Soulez GRAMMATICAL ET TRANSCENDANTAL CHEZ WITTGENSTEIN Kant et Wittgenstein Le problème des arguments transcendantaux P.M.S. Hacker Traduction par Jérôme Letourneur 1. Wittgenstein et Kant Il a parfois été écrit que, dans le Tractatus comme dans les Recherches, Wittgenstein avance ce qui s’apparente à des formes d’arguments transcendantaux dans un esprit largement Kantien. N’a-til pas écrit dans le Tractatus que pour que la représentation au moyen du langage soit possible, il doit y avoir des objets simples ? Ou que pour que les propositions soient possibles, il doit y avoir des faits – l’obtention ou la non-obtention d’états de choses. Telles seraient les conditions de possibilité de la logique et du langage, de la pensée (du raisonnement) et de la représentation. Ne sont-ce pas là des arguments transcendantaux ? De même, dans les Recherches, ne soutient-il pas qu’une communauté de locuteurs doit exister en tant que condition de possibilité d’un langage ? Ou qu’il doit y avoir d’autres sujets d’expérience comme condition de l’autoattribution de l’expérience ? Ne sont-ce pas là aussi des arguments transcendantaux ? Cela dépend de ce qui doit être considéré comme un argument transcendantal, et de ce dont Wittgenstein traitait exactement. Dans cet article, je ferai un compte rendu sommaire des similarités et différences entre Kant et Wittgenstein à cet égard. Certaines de ces similarités sont importantes. Ce que je défendrai avant tout est le point de vue selon lequel, à considérer sérieusement le terme d’« argument transcendantal », il ne s’en trouve nullement chez Wittgenstein. Si le terme est considéré de manière lâche, au point qu’il aurait pu être objecté à Kant, on peut alors caractériser le Tractatus comme usant de tels arguments. Mais cela ne peut d’aucune façon être le cas pour les Recherches. Dans un premier temps, je décrirai brièvement ce que nous connaissons de la relation de Wittgenstein à l’œuvre de Kant et de son attitude à l’égard de la pensée kantienne. Dans les carnets du Pré- 15 Tractatus, Kant est cité une fois1 : la théorie des tautologies, y remarque Wittgenstein, mettra en lumière la question kantienne « Comment les mathématiques pures sont-elles possibles ? » La proposition 6.36111 du Tractatus traite du problème kantien de la main droite et de la main gauche, que l’on ne peut se faire recouvrir. Wittgenstein lut la Critique de la Raison Pure avec son ami Ludwig Hänsel au camp de prisonniers de guerre de Cassino en 1919. Pour autant que je sache, on ne possède aucune information sur le point du livre auquel ils arrivèrent dans leur lecture conjointe, ni sur ce que Wittgenstein en fit. Dans le Nachlass Post-Tractatus de Wittgenstein, Kant n’est mentionné que dans deux remarques. Dans la première, il a écrit que les limites du langage se montrent en ce que la seule manière de spécifier le fait qui s’accorde à une proposition vraie est de répéter cette proposition. « En cela, note-t-il nous avons affaire à la solution Kantienne des problèmes de philosophie. »2 Dans le Ms 107, il remarque « Ce que je dis là n’est-il pas ce que Kant disait quand il soutenait que 5+7=12 n’est pas un a priori analytique mais synthétique. »3 Ce qu’il élabore au Ts 209 : qu’une équation ne puisse être assimilée à une tautologie explique ce que Kant voulait dire en soutenant que les propositions de l’arithmétique ne sont pas des a priori analytiques mais synthétiques4. Dans les notes et mémoires de ses étudiants, je n’ai trouvé que deux commentaires sur Kant. Le plus important fut adressé à Desmond Lee au sujet de la classification des méthodes philosophiques de Broad. La méthode de la critique transcendantale, disait Broad, était celle de Kant, mais sans les applications particulières que celui-ci en faisait. À cela Wittgenstein répondit avec enthousiasme : « C’est le type d’approche qui convient. Hume, Descartes et certains autres ont essayé de commencer avec une proposition telle que “Cogito ergo sum” et de produire, à partir d’elle, d’autres propositions. Kant a désapprouvé cette façon de faire et a commencé par ce que nous savons être tel et tel et il a poursuivi en examinant la validité de ce que nous supposons que nous savons. »5 1 Wittgenstein, Ludwig, (1961), Notebooks 1914-1916, Oxford, Blackwell 19.10.1914, p. 15. 2 Ts 211, 173 3 Ms 107, 183 4 Ts 209, p. 45. 5 Wittgenstein Ludwig, (1980), Lectures de Cambridge 1930-1932, p.83, Mauvezin, TER. Une autre remarque provient d’une conversation avec Drury. Wittgenstein y remarquait que Kant et Berkeley étaient des “penseurs d’une grande profondeur”, 16 Le butin est maigre. Il ne démontre aucune influence significative de Kant sur Wittgenstein ni même une inspiration kantienne avérée. En 1931 il établit avec soin une liste de ses influences6. Même si Schopenhauer y était mentionné, (avec certainement en tête les propositions 5.6 et 6.4 du Tractatus), Kant n’y figurait pas (même si, bien entendu, au travers de Schopenhauer, il pouvait y avoir une « influence kantienne »). Cependant, il y a des affinités saisissantes entre certains aspects de la philosophie kantienne et celle de Wittgenstein, première ou dernière. Celles-ci ne relèvent pas nécessairement de l’influence — peut-être simplement d’une convergence en chemin lors de leur traversée des jungles de la philosophie. Mais cette convergence est d’un intérêt certain, et mérite d’être clarifiée. i. Métaphilosophie : eux mis à part, nul autre philosophe dans l’histoire de cette discipline n’a été si concerné par la nature et le statut de la philosophie. Tous deux ont admis que la philosophie (ou, chez Kant la « philosophie pure ») n’est pas la continuation des sciences naturelles ou des mathématiques. Tous deux ont soutenu qu’il s’agissait d’une discipline réfléchie, de second ordre. ii. Dialectique : eux mis à part, nul autre philosophe dans l’histoire de cette discipline n’a été si concerné par la dialectique de la raison – la logique de l’illusion conceptuelle. Tous deux ont admis qu’il existe des schémas plus ou moins systématiques d’erreur philosophique, et que la clarification des sources de confusion conceptuelle est d’une importance capitale. De plus, tous deux ont soutenu que la manière la plus importante de le faire était d’identifier les assomptions non questionnées qui sous-tendent les controverses philosophiques et de les affronter. iii. Limites du sens : tous deux étaient préoccupés par la caractérisation des limites du sens. Kant voulut y parvenir par « déduction » (la justification d’un droit par la référence à ses sources) des concepts a priori, qui inspecte les conditions a priori de leur usage dans les jugements et limite leur application intelligible à l’expérience alors qu’il lui “semblait toucher le fond” de Schopenhauer “très rapidement”. M. O’C. Drury, “Some Notes on Conversations with Wittgenstein”, in R. Rhees [ed.] (1981) Ludwig Wittgenstein – Personal Recollections Blackwell, Oxford, p. 95. 6 Ms 154, 16r. 17 possible. Wittgenstein suivit un chemin différent, en examinant les conditions d’un usage sensé du langage. iv. Rationalisme et empirisme : Les deux philosophes ont eu une attitude très critique à l’égard des traditions rationalistes et empiriques. Tous deux ont rejeté l’épistémologie fondationaliste de type cartésien ou lockéen – notre connaissance de ce que les choses sont dans le monde qui nous entoure n’est pas inférée de ce que les choses nous paraissent être de manière sensible. Toux deux ont également rejeté les conceptions cartésienne autant que humienne de l’esprit – l’esprit n’est ni une substance immatérielle ni un ensemble de perceptions. v. Nature de la nécessité : Tous deux étaient attachés à la clarification de la nature de la nécessité. Ils refusaient qu’il puisse exister aucune forme de nécessité de re a posteriori qui soit à découvrir par expérience. Kant soutenait que les vérités nécessaires de la logique étaient « entièrement sans contenu », Wittgenstein que les tautologies logiques étaient « dénués de sens (c’est-à-dire avec un sens nul) ». Ils rejetaient tous deux l’idée que les propositions nécessaires de l’arithmétique et de la géométrie soient analytiques, et admettaient que l’arithmétique pure était construction de concepts. De façon générale, tous deux situaient les racines de la nécessité non logique en nous – bien que pour des raisons différentes et en des sens différents. vi. Théologie rationnelle : tous deux rejetaient la théologie rationnelle. D’autres points de convergence peuvent sans aucun doute être trouvés. Cependant, ceux-ci suffisent à notre propos. Ils sont surprenants et importants. Mais une fois examiné de près, le sens de la convergence change – cela pour deux raisons. Premièrement, le consensus critique, négatif, n’est supporté par aucun accord constructif. En second lieu, la vision du monde, la Weltanschauung philosophique, qui informe leur pensée est tout à fait différente. La source de leur désaccord la plus fondamentale relève des racines les plus profondes de l’inspiration kantienne. La clef du problème de la Critique de la Raison Pure est : comment les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles7 qui, en mettant de côté les vérités synthétiques a priori des mathématiques, est ramenée à 7 Kant Emmanuel, Critique de la raison pure (1781) (tr. Alain Renaut, 3e édition), Paris, Flammarion. B 19, p. 106. Plus loin, les mentionsCRP se réfèrent à cette édition. 18 « Comment la métaphysique comme science est-elle possible ? »8 La première étape vers la résolution de cette question fut sa soi-disant « révolution copernicienne »9. Tous les systèmes métaphysiques précédents, pensait-il, avaient supposé que l’ensemble de notre connaissance devait se conformer aux objets. Mais ils s’étaient révélés incapables d’expliquer la possibilité d’une connaissance synthétique a priori de la nature, telle que la persistance de la substance dans le temps, la réciprocité des relations causales entre objets, ou que chaque événement doive avoir une cause. Par conséquent, Kant proposa de reprendre le problème à l’envers. Nous devons supposer que la nature, pour autant qu’elle puisse être connue a priori, doit se conformer aux conditions de notre constitution sensible et cognitive – aux formes a priori de l’intuition et aux catégories a priori de la compréhension. Sa conclusion radicale étant que la connaissance ne peut transcender les limites de l’expérience possible10. Nous pouvons connaître les vérités synthétiques a priori concernant la nature (le monde tel que nous en faisons l’expérience), mais nous ne pouvons atteindre la connaissance de l’existence de Dieu, ou de l’immortalité de l’âme, ou des choses telles qu’elles sont en elles-mêmes. La connaissance synthétique a priori de la nature est possible, pensait Kant, parce que l’esprit impose des principes structuraux à la nature comme condition d’expérience possible. Quand nous rapportons les conditions formelles de l’intuition a priori, la synthèse de l’imagination et l’unité nécessaire de celle-ci dans une aperception transcendantale, à une connaissance possible, et que nous disons : les conditions de possibilité de l’expérience en général sont en même temps conditions de la possibilité des objets de l’expérience, et elles ont pour cette raison une validité objective dans un jugement synthétique a priori.11 L’esprit échafaude la nature. C’est sur cet échafaudage que les apparences sont perçues. L’échafaudage est décrit par les propositions 8 Ibidem, B 22, p. 108. Ibidem, B 16, p. 104 et B 22, p. 108. 10 Il faut constamment avoir en tête le poids du concept d’expérience, tel que déployé par Kant. Il s’agit d’une connaissance “qui détermine un objet par des perceptions.” (CRP A176/B 218). 11 CRP A158/B197. 9 19 synthétiques a priori de la métaphysique. Et c’est en vertu de cet échafaudage qu’une connaissance empirique de la nature est possible. Même s’il n’hésitait pas à utiliser le terme « a priori », Wittgenstein soutenait que son emploi dans la tradition philosophique était ébranlé par la plus profonde méconnaissance. Il écrivait (en 1931) : Il était caractéristique des théoriciens de la période culturelle passée de vouloir trouver l’a priori là où il n’était pas. Ou devrais-je dire qu’une caractéristique de l’ère culturelle passée était de former//créer// le concept, ou non concept, de l’a priori. Car si depuis le début les choses// l’état des choses// avaient été considérées comme nous le faisons, cela n’aurait jamais créé le concept. (Le monde aurait alors perdu une grande – je dirais, significative – erreur.) Mais en fait on ne peut parler ainsi car ce concept était lui-même enraciné dans la culture même.12 Ceci est une remarque importante dont les implications vont se ramifiant. Wittgenstein utilisait en effet le terme « a priori » dans les écrits de sa philosophie dernière, mais un abîme séparait son usage de cette expression de la conception kantienne de la connaissance a priori. De même, il pensait que des propositions telles que « rien ne peut être complètement rouge et vert » ou « voyager dans le temps est impossible » sont a priori. Mais il ne pensait pas que connaître une de ces propositions a priori (non analytiques) était correctement caractérisé par connaître la vérité d’une description de ce que les choses sont nécessairement dans la nature. De telles propositions ne sont pas des descriptions a priori de l’échafaudage du monde. Elles sont plutôt des normes de description. Le monde n’a pas d’échafaudage – ni original (selon la métaphysique traditionnelle) ni construit et imposé (selon la métaphysique kantienne de l’expérience). De telles propositions (apparemment synthétiques a priori) constituent l’échafaudage à partir duquel nous décrivons le monde. Une telle connaissance est donc connaissance des règles de représentation. Savoir que le rouge est plus foncé que le rose, par exemple, est précisément savoir que si quoi que ce soit est rouge, alors, sans avoir à y regarder, on peut inférer qu’il est plus foncé que quoi que ce soit de rose. Cette « proposition synthétique a priori », vérité apparemment nécessaire sur la nature, n’est rien de moins 12 Ms 183, p. 81. 20