Institutions, organisations et comportement entrepreneurial en

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Institutions, organisations et comportement entrepreneurial en
Algérie : analyse des stratégies et pratiques des PME
Chaib Bounoua1, Université de Tlemcen, LAREIID
Résumé :
En mettant en valeur le concept d’institutions formelles et informelles, nous
souhaitons apporter des explications quant aux comportements des agents
économiques et leur articulation avec l’environnement institutionnel. Nous
analyserons comment les agents économiques confrontés à des marchés non
transparents, peu régulés adoptent des normes, des règles, des habitudes
communes qui vont coordonner leurs comportements et se substituer aux
règles du marché conventionnel
Mots clefs : Entrepreneuriat, corruption, gouvernance, économie informelle,
institutions
JEL : O17, 043, P31, K42, K11
Institutions, organizations and entrepreneurial behavior in Algeria:
analysis of strategies and practices of SMEs
Abstract
By studying the concept of formal and informal institutions, we suggest an
explanation of the behavior of economic agents and their interaction with the
institutional environment. We analyze how economic agents confronted to nontransparent markets, adopt norms, rules, common habits that coordinate their
behavior and replace the rules of conventional market
Keywords: Entrepreneurship, corruption, governance, informal economy,
institutions
1
[email protected]
Introduction
Depuis quelques années déjà, les économistes portent un intérêt
particulier à l’étude de l’économie informelle en Algérie (Henni, 1982 ;
Adair, 1985 ; Bounoua, 1999 ; Bellache, 2010). L’évolution remarquable
prise par cette dernière dans l’économie nationale reste un sujet
préoccupant tant pour les pouvoirs publics qui peinent à lutter contre un
phénomène multiforme que pour les académiciens qui n’arrivent pas le
cerner théoriquement et à en évaluer quantitativement ses implications
sur le reste de l’économie. En effet, depuis deux décennies au moins,
L’économie informelle se révèle une composante essentielle de
l’économie algérienne, causant de graves distorsions au niveau du
fonctionnement de certaines variables économiques ( revenus, prix,
monnaie, taux de change, emploi….). Le phénomène a été accentué en
particulier par la libéralisation de l’économie algérienne à la fin des
années 90 où la mise en place des mécanismes de marché et ses
dysfonctionnements, ont informalisé une grande partie des activités
économiques. En raison de ce changement institutionnel nouveau et de
ses multiples contraintes notamment institutionnelles qu’il entraîne,
l’agent économique est emporté dans un mouvement de semiinformalisation mettant en œuvre de nouvelles pratiques
entrepreneuriales sur le plan de l’organisation de ses activités. Ainsi, les
entreprises tout secteur confondu usant à la fois des pratiques de la
fraude fiscale et de la corruption pour échapper aux multiples contraintes
de l’environnement institutionnel ( bureaucratie ...) défient la nouvelle
organisation économique et sociale basée sur les principes du contrat et
du droit.. Le propos de cette contribution est de s’interroger sur l’impact
du nouveau contexte économique, juridique et institutionnel du pays sur
la nature des pratiques entrepreneuriales en cours en Algérie? Il s’agit
plus précisément de comprendre comment celui-ci affecte le
comportement des acteurs économiques dans le sens d’une plus grande
informalisation de l’économie et la société algérienne. En mettant en
valeur le concept d’institutions formelles et informelles (Section 1), nous
souhaitons apporter des explications quant aux comportements des
agents économiques et leur articulation avec l’environnement
institutionnel. Nous analyserons comment les agents économiques
confrontés à des marchés non transparents, peu régulés adoptent des
normes, des règles, des habitudes communes qui vont coordonner leurs
comportements et se substituer aux règles du marché conventionnel.
(Section2). Cette question du changement institutionnel nous permettra
de comprendre plus largement
le lien entre institutions, et
comportement entrepreneurial de type informel en Algérie. (Section3)
Nous complèterons enfin l’analyse en montrant qu’au bout d’une
cinquantaine d’années d’expériences de développement, l’Algérie a érigé
un système de gouvernance favorable aux comportements de recherche
de rente et de corruption accentué en cela par l’absence d’une volonté
politique manifeste cherchant à rompre avec ce mode de gestion de
l’ économie nationale. (Section 4)
1. Institution, organisation et changement institutionnel
Les travaux de North dont l’analyse principale porte sur le rôle des
institutions dans le développement économique sont d’un apport
théorique considérable dans la compréhension des performances
économiques des nations. Pour cet auteur, les entreprises ou firmes
définies comme des organisations jouent un rôle essentiel dans les
processus de changements économiques tandis que les institutions
entendues ici comme les règles du jeu sont là pour orienter et encadrer
les activités économiques notamment celles des entreprises. Ainsi, le
changement escompté est le résultat d’une interaction permanente entre
organisation et institutions laquelle induira une modification des règles
institutionnelles qui déterminera l’évolution du développement
économique. (North, 2005). Pour North, l’existence des entreprises sur le
marché est justifiée par leur capacité à réduire les coûts de transaction. Si
les coûts de la recherche d’information sur l’environnement (clients,
fournisseurs, bourse, prix ….) et les coûts d’exécution des contrats
étaient nuls, il n’y aurait pas besoin de l’existence des firmes. Donc,
l’existence de celle-ci en tant qu’organisation est une réponse à ce déficit
informationnel qui n’est pas fourni par l’environnement et qui se révèle
un coût non négligeable dans la poursuite de l’activité économique de la
firme. Ainsi, les entreprises comme organisation existent pour des
raisons de contraintes institutionnelles, les agents ayant une rationalité
limitée ne pourraient pas dans ce sens, exercer une domination sur leur
environnement. Face à cette donnée, le rôle des entreprises est de
parvenir à modifier les règles institutionnelles, ou tout au moins de
réduire le degré de contraintes qu’elles subissent de leur environnement.
Il en vient que ces entreprises représentent un vecteur important du
changement institutionnel qu’elles comptent opérer sur leur
environnement immédiat. (Hogdson, 1998 ; North, 2005). D’autre part,
face à un environnement institutionnel donné, les organisations optent
pour des comportements qui varient en fonction des informations
obtenues sur cet environnement. .Sur la base des objectifs et des valeurs
qu’elles poursuivent, soit elles s’adaptent à cet environnement en se
conformant à ses règles, soit elles essaient d’influer à leur avantage sur les
règles de fonctionnement de cet environnement. Dans tous les cas,
l’organisation suit un objectif de maximisation de ses activités dans un
environnement donné. Elle voudrait sortir gagnante du changement
institutionnel s’il y’a lieu. L’organisation adopte alors deux types de
comportements possibles : soit elle accepte de jouer le jeu des règles en
vigueur, soit elle essaie de les contourner. Dans le cas du contournement
des règles, l’organisation exploite l’incomplétude des règles formelles et
informelles pour lui donner une interprétation qui va dans le sens de ses
intérêts ou qui maximise ses choix. Cette incomplétude vient en fait de
l’incertitude et l’imparfaite information qui caractérisent les organisations
ou du peu de maîtrise de celles-ci d’une information complète (Roland,
2000). Par ailleurs, dans la modification des règles du jeu économique, le
régime des droits de propriété est déterminant dans la stratégie à suivre
par les entreprises dans leur quête d’un profit maximum. Si le régime
des droits de propriété dont les incitations économiques est l’efficacité
productive des organisations, celles-ci vont se conformer alors aux règles
du jeu économique en vigueur et mener un processus de développement
novateur. Ce système, en sanctionnant positivement les entreprises les
plus dynamiques qui se sont soumises à une logique productive, est un
vecteur puissant de création de richesse qui va contribuer à la prospérité
du pays. Dans le cas contraire, un régime de droits de propriété qui va à
contre courant de cette logique, en encourageant par exemple un système
redistributif ou rentier conduira à des résultats économiques peu
performants sur le plan de l’efficacité économique, du progrès et de la
croissance économique. Au total, même si l’organisation est contrainte
institutionnellement par un certain nombre de règles à respecter (telles
que les lois et les règlementations…) , qui va déterminer une partie de ses
caractéristiques ,de sa stratégie, de son évolution, et de son
adaptation…elle dispose d’un degré de liberté qui lui permet d’influer sur
les règles du jeu et de son environnement. Ce jeu d’influence mutuelle
entre les organisations et les institutions va peser sur la trajectoire du
changement institutionnel. (Roland, 2004). En résumé, ce qu’on peut
déduire de cette analyse est qu’il y’a continuellement entre les
organisations et les institutions une sorte d’interaction mutuelle qui va
peser sur le cours à donner aux règles du jeu institutionnel c.-à-d. soit
dans le sens de la modification des règles, soit dans le sens de la
conformité à ses mêmes règles.
2. Normes informelles et comportements des acteurs
Nous avons vu à la suite de D.North, qu’on peut définir les institutions
comme un ensemble de règles formelles et informelles à travers
lesquelles les individus structurent leurs interactions. Les règles formelles
représentent l’ensemble des règles politiques et juridiques (constitutions,
lois et règlements) dont l’application des dispositions revient au pouvoir
politique et législatif. Les règles informelles sont composées de normes
de comportement, de conventions sociales et codes de conduite, des
habitudes, des traditions….. La combinaison des règles formelles et
informelles détermine le système d’incitations des acteurs économiques
qui réagissent diversement à leur environnement institutionnel. En ce
sens, et pour prendre l’exemple algérien, il y’ a lieu de relever l’influence
considérable du système économique, politique, social et culturel derrière
l’informalité des comportements des acteurs économiques. Cette
informalité est le reflet des croyances ou des valeurs tels qu’adoptées par
les acteurs économiques dans leurs pratiques quotidiennes. Elle apparait
comme la norme sociale dominante dans la société algérienne. Il ‘ y a un
phénomène à observer est que face à l’affaiblissement de l’Etat dans sa
capacité à imposer ses normes régulatrices aux agents économiques, ce
sont les normes des réseaux informels qui s’imposent dans la conduite
du processus de marché. Les normes sont façonnées par les pratiques
quotidiennes des agents économiques dans leurs rapports aux marchés.
Ce sont celles là qui s’imposent à tout le monde qui participe à l’échange
économique au détriment des lois et réglementations édictées par l’Etat
et ses institutions qui sont censées régulées les rapports entre agents
économiques dans le cadre de l’économie de marché. Par exemple les
comportements informels des agents économiques qui consistent au
contournement des lois sont devenus une norme sociale assimilée par
tous les agents économiques qui participent au marché. Adopter alors un
comportement informel devient une norme sociale puisqu’elle est le
produit d’un consensus entre les acteurs économiques qui participent à
l’échange. On ne peut alors expliquer la pratique de vente sans facture
entre les commerçants ou l’utilisation du cash dans les transactions au
lieu du chèque sans évoquer le consensus des agents économiques autour
de cette norme sociale qui est acceptée par tout le monde. De ce fait, les
pratiques quotidiennes des agents économiques consistant dans le
détournement des réglementations et leurs violations sont devenues la
norme par excellence dans les relations d’échange. C’est cette norme là
qui régule aujourd’hui le comportement des acteurs économiques
algériens. Elle définit de nouvelles règles de jeu qui sont celles de
l’informel. Chaque acteur impliqué dans l’échange est obligé de se
soumettre à ces nouvelles règles de jeu ou doit disparaître.
3. Développement de l’informel et entrepreneuriat
L’examen des réformes institutionnelles en direction de la PME
algérienne montre que la transformation tant attendue de celles-ci dans
une optique de dynamisme économique et de croissance aboutissant à
une modernisation de l’économie n’a pas eu lieu, mais au contraire celleci est restée confinée dans une attitude de passivité et d’attente peu
impliquée dans le processus de mondialisation et de compétitivité
internationale. Bien plus, on observe en l’absence de la construction d’un
système productif autonome et diversifié, une régression dangereuse du
processus industriel construit à marche forcé dans les années 70. On est
en face d’une fatalité qu’est la mondialisation qu’on n’arrive pas à
domestiquer et d’une intégration économique internationale mal
négociée telle que celle contractée avec l’Union européenne à travers les
accords d’association. Ainsi, sur le plan industriel, la production de ce
secteur ( tout secteur confondu) a fléchi considérablement avec moins
de 10% du PIB en 2010 alors qu’elle était de 35% à la fin des années 80
indiquant par là la perte de vitesse de ce secteur par rapport au passé et le
peu d’efficacité des nouveaux mécanismes mis en œuvre pour relancer
l’économie et l’entreprise. Il y ‘a là manifestement quelque chose qui
cloche qui fait que d’autres secteurs ont pris plus de poids dans
l’économie (en terme d’activité) tels que le secteur tertiaire (commerces,
services, …) contribuant paradoxalement à une faible croissance de
l’économie.
L’analyse des résultats du dernier recensement (Collections statistiques
168, Alger, janvier 2012), consacré à la PME algérienne met en exergue
deux faits : le caractère rentier de l’économie nationale à travers le poids
prépondérant du secteur des hydrocarbures dans l’économie nationale ;
l’essentiel de l’activité économique est assuré par le secteur tertiaire,
dominé par la très petite entreprise soit 95% du total des entreprises
enquêtées et employant un effectif de moins de 10 personnes, attestant
par là d’une dérive de l’économie, dérive qui semble compromettre
sérieusement le devenir de l’économie si rien n’est fait pour changer la
trajectoire. La lecture du rapport révèle une déformation du tissu
d’entreprise avec une domination nette de la très petite entreprise dans
l’activité économique concentrée essentiellement dans le secteur tertiaire.
Les personnes physiques dominent pratiquement tout le tissu
économique avec 8699.164 entités soit 90.6% contre 90.554 pour les
personnes morales soit 9.4%. Par secteur économique, ces sont les
activités commerciales qui attirent le plus d’attention avec un nombre de
528.328 entités soit 55.1% du total des entités recensées. Le commerce
de détail est la principale activité économique exercée par ces entités soit
84% , le reste est réparti entre le commerce de gros, commerce
automobile et de motocycles. Le secteur des services vient en deuxième
position avec un nombre de 325.442 unités dont la répartition des
activités se décline comme suit : 26% des entités vont au transport,
18.7% à la restauration, 15.2% dans les autres services personnels, 10.2%
dans les télécommunications (y compris les taxiphones), 5.4% aux
activités juridiques et comptables, enfin 5.3% à la santé ( médecins
privés, chirurgiens privés, dentistes…) .Dans le secteur industriel, le
recensement donne les résultats suivants : on compte 97.202 entités
industrielles ventilées comme suit 23.4% appartiennent au secteur agroalimentaire( travail de grain, lait et produits laitiers, boissons…), 22.7%
au secteur métallurgique, 10.5% dans l’habillement, 2.1% dans le bois et
liège, 1.3 dans le textile, 1.6% dans la réparation et l’installation des
machines d’équipement. Et ces TPE et PME participent activement à la
création de l’emploi avec un effectif total employé de 1.7 millions de
personnes en 2010. C’est dire leur poids non négligeable dans la
dynamique de l’emploi en Algérie. Tandis que la part relative des PME
dans le système productif a stagné autour de 10% du total du nombre
des entreprises recensées, participant peu à la création de l’emploi et à la
valeur ajoutée
indiquant par là comme l’ont souligné auparavant
beaucoup d’études un processus de désindustrialisation de l’économie.
Alors qu’est ce qui explique ce poids croissant des TPE dans le tissu
économique algérien ? S’agit –il vraiment du début d’un processus
entrepreneurial engageant ces entreprises dans une dynamique de
développement et de croissance ? Ou bien s’agit-il d’une tendance
caractéristique d’une économie rentière où les entreprises, même les plus
dynamiques d’entre elles, ne s’engagent pas nécessairement dans une
logique productive dans leurs projets de développement. Pour apporter
des éléments de réponse à ces questions, il va falloir analyser brièvement
les facteurs à l’origine de l’évolution de la trajectoire de ces entreprises.
Cette tertiarisation de l’économie s’explique en partie par le tournant
libéral de l’économie amorcé à partir des années 90 où l’initiative privée a
été affranchie partiellement des contraintes bureaucratiques et du tout
étatisme. D’autre part, la montée du poids des TPE est liée au retour de
croissance impulsé par l’envolée du prix des hydrocarbures à partir des
années 2000 et des aides multiples à la création d’entreprises octroyées
par les organismes étatiques tels que l’ANDI, l’ANSEJ, la CNAC…..
Enfin, cette mutation vers la tertiarisation de l’économie peut-être
expliquée également sociologiquement dans le sens où les jeunes
entrepreneurs aspirent à plus d’autonomie et de réalisation personnelle
face à un relâchement du processus de salarisation dans l’emploi public
et privé. Il apparait ainsi que les réformes structurelles mises en œuvre
ont agi positivement sur le développement de l’entrepreneuriat en
encourageant le travail indépendant et de la micro entreprise mais tout en
fragilisant le rapport salarial au sein de l’économie avec l’apparition des
formes d’emploi atypique notamment l’emploi informel dans tous ses
aspects. Cependant, il convient d’opter pour une attitude de prudence
dans l’interprétation du dynamisme entrepreneurial des jeunes versés
dans la création de petites entreprises. S’il est vrai qu’ils sont appuyés
institutionnellement par des dispositifs d’appui à l’emploi ( ANSEJ,
ANDI, CNAC…) dans leur aventure entrepreneuriale, il n’en est pas
moins vrai que la majorité d’entre eux sont imprégnés dans leur stratégie
d’évolution par le modèle d’entreprise informelle tel qu’il régit
aujourd’hui le fonctionnement de l’entreprise algérienne. Autrement dit,
la petite entreprise, au commencement de son activité, est au fait des
difficultés de ses rapports avec son environnement institutionnel et que
par conséquent, elle compte évoluer en fonction des données du marché
à savoir concurrence imparfaite, asymétrie d’information, corruption ….
Et n’est donc pas obligée de travailler en respectant les règles du jeu
concurrentiel. En effet, sa perception négative de son environnement
immédiat la conduit à emprunter la voie informelle dans le cadre de son
activité économique. (Bounoua, 2009). C’est pourquoi, on ne pourrait
saisir la puissance et la montée de ces entreprises qui activent dan
l’informalité , y compris les TPE sans l’existence d’un réseau organisé qui
tire avantage des principes qui régissent cette forme d’organisation à
savoir : un partage de valeurs et croyances entre les membres qui
impliquent l’adoption de normes de comportement communes, le
partage des règles, la solidarité et l’esprit du clan
4. Dérégulation de l’économie et comportement rentier
La littérature économique consacrée à l’étude des comportements des
agents économiques dans les économies en transition montre que
l’adoption de pratiques informelles est le fruit de décennies d’économie
parallèle.
La plupart des études soulignent en particulier que l’avènement de
l’économie de marché dans ces pays si elle a détruit formellement les
anciennes institutions de la période socialiste n’a pas pour autant fait
émerger des comportements favorables à l’économie de marché.
(Eggertsson, 1990). Le contexte économique marqué par la
désorganisation
des activités économiques a poussé les agents
économiques à adopter ce type de comportement. L’activité économique
informelle n’est devenue imposante dans l’économie nationale que parce
qu’elle fait le consensus autour des règles à suivre et d’une certaine
régularité ou routine dans les pratiques quotidiennes des acteurs
économiques. Dans un contexte marqué par le relâchement des
structures étatiques de régulation des activités marchandes et
productives, le sentiment de désordre dans l’organisation des activités
économiques, l’absence d’une véritable concurrence des marchés, les
entreprises sont poussées à adopter des stratégies qui contournent ces
obstacles institutionnels multiples qui les pénalisent dans leurs activités
économiques. Ainsi, l’inertie des institutions provoque des
comportements contraires aux préceptes de l’économie de marché. Parce
qu’une activité marchande ou productive est mal encadrée sur le plan
institutionnel, elle pousse l’agent économique à s’adapter à ce nouvel
environnement économique hors norme. (Rigobon, and Rodrik, 2005).
Dès lors, les stratégies individuelles ou collectives sont déployées par les
acteurs économiques pour poursuivre leurs activités économiques. C’est
pourquoi, il nous faudrait expliciter ces stratégies et comprendre
comment elles tendent à perpétuer et à généraliser des comportements
de type informel dans ce contexte de dérégulation des marchés.
L’environnement institutionnel algérien n’apparaît pas comme un cadre
adéquat pour le développement des activités entrepreneuriales, par
exemple la fiscalité est lourde et non transparente, les droits de propriété
(physique et intellectuelle) ne sont pas totalement protégés, le système de
crédit vers les entreprises privées n’est pas très développé et est peu
favorable. (Voir à ce propos le rapport de Doing Business 2012 qui évalue
l’environnement des affaires en Algérie en positionnant ce pays depuis
des années déjà dans une très mauvaise posture en matière de corruption,
de liberté d’entreprendre, de création d’entreprise….). Face à cette
situation de déficit institutionnel, du soutien explicite et encourageant de
l’environnement institutionnel à l’activité entrepreneuriale, les acteurs
économiques privés formels ou informels innovent en matière
d’organisation de leurs activités marchandes ou productives, en
s’adaptant au nouvel environnement institutionnel. Pour ce faire, ils font
des arrangements entre eux pour maîtriser leur espace économique en
s’appuyant sur leurs réseaux de relations et échapper ainsi aux nouvelles
contraintes induites par le changement institutionnel. Ils réactivent à ce
propos leurs réseaux relationnels issus de la période socialiste. (Hoff and
Stiglitz , 2005). La mise en œuvre des réformes institutionnelles touchant
en particulier le dérèglement du système de planification tel qu’il
fonctionnait auparavant et partant du mode de régulation de l’économie
est à l’origine de la perte de cohérence d’ensemble dans la conduite de
l’économie et des politiques économiques mises en œuvre.
L’introduction de nouveaux mécanismes issus du système de marché a
buté sur les anciennes règles de la période socialiste toujours en vigueur
dans l’économie et la société. Cette nouvelle situation a rajouté à la
désorganisation de l’économie déjà compliquée par le passé par la perte
de maîtrise du processus de réformes en ne sachant pas quoi faire pour
redresser la barre . Il s’en est suivi un dysfonctionnement du système de
coordination et un développement absolument fulgurant de l’activité
informelle. Depuis toujours, l’économie algérienne fait face à des
pénuries chroniques (ciment, médicaments, pomme de terre, huile de
table) qui touchent périodiquement un secteur à un autre en dépit des
mesures de libéralisation de l’économie supposées résoudre
définitivement ce problème de l’offre des biens et services. Les périodes
successives de crises qui ont traversé l’économie algérienne ont laissé de
profondes empreintes dans le comportement des agents économiques
qui agissent toujours en méfiance par rapport au système institutionnel
en vigueur. Ainsi, les années 90 ont été caractérisées par une conjoncture
particulière (l’application du plan d’ajustement structurel, la violence
politique) traduit principalement par la libéralisation des prix, des
politiques budgétaires rigoureuses, qui ont vu plusieurs pénuries affecter
le pouvoir d’achat des ménages, et l’essor des entreprises publiques. La
crise perdurant a affecté la demande intérieure qui à son tour a ralenti la
croissance économique. Face à la crise de l’endettement ,et à
l’effondrement de la production nationale , les pouvoirs publics ont
cherché des solutions alternatives en encourageant toutes sortes d’agents
économiques privés et publics pour assurer l’approvisionnement des
marchés même en outrepassant la règlementation en vigueur
Le marché interne s’est organisé en s’appuyant sur des circuits de
commercialisation informels échappant à tout contrôle de l’Etat.
L’insuffisance de la production locale a encouragé les différents
importateurs à organiser de leur manière les circuits de distribution et de
commercialisation faisant en sorte de dominer les marchés en
entretenant et contrôlant les pénuries des biens et services. On ne peut
expliquer ainsi la puissance de ces réseaux informels sans l’existence des
relations de confiance, de savoir faire et d’expérience en terme de
transactions informelles. En même temps, des relations de complicités
étaient montées, à travers la corruption, avec les différentes institutions
de l’Etat : Douanes, Impôts, commerce, Administrations publiques qui
ont permis à ces activités commerciales de s’étendre et de dominer
littéralement le marché national.. La nouvelle configuration de
l’organisation de l’économie introduite par les réformes a redistribué les
cartes en termes d’accaparement des parts de marché de la part des
agents économiques privés. La libéralisation économique non contrôlée a
instauré d’une manière définitive une économie de bazar dominée par les
transactions informelles. D’autre part, cette libéralisation a favorisé la
constitution de rentes administratives dont la bureaucratie d’Etat s’en est
servie en tout impunité en fermant les yeux par laxisme et incompétence,
sur le développement de la fraude et évasion fiscale et autres illégalités
La levée du monopole de l’Etat sur l’extérieur a permis à quelques agents
économiques du secteur privé de contrôler tout le processus
d’importation en concentrant dans leurs mains les principales activités
économiques abandonnant tout projet productif d’avenir attiré en cela
par le différentiel de rentabilité entre l’activité commerciale et l’activité
productive. En outre, l’incertitude lié au nouvel environnement
institutionnel marqué par des changements fréquents dans la
règlementation et la législation a obscurci « l’horizon temporel » des
agents économiques désirant investir dans des projets de production
poussant ceux-ci à prendre le risque minimal en matière de projet
économique, les acculant en définitive à opter pour des activités
rémunératrices de court terme .Les entreprises se sont investies
massivement dans l’informalité en raison d’un environnement
institutionnel défavorable. Elles ont mis en œuvre
de nouvelles
pratiques organisationnelles leur permettant une flexibilité et une
adaptabilité aux changements opérés dans leur environnement immédiat.
Le mode réseau est un trait caractéristique de l’organisation de ces
entreprises informelles qui opèrent selon une méthodologie digne des
grandes entreprises où la division du travail, l’usage des alliances
stratégiques, la mise en commun des ressources, des accords de
coopération entre grands patrons informels est la règle entre les
membres du réseau. Les achats de marchandises sont concentrés sur un
nombre restreint d’importateurs qui externalisent un certain nombre de
fonctions auprès de clients
La réorganisation de l’économie dans une logique rentière telle qu’on
vient d’en décliner les grands traits favorise le statu quo et l’inertie qui à
son tour paralysent les changements souhaités pour une meilleure
performance de l’économie nationale. Ainsi, la période postsocialiste est
propice à de nouvelles configurations organisationnelles dans les activités
entrepreneuriales. Ces configurations sont facilitées par l’existence
d’anciens relais au niveau politique, trempés eux même dans les affaires,
qui utilisent leur influence au niveau des pouvoirs publics pour obtenir
telle ou telle faveur, sans passer par le labyrinthe hiérarchique et
bureaucratique de l’administration. En conséquence, la compromission
de diverses parties dans l’activité entrepreneuriale permet de contourner
les nombreuses difficultés qu’affrontent les acteurs économiques dans
leur environnement économique immédiat. De ce fait, une activité
entrepreneuriale florissante est liée à la qualité et à la densité de ces
réseaux.
Conclusion
Pour conclure cette étude, on peut dire que la nouvelle organisation
économique ne s’est pas défaite totalement des structures
organisationnelles de commandement et de bureaucratie, hérités du
passé qui s’agence mal avec les nouvelles formes de coordination issues
du système de marché. Cette contradiction dans le système de
coordination a conduit à des dysfonctionnements importants de
l’économie, reflétés principalement dans les comportements des acteurs
économiques qui se sont adaptés au nouvel environnement institutionnel
de leur manière, motivés par leurs intérêts intrinsèques et nullement
tenus de s’assujettir aux nouvelles lois et règlementations véhiculés par
les réformes économiques. La mise en œuvre de nouvelles institutions
n’a pas enclenché une nouvelle cohérence économique permettant de
dépasser l’ancien cadre de régulation hérité de la période socialiste en
particulier celui de la bureaucratie qui constitue un frein réel au processus
de réformes économiques actuelles. L’incohérence dans la prise de
décision en matière de politique économique, l’application tatillonne de
la réglementation conjuguée à la crise économique ont facilité
l’émergence d’une élite entrepreneuriale de type nouveau versé dans le
commerce et l’import-import. Ses relations rapprochées avec les centres
du pouvoir l’ont conforté dans ses positions de dominance de l’activité
économique surtout dans le commerce extérieur et l’ont couvert contre
les délits économiques et la violation de la réglementation. Ce traitement
discriminatoire dans la gestion des activités entrepreneuriales ont
renforcé le sentiment d’incertitude, d’insécurité et de passes droits chez
les agents économiques du secteur privé .Cette situation qui a duré dans
le temps, suivi d’un tarissement des investissements et de tentatives
ratées de privatisation, a complètement démantelé le secteur industriel
public existant , mais aussi réduit le dynamisme industriel du secteur
privé en peau de chagrin. Le paysage économique national a pris une
autre physionomie avec le poids de plus en plus prépondérant des
activités de services et le recul flagrant du secteur industriel dans l’activité
économique. Ce modèle de comportement non productif est aiguillé par
les plus grandes entreprises qui ont une position dominante sur les
marchés et qui vont imposer cette dynamique au reste de l’économie.
Ainsi, on peut dire que le modèle de croissance adopté par l’Algérie, qui
est celui de la rente impose des choix organisationnels aux entreprises qui
ne répondent pas à ceux attendus par les pouvoirs publics dans leurs
discours politiques. Ceci indique en toute simplicité que face à une faible
gouvernance de l’Etat, celui-ci participe objectivement sans le vouloir à
l’émergence de comportements rentiers et informels et partage ainsi avec
d’autres acteurs l’échec du processus de réformes économiques en
Algérie.
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