Institutions, organisations et comportement entrepreneurial en

Institutions, organisations et comportement entrepreneurial en
Algérie : analyse des stratégies et pratiques des PME
Chaib Bounoua1, Université de Tlemcen, LAREIID
Résumé :
En mettant en valeur le concept d’institutions formelles et informelles, nous
souhaitons apporter des explications quant aux comportements des agents
économiques et leur articulation avec l’environnement institutionnel. Nous
analyserons comment les agents économiques confrontés à des marchés non
transparents, peu régulés adoptent des normes, des gles, des habitudes
communes qui vont coordonner leurs comportements et se substituer aux
règles du marché conventionnel
Mots clefs : Entrepreneuriat, corruption, gouvernance, économie informelle,
institutions
JEL : O17, 043, P31, K42, K11
Institutions, organizations and entrepreneurial behavior in Algeria:
analysis of strategies and practices of SMEs
Abstract
By studying the concept of formal and informal institutions, we suggest an
explanation of the behavior of economic agents and their interaction with the
institutional environment. We analyze how economic agents confronted to non-
transparent markets, adopt norms, rules, common habits that coordinate their
behavior and replace the rules of conventional market
Keywords: Entrepreneurship, corruption, governance, informal economy,
institutions
Introduction
Depuis quelques années déjà, les économistes portent un intérêt
particulier à l’étude de l’économie informelle en Algérie (Henni, 1982 ;
Adair, 1985 ; Bounoua, 1999 ; Bellache, 2010). L’évolution remarquable
prise par cette dernière dans l’économie nationale reste un sujet
préoccupant tant pour les pouvoirs publics qui peinent à lutter contre un
phénomène multiforme que pour les académiciens qui n’arrivent pas le
cerner théoriquement et à en évaluer quantitativement ses implications
sur le reste de l’économie. En effet, depuis deux décennies au moins,
L’économie informelle se révèle une composante essentielle de
l’économie algérienne, causant de graves distorsions au niveau du
fonctionnement de certaines variables économiques ( revenus, prix,
monnaie, taux de change, emploi….). Le phénomène a été accentué en
particulier par la libéralisation de l’économie algérienne à la fin des
années 90 la mise en place des mécanismes de marché et ses
dysfonctionnements, ont informalisé une grande partie des activités
économiques. En raison de ce changement institutionnel nouveau et de
ses multiples contraintes notamment institutionnelles qu’il entraîne,
l’agent économique est emporté dans un mouvement de semi-
informalisation mettant en œuvre de nouvelles pratiques
entrepreneuriales sur le plan de l’organisation de ses activités. Ainsi, les
entreprises tout secteur confondu usant à la fois des pratiques de la
fraude fiscale et de la corruption pour échapper aux multiples contraintes
de l’environnement institutionnel ( bureaucratie ...) défient la nouvelle
organisation économique et sociale basée sur les principes du contrat et
du droit.. Le propos de cette contribution est de s’interroger sur l’impact
du nouveau contexte économique, juridique et institutionnel du pays sur
la nature des pratiques entrepreneuriales en cours en Algérie? Il s’agit
plus précisément de comprendre comment celui-ci affecte le
comportement des acteurs économiques dans le sens d’une plus grande
informalisation de l’économie et la société algérienne. En mettant en
valeur le concept d’institutions formelles et informelles (Section 1), nous
souhaitons apporter des explications quant aux comportements des
agents économiques et leur articulation avec l’environnement
institutionnel. Nous analyserons comment les agents économiques
confrontés à des marchés non transparents, peu régulés adoptent des
normes, des règles, des habitudes communes qui vont coordonner leurs
comportements et se substituer aux règles du marché conventionnel.
(Section2). Cette question du changement institutionnel nous permettra
de comprendre plus largement le lien entre institutions, et
comportement entrepreneurial de type informel en Algérie. (Section3)
Nous complèterons enfin l’analyse en montrant qu’au bout d’une
cinquantaine d’années d’expériences de développement, l’Algérie a érigé
un système de gouvernance favorable aux comportements de recherche
de rente et de corruption accentué en cela par l’absence d’une volonté
politique manifeste cherchant à rompre avec ce mode de gestion de
l’ économie nationale. (Section 4)
1. Institution, organisation et changement institutionnel
Les travaux de North dont l’analyse principale porte sur le rôle des
institutions dans le développement économique sont d’un apport
théorique considérable dans la compréhension des performances
économiques des nations. Pour cet auteur, les entreprises ou firmes
définies comme des organisations jouent un rôle essentiel dans les
processus de changements économiques tandis que les institutions
entendues ici comme les règles du jeu sont pour orienter et encadrer
les activités économiques notamment celles des entreprises. Ainsi, le
changement escompté est le résultat d’une interaction permanente entre
organisation et institutions laquelle induira une modification des règles
institutionnelles qui déterminera l’évolution du développement
économique. (North, 2005). Pour North, l’existence des entreprises sur le
marché est justifiée par leur capacité à réduire les coûts de transaction. Si
les coûts de la recherche d’information sur l’environnement (clients,
fournisseurs, bourse, prix ….) et les coûts d’exécution des contrats
étaient nuls, il n’y aurait pas besoin de l’existence des firmes. Donc,
l’existence de celle-ci en tant qu’organisation est une réponse à ce déficit
informationnel qui n’est pas fourni par l’environnement et qui se révèle
un coût non négligeable dans la poursuite de l’activité économique de la
firme. Ainsi, les entreprises comme organisation existent pour des
raisons de contraintes institutionnelles, les agents ayant une rationalité
limitée ne pourraient pas dans ce sens, exercer une domination sur leur
environnement. Face à cette donnée, le rôle des entreprises est de
parvenir à modifier les règles institutionnelles, ou tout au moins de
réduire le degré de contraintes qu’elles subissent de leur environnement.
Il en vient que ces entreprises représentent un vecteur important du
changement institutionnel qu’elles comptent opérer sur leur
environnement immédiat. (Hogdson, 1998 ; North, 2005). D’autre part,
face à un environnement institutionnel donné, les organisations optent
pour des comportements qui varient en fonction des informations
obtenues sur cet environnement. .Sur la base des objectifs et des valeurs
qu’elles poursuivent, soit elles s’adaptent à cet environnement en se
conformant à ses règles, soit elles essaient d’influer à leur avantage sur les
règles de fonctionnement de cet environnement. Dans tous les cas,
l’organisation suit un objectif de maximisation de ses activités dans un
environnement donné. Elle voudrait sortir gagnante du changement
institutionnel s’il y’a lieu. L’organisation adopte alors deux types de
comportements possibles : soit elle accepte de jouer le jeu des règles en
vigueur, soit elle essaie de les contourner. Dans le cas du contournement
des règles, l’organisation exploite l’incomplétude des règles formelles et
informelles pour lui donner une interprétation qui va dans le sens de ses
intérêts ou qui maximise ses choix. Cette incomplétude vient en fait de
l’incertitude et l’imparfaite information qui caractérisent les organisations
ou du peu de maîtrise de celles-ci d’une information complète (Roland,
2000). Par ailleurs, dans la modification des règles du jeu économique, le
régime des droits de propriété est déterminant dans la stratégie à suivre
par les entreprises dans leur quête d’un profit maximum. Si le régime
des droits de propriété dont les incitations économiques est l’efficacité
productive des organisations, celles-ci vont se conformer alors aux règles
du jeu économique en vigueur et mener un processus de développement
novateur. Ce système, en sanctionnant positivement les entreprises les
plus dynamiques qui se sont soumises à une logique productive, est un
vecteur puissant de création de richesse qui va contribuer à la prospérité
du pays. Dans le cas contraire, un régime de droits de propriété qui va à
contre courant de cette logique, en encourageant par exemple un système
redistributif ou rentier conduira à des résultats économiques peu
performants sur le plan de l’efficacité économique, du progrès et de la
croissance économique. Au total, même si l’organisation est contrainte
institutionnellement par un certain nombre de règles à respecter (telles
que les lois et les règlementations…) , qui va déterminer une partie de ses
caractéristiques ,de sa stratégie, de son évolution, et de son
adaptation…elle dispose d’un degré de liberté qui lui permet d’influer sur
les règles du jeu et de son environnement. Ce jeu d’influence mutuelle
entre les organisations et les institutions va peser sur la trajectoire du
changement institutionnel. (Roland, 2004). En résumé, ce qu’on peut
déduire de cette analyse est qu’il y’a continuellement entre les
organisations et les institutions une sorte d’interaction mutuelle qui va
peser sur le cours à donner aux règles du jeu institutionnel c.-à-d. soit
dans le sens de la modification des règles, soit dans le sens de la
conformité à ses mêmes règles.
2. Normes informelles et comportements des acteurs
Nous avons vu à la suite de D.North, qu’on peut définir les institutions
comme un ensemble de règles formelles et informelles à travers
lesquelles les individus structurent leurs interactions. Les règles formelles
représentent l’ensemble des règles politiques et juridiques (constitutions,
lois et règlements) dont l’application des dispositions revient au pouvoir
politique et législatif. Les règles informelles sont composées de normes
de comportement, de conventions sociales et codes de conduite, des
habitudes, des traditions….. La combinaison des règles formelles et
informelles détermine le système d’incitations des acteurs économiques
qui réagissent diversement à leur environnement institutionnel. En ce
sens, et pour prendre l’exemple algérien, il y’ a lieu de relever l’influence
considérable du système économique, politique, social et culturel derrière
l’informalité des comportements des acteurs économiques. Cette
informalité est le reflet des croyances ou des valeurs tels qu’adoptées par
les acteurs économiques dans leurs pratiques quotidiennes. Elle apparait
comme la norme sociale dominante dans la société algérienne. Il y a un
phénomène à observer est que face à l’affaiblissement de l’Etat dans sa
capacité à imposer ses normes régulatrices aux agents économiques, ce
sont les normes des seaux informels qui s’imposent dans la conduite
du processus de marché. Les normes sont façonnées par les pratiques
quotidiennes des agents économiques dans leurs rapports aux marchés.
Ce sont celles qui s’imposent à tout le monde qui participe à l’échange
économique au détriment des lois et réglementations édictées par l’Etat
et ses institutions qui sont censées régulées les rapports entre agents
économiques dans le cadre de l’économie de marché. Par exemple les
comportements informels des agents économiques qui consistent au
contournement des lois sont devenus une norme sociale assimilée par
tous les agents économiques qui participent au marché. Adopter alors un
comportement informel devient une norme sociale puisqu’elle est le
produit d’un consensus entre les acteurs économiques qui participent à
l’échange. On ne peut alors expliquer la pratique de vente sans facture
entre les commerçants ou l’utilisation du cash dans les transactions au
lieu du chèque sans évoquer le consensus des agents économiques autour
de cette norme sociale qui est acceptée par tout le monde. De ce fait, les
pratiques quotidiennes des agents économiques consistant dans le
détournement des réglementations et leurs violations sont devenues la
norme par excellence dans les relations d’échange. C’est cette norme
qui régule aujourd’hui le comportement des acteurs économiques
algériens. Elle définit de nouvelles règles de jeu qui sont celles de
l’informel. Chaque acteur impliqué dans l’échange est obligé de se
soumettre à ces nouvelles règles de jeu ou doit disparaître.
3. Développement de l’informel et entrepreneuriat
L’examen des réformes institutionnelles en direction de la PME
algérienne montre que la transformation tant attendue de celles-ci dans
une optique de dynamisme économique et de croissance aboutissant à
une modernisation de l’économie n’a pas eu lieu, mais au contraire celle-
ci est restée confinée dans une attitude de passivité et d’attente peu
impliquée dans le processus de mondialisation et de compétitivité
internationale. Bien plus, on observe en l’absence de la construction d’un
système productif autonome et diversifié, une régression dangereuse du
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