UNIVERSITE DU DROIT ET DE LA SANTE – LILLE 2 FACULTE DE MEDECINE HENRI WAREMBOURG Année 2008 THESE POUR LE DIPLOME D’ETAT DE DOCTEUR EN MEDECINE Intérêt des thérapies psychocorporelles dans l’anorexie mentale : Expérience d’une prise en charge par fasciathérapie chez les patientes anorexiques hospitalisées Présentée en soutenue publiquement le 9 octobre 2008 par Christine Devulder Président : Monsieur le Professeur M. Goudemand Assesseurs : Monsieur le Professeur P. Thomas Monsieur le Professeur P. Delion Monsieur le Professeur V. Dodin Directeur : Monsieur le Professeur V. Dodin « Notre corps n’est pas seulement un espace expressif parmi tous les autres […], il est l’origine de tous les autres, le mouvement même d’expression, ce qui projette au-dehors les significations en leur donnant un lieu, ce qui fait qu’elles se mettent à exister comme des choses, sous nos mains, sous nos yeux. » M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception 2 A mon Maître et Président du Jury, Monsieur le Professeur Michel Goudemand, Je vous remercie d’avoir accepté de présider ce jury. Soyez assuré de ma reconnaissance et de mon grand respect pour la qualité de l’enseignement que vous m’avez transmis. A mes Maîtres et Membres du Jury, Monsieur le Professeur Pierre Thomas, Vous m’avez sensibilisée à la démarche de recherche clinique en psychiatrie. Je vous en suis très reconnaissante et vous témoigne mon profond respect. Monsieur le Professeur Pierre Delion, Vous m’avez montré la richesse d’une approche institutionnelle du soin en psychiatrie et l’importance de penser la maladie psychique dans toute sa complexité. Je vous remercie pour la qualité de votre enseignement et pour la confiance que vous m’avez accordée tout au long de mon internat. A mon Maître et Directeur de thèse, Monsieur le Professeur Vincent Dodin, Vous m’avez fait le privilège de diriger ce travail. Votre expertise sur la problématique du corps dans la pathologie psychique et votre enthousiasme pour ce sujet d’étude ont été précieux dans l’élaboration de cette thèse. Je tiens à vous témoigner ma plus vive reconnaissance pour votre appui et votre confiance. 3 Un immense MERCI… …A toute l’équipe du service de psychiatrie adulte de l’Hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Lille pour leur compétence, leur bonne humeur et leur aide précieuse dans la rédaction de ce travail. Au Docteur Benoît Coviaux, pour son enseignement et ses conseils. A Jean-Louis Nandrino et Pascal Antoine, pour leur appui dans la réalisation de l’étude clinique. …A Danièle Vanhalst, pour m’avoir fait partager avec passion et patience son expérience de la fasciathérapie auprès des patientes anorexiques. A Cécile Roesch. …A toutes les équipes avec lesquelles j’ai travaillé durant mes stages d’internat, en psychiatrie adulte, en pédopsychiatrie, en santé publique et en pédiatrie, pour leur accueil chaleureux et l’expérience qu’ils m’ont transmise. …A Sébastien, Pauline, Marie V, Hélène, Florent, Sabrina, Albane, Christelle, Héloïse, Marie C, Laëtitia, Thomas, Abdou, Bruno, Lucie, Elisabeth, Marion, Camille, Luc, Juliette, Bastien, Marc, Nicolas, Gwenaël, François et tous les autres internes et jeunes médecins avec qui j’ai partagé mes joies et mes doutes au fil de mon internat. …A ma famille, en particulier à mes parents, pour la confiance qu’ils m’ont accordée durant toutes mes études et pour le réconfort qu’ils m’ont apporté. …A ma sœur Valérie, pour son soutien essentiel dans ce travail et pour les bons moments passés ensemble. …A mes amis et à tous mes proches, pour leur curiosité vis-à-vis de mon travail, pour leur disponibilité. …A Nicolas, mon plus grand supporter. Pour sa sérénité à toute épreuve. Pour ses conseils d’expert. Mais surtout pour son enthousiasme et son appui si précieux ! 4 SOMMAIRE INTRODUCTION......................................................................................................................................................10 L ’ ANOREXIE MENTALE PREMIERE PARTIE : DONNEES ACTUELLES ET PERSPECTIVES THERAPEUTIQUES Description clinique de l’anorexie mentale ..............................................................................................10 I. 1. Description symptomatique........................................................................................... 10 2. Classification nosographique ........................................................................................ 11 3. Une forme cliniques particulière : la forme prépubère.................................................. 13 II. Données épidémiologiques .........................................................................................................................13 1. Incidence et prévalence du trouble ................................................................................ 13 2. Evolution ....................................................................................................................... 14 III. Données socioculturelles ............................................................................................................................15 1. Arguments épidémiologiques ........................................................................................ 15 2. Un syndrome lié à la culture ......................................................................................... 16 IV. Perspectives théoriques ..............................................................................................................................17 1. Un modèle polyfactoriel ................................................................................................ 17 2. Différentes approches théoriques .................................................................................. 18 a. Approche génétique ................................................................................................... 18 b. Approche neurobiologique ........................................................................................ 18 c. Approche neurocognitive .......................................................................................... 19 d. Psychopathologie cognitivo-comportementale.......................................................... 19 e. Psychopathologie familiale........................................................................................ 20 f. Psychopathologie psychodynamique ......................................................................... 22 g. Approche psychosomatique ....................................................................................... 24 V. Perspectives thérapeutiques.......................................................................................................................25 1. Données de la littérature médicale ................................................................................ 25 a. Traitement médicamenteux ....................................................................................... 25 b. Psychothérapies ......................................................................................................... 26 c. Mesures nutritionnelles et de « réalimentation », cadre de soin ................................ 26 2. Une prise en charge multimodale .................................................................................. 27 a. L’hospitalisation comme espace de différenciation .................................................. 27 b. La rééducation nutritionnelle ..................................................................................... 29 c. La psychothérapie individuelle .................................................................................. 29 d. Les entretiens familiaux et la psychothérapie familiale ............................................ 30 e. Les thérapies à médiation corporelle ......................................................................... 30 DEUXIEME PARTIE LES APPROCHES THERAPEUTIQUES INTEGRANT LE CORPS ET LE PSYCHISME I. II. Les thérapies psychocorporelles : définition ............................................................................................33 Différents approches de l’unité somato-psychique ..................................................................................34 1. Le champ psychothérapeutique ..................................................................................... 34 a. Le corps en psychothérapie, perspective historique .................................................. 34 b. Aujourd’hui la psychomotricité ................................................................................. 35 c. Le packing, une autre approche du corps en psychothérapie .................................... 37 5 2. Le champ paramédical du soin somatique .................................................................... 37 a. Les relaxations ........................................................................................................... 38 b. L’ostéopathie ............................................................................................................. 39 c. Les kinésithérapies globales ...................................................................................... 39 d. Les thérapies de la conscience du corps .................................................................... 40 III. Apports des thérapies psychocorporelles dans l’anorexie mentale .......................................................41 TROISIEME PARTIE. L'EXPERIENCE D'UNE APPROCHE PAR FASCIATHERAPIE CHEZ DES PATIENTES ANOREXIQUES I. II. Hypothèse ....................................................................................................................................................44 La fasciathérapie ........................................................................................................................................44 1. Une thérapie de la conscience du corps ........................................................................ 44 2. Présentation de la fasciathérapie ................................................................................... 45 3. Bases théoriques de cette méthode ................................................................................ 46 a. La proprioception à travers les fascias ...................................................................... 46 b. La biomécanique sensorielle ..................................................................................... 47 c. Une approche phénoménologique ............................................................................. 50 d. Une mémoire corporelle ............................................................................................ 51 4. Indications ..................................................................................................................... 51 5. Modalités de la thérapie ................................................................................................ 52 6. Cadre thérapeutique ....................................................................................................... 53 III. Expérience clinique ....................................................................................................................................53 1. Objectifs cliniques dans l’anorexie mentale .................................................................. 53 2. Cadre de soin ................................................................................................................. 54 3. Cas cliniques ................................................................................................................. 55 a. Sarah .......................................................................................................................... 55 b. Marie .......................................................................................................................... 61 IV. 1. 2. 3. 4. 5. V. Discussion ....................................................................................................................................................67 Des résultats intéressants ............................................................................................... 67 L’intérêt d’une technique très structurée ....................................................................... 68 La problématique du contact corporel ........................................................................... 68 L’articulation des différentes approches thérapeutiques ............................................... 68 La dimension relationnelle de la thérapie ..................................................................... 69 Etude clinique sur l’impact de la fasciathérapie dans l’anorexie mentale ...........................................70 1. Objectifs ........................................................................................................................ 70 2. Matériel et méthode ....................................................................................................... 70 a. Patients et procédure .................................................................................................. 70 b. Méthode d’évaluation ................................................................................................ 72 c. Premiers résultats de l’étude ...................................................................................... 73 CONCLUSION .........................................................................................................................................................70 B IBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................................................75 6 INTRODUCTION L’anorexie mentale, entité clinique définie par Lasègue et Gull en 1873, appartient au registre des troubles des conduites alimentaires (TCA) dans la nosographie actuelle. Cette pathologie touche préférentiellement les adolescents et les jeunes adultes et entrave leur épanouissement affectif et social. Elle alerte par son caractère mortifère lié aux conséquences organiques de la dénutrition et à l’engagement du pronostic vital du sujet malade. Les interactions constantes entre les symptômes psychiques et corporels témoignent d’une atteinte de l’unité psychosomatique du sujet. Les hypothèses de compréhension de cette pathologie, à la fois organique et psychopathologique, nous le montrent. De même, la prise en charge de l’anorexique se conçoit actuellement autour d’un modèle plurimodal, où soins psychiques et soins physiques sont complémentaires. Notre propos ne concerne ni le corps décharné, squelettique du sujet anorexique tel qu’il est perçu par le regard de l’interlocuteur, ni le déni de la maigreur décrit en psychopathologie, ni le corps biologique, préoccupation de la médecine somatique. Dans ce travail, notre point de vue est tourné vers le corps perçu par le sujet anorexique lui-même. En effet nous avons été frappés par les représentations sociales qui banalisent en quelque sorte cette pathologie. Certains messages de prévention laissent imaginer une jeune fille devenant anorexique simplement à la suite d’un régime pour quelques kilogrammes superflus. Ces représentations contrastent avec le ressenti corporel marqué de souffrance exprimé par les patientes anorexiques que nous avons rencontrées dans notre expérience clinique. A partir de ce constat, nous nous sommes intéressés aux approches thérapeutiques qui prennent en compte la dimension psychosomatique de la pathologie et à leurs modèles théoriques. Enfin nous rendons compte de l’expérience originale d’un abord thérapeutique psychocorporel s’inscrivant dans une prise en charge plurifocale de l’anorexie mentale. La thérapie présentée ici est la fasciathérapie, une thérapie qui s’appuie sur un éveil de la 7 proprioception comme moyen d’accès au vécu corporel des patientes anorexiques. Elle est proposée comme soin adjuvant par l’équipe du Pr Vincent Dodin dans le service hospitalier de psychiatrie adulte spécialisé dans les troubles des conduites alimentaires de l’Hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Lille. 8 PREMIERE PARTIE L’ANOREXIE MENTALE : DONNEES ACTUELLES ET PERSPECTIVES THERAPEUTIQUES 9 Dans cette première partie, nous présentons l’anorexie mentale, pathologie complexe qui pose la question de nouvelles stratégies thérapeutiques par son caractère multidimensionnel, psychologique et corporel. I. Description clinique de l’anorexie mentale 1. Description symptomatique L’anorexie mentale de la jeune fille se définit classiquement par la triade symptomatique « anorexie-amaigrissement-aménorrhée » déjà énoncée par Lasègue en 1873. Le début des troubles est marqué par une restriction alimentaire volontaire, dans un contexte de régime ou non, parfois dans des circonstances de séparation. La perte de poids s’accompagne d’une impression de « mieux-être », parfois d’une exaltation de l’humeur. L’hyperactivité physique et intellectuelle renforce cette évolution qui occulte dans un premier temps le développement d’obsessions relatives au poids, aux formes du corps et aux aliments. Les féculents et les matières grasses sont peu à peu éliminés du régime alimentaire, les quantités réduites et les situations de repas en société où l’alimentation échappe au contrôle de la jeune fille sont évitées. Elle perd très progressivement le contrôle du comportement alimentaire et la peur de prendre du poids l’entraîne dans une restriction toujours plus sévère. Ce sont souvent les proches ou un médecin traitant qui s’inquiètent de son amaigrissement et de l’altération de son état général. La jeune fille, elle, présente un déni ou une dénégation du trouble et cherche à dissimuler la perte de poids et la restriction, parfois des vomissements provoqués ou des prises de laxatifs. Elle tend à se replier sur elle-même et à investir des activités intellectuelles solitaires ou la pratique intensive d’une activité sportive. La baisse des performances physiques et/ou intellectuelles l’amène tardivement à demander une aide et à reconnaître progressivement l’existence d’un trouble [1]. Si l’anorexie mentale est décrite comme un trouble des conduites alimentaires, il ne faut pas négliger dans sa description clinique, l’importance des troubles de l’image du corps, mise en relief notamment par Bruch dans son livre Les yeux et le ventre. Les perturbations de l’image 10 du corps représentent un symptôme cardinal et primaire de la maladie selon l’auteur. Ces perturbations se situent à plusieurs niveaux : - La perception presque délirante du corps, - La confusion des sensations corporelles, - Un sentiment exagéré d’inefficacité. Selon Bruch, en l’absence de modification des perceptions corporelles au cours du traitement, l’amélioration clinique risque d’être temporaire [2]. 2. Classification nosographique Des critères diagnostiques ont été définis dans les classifications internationales CIM 10 et DSM IV dans le but d’une évaluation diagnostique catégorielle. Dans la classification internationale des maladies mentales CIM 10 (1992), l’anorexie mentale est décrite par l’association des items suivants : - Un poids corporel maintenu inférieur à la normale de 15% (perte de poids ou poids normal jamais atteint) ou un index de Quételet (Indice de Masse Corporel) est inférieur ou égal à 17,5. Chez les patients prépubères, une prise de poids inférieure à celle qui est escomptée pendant la période de croissance. - Une perte de poids maintenue par le sujet par le biais d’un évitement des « aliments qui font grossir ». L’une des manifestations suivantes, au moins, est fréquemment associée : vomissements provoqués, utilisation de laxatifs, pratique excessive d’exercice physiques, utilisation de coupe-faim, utilisation de diurétiques. - Une psychopathologie spécifique consistant en une perturbation de l’image du corps, associée à l’intrusion d’une idée surinvestie : la peur de grossir. Le sujet s’impose une limite de poids inférieure à la normale à ne pas dépasser. -La présence d’un trouble endocrinien diffus de l’axe hypothalamus-hypophysegonadique avec chez la femme une aménorrhée et chez l’homme une perte de l’intérêt sexuel et une impuissance. Le trouble peut également s’accompagner d’un taux élevé d’hormone de croissance ou de cortisol, de modification du métabolisme périphérique de l’hormone thyroïdienne et d’anomalies de la sécrétion d’insuline. 11 - Quand le trouble débute avant la puberté, les manifestations de celle-ci sont retardées ou stoppées [3]. Dans le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux DSM IV (1995), l’anorexie mentale appartient à la catégorie diagnostique des « Troubles des conduites alimentaires ». Les critères de définition retenus sont les suivants : - Le refus de maintenir le poids corporel au niveau ou au dessus d’un poids minimum normal pour l’âge et pour la taille (par exemple, la perte de poids conduisant au maintien d’un poids à moins de 85% du poids attendu ou incapacité à prendre du poids pendant la période de croissance conduisant à un poids inférieur à moins de 85% du poids attendu) ; - Une peur intense de prendre du poids ou de devenir gros alors que le poids est inférieur à la normale ; - Des altérations de la perception du poids ou de la forme de son corps, une influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi, ou un déni de la gravité de la maigreur actuelle ; - Chez les femmes post-pubères, une aménorrhée (absence de règles sur trois cycles consécutifs). Une femme est considérée aménorrhéique si les règles ne surviennent qu’après administration d’hormones, par exemple d’œstrogènes [4]. Le DSM IV spécifie deux sous-types d’anorexie mentale : - Type restrictif (ANR) Pendant l’épisode actuel d’anorexie mentale, le sujet n’a pas présenté, de manière régulière, de crise de boulimie ni eu recours aux vomissements provoqués ou à la prise de purgatifs (laxatifs, diurétiques, lavements). - Type mixte avec crise de boulimie/vomissements/prise de laxatifs (ANB) Pendant l’épisode actuel d’anorexie mentale, le sujet a présenté, de manière régulière, des crises de boulimie et/ou recouru aux vomissements provoqués ou à la prise de purgatifs (laxatifs, diurétiques, lavements). La tendance actuelle est de considérer un continuum entre les différents troubles des conduites alimentaires, notamment l’anorexie mentale et la boulimie. En effet ces deux pathologies, 12 individualisées dans les classifications internationales, ne peuvent l’être aussi facilement en pratique clinique. Ainsi les crises de boulimiques surviennent soit de manière concomitante avec le premier épisode anorectique soit dans un second temps après la période de restriction. L’étude de Milos et al. a cherché à préciser l’importance de la variabilité des diagnostics au sein du groupe « troubles des conduites alimentaires » sur une période de trois mois à l’aide d’un outil standardisé. Elle a retrouvé seulement un tiers de diagnostic stable sur la période considérée [5]. 3. Une forme cliniques particulière : la forme prépubère La forme prépubère fait actuellement l’objet d’un intérêt particulier. Elle représente 5 à 10% des cas d’anorexie mentale. Les garçons sont atteints dans 20 à 30% des cas (dans la tranche d’âge 15-24 ans, le sexe ratio est 1 garçon pour neuf jeunes femmes). L’âge moyen du trouble se situe à 11 ans et demi. La séméiologie diffère peu de la description de la forme classique de la jeune femme, sauf : - un refus d’hydratation associée à la restriction alimentaire, - une absence de conduites boulimiques, d’utilisation de laxatifs, ou de vomissements provoquées, - un retard de croissance parfois associé, - un retentissement pubertaire. Pour certains auteurs il faut considérer l’existence d’un trouble de l’humeur sous-jacent, voire une organisation différente de la personnalité (grande fragilité narcissique) dans cette forme spécifique [6]. II. Données épidémiologiques 1. Incidence et prévalence du trouble Une synthèse des différentes études publiées ces 20 dernières années suggère que l’incidence serait de 4 à 8 pour 100000 personnes par an pour l’anorexie mentale dans les pays dits 13 développés. L’incidence semble stable depuis les années 1990, avec cependant une augmentation sensible chez les femmes âgées de 15 à 24 ans. La prévalence est estimée dans cette étude à 0,3 % chez les jeunes femmes [1]. L’épidémiologie de l’anorexie mentale fait débat du fait des difficultés méthodologiques liées à la pathologie elle-même. Corcos et ses collègues dans l’article de l’Encyclopédie MédicoChirurgicale sur les troubles de conduites alimentaires à l’adolescence rappellent l’étude de Fombonne de 1995 : la tendance évolutive de ces pathologies est difficile à mettre en évidence du fait des taux d’incidence faible [6]. Les auteurs français insistent sur deux points : - la rareté des données épidémiologiques pour les formes prépubères et tardives d’anorexie mentale, - la fréquence de formes mixtes d’anorexie-boulimie qui compliquent les calculs des taux d’incidence et de prévalence [7]. L’anorexie mentale touche essentiellement les jeunes femmes, avec deux pics de survenue : le premier au début de la puberté, vers 12-13 ans, le second vers 18-20 ans. Le sex-ratio est évalué classiquement à 9 femmes pour 1 homme. 2. Evolution Il nous apparaît important de rappeler les modalités évolutives et la sévérité de ce syndrome. Trois types évolutifs ont été décrits dans l’anorexie mentale : - la rémission complète : BMI supérieur à 17, 5 et retour des cycles menstruels, - le stade intermédiaire : un des deux critères est obtenu, - la chronicisation. Morgan et Russel observent une évolution favorable dans un tiers des cas, une évolution intermédiaire dans un autre tiers et une évolution défavorable dans un dernier tiers des cas. Les taux de mortalité étaient classiquement compris entre 7 et 10%, taux de mortalité le plus élevé pour les pathologies psychiatriques [1]. 14 Les études récentes ont montré des résultats sensiblement différents. Nous retiendrons l’étude prospective de Fichter réalisée sur douze ans qui a retrouvé 27,5% d’évolution favorable, 25,3% d’évolution intermédiaire et 39,6% d’évolution défavorable avec un taux de mortalité de 7,7% [8]. Dans une autre perspective, Keel et al. ont évalué avec une étude prospective le taux de rechute des patientes anorexiques et boulimiques. Un tiers des anorexiques qui rechutent le font sur un mode boulimique [9]. III. Données socioculturelles De nombreux travaux ont récemment mis l’accent sur la dimension socioculturelle de cette pathologie. Plusieurs arguments convergent en ce sens. 1. Arguments épidémiologiques Fairburn et Harrison indiquent que l’anorexie mentale comporte une prédominance dans les pays occidentaux, chez les sujets blancs de peau et dans les classes socio-économiques élevées [10]. Cependant, Nasser et al. mettent en évidence l’émergence de l’anorexie mentale dans les pays dits en voie de développement (Chine, Corée, Inde, Nigéria, Afrique du Sud, Argentine, Mexique…) depuis les années 1990. Mais les cas d’anorexie mentale y sont essentiellement décrits dans les zones urbaines et dans les classes socio-économiques favorisées (les jeunes étudiantes) de la même façon que dans les pays occidentaux [11]. Il y aurait donc une augmentation du nombre de cas d’anorexie mentale parallèle au développement socio-économique des pays et surtout une modification de la population « touchée » (classes socio-économiques moins favorisées, pays non occidentaux). 15 2. Un syndrome lié à la culture Dans leur ouvrage Anorexie mentale et boulimie, le poids de la culture, Guillemot et Laxenaire proposent la thèse du « culture-bound-syndrome » pour comprendre les troubles des conduites alimentaires [12]. Cette position est partagée par d’autres auteurs comme Lee [13]. Il s’agit d’un concept défini par Ritenbaugh comme une « constellation de symptômes qui a été catégorisée comme une dysfonction ou une maladie, et qui se caractérisent par un ou plusieurs des critères suivants : «Ce syndrome ne peut être compris en dehors de son contexte culturel ou subculturel spécifique. - Son étiologie résume et symbolise des significations et des normes comportementales fondamentales de cette culture. - Le diagnostic dépend d’une technologie comme d’une idéologie culturellement spécifique. - Le traitement ne peut être réussi que par des thérapeutes appartenant à cette culture [14]. » Selon ces auteurs, l’idéal de minceur des sociétés occidentales, reposant sur plusieurs présupposés – condition de réussite sociale, gage de moralité, gage d’éternelle jeunesse et condition de bonne santé – s’associe à d’autres facteurs culturels, tels que la performance individuelle, la compétition. Ces conditions socioculturelles associées à une psychopathologie donnée font le lit des troubles des conduites alimentaires. Nous notons également l’importance de l’aspect culturel – donc en constante évolution – du traitement de l’anorexie mentale. Par ailleurs les théories dites « féministes » développées par Orbach placent l’idéal de minceur, contrainte imposée aux femmes, comme un des rouages essentiels [15]. Ces auteurs voient l’anorexie comme une réponse aux conditions des femmes dans la société occidentale. Dans Modernity and Self-Identity, le sociologue anglais Giddens envisage l’anorexie mentale comme un mode de construction identitaire chez des jeunes femmes vivant dans une société moderne où peu de solutions leur sont véritablement offertes. L’anorexie mentale représente une forme d’ascétisme, de contrôle de soi, avec un régime extrême imposé au corps, défaut de nourriture et excès d’activités, qui apparaît davantage comme une forme de déni de soi plutôt que comme un véritable souci de la minceur [16]. 16 Dans son ouvrage L’anorexie sainte, Bell entreprend une revue historique de l’ascèse et du jeûne des femmes dans la religion chrétienne au Moyen-Age (XIIe et XIIIe siècles). Pour lui, l’anorexie sainte s’envisage comme une réponse des jeunes femmes catholiques à la société médiévale. Le déclin de l’anorexie sainte aux siècles suivants coïncide avec la modification de l’attitude des hommes. Il rejoint donc la position des théories dites « féministes » citées précédemment [17]. Ces arguments plaident pour l’existence d’une relation étroite entre l’émergence de la pathologie alimentaire et le contexte socioculturel. La conduite anorectique apparaît comme une réaction à une problématique identitaire dans une configuration culturelle particulière. IV. Perspectives théoriques 1. Un modèle polyfactoriel De nombreuses théories ont été proposées. L’anorexie reste une pathologie complexe quant à sa compréhension. Peut-être plus que toute autre affection, elle a fait l’objet de nombreux schémas explicatifs, physio ou psychopathologiques, non sans conséquences sur la variété et même parfois l’antinomie des approches thérapeutiques proposées. Un rapide retour sur la chronologie des approches théoriques nous le montre. Les premières descriptions françaises de la fin du XIXe siècle, notamment celle de Lasègue et Gull, la rangeaient dans le cadre plus général des névroses hystériques. Puis advint l’hypothèse endocrinienne de la « cachexie hypophysaire », développée dans l’entre-deux-guerres. Y succédera la redécouverte de la composante mentale de l’affection, vite étayée par les premières interprétations psychanalytiques. C’est à partir des années 1960 que les thèses issues de la psychologie sociale et surtout les théories familiales ont connu un certain succès [18]. Aucune théorie ne peut prétendre tout expliquer à elle seule et le modèle « étiopathogénique » de l’anorexie mentale actuellement validé est un modèle polyfactoriel. Ces troubles s’accompagnent toujours d’anomalies biologiques 17 complexes et de perturbations psychologiques profondes, parmi lesquelles il demeure difficile de faire la part entre facteurs prédisposants, éléments déclenchants ou facteurs d’entretien. Corcos reprend ce schéma dans l’article de l’Encyclopédie Médico-Chirurgicale : « Le comportement alimentaire dépend de facteurs génétiques et psychologiques individuels, en étroite interaction avec des facteurs environnementaux familiaux et socioculturels ; nous sommes donc dans un modèle étiopathogénique polyfactoriel qu’il faut intégrer dans sa diversité. » [6] 2. Différentes approches théoriques a. Approche génétique Les études génétiques sur l’anorexie mentale sont relativement peu nombreuses : de larges populations doivent être recrutées étant donné la faible prévalence de la maladie. Dans les études, l’héritabilité des gènes candidats est comprise entre 50% et 70%. Cette valeur forte est contrebalancée par le fait que l’allèle de vulnérabilité le plus impliqué n’augmente que très faiblement le risque de présenter une anorexie mentale. Par ailleurs, les études de transmission retrouvent un risque de 3% d’avoir un enfant ayant une anorexie mentale si l’un des deux parents a un antécédent de troubles des conduites alimentaires. Des études cherchent à circonscrire un spectre phénotypique, notamment entre les TCA, les troubles de l’humeur et les autres conduites de dépendance. L’anorexie de type restrictif a une place particulière : la présence de ce sous-type augmente significativement le risque que les apparentés soient affectés [19]. b. Approche neurobiologique Les troubles hormonaux présents dans l’anorexie mentale, d’origine hypothalamique, sont fonctionnels. Mais l’amaigrissement ne les explique pas entièrement. Les recherches actuelles s’orientent vers l’hypothèse d’anomalies neurochimiques centrales à l’origine des troubles hypothalamiques (essentiellement un dysfonctionnement des systèmes catécholaminergiques et/ ou sérotoninergiques) [6] [20]. 18 c. Approche neurocognitive Certains auteurs ont recherché un dysfonctionnement au niveau cérébral pour expliquer les troubles de l’image du corps. Des études expérimentales récentes ont cherché à comparer l’ « image du corps » chez les patientes souffrant de trouble des conduites alimentaires et notamment d’anorexie mentale avec l’ « image du corps » dans la population générale (l’image du corps est limitée à la silhouette du corps anatomique dans cette approche). Elles ont retrouvé un biais de surestimation du poids et de la silhouette, via des échelles d’auto-évaluation de type « contour drawing scale » ou « visual analogue scale », plus important chez les patientes anorexiques qu’en population générale [21] [22]. Avec l’appui de données neuroanatomiques et neurophysiologiques, différentes hypothèses ont été proposées pour rendre compte de cette distorsion. En restant très schématique, deux hypothèses coexistent : - La première est un trouble de la perception : le corps est imaginé plus gros car il est perçu plus gros. La structure dysfonctionnelle serait le cortex pariétal droit. Il y aurait une perturbation de l’intégration multisensorielle à ce niveau [23]. - La deuxième hypothèse est cognitive : le corps est imaginé comme plus gros car la représentation faite de celui-ci est altérée. Les anomalies seraient liées à des erreurs d’intégration du schéma corporel au niveau de l’hémisphère gauche [24]. Cependant l’existence d’anomalies organiques constatées dans ces études expérimentales reste complexe à interpréter et ne parvient pas à rendre compte de la complexité du trouble. d. Psychopathologie cognitivo-comportementale Dans le Manuel de thérapie comportementale et cognitive, Samuel-Lajeunesse rapporte que Williamson et ses collègues distinguent trois dysfonctionnements cognitifs centrés autour de l’image du corps : - une perturbation au niveau de l’image du corps ; 19 - une peur de prendre du poids ; - une préoccupation importante pour la forme corporelle [25]. La phase comportementale initiale est la restriction alimentaire comme stratégie de contrôle du corps. Cette restriction s’accompagne d’une sensation de faim et une baisse d’énergie. Des sentiments anxieux apparaissent, liés à la crainte de perte de contrôle sur l’alimentation. Se mettent en place des conduites d’évitement de l’alimentation, ce qui assure une baisse du niveau d’anxiété et une diminution de l’appétit ; cela conforte la restriction alimentaire. Le cercle vicieux est ainsi formé [26]. Les pensées automatiques irrationnelles freinent les processus de changement de leurs habitudes alimentaires et de leur mode de vie. Ces cognitions se rapportent à la minceur ou à l’apparence physique vécues comme des critères exclusifs de la valeur personnelle, à l’ingestion de nourriture qui se traduirait immédiatement par des difformités corporelles, à des préoccupations obsédantes sur des parties électives du corps (fesses, seins, cuisses, hanches ou ventre), à l’estime de soi exclusivement dépendante de la maîtrise du poids, celle de l’alimentation ou de l’endurance physique ou encore à l’importance exagérée du regard des autres… Ces erreurs de raisonnement sont dominées par un mode de pensée rigide, marqué par des règles inflexibles, procédant soit d’obligations excessives, soit d’une pensée fonctionnant sur le mode du tout ou rien, ignorant les nuances et les compromis [27]. L’équipe de la Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale vient d’élaborer un questionnaire sur les cognitions alimentaires, qui aurait une valeur de dépistage des TCA, couplée au BMI [28]. e. Psychopathologie familiale 1) Approche psychodynamique Le développement de la jeune fille anorexique est marqué par les réponses inappropriées de ses parents ou d’un mauvais équilibre dans le couple parental. 20 La mère est décrite comme déprimée, masquant ses sentiments de faiblesse et de dévalorisation derrière des comportements autoritaires et rigides, masquant sa crainte de débordement émotionnel derrière une froideur apparente et l’évitement des sentiments tendres et positifs. Le père est décrit comme absent, effacé, exclu des relations privilégiées entretenues entre la mère et l’enfant. Il apparaît plus fragile que la mère, présentant de troubles de l’identité en rapport avec l’importance de son identification féminine. Le mode d’investissement de l’enfant par les parents est spécifique. Bien que perçu dans son individualité, l’enfant n’est pas investi pour lui-même mais pour ce qu’il devrait être pour satisfaire les exigences narcissiques des parents. Ses besoins propres ne sont pas reconnus ni valorisés. La mère ne renforce pas suffisamment les attitudes d’autonomisation de l’enfant. Il s’ensuit une défaillance dans l’identité corporelle de l’enfant avec un trouble de la perception et de la reconnaissance de ses qualités propres. L’obéissance et le conformisme traduisent l’effacement du sujet propre au profit d’un Moi idéal censé répondre au désir de l’autre. Dodin et Testart utilisent la métaphore du placenta pour décrire cette relation entre la mère et la jeune fille : « Chacun nourrit l’autre, lui insuffle l’énergie vitale et le débarrasse de ses angoisses, de sa tristesse et de ses difficultés existentielles. Ce placenta virtuel entrave, depuis l’accouchement, le processus de « séparation-individuation », car il ne laisse aucune place à l’apprentissage de la gestion du manque et de la frustration qui sont pourtant les éléments constitutifs indispensables à l’établissement de toutes les relations sociales [29] » 2) Approche systémique Le système familial est marqué par : - la rigidité, - l’intolérance aux conflits avec évitement de toute agressivité en particulier, avec idéalisation du groupe familial, - l’interpénétration de tous les membres de la famille avec manque de différenciation de chacun (par exemple, absence de vie privée de chacun des protagonistes, transgression de la barrière intergénérationnelle avec rôle de support parental octroyé à l’enfant, 21 mise en place d’alliance au sein du groupe où chacun des parents s’allie avec l’enfant en vue d’aménager son conflit conjugal). Pour Minuchin, la famille d’un sujet anorexique se caractérise par sa composante psychosomatique. Le terme psychosomatique dans cette pensée s’entend comme la transformation d’un conflit émotionnel en symptômes somatiques. La famille décrite par l’auteur présente les particularités suivantes : l’enchevêtrement, c’est-à-dire le caractère « flou » des frontières interpersonnelles et transgénérationnelles, la surprotection, la rigidité et l’absence de résolution des conflits. Le sujet porteur du symptôme s’implique dans le conflit parental, initialement conjugal afin d’assurer l’homéostasie familiale [30]. Selon Selvini-Palazolli, la famille d’un sujet a un fonctionnement proche d’une famille de sujet schizophrène. Elle reprend ainsi les cinq caractéristiques définies par Haley : la propre communication familiale, la communication d’autrui, le « leadership » familial, les alliances intrafamiliales et le blâme en distinguant les différentes de la « famille d’anorexique ». La communication intrafamiliale est adaptée selon chaque membre, par contre la communication avec autrui est refusée [31]. f. Psychopathologie psychodynamique La compréhension de l’anorexie mentale à partir de la pensée psychanalytique est en constant remodelage. La perspective actuelle tend à intégrer les troubles des conduites alimentaires dans les addictions et dans la problématique adolescente. Les différentes études psychopathologiques ont placé progressivement la problématique de l’identité au cœur des troubles des conduites alimentaires. Elles soulignent la vulnérabilité narcissique fondamentale de ces sujets en lien avec un dysfonctionnement dans les processus de séparation-individuation et d’identification [1]. Plusieurs éléments psychopathologiques témoignent de cette défaillance narcissique et de cette problématique de la construction identitaire : - La non-reconnaissance du corps propre, des limites du moi ; 22 - Le manque d’investissement du corps et de ses besoins avec « l’incapacité à se faire du bien » ; - La non-reconnaissance de son identité sexuelle ; avec l’incapacité à assumer le rôle génital et les transformations corporelles, propres à la puberté et qui rendrait possible le « devenir femme » et le « devenir mère » ; - Une incapacité à s’autonomiser dont rend compte la quête d’une relation en dyade où le sujet ne peut fonctionner « qu’assisté » d’un objet non différencié de lui, reproduction de la dyade mère-enfant où l’enfant n’était que l’expansion narcissique de la mère. Celle-ci lui dictait à sa fille jusqu’à ses besoins, lui évitant la confrontation à son trouble de l’identité, en méconnaissant ses propres exigences, son désir. - Le fait que la menace est la perte de l’objet maternel qui s’origine dans les interrelations précoces mère-enfant. Chez l’anorexique, le développement libidinal serait entravé du fait de ce trouble narcissique. Le moi serait insuffisamment fort pour aborder une relation d’objet non génitalisée. Alors que la puberté implique une autonomisation et un engagement dans des relations d’objet adulte sexualisées, la jeune fille anorexique ne parvient pas à assumer le rôle sexuel et à intégrer les transformations de la puberté. Comme l’explique Jeammet, l’adolescence est un révélateur puissant et spécifique de ce qui subsiste des dépendances non résolues aux figures d’attachement. L’adolescence va révéler brutalement la fragilité des objets internes du sujet, et par déplacement l’ampleur de ses besoins à l’égard d’objets extérieurs. La jeune fille refuse massivement la sexualité avec négation du corps et de ses besoins fondamentaux et échoue à affronter la rivalité avec sa mère [32]. La conduite alimentaire serait une tentative échouée d’aménager une séparation par déplacement du conflit dépendance / autonomie sur la scène alimentaire où l’objet du besoin peut être contrôlable (l’aliment). La dimension addictive apparaît dans cette tentative pathologique de reconquérir l’autonomie en adoptant une position d’autosuffisance avec un sentiment mégalomaniaque grâce à la maîtrise de tout besoin. L’anorexique nie ainsi la dépendance à sa mère [38]. Dans cette approche théorique, le trouble fondamental est donc un trouble de l’identité lié à la problématique d’autonomie/dépendance non dépassée. 23 g. Approche psychosomatique L’anorexie est considérée par plusieurs auteurs comme une entité psychosomatique. En effet dans l’anorexie mentale, c’est bien toute l’unité psychosomatique dans sa globalité qui est atteinte. L’amaigrissement, corollaire de l’anorexie, n’est pas un symptôme du corps imaginaire, mais bien du corps réel. Les symptômes psychiques précèdent et accompagnent l’anorexie et l’amaigrissement. Les signes physiques et psychiques interagissent les uns sur les autres. Par exemple, une dénutrition provoque chez tout sujet une obsession de la nourriture, un sentiment de bien-être lié à la sécrétion de β-endorphines… Le corps dans son intégrité réagit face à cette condition extrême de vie. Les difficultés associatives, la pauvreté des capacités d’élaboration, caractérisant le fonctionnement dit « opératoire » ou « alexithymique » sont décrits chez les patients anorexiques. Le terme alexithymie, étymologiquement « incapacité à exprimer ses émotions par des mots » définit un ensemble de caractéristiques affectives observées chez certains patients. Ce défaut d’expression émotionnelle serait à l’origine de nombreux troubles somatiques et psychiques dont l’anorexie mentale. Les sujets alexithymiques seraient caractérisés par une disponibilité affective réduite ou sélective et par un défaut ou un dysfonctionnement relationnel primaire. Ils seraient obligés de recourir à des stratégies alternatives inefficaces et improductives pour réguler leurs expériences affectives douloureuses [33] [35]. L’alexithymie a fait l’objet d’études à la fois chez les sujets anorexiques et chez leurs parents. Celles-ci retrouvent des taux élevés d’alexithymie entre de 56 à 69%, chez les sujets anorexiques restrictifs [34]. L’alexithymie apparaît comme un élément particulier du fonctionnement psychique à prendre en compte dans les psychothérapies. Des aménagements du cadre dans les psychothérapies individuelles ou une préférence pour les psychothérapies de groupe sont préconisés par certains auteurs comme Corcos et Sperenza [35]. Les approches corporelles semblent également trouver une place intéressante. Grenouilloux propose de s’adresser au vécu corporel pré-mental par les méthodes actuelles de relaxation dans une perspective phénoménologique [36]. 24 Corcos développe une perspective psychosomatique en partant de l’hypothèse d’une origine addictive du trouble alimentaire. Avant lui, Mac Dougall avait repris le terme d’addiction, en revenant à sa signification première, l’idée que le sujet est « esclave d’une seule solution » pour échapper à la souffrance psychique. Elle avait défini l’addiction comme une solution psychomatique pour tenter d’échapper aux angoisses névrotiques ou de lutter contre des angoisses psychotiques [37]. Quant à Corcos, il fait l’hypothèse de dysfonctionnements des relations précoces de l’enfant avec son environnement à l’origine de cette solution psychosomatique addictive. Il souligne la défaillance du féminin et du maternel chez les mères s’occupant de leur enfant. Ces dysfonctionnements empêchent l’enfant de se représenter les sensations secondaires à l’excitation pulsionnelle. Il y a constitution d’une alexithymie primaire. Ce mode d’organisation est la traduction de modalités fantasmatiques corporelles particulières. Dans l’anorexie mentale, la jeune femme contourne avec sa maladie les transformations corporelles pubertaires visant à la faire devenir femme et mère [38]. V. Perspectives thérapeutiques 1. Données de la littérature médicale Dans la perspective d’une médecine basée sur les preuves, les recommandations thérapeutiques internationales restent très prudentes. a. Traitement médicamenteux Il n’existe pas de traitement médicamenteux spécifique de l’anorexie mentale. Ce sont d’éventuelles comorbidités psychiatriques qui justifient la prescription de psychotropes (antidépresseurs, anxiolytiques, antipsychotiques). Ceux-ci doivent être maniés avec beaucoup de prudence du fait des troubles métaboliques secondaires à la dénutrition. Une revue de la littérature menée par Zhu et Walsh montre que les essais médicamenteux chez les patients souffrant d’anorexie sont décevants [39]. 25 b. Psychothérapies Selon les conférences de consensus récentes APA et NICE, les psychothérapies ne représentent pas le traitement de première ligne en phase aigüe de la maladie où la reprise de poids est le premier objectif (dénutrition) [40] [41]. De plus les effets psychologiques de la dénutrition entravent en partie le soin psychothérapeutique. Cependant l’alliance thérapeutique et le soutien au patient apparaissent essentiels lors de cette phase et se mettent en place à travers une relation médecin-malade qu’il faut consolider. Une psychothérapie sera envisagée dans un seconde temps. Aucune méthode psychothérapeutique n’a montré une efficacité supérieure aux autres à long terme. Aux Etats-Unis, Mc Intosh a comparé dans une étude récente trois méthodes psychothérapeutiques chez les sujets anorexiques sur une population de 56 patients. Les thérapies cognitivo-comportementales, interpersonnelles et de soutien ont été observées sur une période de vingt semaines. La psychothérapie de soutien non-spécifique a montré contre les attentes des auteurs une efficacité comparable aux deux autres. Les patientes ayant bénéficié de la technique de soutien ont achevé le programme de soins, ce qui constitue une différence significative avec les méthodes cognitivo-comportementales et interpersonnelles. La thérapie interpersonnelle est la technique ayant montré les résultats les plus faibles dans cette étude. Il s’agit d’un des premiers essais randomisés visant à comparer l’efficacité des trois psychothérapies dans l’anorexie mentale [42]. Fairburn et Harrison rappellent dans un tableau récapitulatif que quelques études concernent seulement la psychothérapie de soutien, la psychothérapie cognitivo-comportementale, la psychothérapie interpersonnelle et les conseils diététiques. Les conseils diététiques n’ont pas d’efficacité démontrée, les autres ont montré un faible effet thérapeutique bénéfique. La thérapie familiale a été l’objet d’un plus grand nombre d’études, un effet thérapeutique modéré a été rapporté [10]. c. Mesures nutritionnelles et de « réalimentation », cadre de soin Les mesures nutritionnelles constituent le premier temps de la prise en charge, notamment chez les patientes hospitalisées. 26 Aux Etats-Unis, les mesures de réalimentation sont clairement « protocolisées » dans les conférences de consensus telles que l’APA ou NICE. En France, il n’existe pas de protocoles spécifiques de réalimentation. La prise en charge des patientes anorexiques varient selon les équipes, notamment en ce qui concerne les modalités de suivi, hospitalisation ou suivi ambulatoire, séparation ou non de la famille, instauration d’un contrat de soin… 2. Une prise en charge multimodale En France aujourd’hui la prise en charge de l’anorexie mentale se conçoit selon une approche multimodale mettant en synergie différents outils dans le but de rendre plus efficients les soins apportés aux patients. C’est notamment cette démarche qui a été adoptée dans la pratique clinique que nous développerons dans la troisième partie. a. L’hospitalisation comme espace de différenciation Dans un premier temps la surveillance médicale est assurée par le médecin traitant. Elle repose sur le contrôle de plusieurs paramètres parmi lesquels: l’indice de masse corporelle, l’examen cardio-vasculaire, les paramètres biologiques marqueurs d’un hypométabolisme… Le médecin est le garant de la réalité médicale et oriente la prise en charge en considérant trois zones décisionnelles : - lorsque l’IMC est inférieur à 14, une hospitalisation rapide voire urgente selon l’état général de la patiente ; - entre 14 et 18, l’anorexie reste active et nécessite des stratégies médicales adaptées parmi lesquelles l’hospitalisation est une alternative souvent nécessaire ; - autour d’un IMC à 18, on considère que la jeune fille n’est plus dans une problématique anorexique au sens médical du terme, même si cela n’exclut pas la persistance de difficultés alimentaires et psychologiques. 27 L’hospitalisation est envisagée dans deux circonstances : - l’hospitalisation en urgence en service de médecine dans le cas d’une mise en jeu du pronostic vital et pour la prise en charge des conséquences de la dénutrition ; - l’hospitalisation programmée dans un service spécialisé, alternative aux soins ambulatoires. Au-delà de l’urgence médicale ou psychiatrique, cette modalité de soins permet de combiner simultanément des interventions pluridisciplinaires telles que la rééducation diététique, la normalisation du poids, la réduction du cycle boulimie-vomissement, l’initiation d’une thérapie individuelle, familiale et groupale, la préparation de la patiente à un travail psychologique au long cours [18]. L’hospitalisation est aussi un temps privilégié durant lequel peut s’opérer le sevrage avec l’environnement familial. Ce sevrage est défini par le psychanalyste Thierry Vincent, comme une perte organisée en gage de promesses et de plaisir à venir [43]. Le sevrage est donc au cœur du dispositif thérapeutique. La jeune fille anorexique appréhende une nouvelle relation au monde qui intègre l’apprentissage de la gestion du manque, de la frustration, du conflit et du désaccord, conditions indispensables pour accéder à un épanouissement personnel. La relation thérapeutique cherche à éviter tout rapport de force avec la patiente qui ne ferait que prolonger le symptôme en répétant le bras de fer qui s’est instauré avec l’environnement familial autour de la nourriture. L’alliance thérapeutique se fonde sur un contrat, adapté au cas par cas. Dans ce contrat, la réalité médicale sert de fil conducteur à l’hospitalisation. L’absence des parents oblige la jeune fille à trouver son propre langage et à exprimer ses propres désirs. Les contacts avec les personnes extérieures à la bulle familiale sont donc privilégiés. Dans le contrat thérapeutique, il est généralement posé qu’en dehors des séances de thérapie familiale, les amis peuvent venir en visite avant la famille. Pour Dodin, l’hospitalisation est un lieu de passage où la jeune fille découvre que le rapport à l’autre, à l’objet quel qu’il soit ne se situe pas dans ces deux extrêmes que sont la privation ou le comblement. C’est un espace de différenciation où la jeune fille peut retrouver ses limites, découvrir ses propres désirs, intégrer la différence, éprouver la séparation et la solitude sans que tout cela ne soit ressenti comme destructeur. 28 b. La rééducation nutritionnelle La rééducation nutritionnelle reste un levier important dans la prise en charge médicale. Les préoccupations vis-à-vis de l’alimentation et de l’image du corps obsédantes ont envahi tout l’espace psychique, ont facilité le repli sur soi et provoqué des modifications du caractère (irritabilité, morosité, perte de l’estime de soi, psychorigidité, ritualisation des comportements…). De plus les perturbations liées à la malnutrition sont des facteurs d’entretien et d’aggravation du trouble alimentaire. [26] Les consultations avec les diététiciens et les nutritionnistes visent à réapprendre à ces patientes une hygiène de vie qui respecte le corps, sa physiologie et ses besoins élémentaires. Elles ont pour principaux objectifs : - La régularisation de la prise de nourriture ; - La planification des repas ; - La désensibilisation aux aliments interdits qui seront réintroduits progressivement dans l’alimentation, en commençant par les aliments qui génèrent le moins d’appréhension. c. La psychothérapie individuelle Plusieurs approches théoriques peuvent être utilisées à différents stades de la maladie. Pendant l’hospitalisation, l’approche cognitive et comportementale trouve une indication particulière dans l’accompagnement vers l’abandon du symptôme alimentaire et la reprise de poids. L’objectif des thérapies cognitives et comportementales est de modifier les schémas et les processus de pensées automatiques irrationnelles, tant en ce qui concerne l’alimentation, le poids, l’image du corps que les aspects psychologiques tels que l’estime de soi, le perfectionnisme, l’obligation d’excellence… Ces thérapies utilisent des protocoles très structurés qui se fondent sur des faits concrets et objectivables pour aider ces jeunes filles à formuler de nouvelles pensées plus nuancées. 29 Les thérapies comportementales sont associées aux thérapies cognitives. Elles proposent des programmes planifiés selon une progression quant aux objectifs à atteindre. Ces techniques aident par exemple les patientes à retrouver une alimentation normale grâce à des méthodes d’exposition progressive à la nourriture, complétées si besoin par la prévention des crises boulimiques et des réponses de vomissement. Elles renforcent aussi l’assurance de ces jeunes filles par l’apprentissage de techniques de communication, de gestion du stress et l’affirmation de soi et de développement des habilités sociales et de méthodes de relaxation. Les thérapies cognitives et comportementales aident à l’élaboration de nouveaux projets et à expérimenter de nouveaux modes de vie. d. Les entretiens familiaux et la psychothérapie familiale Dès que cela est possible, le traitement des troubles alimentaires inscrit les parents dans la prise en charge. Le travail de psychothérapie individuelle avec la jeune fille et des entretiens avec le couple parental préparent aux entretiens familiaux. Des groupes de parents sont également proposés. e. Les thérapies à médiation corporelle Les techniques de relaxation, le toucher thérapeutique, les techniques d’enveloppements corporels peuvent être proposées pour faciliter une prise de conscience du corps et en intégrer les limites. Nous nous y intéressons plus spécifiquement dans la suite de notre propos. 30 L’étude des connaissances actuelles nous montre que l’anorexie mentale est une pathologie de l’unité psychosomatique marquée par l’intrication de symptômes à la fois physiques et psychiques. Les troubles de l’image du corps représentent un symptôme cardinal de la maladie. Ils sont tantôt considérés comme primaires – par exemple dans la théorie développé par Bruch ou dans les recherches actuelles en neurosciences –, tantôt considérés comme secondaires – définis alors comme un trouble cognitif dû à la dénutrition ou comme un reflet de conflits intrapsychiques ou d’une problématique familiale. La problématique de l’image du corps apparaît donc intéressante à approfondir dans nos stratégies thérapeutiques. 31 DEUXIEME PARTIE LES APPROCHES THERAPEUTIQUES INTEGRANT LE CORPS ET LE PSYCHISME 32 Nous avons vu que la nosographie qui se réfère aujourd’hui à la symptomatologie des « dysfonctionnements » organiques physiologiques et/ou psychologiques n’apporte que des réponses partielles à la problématique de l’anorexie mentale. Les perspectives de soins restent entravées par la dimension psychosomatique au centre de cette pathologie. L’hypothèse psychosomatique et la dimension alexithymique de l’anorexie mentale nous conduisent à nous intéresser aux approches thérapeutiques qui tentent de prendre en compte la dimension psychosomatique ou somato-psychique du sujet et l’intrication du corps et du psychisme dans la pathologie. Il faut préciser que nous ne nous référons pas ici à la médecine réparatrice. I. Les thérapies psychocorporelles : définition Nous retenons ici une définition extensive des thérapies psychocorporelles. Les thérapies psychocorporelles représentent les approches thérapeutiques qui mobilisent l’unité psychosomatique ou somatopsychique et qui accordent une place importante au corps en lien avec le psychisme dans le processus thérapeutique. L’objectif de ces thérapies est la modification ou l’amélioration de la santé physique et psychique par une thérapie non verbale orientée sur le corps. Les thérapies psychocorporelles s’adressent à une ou plusieurs des dimensions de l’image et de l’expérience corporelle selon les différentes orientations théoriques : dimensions cognitive, perceptive, affective ou sociale. Elles prennent en compte les relations existant entre les différents niveaux d’organisation de l’unité psychosomatique : un niveau anatomophysiologique, émotionnel, imaginaire, expressif voire énergétique. Dans le champ des soins psychiatriques, cet abord psychocorporel est habituellement le domaine du psychomotricien. Cependant d’autres professionnels paramédicaux s’intéressent à la dimension psychocorporelle du soin, notamment pour des affections qui présentent un caractère ou une composante « psychosomatique ». 33 II. 1. Différents approches de l’unité somato-psychique Le champ psychothérapeutique Cette première approche recouvre le champ des psychothérapies à médiation corporelle et de la psychomotricité, bien connues des psychiatres. D’un point de vue nosologique, ce champ thérapeutique s’adresse préférentiellement aux patients présentant des symptômes psychiques au premier plan. a. Le corps en psychothérapie, perspective historique 1) Le corps en pointillé dans la psychanalyse La pratique psychanalytique classique se centre avant tout sur le déploiement du discours et utilise pour cela le divan qui permet la neutralisation motrice du corps. Cependant Freud en tant que neuropsychiatre ancre sa pensée dans la biologie et accorde au corps un statut spécifique, pensé comme matrice structurelle supportant certaines expériences déterminantes dans le développement libidinal du sujet. Dans la théorie freudienne, le développement des instances psychiques s’étaye sur les structures anatomophysiologiques. Pour Freud : « Le Moi est avant tout un Moi corporel (…) le Moi est fondamentalement dérivé de sensations corporelles (…) le Moi conscient est avant tout un Moi-corps » [44]. Paumelle rapporte que certains psychanalystes utilisent dans leur pratique un contact corporel minimal. C’était notamment le cas de Ferenczi, le disciple de Freud, qui mêlait parfois à sa pratique des activités d’expression corporelle et de relaxation. De même, Balint et Winnicott étaient des psychanalystes « actifs ». Un contact physique minimal avec le corps du patient dans la relation leur permettait d’accompagner la régression du patient. Enfin nous citerons Michel Sapir qui utilise l’induction verbale autour du corps et l’induction tactile dans une approche psychanalytique de la relaxation [45]. 34 2) Les psychothérapies psychocorporelles Dans les années soixante, Reich va fonder une lignée de pratiques psychothérapeutiques où le corps est directement et activement impliqué. Il s’oppose à la théorie freudienne et pose le corps non plus en tant que théâtre du psychisme, comme dans le modèle classique de l’hystérie, mais comme partie prenante de la construction du complexe psychocorporel qui caractérise chaque individu. Le refoulement est selon lui un phénomène autant somatique que psychique. Chaque rigidité musculaire, énonce-t-il, contient l’histoire et la signification de son origine. Reich accorde au tonus musculaire un statut spécifique. Les fixations toniques qui constituent la cuirasse musculaire sont comprises comme des stases de l’énergie vitale, qu’il faut s’employer à lever. Il propose donc un travail postural et respiratoire, mais aussi moteur, qui caractérise la végétothérapie [46]. A la suite de Reich, le courant des thérapeutes de l’émotion poursuit ce modèle. On trouve notamment la bioénergie de Lowen dans les années soixante, le cri primal de Janov dans les années soixante-dix ou l’intégration posturale de Painter. Même si certains aspects de la théorie reichienne, notamment l’équivalence posée entre le corps et l’inconscient, sont difficilement acceptables aujourd’hui, il est indiscutable qu’il a ouvert une voie de recherche féconde. Notre attention s’est portée notamment sur la notion d’une mémoire corporelle. Les événements seraient vécus corporellement et s’inscriraient dans la tension et l’organisation tissulaire. La recherche d’états corporels, la thérapie corporelle est alors corrélée à la résurgence, à la réactualisation non pas des événements euxmêmes mais de la façon dont ils ont été vécus. b. Aujourd’hui la psychomotricité Les thérapies psychomotrices proposent une approche thérapeutique où la psychomotricité de l’individu est considérée comme un champ d’expression et de communication. C’est une thérapie médiatisée par les corps du patient et du thérapeute. 35 Cette approche s’inspire de la théorie du développement d’Henri Wallon qui décrivait les liens entre les processus sensori-moteurs et la pensée cognitive. Wallon accordait au tonus musculaire une fonction majeure, en particulier en tant que médium de la relation primordiale (la relation mère-enfant). Selon lui, sur les bases de variations toniques, végétatives et posturales (dilatations/rétractations), le nourrisson engage un dialogue qui lui permet d’émerger progressivement en tant qu’être spatialisé, temporalisé et situé dans le désir d’autrui [47]. Ajuriaguerra, le fondateur de la psychomotricité française, a enrichi la théorie de Wallon par l’apport de la psychanalyse. Il a développé dans les années soixante-dix cette notion de dialogue tonique du nourrisson et précisé le développement neuropsychique du bébé. Là encore le corps est pensé comme structure supportant des expériences qui sont à la fois sensorimotrice, émotionnelles et relationnelles [48]. En France, la psychomotricité, discipline encore très jeune, a beaucoup évolué dans les trente dernières années. Elle est passée d’une approche instrumentale normalisante, aujourd’hui tombée en désuétude et stigmatisée par les psychomotriciens eux-mêmes, à un modèle complexe centré sur la subjectivation, et où se réalise, du moins pour le courant français, une synthèse entre la psychanalyse et la phénoménologie. Actuellement la théorie psychomotrice tend à s’intéresser à la fois aux données physiologiques du corps et à la dimension psychique intersubjective. Elle ne prétend pas cependant expliquer ou réduire cette dernière. Elle a intégré certains éléments de la sphère anatomophysiologique d’une part, avec l’attention portée à la sensorialité et à la motricité, et le domaine intersubjectif d’autre part, avec en particulier la problématique de la parole et du langage, nourri des apports fondamentaux de la psychanalyse [49] [50]. En psychomotricité, le corps n’est plus un instrument à ajuster, réparer ou « régler », mais il est « porteur d’être ». Mettre le sujet en mouvement, c’est aussi le mobiliser sur le plan psychique, l’aider à construire et structurer la relation. Pour cela, le psychomotricien utilise différents outils : le modelage, l’expression corporelle, le jeu, le sport, les techniques de relaxation… 36 Selon Lesage, le psychomotricien se base sur un « modèle matriciel » : le langage naît du corps. Les troubles psychiques peuvent s’expriment par le corps en relation, le corps psychomoteur. Le corps n’est pas considéré comme un instrument de la psyché, il en fait partie intégrante. Il n’est pas non plus considéré comme un révélateur de l’inconscient mais plutôt comme un médium [51]. c. Le packing, une autre approche du corps en psychothérapie Le packing est une thérapie à médiation corporelle d’inspiration analytique développée récemment par Delion et son équipe. Il est utilisé chez les enfants et les adultes autistes et psychotiques mais aussi chez des patients présentant des troubles des conduites alimentaires. Il s’agit d’une technique d’enveloppement du corps au service de la psychothérapie. Le patient est enveloppé dans des linges humides. Le temps de réchauffement en présence de plusieurs membres de l’équipe soignante favorise le travail psychothérapique. Cette technique met en jeu la problématique du corps, de son image et de sa symbolisation, sans détour métaphorique [52]. Par son approche spécifique du corps, le packing fait revivre des expériences constitutives des premières enveloppes psychiques. La fonction contenante, exercée artificiellement par l’enveloppement ainsi que par la présence rassurante des soignants autour de la patiente, permet la mise en place d’une relation transférentielle particulière qui évoque les interactions précoces du nouveau-né avec son environnement. Ces ressentis archaïques que reçoivent alors les soignants durant la séance autorisent un travail de mise en mots et de mise en sens. 2. Le champ paramédical du soin somatique Certaines approches thérapeutiques développées dans le champ paramédical s’appuient sur l’idée qu’un abord direct et global du corps anatomophysiologique peut avoir un impact sur le psychisme du sujet. L’amélioration de l’état somatique global du patient aurait pour corollaire un effet bénéfique sur sa psychopathologie. 37 Ces techniques de soins sont très nombreuses et diversifiées. Elles sont mal identifiées et mal connues dans la sphère médicale mais sont pourtant très souvent utilisées par nos patients comme méthode adjuvante aux soins classiques. Ces techniques se destinent préférentiellement aux patients présentant une plainte somatique au premier plan. Certains psychomotriciens rencontrés au cours de notre formation professionnelle s’inspirent de ces techniques pour enrichir leur travail dans leur approche de la maladie psychique. a. Les relaxations Les techniques de relaxation développent une idée majeure : l’excès de tension est nuisible au corps et à l’esprit. La première vraie technique de relaxation, le training autogène, est proposée par Johannes Schutz en 1912. Le training autogène de Schutz explore la possibilité d’induire un état psychique en créant un état neurovégétatif particulier (parasympathicotonie) à partir de suggestions qui sont en fait les images sensorielles des effets végétatifs de relâchement musculaire (lourdeur, chaleur…). Il véhicule également la notion d’un état somatique propice à un travail psychique (émotionnel). Seize ans plus tard viendra l’autre grand classique qu’est la relaxation progressive de Jacobsen. Croyant éviter la suggestion, il fait travailler ses patients à partir d’alternances contraction/relâchement. Cette technique vise à permettre au patient de réaliser des actions avec une tension minimale par la recherche d’une « eutonie ». Le modèle du corps implicitement valorisé dans ces approches de relaxation est donc marqué par l’intrication psychosomatique avec l’affirmation d’une réciprocité d’influence entre les deux sphères. A partir de ces méthodes de base, de nombreuses autres méthodes se sont développées dans un souci médical, psychothérapeutique ou de développement personnel. La sophrologie par exemple est basée sur le même modèle théorique. 38 b. L’ostéopathie L’ostéopathie, fondée par Taylor Still, propose une théorie et une pratique basée sur une compréhension fonctionnelle et globaliste du corps. Le phénomène central dans cette théorie est un rythme d’expansion/rétraction qui affecte tout le corps, comme une onde respiratoire, et qui semble naître au plus profond du système nerveux. Sur le plan clinique, les pathologies sont corrélées à une perturbation de cette respiration dite primaire. A travers un contact empathique, la concentration et l’intention du thérapeute jouent un rôle majeur dans le soin. Il y a une notion d’intersubjectivité, le thérapeute n’est pas neutre, il est engagé physiquement dans la relation thérapeutique. Très schématiquement, les notions essentielles de l’ostéopathie sont : la relation entre structure et fonction, la globalité (aucun segment du corps n’est indépendant des autres), la relation rythmique et fluidique qui crée un équilibre jamais figé, les mécanismes d’autorégulation qu’il faut stimuler ou relancer en cas de blocage, enfin l’importance d’une représentation mentale claire des processus que l’on veut influencer. Le corps est ici considéré dans une dynamique évolutive. Il présente une sagesse et une mémoire d’espèce autant qu’une mémoire individuelle. L’idée d’une globalité somatopsychique apparaît dans cette théorie [51]. c. Les kinésithérapies globales Dans le champ des techniques kinésithérapeutiques, dans les années 1960, plusieurs auteurs ont contribué à révolutionner l’approche classique morcelant le corps et à faire des ponts entre le corps anatomique et le psychisme. En se référant à une vision globale de l’appareil locomoteur, certains d’entre eux développent le concept de chaînes musculaires et fasciales. Selon Lesage, l’intérêt pour les fascias marque un changement dans les modèles du corps ; le mouvement et la posture se relient à une physiologie globale : « On cherche à comprendre le mouvement non seulement à partir du musculaire, organe du “je peux, je me manifeste”, mais 39 en incluant également le système des fascias, organe ubiquitaire du corps qui permet de préciser le lien entre le système musculaire et les autres systèmes du corps, en particulier organique et immunitaire » [53]. Par exemple, l’approche d’Ida Rolf s’appuie sur des liens existant entre les structures du corps, à savoir les fascias (tissus conjonctifs). Elle analyse le corps et ses déformations à partir de la « mémoire » que constituent les restrictions fasciales. En 1977, elles affirment clairement l’intrication psychosomatique en posant l’hypothèse que le corps n’est pas l’expression de la personnalité, mais qu’il est en soi la personnalité. Modifier la structure corporelle, ce n’est donc pas libérer l’instrument d’expression d’un individu, mais changer son expression et par conséquent l’être lui-même [54]. Après un parcours éclectique du dessin d’art à la kinésithérapie, G. Struyf-Denys a également développé depuis une vingtaine d’années une systématique du corps, qui débouche sur une technique de thérapie manuelle aussi bien que sur une approche du mouvement ou une psychomotricité. L’originalité de cette approche est ici de relier précisément imaginaire, comportement posturo-moteur et pathologie, à partir d’une perspective phénoménologique : quelle expérience soutient telle ou telle structure corporelle ? L’auteur considère que le corps est travaillé par l’intentionnalité. Tout part d’une attitude physique face aux événements, aller vers ou se rétracter, s’offrir ou se soustraire, jouer avec, s’imposer, recevoir, percevoir… Le corps s’adapte et se sculpte sur la base de ses structures anatomofonctionnelles, d’où des typologies de « gestalt toniques », mémoire et vecteur à la fois d’un certain rapport au monde [55]. d. Les thérapies de la conscience du corps A partir des données anatomophysiologiques de la kinésithérapie, les pratiques kinésiologiques - c’est-à-dire s’attachant à une étude du mouvement « vécu » - se sont développées en parallèle. Elles se centrent sur le processus du mouvement comme levier thérapeutique. On parle de thérapies de la conscience du corps. Ces techniques cherchent à rendre aux muscles et aux articulations souplesse et élasticité afin de redonner à l’ensemble du corps une liberté de mouvement, et donc un fonctionnement 40 facile et harmonieux. Elles visent également à une prise de conscience du corps et des mouvements, prise de conscience suffisante pour modifier le schéma corporel et l’image du corps. Se voir mentalement en train de faire et de comprendre le mouvement réunifie le vécu corporel à partir d’une action. Cet investissement du « corps vécu » peut devenir un savoir grâce à une pratique réglée de ces exercices. Les thérapies de la conscience du corps prennent appui sur des bases scientifiques mais surtout sur des connaissances empiriques issues de l’observation et de l’expérimentation répétée de leurs auteurs. Nous citerons la méthode Feldenkrais qui repose sur la prise de conscience du corps par le mouvement, la méthode Pilates qui s’appuie sur les muscles, la méthode Mézières qui postule le pouvoir de l’étirement segmentaire associé à la respiration ou l’eutonie de Gerda Alexander qui mise quant à elle sur l’harmonisation de l’homme avec son environnement à travers des enchaînements précis de mouvements [56]. Notre attention se portera dans la troisième partie de notre travail sur la fasciathérapie de Danis Bois, qui se rattache également aux thérapies de la conscience du corps en associant également le concept de chaînes fasciales. III. Apports des thérapies psychocorporelles dans l’anorexie mentale Les jeunes filles qui souffrent d’anorexie intellectualisent et rationalisent beaucoup leurs troubles des conduites alimentaires. Nous avons déjà évoqué la dimension alexithymique de leur fonctionnement psychique. Dans ces conditions, la psychothérapie s’intègre à une prise en charge globale de la jeune patiente dans laquelle il est important d’apporter au corps une attention particulière. C’est le corps qui marque les limites du moi, notamment grâce à la peau qui l’enveloppe et délimite. La peau est un contenant physique des viscères, des muscles et du squelette, mais elle peut être aussi considérée comme un contenant psychique structurel et fonctionnel qui 41 s’élabore dans les premiers stades du développement de l’enfant, à partir des interactions précoces mère-nourrisson. Le psychanalyste Didier Anzieu a défini le « Moi-Peau » comme l’origine de la construction de l’image cénesthésique du corps en tant que base tactile du moi. Ce « Moi-Peau » apparaît défaillant chez les jeunes filles anorexiques [57]. Dodin et Testart considèrent que la rigidité musculaire, l’hyperactivité et les tendances masochistes constituent une seconde peau, une enveloppe qui supplée le « Moi-Peau » défaillant en le masquant par un « Moi-Muscle ». Les thérapies à médiation corporelle, la psychomotricité ou les techniques de conscience corporelle sont une voie d’accès à ce moi corporel. Elles aident ces jeunes filles à ne plus être uniquement dans la représentation de leur corps en tant qu’image virtuelle, mais à se percevoir comme une unité pesante, éprouvant des sensations. Le travail corporel cherche à développer la prise de conscience de leurs sensations corporelles pour qu’elles abandonnent le « corps objet » pour un « corps sujet » [29]. L’objectif thérapeutique est de réduire la fracture entre l’esprit et le corps, de retrouver une unité somatopsychique, d’expérimenter des émotions, nourries par les ressentis et les éprouvés corporels, en relation avec autrui. Cet inventaire non exhaustif des thérapies psychocorporelles montre un aperçu de l’étendue des pratiques de soin qui cherchent à approcher l’unité psychosomatique du sujet. Les deux approches psychocorporelles, en psychomotricité et en soins somato-psychiques, se révèlent complémentaires. En effet à partir de concepts théoriques différents, toutes deux prennent en compte les relations existant entre les différents niveaux d’organisation de l’unité psychosomatique : un niveau anatomo-physiologique (biomécanique entre autres), un niveau émotionnel, un niveau imaginaire, un niveau expressif par le geste et la posture, et parfois un niveau énergétique. Ces deux approches partagent une vision globale, holistique, du corps en lien avec le psychisme. C’est pourquoi les thérapies psychocorporelles trouvent une indication pertinente dans le traitement de l’anorexie mentale. 42 TROISIEME PARTIE L’EXPERIENCE D’UNE APPROCHE PAR FASCIATHERAPIE CHEZ DES PATIENTES ANOREXIQUES 43 I. Hypothèse A partir du constat d’une perturbation de l’image du corps dans l’anorexie mentale, nous supposons qu’en agissant sur la composante perceptive de l’image corporelle, c’est-à-dire le schéma corporel et la proprioception, on peut soigner plus efficacement la patiente souffrant d’anorexie mentale. Cette approche corporelle se veut complémentaire d’une prise en charge plurimodale. Les approches psychothérapeutique et médicale pourraient s’appuyer sur cette approche du « corps vécu » - du corps propre - proposée par la thérapie psychocorporelle. Dans cette Troisième partie nous présentons l’expérience menée avec la fasciathérapie à l’Hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Lille auprès de patientes anorexiques hospitalisées. II. La fasciathérapie 1. Une thérapie de la conscience du corps La fasciathérapie est une thérapie corporelle intégrative du psychisme, une thérapie psychocorporelle. Elle est issue de la kinésithérapie et de l’ostéopathie et s’appuie donc sur les données de la physiologie et de l’anatomie. En agissant sur le corps, cette technique corporelle a pour objectifs de soulager les tensions et d’améliorer la conscience que le sujet a de son propre corps. La fasciathérapie s’intègre dans le courant des thérapies de la conscience du corps. 44 2. Présentation de la fasciathérapie Cette thérapie propose une pédagogie de la sensorimotricité, conçue comme base neurophysiologique de la conscience de soi, comme ancrage organique identitaire, à partir du système anatomique des fascias. Les fascias sont des tissus, des membranes qui recouvrent le corps et tous les organes à la fois en superficie et en profondeur (muscles, os, viscères, système nerveux…). Cette méthode a été élaborée par Danis Bois, kinésithérapeute et ostéopathe de formation d’origine française. Danis Bois a été responsable d’un service hospitalier régional de rééducation fonctionnelle puis est devenu chercheur en Sciences de l’Education à l’Université de Séville. Il est actuellement enseignant à l’Université Moderne de Lisbonne depuis 2001 au sein du département « Psychopédagogie et Sciences de la santé ». Il dirige également dans cette même université un laboratoire de recherches, le Centre d’Etudes et de Recherches Appliquées en Psychopédagogie perceptive (CERAP). La fasciathérapie s’appuie sur une idée-force : en aidant le patient à porter une attention soutenue à sa sensorialité et à ses émotions – conçues comme émotions physiologiques, venant du corps – on peut l’aider à changer ses représentations et ses comportements, sa façon d’être en relation avec le monde. Pour cela, cette thérapie s’appuie à la fois sur les multiples aspects de l’anatomie et de la physiologie du mouvement, en lien avec les neurosciences, et sur une approche phénoménologique du corps sensoriel, du corps propre, comme support d’une conscience de soi [58]. Nous abordons dans notre présentation les principales bases théoriques de cette approche sans toutefois pouvoir être exhaustif du fait de la complexité des données anatomiques et physiologiques utilisées. Le thérapeute mobilise la proprioception du patient de deux manières : - en thérapie manuelle, dans un travail de toucher thérapeutique où le patient apprend à « apercevoir » ses sensations et les émotions qui y sont associées lorsque le thérapeute agit manuellement sur les fascias. 45 - en thérapie gestuelle où la sensorialité est recrutée par le mouvement, à partir de schémas de mouvements très lents où le patient mobilise une attention particulière à son corps, ses sensations et ses émotions. Le thérapeute travaille sur le vécu présent de la perception. A partir des sensations non perçues il propose une rééducation sensorielle. 3. Bases théoriques de cette méthode a. La proprioception à travers les fascias Les fascias sont considérés dans ce modèle comme un support de la proprioception. Les fascias sont ici les tissus conjonctifs qui contiennent les différents récepteurs sensoriels. Ce sont des tissus visco-élastiques présents partout dans l’organisme (fascia cutané, fascia des faisceaux neuromusculaires, fascia périoste, fascia intra-osseux, fascia dure-mère, fascia des vaisseaux, fascia axial profond ou fascia viscéral). Les fascia sont reliés entre eux et sont organisés en couches, en enveloppes, de la superficie vers la profondeur. Par exemple le cœur est suspendu aux premières dorsales. Il est enveloppé dans un fascia, le péricarde, auquel est suspendu le diaphragme par son aponévrose – un fascia elle aussi – qui se prolonge plus bas dans l’aponévrose des psoas, qui elle-même fusionne avec le fascia illiaca – aponévrose du muscle iliaque – reliée aux aponévroses du petit bassin, et qui se prolonge aussi vers le fascia lata dont les expansions vont jusqu’au périoste du fémur, et qui va se terminer jusque dans les aponévroses du pied. Nous retrouvons ici une conception solidaire des parties du corps par l’intermédiaire des fascias, tissus de soutènement des différentes structures de l’organisme. Les fascias ont une fonction d’unité et de cohésion et un rôle de médiateur en raison de leurs propriétés physiques et de leur organisation anatomique. 46 La mobilisation des fascias par le thérapeute agit sur les capteurs sensoriels cutanés, articulaires, ceux des fuseaux neuromusculaires, mais aussi ceux des vaisseaux sanguins. Les fascias transmettent, absorbent et enregistrent les déformations selon leur intensité et leurs directions. A l’aide du toucher, le thérapeute voit ainsi apparaître des cheminements de tension, qui inscrivent dans le corps l’usage qu’en fait le sujet, sa posture. Dans un premier temps il cherche à lever ces tensions des fascias par un toucher thérapeutique. Puis ces fascias vont constituer une voie d’accès au travail de la proprioception et du schéma corporel. b. La biomécanique sensorielle Bois s’est appuyé sur différentes données de la neurophysiologie qui apportent des arguments pour appréhender le mouvement – la kinesthésie – comme étant au centre de la conscience du corps [58]. Cette conception du mouvement est soutenue par les recherches de Berthoz. Dans le premier chapitre de son livre Le Sens du mouvement, Berthoz introduit sa théorie motrice de la perception ainsi : « […] la perception n’est pas seulement une interprétation des messages sensoriels : elle est contrainte par l’action, elle est simulation interne de l’action, elle est jugement et prise de conscience, elle est anticipation des conséquences de l’action ». Berthoz met ainsi l’accent sur le caractère indissociable de la perception et de l’action [61]. Dans la phase active de la séance, le thérapeute procède à une observation fine de la gestuelle du sujet. Il appréhende cette étude rigoureuse des caractéristiques spécifiques du mouvement – c’est-à-dire de la biomécanique – dans son caractère dynamique. En d’autres termes, il observe le comportement corporel (segmentaire et articulaire, localement ou globalement), et le comportement intracorporel (tissulaire, viscéral…) tel qu’il se manifeste dans les gestes de tous les jours, et non en référence à la position anatomique fixe classique. 47 1) Le mouvement et la proprioception Cette grille de lecture du mouvement permet de recenser ce que Bois appelle les « imperceptions » du patient. Par le terme « imperception », il désigne toutes les composantes ou caractéristiques du geste qui échappent à la conscience du sujet. Ces secteurs inutilisés du corps et de l’espace sont considérés comme des restrictions à la liberté d’action et d’expression du patient, comme des références manquantes dans son schéma corporel. Le thérapeute est là pour guider dans la démarche qui consiste à combler progressivement ces imperceptions. Selon Bois : « C’est à travers l’étude des détails du mouvement que l’on accède à la globalité du geste et de soi. Tout élément non perçu par le sujet est en même temps une part absente de lui-même. » Cette gymnastique sensorielle ou « mouvement sensoriel » est donc la sollicitation perceptive des détails contenus dans le mouvement. Le thérapeute utilise un protocole qui consiste à attirer l’attention du patient sur chacun des détails de son mouvement [62]. 2) Le pré-mouvement Dans son approche thérapeutique, Bois introduit également la notion de pré-mouvement sensoriel, c’est-à-dire de mouvements tissulaires infra-cliniques qui précédent le mouvement macroscopique. La physiologie décrit classiquement le mouvement sous deux formes : l’activité locale de la boucle gamma qui anticipe le déclenchement de la contraction musculaire d’une part, et l’activité globale tonico-posturale d’autre part. En amont ou au delà de ces mécanismes neurophysiologiques, Bois étend cette notion à un « mouvement interne » qui se détermine dans les tissus avant de se réaliser dans le geste, qui anticipe le geste. Selon lui, il se joue une phase d’organisation et de préparation du geste au niveau de tous les tissus. L’intentionnalité du geste pourrait se lire dans le corps avant même la réalisation du geste. Le thérapeute accompagne avec le toucher manuel ce pré-mouvement qu’il peut percevoir sous ses doigts et qui aboutit au geste. Cette notion de « mouvement interne » se retrouve également dans l’ostéopathie. 48 3) L’éloge de la lenteur Dans cette thérapie, les mouvements sont effectués ou accompagnés dans une grande lenteur, pour en optimiser la perception. Bois s’appuie ici sur les travaux de Paillard qui démontre qu’il existe une différence importante sur le plan sensoriel entre mouvement balistique (c’està-dire mouvement rapide) et mouvement en rampe (mouvement lent) et que le mouvement lent bénéficie d’une assistance proprioceptive plus grande [63]. 4) L’analyse des composantes spatiales du mouvement L’approche propose une étude du mouvement décomposé en deux formes essentielles : la forme circulaire et la forme linéaire. Bois met en évidence le fait qu’aucun geste circulaire ne peut se faire sans un mouvement linéaire obligatoirement associé ; par exemple, lorsqu’on penche le tronc en avant, le bassin effectue obligatoirement une translation vers l’arrière ; lorsqu’on incline sa tête vers la droite, les vertèbres cervicales glissent vers la gauche. Audelà de cette notion physiologique, il propose qu’une attention portée sélectivement sur le mouvement linéaire développe spécifiquement la perception de la fonction sensorielle du geste tandis qu’une attention posée sur la forme circulaire développe la perception de l’aspect moteur [60]. Le protocole de travail corporel en fasciathérapie propose des enchaînements gestuels, appelés schèmes associatifs de mouvements. Ils associent de manière systématique mouvements linéaires et mouvements circulaires, en respectant des lois d’association particulières, mises à jour par l’observation de la gestuelle. On parle ainsi de schème antérieur, de schème postérieur, de schème vertical haut, de schème vertical bas, de schème transversal droit et gauche et de schèmes de rotation droite et gauche. 49 La proprioception On pourrait définir la proprioception comme « la perception de sa propriété ». Elle englobe la kinesthésie – le sens du mouvement et des positions relatives des parties du corps –, et le sens vestibulaire qui concerne l’orientation dans l’espace. Il faut y ajouter l’ensemble des perceptions des divers systèmes corporels (interoception). La proprioception est le sens fondamental, sur lequel s’étayent les autres : vision et audition s’instrumentalisent sur la base d’une bonne intégration proprioceptive. Pour utiliser correctement la vision dans un comportement moteur, il faut avoir au préalable acquis un sens spatial qui se développe à partir d’expériences sensori-motrices, faute de quoi les informations visuelles n’ont pas de sens. Dans les cas d’asomatognosies qui sont des pertes de proprioception, on observe à quel point ce sens est lié à l’identité. Oliver Sacks relate le drame d’une jeune femme atteinte de neuropathie qui, ayant perdu toute perception, éprouvait des angoisses de déréalisation, qui altéraient jusqu’au souvenir de ce qu’elle avait été, l’empêchant même de s’identifier à son image qu’elle pouvait encore contempler sur des films d’avant sa maladie. En perdant son sens proprioceptif, conclut Sacks, elle a perdu l’ancrage organique fondamental de son identité. La proprioception est donc un élément clé dans la constitution du schéma corporel et par conséquent de l’image du corps [64]. c. Une approche phénoménologique La fasciathérapie peut se définir comme un travail thérapeutique tourné vers le développement d’une « plasticité perceptive ». Le travail utilise les fonctions extéroceptives et proprioceptives dans toutes leurs potentialités, mais l’accent est également mis sur la matière corporelle en tant que lieu du sensible. Selon Bois : « La matière ainsi considérée apparaît bien être le lieu d’origine commune de l’être ressentant, de l’être actant et de l’être pensant.» Cette approche du corps propre s’inspire de la phénoménologie de Merleau-Ponty. La fasciathérapie facilite l’émergence consciente des informations sensibles émanant du corps propre. Le corps est considéré dans une dimension active et perceptive et doit reprendre une 50 place primordiale pour le sujet [65]. Bois fait également référence à l’ouvrage Le sentiment même de soi développé par Damasio [66]. Le soin psychique est d’abord envisagé à travers l’accordage manuel ou gestuel où le thérapeute installe la possibilité d’un dialogue préréflexif entre le corps et le psychisme. En soulageant les tensions physiques, en permettant l’expression corporelle de la plainte, on mobilise chez le sujet une attention perceptive à soi. C’est à partir de cette expérience préalable que, seulement dans un deuxième temps, peut être envisagée la dimension d’expression verbale. d. Une mémoire corporelle L’histoire du corps est ici conçue comme solidaire de l’histoire du sujet, de ses émotions, de sa vie affective dans une unité somato-psychique. Les caractéristiques spatiales du mouvement s’avèrent totalement individuelles. Elles sont fonction de l’histoire physique et psychologique du sujet, au cours de laquelle les événements, et surtout les réactions de l’individu à ces événements, ont progressivement dessiné une cartographie spatiale du mouvement, unique et originale, à l’image de ce qu’est le sujet dans son identité sensible : orientations ou amplitudes restreintes dans certains secteurs du corps, surdéveloppées dans d’autres. 4. Indications Cette thérapie est proposée dans les douleurs chroniques, musculaires, articulaires, digestives ou neuropathiques, dans l’accompagnement en soins palliatifs mais également dans les troubles de la relation au corps comme l’anorexie mentale. Elle est également proposée dans une optique de développement personnel. 51 5. Modalités de la thérapie Le thérapeute utilise trois approches complémentaires : la thérapie manuelle, la thérapie gestuelle et l’entretien basé sur la verbalisation du ressenti corporel - Thérapie manuelle et « toucher de relation » Le toucher thérapeutique ou « toucher de relation » prend ici valeur de dialogue non-verbal qui utilise la modulation tonique corporelle, reflet des élans et des résistances internes de l’individu. Le thérapeute libère à la fois les tensions, apaise les douleurs et adoucit le tonus. Il apprend au sujet à reconnaître les différences toniques de son corps, à en repérer les modulations afin de gérer la tension tonique et d’accepter les états de relâchement. - Thérapie gestuelle et expressive Le thérapeute utilise les « instruments internes » dont est doté l’être humain, ceux de la proprioception, qui lui permettent d’appréhender la réalité extérieure et intérieure. Il propose une expérience corporelle et gestuelle inédite en amenant le sujet à porter attention à cette dimension perceptive, selon un processus en trois phases : o expériences inédites de perception ou d’ « imperception » à travers la médiation du corps ; o modification des représentations motrices et perceptives (travail sur le schéma corporel) ; o expérience transformatrice (modifications des représentations conceptuelles, de l’image du corps). - L’entretien verbal à médiation corporelle L’objectif est de permettre une transformation concrète des représentations et de la perception du corps chez la personne qui souffre, de sorte qu’elle puisse se découvrir autrement et se comprendre différemment. C’est à travers une expérience corporelle éprouvée que le sujet apprend à mobiliser sa capacité à penser ce qu’il vit, à saisir le sens de son expérience immédiate. 52 6. Cadre thérapeutique Le cadre thérapeutique est le suivant. Le lieu et l’horaire des séances sont fixes. Le patient est habillé et peut être allongé ou debout selon les différents temps de la thérapie. La séance dure 30 minutes environ dans une pièce aménagée pour limiter les stimulations sensorielles extérieures. III. Expérience clinique Nous proposons ici l’exposé du matériel clinique recueilli à partir de la description des séances de fasciathérapie chez deux patientes hospitalisées dans le service. La thérapeute, Danièle Vanhalst a rédigé chaque semaine un compte-rendu reprenant le contenu des séances pour ces deux patientes. Elle nous a permis d’utiliser ce travail et de l’enrichir d’éléments cliniques issus du suivi psychiatrique de ces patientes lors de leur hospitalisation. 1. Objectifs cliniques dans l’anorexie mentale Nos attentes vis-à-vis de la fasciathérapie dans la prise en charge de patientes anorexique hospitalisées sont les suivantes : - Apporter une détente, soulager les tensions - Restaurer chez ces patientes qui maltraitent leur corps une expérience corporelle positive entendue comme la manière dont la patiente vit, ressent et connaît son corps. - Rendre la patiente consciente de ses sensations internes, de ses émotions et de ses sentiments - Favoriser dans un second temps l’émergence d’une verbalisation des affects qui s’y rattachent dans un cadre psychothérapeutique classique. 53 2. Cadre de soin Cette modalité de soin s’inscrivait dans une prise en charge multimodale. Les patientes ont bénéficié d’une séance de 30 minutes toutes les semaines, à un horaire fixe, et dans un lieu fixe pendant les deux mois d’hospitalisation. La première séance consistait en un entretien avec le thérapeute afin d’explorer les relations au corps, les réticences éventuelles vis-à-vis du toucher, etc. L’équipe médicale n’avait pas posé de contre-indication à cette approche thérapeutique : - somatique : notamment concernant un seuil pondéral minimal. La thérapie a été proposée à des patientes alitées, avec une sonde nasogastrique de nutrition entérale ; - ou psychiatrique (hormis bien sûr un tableau clinique évocateur d’une décompensation psychotique aigüe). Au niveau institutionnel, la thérapie a été présentée à l’équipe de soins, avec une démonstration des techniques corporelles proposées. Une réflexion clinique était prévue de manière hebdomadaire, où les différents psychothérapeutes, la psychomotricienne, les équipes médicale et infirmière élaboraient une réflexion commune avec le thérapeute en fasciathérapie à partir du matériel clinique des séances. 54 3. Cas cliniques Nous présentons deux patientes souffrant d’anorexie mentale prises en charge en fasciathérapie. Sarah est une jeune fille dont l’histoire de maladie est très récente. Quant à Marie, elle a traversé un long parcours de soins psychiatriques pour sa problématique alimentaire. a. Sarah 1) Présentation clinique Sarah a 17 ans. Elle est hospitalisée pour une anorexie mentale évoluant depuis environ un an. Elle est lycéenne et prépare un baccalauréat en section scientifique. Elle est la troisième d’une fratrie de 3 filles et vit avec ses parents. Sarah cultive une apparence androgyne : cheveux courts, piercings, survêtements trop larges pour elle et baskets de marque. Elle nous explique qu’elle a une pratique intense du volley-ball à un haut niveau. C’est son père qui est son propre entraîneur. Dans la famille, nous expliquera-t-elle, les vêtements sont totalement interchangeables entre les différents membres, parents et enfants. Sur le plan symptomatique, elle présente une anorexie mentale de type restrictive pure avec une hyperactivité associée. Il semble qu’elle ait déjà présenté quelques symptômes dès sa dixième année et dans les antécédents familiaux, on note une anorexie mentale chez sa mère et chez l’une de ses tantes. Elle est hospitalisée dans le service de psychiatrie adulte après avoir débuté un suivi ambulatoire avec un des psychiatres du centre de consultation de l’hôpital et en concertation avec son médecin traitant. Après deux hospitalisations consécutives en service d’endocrinologie pour dénutrition, Sarah avait très rapidement perdu à nouveau beaucoup de poids et, à son entrée dans le service, l’indice de masse corporelle atteignait 13,1. 55 2) Description des séances Entretien préalable Sarah débute les séances de fasciathérapie dès son entrée en hospitalisation: Sarah rencontre la thérapeute lors d’un entretien préalable où sont abordés le vécu corporel et la relation au corps et vis-à-vis du contact par le toucher. Lors de la première rencontre avec la thérapeute, Sarah décrit des manifestations anxieuses importantes. Cela se traduit physiquement par une difficulté à rester assise ou à maintenir une attention continue, par des déplacements incessants et une onychophagie. A d’autres moments, ce sont les manifestations viscérales qui sont au premier plan : oppression thoracique, besoin de respirer amplement pour reprendre sa respiration, sensation d’être serrée à l’intérieur d’elle-même dans la sphère digestive, reflux gastro-œsophagien douloureux. Elle évoque également des difficultés d’endormissement et des réveils répétés pendant la nuit. A l’invitation du thérapeute, elle décrit son rapport au corps en ces termes : elle n’a pas la sensation d’avoir un corps, c’est un objet qui ne lui appartient pas et qu’elle n’aime pas. Ce n’est pas grand-chose, mais néanmoins ce corps est nécessaire à la « relation identitaire » avec les autres (ce sont ses propres mots !). Sarah apparaît donc coupée de son ressenti corporel. Elle accepte le contact corporel hormis celui de sa mère. Elle signale qu’elle-même évite de toucher sa propre peau. Séance n°1 Sarah évoque une anxiété importante. Le travail psychothérapeutique en cours l’amène à se trouver devant des choix à faire, explique-t-elle. Il s’agit en fait d’un progrès vers une recherche d’indépendance et d’éloignement du cocon familial. Sarah décrit des douleurs abdominales qui l’empêchent de manger. On note une asymétrie des pas lors de la marche sans pathologie structurelle ou organique connue. Les fascias myotensifs des épaules et des jambes – particulièrement à gauche – sont crispés. Le fascia axial profond est tendu. A l’aide du toucher manuel, le thérapeute obtient une détente musculaire progressive à partir des bras. A la fin de la séance, Sarah reste un long moment allongée en silence sur la table, elle n’a pas envie de se lever, se sent ancrée dans la table. Elle décrit une sensation à la fois de légèreté, de stabilité et de globalité du corps. En se levant, elle se masse le visage, sa tête lui semble 56 lourde. Elle décrit pendant la séance un ressenti de chaleur qui irriguait son corps, « comme si on renaissait », dit-elle. Dans cette séance, Sarah reprend contact aves la perception d’un corps vivant. Séance n°2 Sarah arrive très énervée dans la pièce réservée aux séances de fasciathérapie. Elle est en colère contre les autres patientes qui n’évoluent pas mais aussi, finit-elle par dire, envers ellemême parce qu’elle n’a pas repris de poids assez vite. La séance s’oriente sur l’intensité d’un contrôle, de contractions musculaires et tissulaires verrouillant la région du bassin et des jambes. Un travail sur le tonus à distance de cette région amène un relâchement et une détente globale associés à un apaisement de l’état anxieux. Séance n°3 Sarah est démotivée et se sent coupable, dit-elle, de ne pas prendre de poids. Elle s’indigne du règlement du service interdisant l’hyperactivité physique. A contrario l’état du corps indique plutôt une résistance, un contrôle. Le tonus global est élevé. Cette séance de fasciathérapie va permettre une prise de conscience de l’état physiologique de son corps : Sarah reconnaît un ressenti de faiblesse et de lassitude physique. Elle perçoit des tensions et des contractions musculaires profondes. L’attention portée à son schéma corporel et à la position de son squelette dans l’espace permet une prise de conscience d’une rotation du bassin. La libération de cette zone amène un relâchement et une détente du diaphragme et des muscles respiratoires. La respiration se module en douceur. Sarah perçoit les modifications survenues : une libération de la fluidité et de l’amplitude de ses mouvements respiratoires contrastant avec le « fonctionnement apnéique » antérieur. Cette nouvelle tonalité de son corps lui semble étrange et plutôt agréable. Elle manifeste une curiosité nouvelle pour l’anatomie de son corps (étendue des poumons, espace entre le thorax et le bassin, cœur…). Une de ses chansons préférées du rappeur Eminem lui revient en mémoire, témoignant d’une remise en route de l’imaginaire. 57 Séance n°4 Cette séance fait suite à un entretien avec son psychiatre où elle a évoqué des attouchements subis par un aïeul. Son corps est en hypertonie, en défense. Aucun rythme, aucun mouvement n’est perçu par le thérapeute. A partir d’un travail de modulation du tonus, la séance donne accès à une détente et permet le réajustement du bassin. Sarah passe de la sensation d’un « corps déglingué » à la sensation agréable d’un emboîtage des différentes parties de son corps à leur place. Lorsqu’elle retourne dans sa chambre, sa démarche est assurée et symétrique. Cette séance lui a permis de retraverser en sécurité et à distance des émotions de colère et de peur et de restaurer l’intégrité du corps. Séance n°5 Des permissions ont été organisées depuis quelques jours, rendues possibles par la reprise pondérale. Ses sentiments à l’égard de son agresseur ont changé : elle dit ne plus avoir de colère, elle n’en a plus peur, elle pourrait maintenant se défendre. La peur reste toujours présente et exprimée : peur de perdre du poids, peur d’un retour de la jambe dans la position antérieure, peur devant la maigreur d’une patiente rencontrée dans une activité de groupe. Sarah peut reconnaître et nommer ses émotions. La séance est consacrée à la densité du corps, sa perception en trois dimensions et les différents niveaux de profondeur en travail manuel puis en mouvement en position assise. Sarah accède difficilement à cette perception du volume, elle souhaiterait voir des planches anatomiques. Le travail centré sur la perception des flux internes, de la densité de son corps et de ses reliefs l’aide à prendre conscience de cette réalité de son corps. Cela lui permet, ditelle, de se différencier de la jeune fille en grande maigreur à laquelle elle s’était identifiée. Elle s’est individualisée par rapport aux autres patientes. En cours de séance, le thérapeute note une retenue de la jambe droite dont Sarah prend conscience. Elle se dit motivée pour ne pas en rester là. 58 Séance n°6 Sarah s’ennuie dans le service. Elle exprime une envie intense de liberté et commence à faire des projets pour sa sortie d’hospitalisation. Il lui reste quelques centaines de grammes à prendre pour atteindre le poids prévu pour la sortie mais elle supporte mal les changements de son corps qu’elle observe sans cesse dans le miroir. Son ventre en particulier lui paraît disproportionné. La séance met en évidence une grande difficulté à aller vers la détente, notamment une résistance au niveau du fascia viscéral et une perturbation de la vascularisation profonde. La patiente reconnaît cette résistance qui persiste malgré tout. Séance n°7 Sarah n’a pas de visite. Son entourage amical s’est beaucoup restreint depuis le début de sa maladie et les visites de la famille ont été limitées avec son consentement. Elle dort beaucoup mais se sent fatiguée. Elle ne prend pas de poids. Elle a envie de changement mais manque d’élan et de motivation. Le travail se fait dans la lenteur sur le rythme corporel, la respiration corporelle, le rapport au flux de l’air. Séance n°8 La sortie est prévue dans dix jours environ. Sarah projette un séjour chez une amie de sa sœur en attendant d’intégrer à la rentrée prochaine l’internat de son lycée. L’organisation d’un voyage en Italie avec ses sœurs reste en suspens. Sarah manque encore de confiance en elle. Dernièrement elle a présenté un épisode d’hypoglycémie, ce qui l’inquiète beaucoup. Le thérapeute retrouve un tonus général élevé et des tensions dans les épaules et le dos. Il demande à Sarah de porter attention au mouvement de son corps dans un travail de gymnastique sensorielle. Elle se plaint de dorsalgies, de contractures prédominant dans le haut du dos. L’expérience d’un court instant d’apnée la ramène à la période où elle était alitée sous surveillance cardiaque constante par scope, avec la peur de ne plus contrôler sa respiration, la peur de mourir. Sarah verbalise pour la première fois la gravité de sa maladie. 59 Séance n°9 Sarah entre dans la pièce à petits pas. Elle se dit énervée ou plutôt excitée, rectifie-t-elle, à l’idée de sa sortie prochaine. Lorsqu’elle raconte ses projets, c’est maintenant à la première personne du singulier. Les dorsalgies persistent. Pendant la séance de mouvement sensoriel, en position assise, le thérapeute propose des mouvements fins décomposés en plusieurs directions linéaires et réalisés dans une lenteur extrême. Sarah a la sensation de faire de grands mouvements. Elle perçoit des contractions, des parties de son corps qui ne participent pas au mouvement. Elle prend conscience que la mise en jeu de tout le corps rend le mouvement plus fluide. Elle apprécie cet éprouvé de légèreté et de liberté. Il persiste une sensation de mal-être au toucher du ventre qu’elle trouve tendu et trop proéminent. Elle essaie de visualiser les viscères, pense qu’il y a plus de graisse que de viscères. Elle réalise qu’il s’agit d’une représentation mentale et non d’une perception interne. Synthèse clinique Le travail psychocorporel reste inachevé au décours de ces 9 semaines et se poursuit ensuite en suivi ambulatoire. Sarah a montré une curiosité assez inattendue vis-à-vis de cette approche du corps. Très appliquée, elle s’est vite retrouvée face aux résistances exprimées dans son corps alors que son discours restait lisse et conforme aux attentes des soignants. L’abord anatomophysiologique a apporté un cadre sécurisant lui permettant d’expérimenter de nouvelles sensations corporelles mais aussi de retraverser des mouvements émotionnels rattachés à un événement de vie traumatique. Dans cet exemple, nous avons remarqué que le travail de verbalisation prend une place très faible dans la thérapie. Cependant les paroles de Sarah retranscrites ici rendent compte d’une évolution manifeste du processus d’individuation et de subjectivation. Sur le plan clinique, Sarah a atteint un indice de masse corporelle à 16,2. A la fin de son hospitalisation, elle verbalise des affects dépressifs et un désir de s’éloigner de ses parents avec un rejet de l’ordre familial établi. Ces mouvements affectifs nous évoquent l’ambivalence habituelle d’une adolescente vis-à-vis de ses parents dans la recherche de la bonne distance relationnelle. 60 b. Marie 1) Présentation clinique Marie a 22 ans. Elle est étudiante en deuxième année de psychologie, après des études d’infirmière inachevées. Elle est célibataire et est l’aînée de trois enfants. Ses parents sont divorcés et elle vit actuellement au domicile de sa mère avec ses deux frères après avoir interrompu son année universitaire du fait de la maladie. Elle n’a pas d’activité sportive et a abandonné tout loisir artistique. Les troubles alimentaires ont débuté il y a huit ans, date coïncidant avec des difficultés au sein du couple parental et avec la naissance de son frère cadet. Marie présente une anorexie mixte avec des vomissements provoqués. Elle est suivie par un médecin psychiatre et une psychologue depuis 4 ans et a déjà été hospitalisée à deux reprises pour ses troubles des conduites alimentaires dans d’autres établissements de la région. Elle a pour antécédent médical une luxation congénitale de hanche, traitée par immobilisation plâtrée dans la petite enfance. Lors de son entrée en hospitalisation, Marie présente un amaigrissement important avec un indice de masse corporel chiffré à 14,2. C’est une jeune femme au style adolescent, pas très féminine. Son visage dénote une apparente tristesse malgré l’absence d’affects dépressifs dans son discours. Elle se plaint de difficultés de concentration et de troubles de l’endormissement avec des réveils matinaux précoces. Marie nous apprend qu’à l’aide d’un travail psychothérapique entrepris depuis plusieurs années, elle a élaboré des hypothèses concernant la place de son symptôme anorexique dans la relation avec sa mère et dans l’histoire et la dynamique familiales. Les symptômes alimentaires se sont cependant installés dans le temps. Marie a restreint de plus en plus ses relations sociales et toutes ses activités associatives et reste isolée chez elle après une tentative de reprise de ses études. L’hospitalisation intervient après une hospitalisation en urgence en service de médecine pour le traitement d’une hypokaliémie sévère secondaire à des vomissements provoqués et 61 compliquée de troubles du rythme cardiaque. Un contrat de poids est donc instauré avec Marie pour marquer la réalité médicale de son état somatique. Nous proposons à la patiente un travail psychocorporel dont l’objectif serait de faire vivre une relation au corps bienveillante et ancrée dans des perceptions corporelles. 2) Déroulement des séances Entretien préalable Marie se dit « mal dans son corps », évoque des sensations de gonflements, de chaleur, de bouillonnement interne, de striction dans la gorge, une impression de plein dans l’estomac, des crispations musculaires. Le contact du toucher sur la peau est difficile, notamment avec les hommes. Séance n°1 Il existe des douleurs dorsales basses et de la zone des trapèzes. En raison de la crainte d’être touchée de Marie, la prise de contact se fait par l’intermédiaire de mouvements actifs simples et ralentis, réalisés en position assise et guidée verbalement puis manuellement par le thérapeute. Le mouvement linéaire du bloc-tronc, tête vers l’avant, met en évidence la prédominance de la tête qui entraîne le corps vers le bas ainsi que la rigidité du cou et la mise en tension de la musculature dorsale. Marie prend conscience de ce fait. La séance se poursuit en thérapie manuelle sur la table par un travail d’accordage corporel et un abord crânien. Après la séance, Marie constate que son estomac lui semble plus léger, « comme si ça s’ouvrait », « la tête est aérée ». Les céphalées qu’elle avait signalées en début de séance ont disparu. Marie a perçu une détente corporelle globale, une sensation d’enfoncement des jambes dans la table à partir du traitement des épaules et du cou. Séance n°2 Dans les suites de la séance précédente, Marie a ressenti une certaine fatigue et se sent « bloquée » pour la digestion. Les sensations de gonflement corporel et de striction cervicale 62 se sont atténuées. Les contours du corps sont plus précis. Les cervicalgies et dorsalgies persistent. L’abdomen n’est pas douloureux. On retrouve une raideur générale du tronc, des membres et des contractures du cou et du dos. Le travail vise à libérer les multiples tensions et à mobiliser le diaphragme par la mise en jeu de la respiration. Marie perçoit un effet essentiellement dans la sphère digestive avec une sensation de libération des viscères notamment de l’estomac qui retrouve sa mobilité. Elle décrit un soulagement accompagné d’un flux de chaleur qui correspond à la libération de la vascularisation profonde abdominale. L’expression verbale du ressenti reste limitée, néanmoins les quelques mots de Marie permettent de réaliser que le changement s’opère en elle. Séance n°3 Marie se dit plus à l’aise et accepte les massages proposés par les infirmières dans le service. Les douleurs diffuses sont moins intenses. Il y a également une amélioration des symptômes digestifs. Marie se plaint de lourdeurs dans les jambes et de douleurs thoraciques et scapulaires à type d’élancements ponctuels. Durant cette séance, la patiente décrit spontanément ses sensations. La respiration est plus facile pendant le travail sur les jambes. Elle a la sensation de s’équilibrer et de grandir. Les jambes ne prennent plus toute la place dans la perception de son corps. Elle prend conscience des autres parties de son corps qui équilibrent son image du corps. Séance n°4 Marie revient d’une permission. Une sortie prochaine est envisagée par les médecins du service. Elle se plaint de crampes nocturnes et demande pour cette séance de l’aider à sentir ses jambes différemment. Le thérapeute associe un travail sur le mouvement sensoriel à un toucher osseux des membres et des ceintures. Marie perçoit les répercussions de cette modulation dans le ventre avec l’impression d’un intérieur « vivant ». Elle prend conscience de la zone coxo-fémorale jusque-là « imperçue » et fait la relation avec une immobilisation sous plâtre durant 6 mois à l’âge de 4 mois. Une sensation d’ouverture du haut du thorax libère la respiration, « lui fait du bien ». Elle sent 63 aussi le volume de son thorax entre les mains du thérapeute. Elle s’autorise cette sensation de bien-être. Le corps, dit-elle, est plus présent, plus exigeant mais aussi plus agréable. Le thérapeute remarque qu’elle ne dit pas encore « mon corps ». Séance n°5 Marie se dit plus à l’aise dans son corps, se sent physiquement bien. Il persiste quelques cervicalgies et une tension dans les jambes. La sortie d’hospitalisation est prévue dans quelques jours. Marie signale au thérapeute que le travail gestuel actif la met en difficulté. Après une première partie de thérapie manuelle, elle témoigne d’une prise de possession de ses jambes avec la perception d’un état de détente contrastant avec le bouillonnement habituel. Dans la suite de la séance, une détente générale s’est propagée « comme une onde » jusque dans la région cervicale. La mâchoire s’est également relâchée. Ce relâchement global a eu pour effet d’ « aérer la tête et de sortir du noir ». Elle dit appréhender différemment son corps, constate que « c’est agréable d’être avec son corps ». La fin de la séance, en thérapie gestuelle, lui permet de prendre de l’assurance, d’accorder les éléments du corps entre eux et de trouver des limites. Marie prend conscience de son potentiel d’évolution et de résolution de ses difficultés. L’expression de son visage s’est modifiée : elle est souriante, son regard est vif et brillant. Séance n°6 Marie est retournée vivre chez ses parents après sa sortie d’hospitalisation il y a trois semaines. Elle a reporté la séance plusieurs fois. Depuis sa sortie, elle n’a pas repris les cours à cause de la grève à l’université et passe donc la plupart de ses journées chez ses parents. Elle décrit des moments de tristesse mais se rend compte du contexte de leur survenue. Elle éprouve des difficultés à parler de son anxiété. Elle se dit bloquée au niveau du plexus solaire et de l’estomac. Les dorsalgies et cervicalgies sont réapparues. Sur la table le corps est crispé, la tête en hyper extension, le cou et le thorax bloqués. La séance amène une transformation de cet état vers une certaine détente corporelle. 64 Séance n°7 Marie se sent fatiguée et un peu triste : il ne se passe rien dans sa vie qui puisse l’animer. La faculté est toujours en grève, elle n’a pas d’activité motivante. La reprise prochaine des cours à la faculté lui fait peur, peur de se retrouver seule et que tout recommence. Elle n’a pas de souhait particulier pour la séance. La prise d’appui sur la chaise en préparation à un exercice de mouvement sensoriel actif amène des larmes, une émotion à laquelle elle donne sens : elle aimerait que l’on prenne soin d’elle. Un travail crânien, sur les rythmes internes et le fascia axial profond ainsi qu’un travail sur la vascularisation entraîne un changement d’état physique : elle se sent mieux, les crispations se sont détendues. Sur le plan psychique, elle se sent moins triste. Elle annonce qu’elle va débuter cette semaine la pratique du Tai Chi Chuan, une discipline qui l’attire. Séance n°8 Marie se sent moins angoissée. Les cervicalgies se sont atténuées mais elle présente des céphalées temporales. Le corps est en mouvement mais au niveau du thorax, le thérapeute ressent un manque de consistance, ce que Marie rapproche de son propre comportement dans la vie. Elle se rend compte qu’elle a réussi à adapter son mouvement aux consignes et à donner sens aux informations corporelles que le thérapeute lui donne : les parties du corps qui ne participent pas au mouvement sont celles qu’inconsciemment elle ne veut pas emmener dans le mouvement (le ventre se rétracte par exemple). En les réintégrant, elle rend le mouvement plus fluide. Séance n°9 Marie a trouvé un logement en résidence universitaire. « Tout va bien », annonce-t-elle au début de la séance. Le travail corporel met l’accent sur les membres supérieurs. Elle ne perçoit pas ses avant-bras. Les coudes et les poignets sont serrés. Le thérapeute note des tensions internes dont la patiente n’est pas consciente. Celles-ci sont libérées par la mise en mouvement dans la lenteur 65 avec une participation attentive et intentionnelle de la patiente. Elle fait d’ailleurs le lien avec son attitude habituelle : bras croisés, tenus dans les mains et plaqués contre son thorax. Synthèse clinique Lors du bilan après des neuf séances, Marie témoigne de l’intérêt qu’elle a trouvé dans ce travail nouveau pour elle malgré ses doutes et ses réticences initiales. Marie présentait au début du suivi un sentiment de dégoût vis-à-vis de son corps. Les émotions étaient totalement absentes, anesthésiées par contre le ressenti corporel était marqué par des plaintes douloureuses multiples. Elle percevait son corps comme un objet extérieur à elle. Peu à peu, Marie mentionne la sensation de détente physique et psychique découverte durant les séances et le changement de regard porté sur son corps, « comme si le corps parlait pour elle ». Auparavant son corps avait un langage de souffrance qu’elle cherchait à réprimer. Le travail gestuel avec lequel elle se sent souvent gauche et « encombrée » lui a apporté la perception d’une image du corps plus satisfaisante et d’un corps plus facile à vivre. Elle constate que son corps peut être une ressource. Elle évoque également la correspondance qu’elle a pu établir entre ses sensations corporelles et ses comportements dans la vie. Le travail se poursuit en ambulatoire après ces premières séances. A l’issue de ces deux mois de suivi, Marie a repris du poids pour atteindre un indice de masse corporel de 16,8. Sur le plan symptomatique, les conduites de vomissements provoqués ont disparu et les conduites de restriction et de sélection des aliments se sont beaucoup assouplies. Marie s’est confrontée à ses parents en leur annonçant son désir d’autonomisation et d’indépendance. Elle a été surprise de voir ses parents l’approuver dans ce projet. Sur le plan relationnel, elle a élargi son cercle d’amis à l’université en s’engageant dans une activité associative étudiante. 66 IV. Discussion 1. Des résultats intéressants L’expérience menée dans le service avec la fasciathérapeute nous est apparue très intéressante. Elle a été propice à une réflexion à partir de notre place d’interne en psychiatrie, avant tout médecin du soma mais également actif dans la démarche psychothérapeutique auprès des patientes anorexiques hospitalisées. Nous avons constaté au travers de ces deux cas cliniques que l’approche psychocorporelle a trouvé une place dans la prise en charge des patientes. Elle a permis aux patientes de vivre une relation attentive et bienveillante à leur corps. Au début de la prise en charge le thérapeute avait affaire à un corps-objet mis à distance par les patientes anorexiques. Ce corps était décrit comme disgracieux, laid voire honteux. Lorsqu’il existait dans le discours de ces jeunes filles, il était maltraité et douloureux. Le thérapeute en fasciathérapie a accueilli et même suscité les plaintes douloureuses du corps et il a obtenu le soulagement de ces plaintes par une technique manuelle. Au fur et à mesure des séances, les patientes ont intériorisé ces bonnes sensations venant de leur propre corps. Ces sensations ont amené avec elles des émotions que les patientes pouvaient ou non mettre en lien avec leur histoire. Des émotions ressenties et reconnues dans l’« ici et maintenant » de la séance ont parfois fait écho à une émotion identique attachée à un événement de leur histoire. C’est le corps vécu qui a été mis en jeu. La fasciathérapie a permis de soutenir et de potentialiser à la fois l’approche psychothérapeutique de la souffrance psychique et l’approche médicale du corps dénutri. Elle s’est révélée être un trait d’union entre les différentes facettes de la prise en charge. 67 2. L’intérêt d’une technique très structurée L’approche très structurée de la fasciathérapie basée sur une observation fine du corps anatomique nous est apparue intéressante dans le cas particulier de l’anorexie mentale. En effet les patientes anorexiques présentent une dimension obsessionnelle. Elles se réfèrent sans cesse à des connaissances livresques de la diététique ou de la physiologie du corps humain, dans une lutte anxieuse pour maîtriser ce corps qui cherche à échapper à leur contrôle. Or dans la fasciathérapie, les données de la physiologie sont également utilisées comme point d’appui de la thérapie mais à notre sens, elles se révèlent sécurisantes, rassurantes pour aborder le travail centré sur l’attention perceptive à leur vécu corporel. 3. La problématique du contact corporel Dans une approche psychodynamique, la psychomotricienne Catherine Potel, met en garde vis-à-vis du toucher et de ses risques d’excitation chez les adolescents [67]. Cependant, en raison de son cadre thérapeutique structuré et respectueux ainsi que de son abord anatomique comme point d’appui, la fasciathérapie nous semble pouvoir faire fonction de « pareexcitation » pour les patientes. 4. L’articulation des différentes approches thérapeutiques Dans notre expérience clinique, la fasciathérapie s’est avérée complémentaire de l’approche psychothérapeutique individuelle. Elle a favorisé un aspect dynamique de la psychothérapie. Certaines patientes ont pu faire des associations entre un vécu corporel ressenti pendant la séance et un élément élaboré en psychothérapie individuelle. On a évoqué l’exemple de Sarah qui a fait elle-même un lien entre l’asymétrie de son bassin et des attouchements sexuels de la part d’un aïeul. Le thérapeute ne cherche pas ici à « appuyer » sur cet élément biographique, il propose un travail de détente corporelle pour sécuriser la patiente. 68 5. La dimension relationnelle de la thérapie Il nous semble que la dimension relationnelle du soin, même si elle est un peu abordée dans la théorie de la fasciathérapie, est essentielle à prendre en compte. Le thérapeute prend une position active car il est engagé physiquement dans la relation. Le corps du patient et son propre corps sont mis en interaction de façon directe à l’aide d’une technique. Le thérapeute utilise son propre corps comme outil lorsqu’il cherche à remettre en ordre le corps du patient, ici par une action sur les fascias. Mais le corps du thérapeute est aussi le médiateur de la relation à l’autre. Cette réflexion sur l’aspect relationnel de la thérapie psychocorporelle est particulièrement développée par les psychomotriciens. Nous citerons l’article de Raynaud, Danner et Inigo sur les thérapies psychomotrices dans lequel ils soulignent « l’importance d’une réflexion et d’un travail sur le propre vécu corporel du thérapeute, afin de permettre une implication et une distanciation entre son propre corps (ses sensations, ses affects) et son savoir-faire avec ce corps, dans la relation thérapeutique. S’il existe une réciprocité d’échanges dans une interaction patient-thérapeute, il ne faut pas oublier que l’un est demandeur d’aide [68] ». De notre place de psychiatre, l’analyse du transfert et contre-transfert apparaît importante à considérer dans la prise en charge. Les mouvements régressifs des patientes anorexiques présents à l’occasion de tout soin physique doivent être particulièrement pris en compte dans une thérapie psychocorporelle. Ces mouvements régressifs ont été élaborés dans l’équipe soignante. 69 V. Etude clinique sur l’impact de la fasciathérapie dans l’anorexie mentale Pour poursuivre notre exploration des effets de la fasciathérapie sur l’évolution clinique des patientes traitées, nous avons élaboré un protocole d’évaluation basé sur des données quantitatives. Cette étude clinique comparative prospective avec groupe contrôle est menée actuellement dans le service d’hospitalisation. 1. Objectifs Les objectifs de l’étude sont : - mesurer l’impact de la fasciathérapie sur l’évolution clinique des patients, - déterminer sur quelles dimensions agit préférentiellement cette thérapie. 2. Matériel et méthode a. Patients et procédure 1) Procédure Deux groupes appariés de patientes anorexiques restrictives hospitalisées à temps complet pour une durée supérieure à 9 semaines sont constitués. Le premier groupe est traité par la prise en charge classique et standardisée pratiquée dans le service d’hospitalisation de l’Hôpital Saint-Vincent-de-Paul. Le deuxième groupe est traité par la même prise en charge standardisée à laquelle s’ajoute une prise en charge en fasciathérapie pendant deux mois, soit 9 séances hebdomadaires. La prise en charge hospitalière standardisée des patientes comprend : - des mesures de renutrition, - des conseils diététiques, 70 - une prise en charge somatique adaptée aux conséquences de la dénutrition (rhumatologiques, gynécologiques, métaboliques), - une prise en charge psychothérapeutique, d’orientation cognitive et psychodynamique, - une psychothérapie familiale, - une prise en charge en psychomotricité, - une prise en charge groupale, - des soins infirmiers de massage-effleurage, - des soins esthétiques. L’évaluation clinique se fait à deux temps distincts : avant le traitement et après les deux mois de traitement. 2) Patients Les critères d’inclusion sont les suivants : - Sujet de sexe féminin, - Age compris entre 15 ans et trois mois et 25 ans, - Diagnostic d’anorexie mentale posé selon les critères diagnostiques du DSM IV par un médecin psychiatre du service, - Sujet bénéficiant d’une prise en charge hospitalière pendant les 9 semaines de l’étude. Indice de masse corporelle (IMC) compris entre 12 et 15. Les critères d’exclusion sont: - Comorbidité psychiatrique majeure (état dépressif majeur, trouble psychotique, trouble bipolaire de l’humeur), - Présence d’une maladie somatique associée ayant des conséquences majeures sur l’alimentation ou le poids, - Présence d’un traitement psychotrope, - Patient refusant de participer à l’étude ou refus des parents dans le cas de sujets mineurs, - Illettrisme, incapacité à communiquer en langue française. 71 b. Méthode d’évaluation L’évaluation est menée à partir de données médicales et sociodémographiques issues du dossier médical des patients et à partir d’une auto-évaluation par questionnaires validés. 1) Recueil des données sociodémographiques et médicales - Age - Niveau d’études - Catégorie socio-professionnelle - Situation maritale - IMC au début et à la fin de l’étude - Durée d’évolution de la pathologie avant la prise en charge actuelle - Durée d’hospitalisation dans le service - Antécédents médicaux, chirurgicaux et psychiatrique - Antécédents familiaux de troubles des conduites alimentaires 2) Auto-questionnaires A l’indice de masse corporelle (IMC) sont associés les auto-questionnaires suivants : - l’échelle de dépression de Beck (Beck Depression Inventory), - les échelles d’anxiété-trait et d’anxiété-état (Spielberger State-Trait Anxiety Inventory), - l’inventaire des troubles des conduites alimentaires (Eating Disorders Inventory-2) avec ses huit sous-échelles : recherche de minceur, conduites boulimiques, insatisfaction corporelle, inefficacité, perfectionnisme, méfiance dans les relations interpersonnelles, conscience intéroceptive et peur de la maturité ; - l’échelle de préoccupations corporelles (Body Shape Questionnaire), - l’échelle d’amplification des sensations corporelles (Somato Sensory Amplification Scale), - le questionnaire d’image corporelle (Body Image Questionnaire). 72 c. Premiers résultats de l’étude Les premiers résultats quantitatifs de l’essai clinique en cours montrent dans le groupe de patientes ayant reçu un traitement par fasciathérapie une amélioration significative sur plusieurs dimensions : - la dépression, - l’anxiété trait et état, - la dimension « insatisfaction corporelle », - les préoccupations corporelles, - l’image corporelle globale. L’expérience menée avec la fasciathérapie a montré des résultats encourageants. Les patientes traitées ont appréhendé de façon inédite le vécu de leur corps. Cette expérience ouvre des perspectives intéressantes quant à la validation de la fasciathérapie dans le traitement de l’anorexie mentale. Ces résultats encourageants devront être comparés à ceux obtenus dans un groupe contrôle apparié. 73 CONCLUSION La rencontre avec les patientes anorexiques réinterroge notre approche de la maladie et du corps. De nombreuses tentatives de compréhension dans les champs psychopathologique et somatique ont été proposées et s’intègrent dans un modèle polyfactoriel de l’anorexie mentale. La dimension psychosomatique de cette pathologie et les difficultés rencontrées dans la prise en charge des patientes nous incitent à penser de nouvelles stratégies thérapeutiques centrées sur le corps comme médiateur du soin. Parmi ces stratégies, les thérapies psychocorporelles trouvent une application particulièrement pertinente dans une prise en charge multimodale de la pathologie anorexique. Dans ce travail, nous avons proposé l’exposé d’un projet de soin associant une thérapie psychocorporelle, la fasciathérapie, aux modalités thérapeutiques habituellement utilisées chez des patientes anorexiques hospitalisées. L’expérience de cette thérapie a montré des résultats particulièrement intéressants sur l’évolution clinique des patientes. En s’appuyant sur un abord anatomophysiologique via le système des fascias, tissus de soutien des différentes structures corporelles, la fasciathérapie a apporté aux patientes un soulagement des tensions musculaires et une reconnaissance de la souffrance vécue dans le corps. Mais surtout, par le travail sur la proprioception, elle a permis l’apprentissage de nouvelles perceptions corporelles dans un cadre thérapeutique rassurant et contenant. Enfin elle a favorisé la reconnaissance de mouvements émotionnels jusqu’alors peu accessibles. A partir de ces résultats cliniques encourageants et afin de valider l’indication de fasciathérapie dans l’anorexie mentale, nous poursuivons actuellement l’évaluation des bénéfices de cette approche thérapeutique par un essai clinique auprès de patientes anorexiques hospitalisées. 74 BIBLIOGRAPHIE [1] Léonard T, Foulon C, Guelfi JD. Troubles du comportement alimentaire chez l’adulte. 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