La mafia existe, mais pas les mafieux
Les chefs du Parti des travailleurs et de Jil Jadid ont appelé à une enquête sur la responsabilité éventuelle de la
mafia du foncier dans le malaise qui a conduit au décès du wali d’Annaba.
Comme souvent dans ce cas, la réponse officielle est le mutisme. Pas un son. Pas même pour démentir
l’existence d’une mafia du foncier. Et pour cause : si l’on devait déclencher une enquête à contradiction à
chaque fois qu’on soupçonne l’origine mafieuse d’un agissement, on n’en finirait plus. D’abord, si l’on se réfère
à la littérature médiatico-politique sur le sujet, les mafias sont trop nombreuses : mafia du foncier, de
l’immobilier, du sable, de la devise, de la drogue, des produits pyrotechniques, de la pomme de terre… Ensuite,
elles sont partout : dans toutes les wilayas, sur terre, en mer, dans les airs, aux frontières, au Sud, au Nord, à
l’Est et à l’Ouest… Elles occupent les espaces publics et les points d’échange économique ; elles gangrènent les
institutions, l’économie, le commerce, l’agriculture, le sport…
Ces réseaux structurent l’activité économique nationale, de sorte que l’économie réelle n’est plus qu’un
prétexte à l’économie parallèle, mafieuse. Même les actions de développement servent de socle à
l’enrichissement illicite des coteries pillardes. Les déprédations, dont furent victimes Sonatrach, le projet de
l’autoroute Est-Ouest, le plan de développement agricole (PNDRA), illustrent le fonctionnement d’un système
dont la vocation est d’assurer le transfert de la rente vers les circuits de l’économie prédatrice. Il y a un rapport
osmotique entre les instances de gestion de la rente et l’espace d’activité mafieuse.
Les difficultés que la justice a à finaliser ses investigations et à organiser les procès de ces affaires procèdent de
l’ambiguïté de l’attitude du pouvoir face aux faits de prédation : sa mission virtuelle de défense du patrimoine
public est contrariée par sa fonction de répartition autoritaire et clanique de la rente. Ces procès apparaissent,
aux yeux du pouvoir, comme une contrainte plutôt que comme des tâches liées à sa mission de préservation de
la richesse nationale et de lutte contre la prédation. On observe aussi l’embarras qui saisit le pouvoir quand des
soupçons de prévarication touchent un de ses membres : on a beau publier les adresses des acquisitions
immobilières douteuses des pontes du régime, à Paris ou ailleurs, les instances concernées restent de marbre.
L’inaction institutionnelle face à ces révélations, même si elle prétend exprimer un serein aplomb, est conforme
à la logique rentière : fermer les yeux sur les agissements du clan, parce que c’est cette tolérance qui fonde la
solidarité du système.
Demander alors une enquête sur les agissements de telle ou telle mafia, c’est demander à un système de se
dénoncer. Surtout que celles-ci sont, comme chacun le sait, nombreuses et puissantes. Elles sont puissantes
économiquement, numériquement et par leur imbrication avec les différents centres de pouvoir. Il en va des
mafias comme des corrompus : tout le monde les voit, les croise, les fréquente, les subit, mais personne ne
peut les identifier. Il est risqué de les désigner.
Dans un tel système, conçu pour l’omerta, la transparence est une chimère.
Circulez ! Il n’y a pas de mafias. Ni de corruption.
M. H.