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Chapitre I : « Solidarité »
Partie 1 : généalogie du terme
Il me semble que l’approche du concept de solidarité ne peut s’envisager qu’après
l’identification précise du terme en lui-même. Son origine, ses différentes acceptions, sa
signification à une époque donnée, paraissent être les préalables essentiels à toute recherche.
L’historien ne peut s’empêcher de rappeler l’un des aspects fondamentaux de la recherche
historique : « il nous faut donc être extrêmement attentifs à ces tentations de projeter sur le
passé nos interrogations contemporaines. En recherchant la permanence de représentations
sociales concernant la solidarité à travers le temps, on s’expose en effet au danger d’affecter
la même valeur à des discours qui expriment des réalités complètement différentes 4».
Ainsi, lorsque M. David s’attelle à l’étude du concept de fraternité à travers la
Révolution française5, il consacre ses premières pages à une étude comparative des différentes
définitions de la fraternité telle qu’elle était conçue à partir du milieu du XVIIIème siècle. Il
tente de familiariser le lecteur avec ce qu’est la fraternité, étant donné que ce qu’elle est reste
indissociable de l’époque envisagée et de ses contemporains.
Ma démarche est similaire, tant je considère cette étape comme la base d’une telle
recherche. Remontons à l’origine du terme de solidarité : il dérive directement de solide. En
effet, le terme solidus désigne, dans le code Justinien (VIe siècle de notre ère), le lien qui unit
entre eux les débiteurs d’une somme ou d’une dette dont chacun est responsable pour le tout.
Or, il est intéressant de constater que dans le Code Civil, in solidum conserve un sens
identique: « il y a solidarité de la plupart des débiteurs lorsqu’ils sont obligés à une même
chose, de manière que chacun puisse être contraint par la totalité et que le paiement fait par un
seul, libère les autres envers les créanciers (I, Titre 3, article 1200) 6».
Le terme de solidarité n’existe comme tel qu’à partir de 1683 et désigne alors l’état de
créanciers solidaires7. Pourtant, « la plupart des dictionnaires et encyclopédies du XVIIIème
siècle l’ignorent : ils ne connaissent que solidaire et solidité 8». Solidaire est l’ancêtre de
solidarité. Dans l’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers
de Diderot et d’Alembert, la définition de la solidarité est: « la qualité d’une obligation où
4 CHOPART J.-N., op. cit., p. 20.
5 DAVID M., Fraternité et Révolution française, 1789-1799, Aubier, coll. historique, Paris, 1987, p. 17 à 43.
6 RUBY C., La solidarité, Ellipses, coll. Polis, Paris, 1997, p. 40.
7 Dictionnaire historique de la langue française, sous la dir. de A. REY, Paris, Le Robert, 1998, p. 1967.
8 BORGETTO M., La notion de fraternité en droit public français : le passé, le présent et le futur de la
solidarité, Librairie générale de droit et de jurisprudence, Paris, 1993, p.7.