apporteraient dans le domaine de l’instruction. Lorsqu’ils sont enfin tolérés, en 1813,
beaucoup, notamment les baptistes et les pasteurs de la London Missionary Society, se
rallient par prudence à la politique orientaliste, utilisant les langues vernaculaires. Ils
gagnent la confiance des Indiens en enseignant la morale et non la religion chrétienne et
en dispensant un enseignement de grande qualité.
4 Cependant, même aux plus belles heures de la politique orientaliste, les utilitaristes
affirment que seule l’instruction en anglais des valeurs occidentales pourra « maximiser
le bonheur » des Indiens (p. 35) tout en servant les intérêts économiques et politiques de
la Compagnie et de la Couronne. Pour Charles Grant, l’un des pionniers de la politique
angliciste, l’implantation en Inde de « notre langue, nos savoirs, nos idées et notre
religion […] contribuera à créer des liens indéfectibles entre les habitants de ces
territoires et notre propre pays ». C’est en diffusant sa langue et ses principes que
l’Angleterre remplira sa mission civilisatrice et apportera « la lumière et les influences
bienfaisantes de la vérité, la bénédiction d’une société bien ordonnée, les améliorations et
le confort qu’engendrent le travail et l’industrie, à des populations longtemps plongées
dans l’obscurité, le vice et la misère » (p. 33). En retour, la classe moyenne indienne
occidentalisée qui sortira des écoles anglaises offrira de nouveaux débouchés aux
productions de la métropole : « là où nos principes et notre langue domineront, notre
commerce fleurira de même » (p. 49) estime Grant. « Faire du commerce avec des civilisés
est infiniment plus rentable que de gouverner des sauvages », surenchérit l’historien et
parlementaire Thomas Macaulay, nommé magistrat supérieur auprès du conseil du
Bengale.
5 Le discours des utilitaristes et des anglicistes est relayé par des Indiens. Rammohun Roy
s’oppose en 1823 à la création d’un Institut supérieur de sanskrit à Calcutta et demande à
la place une école supérieure enseignant les sciences utiles : mathématiques, chimie,
électricité, anatomie… Conscients que la réussite commerciale et l’accès aux emplois
offerts par la Compagnie passent par la maîtrise de l’anglais, de nombreux Indiens
militent désormais pour l’enseignement occidental, par exemple au sein de la Indo-
European Society, créée en 1817 par David Hare, un ami de Rammohun Roy. L’Anglo-Indian
College, qui est ouvert en 1817 pour diffuser la culture occidentale en Inde, voit ses
effectifs passer de 20 étudiants en 1817 à 436 en 1828, alors que ceux du Sanskrit College
plafonnent à 62.
6 L’année 1824 est marquée par une inflexion de la politique de la Compagnie, qui dans ses
instructions au gouverneur du Bengale, Lord Amherst, affirme que « l’objectif principal
n’aurait pas dû être d’enseigner le savoir hindou, mais des connaissances utiles aux
hindous et aux musulmans » (p. 100). Le Calcutta Sanskrit College, qui ouvre la même année,
enseigne la mécanique, l’optique et les sciences occidentales. C’est avec la circulaire du 2
février 1835 de Macaulay et la résolution du 7 mars du gouverneur du Bengale, William
Bentinck, que le virage est définitivement pris. Désormais le budget de la Compagnie sera,
en matière d’instruction, affecté exclusivement à des institutions diffusant en anglais le
savoir occidental, priorité étant donnée à l’enseignement supérieur. La décision prise la
même année d’imposer l’anglais à la place du persan comme langue de l’administration et
de la justice marque le triomphe définitif des thèses anglicistes, malgré le combat
d’arrière-garde des orientalistes, comme James Ballantyne, directeur du Government
College de Calcutta, partisan d’un enseignement en langues vernaculaires. En octobre
1844, le gouverneur général, Lord Hardinge, décide que les emplois de la Compagnie
seront pourvus tous les ans par le biais de concours en anglais auxquels pourront se
L’Empire britannique et l’instruction en Inde (1780-1854)
Annales historiques de la Révolution française, 345 | 2009
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