Les déterminations religieuses et anthropologiques de

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Les déterminations religieuses et anthropologiques
de l'élaboration kantienne du problème de la paix.
Claude Obadia
À Thomas.
La question de la paix est chez Kant aussi récurrente que polymorphe.
Largement impliquée dans l'étude critique des limites du pouvoir de la raison1,
elle détermine, bien sûr, l'étude rationnelle du politique et en particulier celle des
fondements transcendantaux du Droit, ce dont témoigne le Projet de paix
perpétuelle de 1795 et la Doctrine du Droit publiée en 1797. Pourtant, parce que
Kant est bien un "moderne" qui s'efforce de "penser l'aujourd'hui" et, à ce titre,
d'historiciser le présent, le thème de la paix instruit aussi l'étude du sens de
l'histoire et l'élaboration d'une téléologie qui, dans les opuscules publiés par
Kant en 1784, se nourrit d'une anthropologie subordonnée à l'examen
eschatologique des fins dernières et du sens de l'existence humaine, examen
dont les mobiles et les aboutissants reflètent sans nul doute les idées
religieuses du philosophe. Or, ce dernier point nous semble d'autant plus
intéressant qu'il permet de mettre en évidence les liens profonds qui unissent, en
dépit des apparences, des approches de la paix qui, chez Kant, passent le plus
souvent pour être inconciliables, comme si la pensée du philosophe s'était à ce
point transformée que le Projet de paix perpétuelle ne devrait rien aux
opuscules de 1784, c'est-à-dire ici à l'anthropologie piétiste et à la problématique
de l'eschatologie qui les sous-tend.
Le Projet de paix perpétuelle, entre rêve et pessimisme
Si le Projet de paix perpétuelle a eu une grande postérité, il n'en a pas
moins pour autant été critiqué, voire même raillé. Si F. Medicus n'hésite pas à
écrire que Kant était "devenu vieux, très vieux"2, nombre de commentateurs ont
dénoncé le caractère à leurs yeux par trop naïf du texte de Kant qui semble
effectivement se ranger dans le camp des "rêveurs". Il est vrai que le Projet
s'inscrit dans une tradition qui, remontant à l'ouvrage de l'Abbé de Saint-Pierre3,
vit, en 1766, les mémoires de Laharpe et Gaillard honorés par l'Académie
Française à l'occasion de la remise d'un prix mis au concours: Le Prix de la paix4.
Kant ne prisant guère le scepticisme, il était donc peu envisageable qu'il se
1 En témoignent ici trois textes dont les deux premiers se trouvent dans la Critique de la raison pure. Dans la préface de la première édition
de la première Critique, Kant esquisse une "histoire de la raison", histoire de la raison pure mais qui serait médiée, schématisée, par l'histoire
de la philosophie. En effet, c'est le dogmatisme despotique et ses prétentions abusives qui ont généré la réaction sceptique et l'indifférence
affectée (laquelle s'exprime par la misologie) à l'égard de la métaphysique. De sorte que cette situation tragique < la métaphysique comparée
à un champ de bataille!> fonde, à elle seule déjà, le besoin d'entreprendre l'examen des pouvoirs a priori de la raison et amène Kant à
affirmer qu'entre le scepticisme et le dogmatisme, entre l'empririsme et le rationalisme qui balisent deux "camps" opposés, il convient de
signer, par le biais du développement du criticisme, comme un traité de paix. Cette analyse, reprise par Kant dans le dernier chapitre de la
Critique, l'"Histoire de la raison pure", il souligne que "la route critique est la seule qui soit encore ouverte", se voit sensiblement
infléchie dans le sens de l'historicité de la raison pure dans Les progrès de la métaphysique en Allemagne depuis Leibniz et Wolf (1793). Au
tout début de la Deuxième section de cet ouvrage (page 37 de la traduction Vrin de 1973), présentant le criticisme comme le troisième stade
que la philosophie, comme schème de l'Histoire de la raison pure, devait parcourir, après celui du dogmatisme et du scepticisme, Kant, par-
delà le "pôle de médiété" que figure le criticisme, présente ce dernier comme le terme d'un processus historique rationnel qui culmine dans
l'apaisement d'un conflit inhérent à l'histoire de la philosophie. Procédant à la façon d'un juriste constituant, c'est donc bien une "paix de la
raison" aux prises avec elle-même que théorise Kant.
2 F. Médicus, Kantstudien, 7, pp. 220-224.
3 Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, 1712.
4 Cf. T. Ruyssen, Les sources doctrinales de l'internationalisme, Paris, 1958, tome 2, p. 580 sq.
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rangeât aux arguments d'un Leibniz écrivant, précisément à l'Abbé de Saint-
Pierre: "il n'y a que la volonté qui manque aux hommes pour se délivrer d'une
infinité de maux". Pourtant, loin s'en faut que l'optimisme de Kant soit béat. Le
philosophe, dépassant les analyses développées dans l'Idée d'une histoire
universelle au point de vue cosmopolitique publiée en 1784, ne parle plus guère
de "Société des nations", même si l'avènement d'un système de droit
garantissant la paix, en tant que tel, constitue bien le moment l'ensemble des
nations se fédèrent pour former une"société", se bornant à appeler de ses vœux
une évolution des États par réformes et dans le sens du républicanisme libéral.
La démarche de Kant est d'ailleurs ici tout à fait conforme à ce qu'il dira de la
paix dans la Doctrine du Droit5. "La question n'est plus de savoir, écrira-t-il en
1797, si la paix perpétuelle est quelque chose de réelle, mais nous devons agir
comme si la chose qui peut-être ne sera pas devait être". Aussi ne s'agit-il,
nullement, dans le Projet, d'affirmer la faisabilité empirico-historique de la paix
universelle mais bien plutôt de prescrire une fin rationnelle à la politique et de
définir la fin même du politique en fonction de cette exigence de la raison.
Expliquant que la possibilité, pour l'homme, de réaliser sa fin, c'est-à-dire
le plein épanouissement de ses facultés, lui-même suspendu à l'instauration de la
paix, impose que se superpose à la société régie par le droit une juridiction
garantissant la paix internationale, Kant, dans l'examen des condition de
réalisation de cette paix universelle, souligne qu'il n'est nullement nécessaire de
présupposer l'homme moralement bon et que le problème de la formation de
l'État, donc de l'autorité des lois ici républicaines, "n'est pourtant pas insoluble
même s'il s'agissait d'un peuple de démons"6. Ainsi le problème de la fondation
et de la vocation du lien politique, qui trouve ici sa solution dans la soumission à
des lois de contrainte, soumission à laquelle s'obligent mutuellement les hommes
et qui produit l'état de paix par neutralisation mutuelle des penchants égoïstes,
ne présuppose-t-il nullement une conception angélique de l'homme que Kant ne
conçoit nullement comme un être naturellement bon, ce dont témoignent les
opuscules de 1784 consacrés à l'histoire et aux Lumières.
La question du droit de résistance et ses présupposés"iréniques":
la paix comme horizon de l'histoire
Examinant les présupposés rationnels, et donc les conditions juridico-
politiques, de la réalisation de la paix perpétuelle, Kant souligne dans le Projet
que le droit politique (jus civitatis) doit prohiber le droit à l'insurrection7.
L'argument développé est d'ailleurs tout à fait original, qui s'appuie sur ce que
Kant appelle la formule transcendantale du droit public: "toutes les actions
relatives au droit d'autrui dont la maxime est incompatible avec la publicité sont
injustes"8. Or, comme nous le préciserons plus loin, il est facile de voir que, "si
en instituant une constitution politique, on voulait poser comme condition d'user
de violence à l'occasion envers le chef de l'État, le peuple devrait s'arroger sur lui
un pouvoir légitime. Mais alors ce chef ne le serait pas."9 Le problème ici est
donc bien de fixer des limites à la liberté civile conditionnée par l'autorité du
souverain garantissant l'autorité des lois sans laquelle la société serait livrée au
chaos et menacée par une sorte d'anarchisme individualiste entraînant
5 Doctrine du Droit, p. 237, AK. Bd. 6, p. 354.
6 Deuxième section, pp. 44 sq, édition Vrin de 1984.
7 Il s'agit "de savoir, écrit Kant, si l'insurrection constitue pour le peuple un moyen légitime de se débarrasser de l'oppression d'un prétendu
tyran", Appendice 2, p.77 de l'édition Vrin de 1984, traduction Guillermit.
8 Ibid., page 76.
9 Ibid., page 78.
3
fatalement, selon Kant, la guerre civile. On comprend aisément, en outre, que
l'insurrection, par la violence qui la caractérise, menace par elle-même, et en
amont même des contradictions que sa légitimation juridique créerait, l'ordre
civil et la paix qui, on le verra notamment à partir de l'opuscule sur les Lumières,
sont appréhendées, à travers le paradigme du despotisme éclairé incarné par la
figure historique de Frédéric II de Prusse, dans leur indissociabilité. Soulignons
ici que la thèse selon laquelle le droit de résistance, ou à la révolution10, est une
idée "contradictoire" qui définit une véritable "antinomie du politique" sera
retravaillée par Kant dans la Doctrine du Droit pour montrer que l'origine
révolutionnaire, et donc illégale, d'une constitution nouvellement érigée ne
saurait fonder ni le droit de résistance du peuple au souverain ni celui de
désobéir aux lois11. Étant entendu que le fait de l'avènement révolutionnaire du
droit n'est nullement juridique, l'ordre juridique défini par la nouvelle
Constitution et qui se consolide alors ne saurait être remis en cause de par
l'illégalité de son commencement. Que le droit ne vienne pas à l'existence avec
les moyens du droit ne dispense donc aucunement le sujet de se soumettre à
l'obligation qui en découle. Si une constitution dont le souverain serait le garant,
prévoyait qu'on pût résister au souverain, on serait dans la situation où, écrit
Kant, "dès lors ce n'est plus celui auquel on peut résister qui est le souverain,
mais bien celui qui commande la résistance, ce qui est contradictoire"12. Par-delà
cette contradiction qu'on peut dire "logique" et dont l'évidence saute aux yeux, il
nous semble légitime d'interroger les fondements possibles de cette radicale et si
ferme condamnation juridico-rationnelle, condamnation sous-tendue par le
primat de la paix civile, auquel se ramène sans doute l'exigence de l'ordre civil.
Est-il, en effet, à l'aune des idées développées par Kant en 1784, tellement
étonnant que la Révolution ne puisse ici fonder aucun droit à la révolution?Pour
le dire autrement, il nous semble que la juridicisation de la formulation du
problème du Droit de la révolution dans le Projet et dans la Doctrine du Droit,
doit être envisagée à l'aune des déterminations religieuses et eschatologiques qui
caractérisent à bien des égards les opuscules publiés par Kant en 1784 dans la
Berlinische Monatschrift que dirige son ami Biester.
Pour comprendre en quoi la paix civile, dès 1784, est conçue par Kant
comme la condition même du progrès des Lumières dont le développement
constitue la condition sine qua non de la réalisation de la paix universelle, il
convient de commencer par souligner que, dans l'opuscule intitulé Réponse à la
question: "Qu'est-ce que les Lumières?" , celles-ci sont conçues comme la
destination originelle de l'humanité13. Aussi l'histoire doit-elle être réfléchie
comme un processus doté d'un sens, celui du progrès indéfini des Lumières.
C'est d'ailleurs le caractère originel de cette vocation qui fonde, chez Kant, la
promulgation d'un véritable droit au savoir qui peut se dire droit du savoir face
au pouvoir, lequel droit, étant sacré, permettant, quant à lui, de comprendre
pourquoi empêcher le progrès des Lumières constitue un crime contre la nature
humaine. La théorie kantienne des Lumières, en laquelle se confondent le sens
10 La révolution est, chez Kant, l'objet d'une réflexion aux développements complexes. Kant ne salue-t-il pas 1789 dans le § 65 de la Critique
de la faculté de juger? La Révolution française, à ses yeux, rompt en effet avec le mécanisme de contrainte qui caractérise le despotisme de
l'Ancien Régime. À la fin de sa vie, en 1798 et alors que la Révolution a déjà connu ses heures les plus sombres, Kant ne portera dans le
Conflit des facultés aucune condamnation du jacobinisme. La Révolution est pour lui la manifestation de la disposition morale de l'humanité
et elle constitue la preuve que, sous sa forme empirico-politique, donc juridique, la raison pratique peut se réaliser dans l'histoire. Parce que
chaque peuple doit pouvoir se donner librement la Constitution qui lui plaît, la Révolution serait, en son essence, morale, même si elle ne
saurait être, c'est toute la difficulté en laquelle réside la "tension" qui caractérise la pensée de Kant, juridiquement fondée.
11 Cf. Remarque générale sur les effets juridiques qui découlent de la nature de l'union civile, Remarque A, pp. 201 à 205 de l'édition Vrin de
1986, traduction Philonenko.
12 Doctrine du Droit, Remarque A, p.202 de l'édition pré-citée.
13 "Ce serait un crime contre la nature humaine <faire obstacle au progrès des Lumières>, dont c'est précisément la destination originelle
d'accomplir ce progrès".
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de l'histoire et la destination originelle de l'homme, se développe donc sous la
forme d'une conception téléologique de l'histoire qui peut être considérée
comme visant la réalisation, dans un avenir certes indéfini, d'un but cependant
clairement défini: l'accès progressif de l'homme à la pleine possession de ses
facultés rationnelles devant lui permettre de réaliser la paix dans l'humanité, fin
dernière de l'histoire. Or, c'est précisément parce que le progrès des Lumières
donne son sens à l'histoire de l'humanité que la réflexion de Kant s'attache à
définir les conditions politiques de ce processus.
En 1784, soit cinq ans avant la Révolution française, Kant, qui a bien
compris qu'il vit une époque qui est celle de la propagation des Lumières14,
souligne que la révolution ne peut constituer un moyen de hâter la marche vers
les Lumières. "…un public, écrit-il, ne peut accéder que lentement aux lumières.
Une révolution entraînera peut-être le rejet du despotisme personnel et de
l'oppression cupide et autoritaire, mais jamais une vraie réforme de la manière
de penser. Bien au contraire, de nouveaux préjugés tiendront en lisière, aussi
bien que les anciens, la grande masse irréfléchie"15. Ce que veut dire Kant ici
peut être compris aisément. Lorsque les hommes sont incités à l'insurrection par
des tuteurs qui, comme il le précise un peu plus haut, ne sont pas parvenus aux
Lumières, ils s'empressent de placer leurs anciens tuteurs non éclairés sous le
joug sous lequel ceux-ci les avaient maintenus. Aussi ne suffit-il pas d'échapper
aux tuteurs despotiques pour accéder à la majorité intellectuelle. Bien au
contraire même, tant il est vrai que des hommes opprimés et bafoués
s'empressent toujours de se venger de leurs oppresseurs sitôt qu'ils échappent à
leur tutelle sans avoir accédé eux-mêmes aux Lumières. Toute révolution
semblant porter, prête à naître, sa Terreur, Kant développe, dans la suite du
texte, l'idée selon laquelle le progrès des Lumières, s'il relève bien d'une
décision et d'une volonté politiques, est affaire de réformes et non de
révolutions, tant il est vrai qu'on n'accède pas aux lumières contre ses tuteurs,
en s'opposant frontalement au pouvoir souverain mais en proposant des
changements qu'il incombe à ce dernier d'examiner et auxquels il a le devoir de
procéder si, propices au développement des Lumières, ils ne nuisent pas à l'ordre
civil. Car le fond du problème, selon nous, est là. S'il faut, à l'aune du progrès
des Lumières, condamner la révolution, c'est parce que celle-ci est synonyme de
violence et de chaos et que les hommes ne peuvent, dans ce cas, apprendre à
penser par eux-mêmes. La paix civile est donc ici nécessaire au progrès des
Lumières, et elle est d'autant plus précieuse que le sens de l'histoire de
l'humanité se confond avec le processus de l'Aufklärung.
Il ne faut donc pas s'étonner que Kant, pour penser ce processus,
entreprenne de distinguer l'usage privé et l'usage public de la raison. Affirmant
qu'il convient de libérer totalement celui-ci <défini comme celui qu'on fait de
sa raison en tant qu'on s'adresse à un public qui lit, c'est-à-dire
indépendamment des "charges civiles" qu'il nous incombe d'assumer>, Kant
affirme que l'usage privé de la raison doit être limité car, précise-t-il, "dans la
société, un certain mécanisme est nécessaire". Pour que les Lumières
progressent, il faut que règne la paix, pour que règne la paix doit régner l'ordre
et pour que règne l'ordre chacun doit s'acquitter de ses devoirs quand bien
même il n'en approuverait pas la teneur. En préconisant la limitation de l'usage
privé de la raison et la libération de son usage public, Kant affirme implicitement
que le seul régime politique qui soit conciliable avec le progrès des Lumières est
14 Il l'affirme explicitement dans l'opuscule.
15 § 4 de l'opuscule.
5
celui du despotisme éclairé que symbolise la maxime suivante: "raisonnez tant
que vous voulez, mais obéissez", et qui s'oppose tout autant à l'anarchisme
individualiste ("raisonnez toujours, n'obéissez jamais") qu'au despotisme
autoritariste ("Ne raisonnez jamais, obéissez toujours"). Aussi la distinction entre
les deux usages sus-cités de la raison possède-t-elle plusieurs fonctions. Elle
permet, premièrement, de répondre à la question de savoir si toute liberté est ou
non favorable au progrès des Lumières16. Mais elle permet surtout, d'une part de
condamner l'autoritarisme en promouvant le despotisme éclairé, et d'autre part,
en soulignant que l'ordre civil est une condition nécessaire au progrès des
Lumières, de penser l'horizon de l'histoire comme celui de la co-détermination de
la paix et des Lumières. Car s'il faut que les hommes vivent en paix pour
s'éclairer, il est évidemment tout aussi nécessaire qu'ils progressent dans les
Lumières pour concevoir la paix comme un idéal régulateur de la raison politique
et historique, c'est-à-dire aussi comme l'horizon de l'histoire de l'humanité.
Entre primat de l'éthique et primat du politique,
le paradoxe de l'Idée d'une histoire universelle
comme propédeutique au Projet de paix perpétuelle
L'idée d'une histoire universelle est une œuvre dans laquelle, en
s'efforçant de penser l'histoire de l'humanité dans une perspective d'ensemble,
Kant tente de concilier deux courants philosophiques au premier abord peu
conciliables. D'une part, le pessimisme piétiste qui est celui des milieux
luthériens dans lesquels Kant a été plongé dès son enfance et qui place au cœur
de sa réflexion la conscience du péché et le Mal radical, et d'autre part
l'optimisme du siècle des Lumières, qui rejette l'idée d'un péché qui oblitèrerait
tragiquement l'histoire humaine bien au contraire engagée, tant du point de vue
moral que du point de vue matériel, dans un processus de progrès constant. Ne
faisant pas œuvre d'historien mais de philosophe, Kant va élaborer l'idée selon
laquelle, par-delà les guerres dont le passé nous livre l'effrayant spectacle, par-
delà la vanité puérile et la méchanceté dont les hommes sont capables17, il est
possible d'attribuer à l'histoire un sens parce qu'il est possible de la réfléchir
comme la réalisation d'un plan caché de la nature18, visant à rendre possible
l'épanouissement des facultés rationnelles de l'homme qui ne peuvent se
développer pleinement dans l'individu mais uniquement dans l'espèce19.
Or, parce que la nature a providentiellement mis l'homme en demeure
de "tirer de lui-même tout ce qui dépasse l'agencement mécanique de sa propre
existence animale"20 et que les facultés rationnelles de l'homme ne peuvent
s'épanouir que dans le cadre du processus historique, ce dernier acquiert par
une dimension tout à la fois téléologique -puisqu'il doit rendre effectif le
développement des facultés rationnelles de l'homme- et politiquement normative
-puisque le développement de ces facultés n'est possible que dans des conditions
empiriques déterminées. En effet, comme l'écrit Kant dans la Cinquième
proposition, ce n'est que dans la société l'on trouve le maximum de liberté, et
en même temps "le maximum de garantie et de limite pour cette liberté"
<autrement dit uniquement dans une société républicaine les lois visent
16 "Il y a partout limitation de la liberté, écrit Kant. Mais quelle limitation est contraire aux Lumières? Laquelle ne l'est pas, et au contraire
lui est avantageuse?".
17 Cf. Préambule.
18 Ici assimilée à la providence et exprimant, de fait, une idée religieuse qui n'a plus rien de commun avec l'idée de nature de la Critique de
la raison pure.
19 Cf. Deuxième proposition.
20 Cf. Troisième proposition.
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