Communication scientifique Projet pédagogique

publicité
Cours COMM-F-500
Communication
scientifique
Projet pédagogique
Université Libre de Bruxelles
Michel Claessens, Commission européenne
Marie-José Gama, Université Libre de Bruxelles
Michel Claessens est Chef adjoint de l'Unité Communication
à la Commission européenne (DG Recherche).
Marie-José Gama est responsable de la Cellule « Inforsciences » de l'Université Libre de Bruxelles.
N° de vacance : 07/015
Poste au cadre : 06-B-PRO-014
Mai 2007
-1-
Projet pédagogique
Ce document décrit le projet pédagogique proposé par les deux titulaires pour le cours
COMM-F-500 de communication scientifique mis sur pied par l'Université Libre de Bruxelles,
dans le cadre des Masters en sciences. Les grandes lignes de ce projet sont les suivantes :
•
le cours se veut être une introduction aux différentes facettes, théoriques et pratiques, de
la communication scientifique actuelle, y compris dans sa dimension européenne ;
•
les deux titulaires considèrent que le cours doit être accessible et utile tant aux
étudiant(e)s qui s'engageront dans une carrière professionnelle dès leur formation
terminée qu'à ceux et celles qui seront actifs plus tard dans le champ de la
communication scientifique. Quelle que soit l'orientation choisie par les étudiants, ceuxci seront confrontés à des questions de communication scientifique, de plus en plus
prégnante à tous les niveaux ;
•
le cours est structuré sur les compétences et expériences respectives et complémentaires
des deux titulaires, qui considèrent depuis longtemps que la vulgarisation et la
communication de la science sont des activités importantes qui sont un prolongement
normal de l’activité scientifique. D’abord parce que la science est communication.
Ensuite parce que informer et associer le public aux avancées de la technoscience est plus
que jamais indispensable. A noter dans ce contexte que le fil rouge du cours visera à
présenter la communication comme partie intégrale de l'activité scientifique : "Je
vulgarise pour comprendre ce que je fais", a coutume de dire le physicien des hautes
énergies Michel Crozon.
Les deux titulaires sont convaincus qu'une approche de la communication scientifique
doit reposer à la fois sur les résultats des recherches effectuées et sur les expériences du terrain.
Aussi le programme proposé pour le cours intègre-t-il les trois composantes suivantes :
•
bases théoriques
•
travaux pratiques (discussions, recherches, ateliers, visites)
•
présentation de l'état de l'art de la communication de la science.
Parmi les travaux pratiques envisagés, les deux titulaires proposent notamment :
•
rencontres avec des journalistes scientifiques professionnels, des organisateurs
d'événements de science, etc.
•
réalisation de divers supports de communication scientifique : préparation de podcasts,
rédaction de communiqués de presse, réalisation de posters, élaboration de dossiers
-2-
thématiques, etc. en relation avec les actions de diffusion de la culture scientifique
développées par les deux postulants
•
participation à certains événements organisés par la Cellule Infor-sciences et la Direction
générale de la recherche de la Commission européenne (à déterminer en fonction des
actualités)
•
visite du centre de presse de la Commission européenne.
Pratiquement :
•
seules les notions théoriques seront transmises de façon ex cathedra
•
une large place sera accordée à la discussion avec les étudiants
•
une partie des travaux pratiques seront communs à tous les étudiants et organisés sous
forme de travaux encadrés (analyse de communiqués de presse, rédaction de
communiqués, initiation à l’élaboration de podcasts, ainsi que certains travaux de
recherche d’information)
•
chaque étudiant(e) devra, en plus, réaliser un travail personnel de communication
scientifique
•
des notes de cours, des enregistrements audio des cours théoriques ainsi qu’une
documentation appropriée seront mis à disposition des étudiants
•
les évaluations se fera sur base de la participation des étudiants aux séances de travaux
encadrés, du travail personnel et d’un examen oral.
-3-
Table
Projet pédagogique ................................................................................................................................. 2
Pratiquement : ........................................................................................................................................... 3
I.
Quelques définitions .................................................................................................................... 5
II.
Bases théoriques de la communication..................................................................................... 7
III.
Science et technologie au XXIème siècle .............................................................................. 8
IV.
La communication des scientifiques: peer review et publications scientifiques ................ 9
V.
Les Européens et la science: état de l'opinion publique ...................................................... 10
VI.
Histoire de la communication publique de la science .......................................................... 13
VII.
Sciences et médias .................................................................................................................. 15
VIII.
Aperçu des pratiques de la communication de la science................................................ 17
IX.
Communication de la science: un bilan.................................................................................. 18
X.
La communication de la science vue par les scientifiques................................................... 19
XI.
Technologies et communication .............................................................................................. 23
XII.
Approche sectorielle de la communication scientifique................................................... 26
XIII.
Communication et crises....................................................................................................... 27
XIV.
Pistes de réflexion .................................................................................................................. 28
XV.
Lectures ................................................................................................................................... 30
-4-
I.
Quelques définitions
Ce cours propose une introduction aux différentes facettes de la communication
scientifique. Ce qui pose immédiatement une première série de questions : qu'entendons-nous par
« communication » ? Quelle est la différence avec « information » ? Qu'est-ce que la « culture » ?
Ce domaine véhicule en effet quantité de mots conceptuellement différents et pourtant
apparemment interchangeables. C'est aussi vrai dans le champ de la communication scientifique
où l'on observe une grande confusion, sémantique voire conceptuelle, entre information,
communication, vulgarisation, culture, public understanding, etc.
Au-delà d'une tentative de donner aux mots une claire définition, il nous faudra également
poser une question fondamentale : communiquer la science a-t-il un sens ? Une théorie ou une
équation scientifique ne fait pas l'objet d'une tractation entre partisans et détracteurs. Elle est vraie
ou pas. Ou, plus exactement, vérifiée ou pas par l’expérience. Elle doit être testée mais pas
discutée. Elle peut faire l'objet d'une information mais elle ne se communique pas. Ce qu’on
appelle la « communication publique de la science » est essentiellement une communication sur
les applications et les inconnues de la science (plus rarement sur les limites de celle-ci).
En guise d'introduction et pour clarifier le propos, nous proposons ci-dessous quelques
définitions, sur lesquelles s'engagera une réflexion critique avec les étudiants :
•
Information: désigne tout ensemble de données pertinentes que le système nerveux
central est capable d'interpréter pour se construire une représentation du monde et pour
interagir correctement avec lui.
•
Communication: désigne un échange d'informations, une mise en commun de
connaissances. La notion d'aller-retour est ici centrale. Selon Shannon et Weaver, la
communication est un processus impliquant six éléments : le message, envoyé par un
émetteur et écrit dans un langage, est acheminé vers des récepteurs via des canaux dans
lesquels circule également du bruit (voir aussi p. 16).
•
Vulgarisation: consiste à expliquer des concepts scientifiques à l'aide de mots simples
(« vulgaires ») afin qu'ils puissent être compris du grand public, ainsi que de
professionnels et chercheurs d'autres disciplines. Certains préfèrent parler de «
popularisation », de « publicisation » (Schiele) ou encore de « médiation ».
•
Culture: il s'agit, au sens français et latin, de l'ensemble des connaissances d'un individu
et de sa capacité de juger et d'apprécier les produits de la création humaine. La culture
scientifique désigne ainsi le bagage de connaissances scientifiques qu'un individu possède.
-5-
On considère qu'un bagage scientifique minimum (mais croissant) est nécessaire pour
faire face aux problèmes, questions et choix d'actualité possédant une dimension
scientifique et technique.
•
Compréhension publique: mieux connue sous son intitulé anglais de public
understanding (of science), cette expression est proche de la scientific literacy
(l'expression scientific culture étant peu utilisée par les Anglo-Saxons). Un vaste
mouvement initié au Royaume-Uni a eu pour but de développer la compréhension (par le
public) de la science. A noter que l'on parle de public understanding et non de public's
understanding.
•
Science: nous laisserons aux étudiants le soin d'en donner une définition…
Théorie (h)
1
Pratique (h)
2 (travaux et recherches des étudiants sur les définitions
par exemple d'éclairages originaux sur les concepts
discutés)
-6-
II.
Bases théoriques de la communication
Seront présentés dans ce module les principaux développements théoriques de la
communication, depuis les années 1945-1950 et les travaux fondateurs de Shannon et Weaver sur
le processus de communication proprement dit. On rappellera aussi que la communication est un
besoin fondamental de l'être humain, nécessaire à son processus d’ « humanisation » (cf. le cas des
enfants sauvages).
Seront abordés les aspects suivants :
•
Modes de communication (écrite, verbale, etc.)
•
Principaux types de communication (communication interpersonnelle, communication de
masse, etc.)
•
Principaux modèles de communication (Shannon et Weaver, Laswwell, école de PaloAlto, etc).
Dans ce contexte, nous insisterons sur les cinq grandes questions auxquelles doit répondre
tout acteur de la communication, scientifique ou pas (Quintilien et Lasswell) :
•
Qui : étude du ou des émetteurs
•
Dit quoi : se rapporte à l'analyse du contenu du message
•
Par quel média : ensemble des techniques utilisées pour diffuser l'information
•
A qui : vise l'audience, c’est-à-dire les publics récepteurs
•
Avec quels effets : influences du message sur l'audience
Si la communication est une fonction naturelle chez l'homme, la question qui se pose est
la suivante : comment optimiser la communication ? Plusieurs difficultés sont à noter dans ce
contexte, dont notamment :
•
l'importance du bruit de fond (renforcée par la multiplicité des émetteurs et certains
développements technologiques)
•
l'importance des connaissances préexistantes, des représentations mentales et donc de
certains aspects liés au dialogue interculturel.
Théorie (h)
1
Pratique (h)
2 (travail d'analyse des grandes évolutions du XXème
siècle, de la politique de communication de la
Commission européenne, etc.)
-7-
III. Science et technologie au XXIème siècle
Afin de contribuer à mettre à niveau les connaissances des étudiants, cette partie du cours
brossera à grands traits l'évolution de la science et de la technologie depuis le début de XVIIIème
siècle.
Les grandes étapes suivantes seront présentées :
•
le scientisme et les Lumières, qui développent l'idée d'un parallélisme entre le progrès des
sciences et des techniques et le progrès tout court ;
•
la révolution industrielle : les premiers débats sur la relation entre progrès technique et
niveau d’emplois ;
•
le projet Manhattan et le « modèle linéaire » : le paradigme de Bush influence encore
aujourd'hui les politiques de recherche des pays industrialisés ;
•
la société de l'information : vers un village global et une économie mondiale dominée par
l’accès et l’échange du savoir ;
•
de la technoscience1 aux grandes tendances actuelles : instrumentalisation, interconnexion
et fragmentation de la science.
Seront abordés aussi :
•
La stratégie de Lisbonne et le projet européen
•
Le rôle des pays en développement. La technoscience est essentiellement (mais pas
exclusivement) un produit du monde occidental. Or des pays en développement comme la
Chine et l'Inde investissent aujourd'hui massivement dans la recherche scientifique.
Quelles en sont les conséquences ? Quel impact pour la science ? Et pour la
communication de celle-ci ?
Théorie (h)
1
Pratique (h)
1 (discussion avec les étudiants : quelles sont les
conséquences en termes de communication des
grandes tendances actuelles du système scientifique ?)
1
Le concept-clé est ici celui de technoscience, introduit par Gilbert Hottois (Le Signe et la technique, Aubier
Montaigne, 1984). Il souligne utilement la liaison intime qui associe désormais science et technique, technique et
science. Car si la technique ne peut aujourd'hui plus se passer de la science, l'inverse est aussi vrai : les progrès de la
science impliquent en effet le recours à des instruments de mesures et des dispositifs expérimentaux de plus en plus
sophistiqués. L'outil est désormais un acteur privilégié dans l'avancement des sciences, à la fois conséquence et cause des
découvertes techniques et des nouveaux concepts.
-8-
IV. La communication des scientifiques : peer
review et publications scientifiques
Le premier niveau de la communication scientifique est celui de la dissémination inter
pares des connaissances. Celle-ci est la pierre angulaire sans laquelle la marche en avant de la
science est impossible. Prenant ses origines au XVIIIème siècle, les us et coutumes particuliers qui
ont forgé la validation des savoirs ont avant tout pour but d'assurer une « garantie d'intégrité et de
qualité » sous la forme d'un système assez unique de cooptation démocratique. Le peer review – la
relecture par des pairs indépendants, habilités à donner leur imprimatur pour la publication des
comptes rendus de recherche dans les revues disciplinaires – constitue la clé de voûte de la
communication et même du fonctionnement de la science.
Ce module présentera le paysage actuel. Près de 16.000 revues scientifiques publient bon
an mal an quelque 1,2 million d'articles. Ce marché – car c'en est un – qui brasse, à une échelle
mondiale, une masse financière dépassant 20 milliards d’euros, est à bien des égards atypique.
Financée par les budgets de recherche – largement publics – des institutions académiques et
scientifiques, la « matière première » est en effet gratuite pour les éditeurs. Les auteurs ne
touchent traditionnellement aucune redevance pour leurs contributions, ce que les Anglo-Saxons
résument sous l'appellation author-free. Les utilisateurs finaux – les scientifiques pris
individuellement – lisent également les revues gratuitement, car ce sont les bibliothèques de leurs
institutions qui paient les souscriptions d'abonnement et qui sont in fine, dans la plupart des cas,
imputées sur les budgets globalement disponibles pour leurs recherches.
Sera présentée également l’étude sur « L’Evolution économique et technique des marchés
de publication scientifique en Europe », commanditée par la Commission européenne, qui a
permis d'initier un débat européen sur ces questions. Elle fournit une analyse économique des
marchés européens de la publication scientifique et expose une série de recommandations. Suite à
cette étude, une consultation publique a eu lieu entre le 31 mars et le 15 juin 2006. La
Commission européenne a ensuite publié une Communication sur « L’information scientifique à
l’ère numérique, accès, diffusion et conservation », à l'initiative de Janez Potočnik, Commissaire
chargé de la science et de la recherche, et de Viviane Reding, Commissaire chargée de la Société
de l’information et des médias, en février 2007. Ce document occupe une place déterminante dans
le débat politique sur le système d’information scientifique.
Théorie (h)
1
Pratique (h)
3 (lecture et analyse critique de l'étude européenne sur
les publications scientifiques ; visite-rencontre d'un
éditeur scientifique)
-9-
V. Les Européens et la science : état de
l'opinion publique
Que pensent aujourd'hui les Européens de la science, de la technologie et de leur
contribution au bien-être ? Au moment où le ciel européen de la recherche est traversé de
turbulences et de vents contraires, il est utile de présenter les principaux résultats d'un sondage
Eurobaromètre effectué dans 32 pays - une première – par la Commission européenne en 2005.
Les rapports publiés brossent, à grands traits, un instantané du progrès, ainsi que de sa partie
immergée ou moins visible - en tout cas moins médiatisée.
La partie émergée est, elle, bien connue car fréquemment portée par les vagues de
l'actualité sous les phares des média. Les oppositions parfois violentes exprimées à l'égard du
nucléaire et des OGM - pour ne citer que ces deux exemples - ont plongé la société dans une
frilosité durable puisque leur développement est aujourd'hui pratiquement paralysé en Europe. Et
des critiques, dépassant le cadre de ces techniques-ci, mettent en cause cette idéologie-là d'un
progrès basé sur la science. Tony Blair a ainsi appelé ses compatriotes à ne pas céder au
«mouvement anti-science » qui, selon lui, gagne et menace la grande Albion.
Certes, 54% des Européens considèrent l'alimentation à base d'OGM comme dangereuse
(60% en France)2. Ils sont près de 80% à penser que le clonage reproductif ne devrait jamais être
utilisé. Mais ce nouvel Eurobaromètre met également au jour des aspects moins connus – ou
moins médiatisés - de l'opinion publique. Ainsi, les Européens gardent confiance dans la
technoscience, même si les pays les plus riches sont aussi les moins optimistes. 78% d'entre eux
sont convaincus que la science et la technologie vont améliorer la qualité de la vie des générations
futures. La même proportion exprime un intérêt pour la science, et davantage de jeunes encore.
Cette partie immergée est très robuste, car pratiquement inchangée en quinze ans.
On peut voir dans ce progrès à double visage l’expression d’un jugement populaire tout
en nuances. D'une part, la recherche scientifique et le développement technologique sont vus
comme bien ancrés dans la société. Les Européens sont redevables à la science de l'amélioration
de la qualité de la vie mais rejettent l'idée d'un progrès décidé et construit en marge de la société.
Ils sont près de la moitié à considérer que les scientifiques portent une part de responsabilité dans
les applications négatives de la recherche. Les statistiques exhibent les stigmates de l'histoire
2
Sauf mention explicite, tous les chiffres relatifs à l’opinion des Européens sur la science et la technologie sont
extraits de deux rapports publiés en 2005 par la Commission européenne : Europeans, science and technology et
Social values, science and technology, Bruxelles, 2005. Ces rapports font suite à un sondage dont nous avons coordonné
la réalisation dans les 25 Etats membres de l’Union plus la Bulgarie, la Croatie, l’Islande, la Norvège, la Roumanie, la
Suisse, la Turquie. Les conclusions ainsi que les informations techniques sur les sondages sont disponibles sur le site
Internet de la Commission européenne : http://ec.europa.eu/research/science-society/page_en.cfm?id=3109.
- 10 -
récente. On se souvient du choc créé, le 22 février 1997, par la naissance de Dolly, le public
découvrant soudainement, avec le premier mammifère cloné, la portée de recherches initiées des
années plus tôt. Dans la commercialisation des premiers OGM, le public européen a également été
pris de court et, surtout, ne voit pas le progrès qu'apporte cette technologie. Etant juges et surtout
parties, les scientifiques n'acceptent pas facilement le rejet d'une recherche, que le public perçoit le
plus souvent par ses applications immédiates et ses implications futures. Cette demande sociale
est actuellement mal prise en compte en Europe, où il semble urgent de multiplier, comme le
propose d'ailleurs un nombre croissant de scientifiques, les conférences de consensus ou de
citoyens3. Ces événements particuliers, largement pratiqués dans les pays scandinaves et
probablement les seuls espaces-temps de vraie communication scientifique dans nos sociétés, ont
démontré leur capacité à apporter une réponse citoyenne et éclairée à des questions complexes.
Encore faut-il que les politiques prennent en compte les conclusions formulées. Et que ces
conférences soient organisées au niveau européen ou, mieux encore, international. A quoi bon
interdire, mondialisation oblige, une technologie au seul niveau national ?
L'Eurobaromètre montre aussi que les Européens fondent de grands espoirs dans les
potentialités de la science. Près de 90% estiment que la science contribuera à guérir le cancer et
67% contestent l'affirmation selon laquelle la recherche n'est pas importante pour le
développement industriel. Le soutien à la recherche publique est aussi très clair : une majorité
souhaite que les gouvernements (57%; 68% en France) et l'Union européenne (59%; 66% en
France) y consacrent davantage de moyens.
Même si les données portent en elles les imperfections des sondages d'opinion, les
tendances qu'elles expriment sont suffisamment fortes que pour susciter la réflexion et inciter à
l'action. Nos dirigeants feraient bien d'en tenir compte. Certes, la science ne se fait pas par
sondage. Mais les Cassandre de la recherche ne doivent pas monopoliser les forums.
En espoir de cause, tous les éléments semblent présents pour permettre à l'Europe de
redevenir l'une des régions du monde à la pointe de l'entreprise scientifique et technologique, d'en
tirer les bénéfices et de modifier, le cas échéant, les sens du progrès.
Cette partie du cours permettra aussi d'engager une réflexion avec les étudiants sur ces
questions, et en particulier le rôle de la communication dans ce contexte. Comment se forge, en
effet, l'opinion des Européens sur la science et la technologie ? Le niveau de développement
économique joue un rôle car les habitants des pays les plus riches sont aussi les moins favorables.
Ils mesurent à la fois les aspects positifs et les impacts négatifs du progrès. Le scepticisme a été
renforcé par les crises récentes et la gestion de celles-ci. Ce qui pose la question du rôle de la
communication :
3
Il est intéressant de constater que les Européens ne souhaitent pas, à titre personnel, être plus impliqués dans ces
décisions. Ils sont prêts à déléguer et se faire représenter. Mais la courroie de transmission démocratique ne semble
- 11 -
•
est-il positif, en contribuant à développer un climat de transparence et la « dimension
épistémique de la formation démocratique de l'opinion publique » (Habermas, 2007) ?
•
est-il négatif, en mettant en lumière la face noire du progrès et en sciant, en quelque sorte,
la branche sur laquelle nous sommes assis ?
Seront abordés aussi :
•
Réalisation des sondages d'opinion
•
La culture scientifique
Théorie (h)
1
Pratique (h)
4 (travail des étudiants sur une question choisie : quels sont les facteurs
qui forgent l'opinion des Européens sur la science et la technologie?
Comment mesurer de la culture scientifique et de sa possible
évolution ?)
donc pas fonctionner de façon satisfaisante.
- 12 -
VI. Histoire de la communication publique
de la science
La diffusion la plus élargie de la culture et de la compréhension de la science est aussi
ancienne que la science moderne. Depuis le siècle des Lumières, elle a été portée par l'instauration
de l'éducation scolaire généralisée et par la tradition continue d'une culture de la vulgarisation de
ses grandes avancées.
A la fin des années 1940, les Américains Claude Shannon, un ingénieur, et Warren
Weaver, un philosophe, s'appliquent à résoudre les problèmes de la transmission télégraphique,
l'objectif étant que le signal arrive à la cible dans son état le plus proche de celui au niveau de la
source. En préalable, Shannon et Weaver définissent un acte de communication comme un
processus impliquant six éléments : le message, envoyé par un émetteur et écrit dans un langage,
est acheminé vers des récepteurs via des canaux. Il faut également tenir compte du bruit, qui
désigne ici tout phénomène endommageant la transmission et la qualité du message et qui fait que
celui-ci n’est plus tout à fait le même à la réception qu'à l’émission.
Au début des années soixante-dix sont organisées les premières grandes campagnes
d'information scientifique, après que des enquêtes d’opinion publique, d’abord aux Etats-Unis puis
en Europe, aient cru mettre au jour de graves lacunes dans le bagage scientifique du citoyen «
moyen ». Pour répondre à ce problème, les Anglo-Saxons ont développé le « modèle du déficit »
(déficit model), qui postule que la principale difficulté est le manque de culture scientifique de
l'homme de la rue (que nous sommes tous). Le modèle a largement dominé la littérature dédiée à
la communication et à la culture scientifique jusqu'au tournant du millénaire environ.
On notera, dans ce contexte, l'influence de la vitesse du développement scientifique et
technique. L'émergence de plus en plus rapide de nouveaux concepts et de mots inconnus du
public (quarks, Internet, nanotechnologies, etc.) a donné aux citoyens l'impression (fausse) que le
bagage reçu à l'école est obsolète et inadapté.
Après la vague de la « popularisation » de la science, nous sommes entrés dans une phase
de « communication ». Les Anglo-Saxons parlent de « engaging with the public ». Ce modèle
explique l’émergence, au cours des dernières années, de nouvelles initiatives telles que les cafés
de science, la science dans la rue, etc., qui ont pour but d’établir un contact avec les citoyens dans
des lieux où la science n’est pas attendue (parkings, supermarchés, prisons, etc.). Le dialogue
remplace le monologue. C’est en tout cas l’objectif affirmé.
- 13 -
Cette évolution de la communication scientifique reflète aussi l'évolution de nos
conceptions concernant la science moderne et en particulier celles du sociologue américain Robert
King Merton, qui a décrit, dès la fin des années 1930, la science comme un sous-système social
quasiment autonome, distinct de l’économie, du religieux ou du politique. Mais au cours de la fin
du siècle passé, les propositions mertoniennes sont de plus en plus attaquées, sous l'influence
notamment de ce qu'on appelle désormais la « nouvelle sociologie des sciences ». Sous les coups
de l’affaiblissement de l’université, de l’estompement des frontières entre disciplines scientifiques
et du transfert du contrôle de la direction et du contenu des programmes de recherche du monde
scientifique vers l’Etat et l’industrie (évolution qui participe à ce que nous appelons l'«
instrumentalisation de la recherche »), de nouvelles relations se sont mises en place. Elles se
caractérisent par une nouvelle interdisciplinarité, une grande mobilité de groupes temporaires
d’experts organisés provisoirement autour de la résolution de problèmes urgents et la primauté des
problèmes économiques et sociaux dans la décision de développer telle ou telle recherche.
Parallèlement, elles ont donné naissance à une nouvelle forme de production des connaissances, à
côté de la forme traditionnelle, dénommée « mode 2 » par opposition au « mode 1 » académique.
L'une des implications du « mode 2 » est qu'il est plus difficile de déterminer où finit la science
et où commence la société. Ces thèses ont également influencé la manière de penser la
communication des sciences, en offrant des fondements théoriques aux nouveaux langages de la
communication de la science, qui insistent sur le dialogue (« engagement ») avec le public :
conférences de consensus et de citoyens, forums interactifs, participation du public…
En réalité, la communication est au cœur de la production scientifique. « La recherche
n'existe que communiquée ». Bernard Schiele a par exemple montré que la pensée scientifique et
la pensée vulgarisatrice cheminent de concert depuis le XVIIIème siècle4. La science est donc
communication.
Seront abordés aussi :
•
Histoire de la communication de la science en Belgique
•
Les canulars scientifiques comme exemples de communication de la science.
Théorie (h)
1
Pratique (h)
0
4
B. Schiele, Enjeux cachés de la vulgarisation scientifique, Communication-Information, vol. V, n°2-3 (1983).
- 14 -
VII. Sciences et médias
La presse : que n'a-t-on dit et écrit à son sujet ! Et les journalistes scientifiques ou, plus
exactement, les journalistes couvrant les sujets de science, n'y font pas exception !
Paradoxalement, les chercheurs considèrent souvent qu’une communication à la presse est non
seulement nécessaire mais également suffisante pour informer voire éduquer le public et
communiquer ses résultats à la société. Cette partie du cours commencera par rappeler la mission
de la presse et dresser ensuite un panorama des médias scientifiques européens.
Lorsqu’on aborde le thème de la communication et des relations avec la presse, les
chercheurs s’expriment invariablement d’une seule voix et les reproches à l'intention des
journalistes pleuvent : travail de pauvre qualité, mauvaise retranscription des interviews,
introduction d'erreurs, simplification à outrance, approches sensationnalistes, etc. Ces critiques ne
sont pas propres, tant s’en faut, au monde de la science.
En revanche, les médias sont aujourd'hui instrumentalisés par la communauté scientifique
et industrielle. Ceux-ci sont considérés, en forçant le trait, comme de vulgaires « caisses de
résonance » permettant d'amplifier l'impact (et les retombées) d'un travail. Dans ce contexte, on
doit relever des aspects importants et des évolutions récentes :
•
le média visé dépend notamment de l'organisation à la source (université, PME, etc.) ;
•
la transparence a des limites : il y a des choses que l'on communique et d'autres qui sont
retenues ;
•
cette instrumentalisation s'accompagne d'une professionnalisation de la communication
scientifique avec notamment le développement des chargés de presse (press officers) dont
se dotent la plupart des organisations de recherche.
On remarquera aussi que les métiers de chercheurs et de journalistes présentent de
nombreux points communs. On peut penser aussi que ces réserves et ces sentiments négatifs des
chercheurs, récurrents à travers nombre d'enquêtes, proviennent, en partie au moins, d'une
méconnaissance - réciproque par ailleurs - du métier de l'autre. Le cours présentera les grands
médias européens (et belges) sous l'angle de la science (revues primaires, semi-scientifiques et
presse généraliste).
S'interroger sur le rôle des médias et de la presse scientifique nous amène inévitablement
à poser une question essentielle : comment la science est-elle portée à la connaissance ? Comment
le public s'informe-t-il des avancées scientifiques et techniques ? Qui, en termes de qualification,
- 15 -
est bien placé pour expliquer au public les tenants et les aboutissants de la technoscience ? Le
public européen accorde-t-il sa préférence à la voix des journalistes ou au poids des scientifiques ?
On note aussi que diverses initiatives visent à élargir systématiquement la diffusion des
travaux des chercheurs, comme celle d'assortir les articles scientifiques ou les thèses de doctorat
de résumés vulgarisés. Le cours abordera les tendances européennes dans ce domaine et
notamment les dispositions prises dans le 7ème programme-cadre de l’Union européenne.
Seront abordés aussi :
•
Panorama des médias européens et de la place consacrée à la science
•
La science dans les médias belges
Théorie (h)
1
Pratique (h)
4 (rédaction de communiqués de presse, visite centre de presse)
2 (lecture, résumé et recommandations d'études européennes sur
le sujet (prévues pour l'automne 2007)
- 16 -
VIII.
Aperçu des pratiques de la
communication de la science
Contrôler la marche du progrès a-t-il un sens ? Et pour aller dans quel sens ? Dans une
société qui repose aussi étroitement sur la science et la technologie, notre seule marge de
manœuvre se réduit-elle à anticiper l’évolution technoscientifique et à nous adapter à celle-ci ?
Une véritable culture de la communication publique de la science est plus que jamais
indispensable.
Cette partie du cours reprendra les 5 grandes questions auxquelles doit répondre tout
acteur de la communication scientifique (Quintilien et Lasswell), déjà abordées auparavant :
•
Qui : étude du ou des émetteurs
•
Dit quoi : se rapporte à l'analyse du contenu du message
•
Par quel média : ensemble des techniques utilisées pour diffuser l'information
•
A qui : vise l'audience, c’est-à-dire les publics récepteurs
•
Avec quels effets : influences du message sur l'audience
Ensuite, le cours donnera un aperçu des pratiques de la communication publique de la
science. Ces actions sont vues comme des moyens permettant de renforcer le dialogue « sciencesociété ». Le cours traitera en particulier des initiatives suivantes :
•
les fêtes de la science dont le « Printemps des Sciences »
•
les musées et centres de science (dont l'exemple emblématique du Palais de la Découverte
à Paris, conçu par son créateur Jean Perrin comme une « université populaire »), mais
aussi les musées scientifiques de l’ULB
•
les conférences de consensus et de citoyens.
Le cours abordera les spécificités et difficultés de chaque catégorie d'activités.
Théorie (h)
1
Pratique (h)
6 (rencontre avec un représentant du Musée des
Sciences Naturelles (sa directrice, Camille Pisani a déjà
été contactée à ce sujet), conception d'un poster « grand
public », d'une action de communication publique,
participation aux activités d'Infor-sciences etc.)
- 17 -
IX. Communication de la science : un bilan
Cette partie du cours tentera de dresser un bilan des modèles et des pratiques de la
communication publique de la science. Un coup d’œil du côté de la littérature scientifique souffle
le chaud et le froid. Car la différence paraît énorme entre, d’une part, les attentes et les dépenses
dans le domaine de l’information et de la communication et, d’autre part, les pratiques et les
succès obtenus sur le terrain. Que nous apprend la littérature scientifique à ce sujet ?
On cherche donc toujours la recette infaillible qui aurait le pouvoir d’influencer l'opinion
publique. Nombreux sont encore les chercheurs qui affirment, par exemple, que l’opposition aux
organismes génétiquement modifiés (OGM) résulte d’une méconnaissance des notions
scientifiques sous-jacentes chez la majeure partie de la population. En bref, le message est le
suivant : initiez le public aux secrets de la transgénèse, et vous en ferez des adeptes des OGM ! Il
est fort probable que la réalité soit plus complexe.
Toujours est-il que l'heure n'est plus à la seule vulgarisation qui prônait la mise au trait des
connaissances et le développement de la culture scientifique. Les carrières de médiateurs de la
science sont de plus en plus reconnues et valorisées et, en conséquence, les emplois se multiplient
en Europe. Avec la multiplication des fêtes de la science, des cafés scientifiques, des conférences
de consensus, etc., s'exprime clairement une demande pour une vraie communication de la
science. Décloisonner la science est désormais un leitmotiv. La présence ou l'influence de la
technoscience dans tous les domaines de l'activité humaine justifie par exemple la suppression des
rubriques et des pages « sciences » dans les médias. La rédaction du New York Times a par
exemple pris la décision d'inclure un journaliste scientifique dans toute équipe qui couvre un sujet
majeur, comme la guerre en Irak.
Théorie (h)
1
Pratique (h)
1 (lecture de quelques études
récentes)
- 18 -
X. La communication de la science vue par
les scientifiques
La diffusion la plus élargie de la culture et de la compréhension de la science est aussi
ancienne que la science elle-même. Sans remonter aux calendes grecques, rappelons ici que les
cabinets de science avaient, aux XVIIème et XVIIIème siècles, pignon sur rue5. Au moment où la
science s'institutionnalise se manifeste donc une volonté arrêtée d'inviter et d'engager le public à
partager avec les scientifiques les produits de la connaissance. Depuis le siècle des Lumières, la
diffusion de la science a été portée par l'instauration de l'éducation scolaire généralisée et par la
tradition continue d'une culture de la vulgarisation de ses grandes avancées. Mais ce modèle ne
peut plus satisfaire les attentes d'aujourd'hui. Au cours du siècle passé, des scientifiques de haut
vol ont été célébrés aussi pour leurs talents de vulgarisateurs, tels les Carl Sagan, Hubert Reeves et
autres Stephen Jay Gould.
Cependant, une étude effectuée par la Royal Society de Londres auprès de 1.500
6
scientifiques britanniques et publiée en juin 2006 montre qu'un quart d'entre eux considère la
vulgarisation et la communication avec le public comme des activités ayant un impact négatif sur
7
leur évolution professionnelle et qui sont le plus souvent pratiquées par ceux qui ne sont pas «
dignes d'une carrière académique ». Ce qui n'a pas empêché les trois-quarts d'entre eux d'y
consacrer une (petite) partie de leur temps au cours de l'année écoulée. Le CNRS français a publié
au début 2007 une enquête similaire, qui laisse apparaître de grandes différences (culturelles ?).
D’un côté, les scientifiques ont redécouvert l’importance de cette communication
publique après l'avoir reléguée au rayon des activités superflues et peu sérieuses, parallèlement à
l’institutionnalisation et à la professionnalisation de la recherche qui s’est développée à partir du
XIXème siècle. Les scientifiques ont cru pouvoir s'accaparer le moyen d'influencer le regard que
porte le public sur la science et ses applications.
En même temps, les scientifiques ont pris conscience de la double difficulté de cette
entreprise de communication. Double car il y a d’une part une difficulté intrinsèque, liée au fait
que l’on ne s’improvise pas vulgarisateur ou communicateur. Certains scientifiques clament haut
et fort qu’ils n’ont pas été formés pour cela - ce qui est acceptable - et que ce n’est à eux de faire
5
D. Raichswarg et J. Jacques, Savants et ignorants : une histoire de la vulgarisation, Paris, Le Seuil, 1991.
The Royal Society, Science communication – Survey of factors affecting science communication by scientists and
engineers, http://www.royalsoc.ac.uk/downloaddoc.asp ?id=3074
6
- 19 -
ce travail – ce qui est contestable. D’autre part, une difficulté de la communication publique de la
science vient de la technoscience elle-même, de son rôle dans notre société et de la place
qu’occupent les chercheurs dans celle-ci. L’évolution de la technoscience et le statut - ou l'absence
de statut - des chercheurs compliquent fortement la communication de la science. Il ne suffit plus
de compter sur le talent et la bonne volonté de quelques scientifiques vulgarisateurs. Les temps ont
changé. Et avec eux, les motivations et les objectifs des scientifiques, mais également les attentes
de la société. Toute avancée scientifique et surtout technologique n'est plus automatiquement
accueillie à bras ouverts par le public. D’où la tendance récente à la médiation et à la
professionnalisation de la communication, réalisée de plus en plus souvent par l’intervention de
tierces personnes, dont la mission est d’établir un lien entre la communauté scientifique et le
public non spécialisé. Parce qu’ils reconnaissent les difficultés de la communication de la science,
les scientifiques apprécient aujourd’hui de plus en plus et de plus en plus ouvertement le travail et
l’utilité des chargés de communication et attachés de presse qui sont en poste dans la plupart des
grandes organisations de recherche8. Ceci n’est pas étranger au fait que cette activité regagne
progressivement ses lettres de noblesses (par exemple, la Commission européenne, à la suite de
nombreuses autres organisations, décerne depuis 2003 les prix Descartes de la communication de
la science).
Nous allons montrer dans la suite du cours que la communication de la science n’est pas
chose aisée à l'heure actuelle. Et qu'elle est même pratiquement impossible dans une société
cloisonnée et médiatisée qui donne la primeur non à la technoscience en tant que telle mais au
contexte de crise latente qu'elle entretient, de par les nombreuses affaires à dimension scientifique
(accident de Tchernobyl, vaches folles, sang contaminé, grippe aviaire, etc.) et l’introduction de
technologies controversées. Conséquence des fortes pressions qui s'exercent sur la communauté
scientifique et de l'accélération voire de l'emballement de la machine du progrès, la société perd
pied. Dépassée par le présent et inquiète de l’avenir, elle exige en retour davantage de
transparence, d’explication, d’anticipation et d’écoute. La communication est devenue une
priorité d’utilité publique. Tous se rejoignent dans cette croisade des temps modernes : politiques,
grand public et scientifiques. Sans savoir néanmoins comment s’y prendre réellement… L’époque
est définitivement révolue d’une science qui se suffisait à elle-même, le poids du lobby technoindustriel faisant le reste en forçant l’adhésion automatique du public aux avancées dans ce
domaine.
7
Alors que le Royaume-Uni est sans doute le pays européen qui possède la plus longue tradition et une véritable
culture de l'information et de la communication scientifique.
8
Dans l'étude de la Royal Society citée supra, 46% des scientifiques s'estiment « mal équipés pour communiquer
avec le public non spécialisé ».
- 20 -
Ces tendances lourdes de la technoscience ont évidemment des implications sur le plan de
la communication et nous résumons ici quelques conséquences générales particulièrement
importantes :
•
Une première conséquence est que la communication de la science, comme la science
elle-même, est morcelée et fragmentée.
•
Une deuxième conséquence est que les pressions exercées aujourd’hui sur les chercheurs,
victimes quelque part du succès de la technoscience et du climat général de compétition
dans lequel nous vivons, se reflètent également dans leurs activités de communication.
•
Une troisième caractéristique est liée à l’évolution du rôle des chercheurs et de leur
position dans la société, parallèlement à la transformation de la technoscience. Sur fond
de controverse scientifique, cette situation rend les relations entre politiques et
scientifiques plus complexes et ambivalentes.
Pourquoi cette fébrilité ? On ne peut éliminer l'emblée l'idée selon laquelle l'actuelle
ferveur pour la communication publique de la science traduirait et accompagnerait des
changements radicaux dans l'organisation et l'institutionnalisation de la science. Bernard Schiele a
bien montré que la vulgarisation a constamment accompagné le développement de la science et en
a favorisé la propagation9. Et que, depuis le XVIIIème siècle, pensée scientifique et pensée
vulgarisatrice cheminent de concert. Le contexte général paraît aujourd'hui fondamentalement
différent. Marqués par la disparition du positivisme, les esprits analysent avec davantage de recul
l'entreprise technoscientifique et l'interaction de celle-ci avec la société. Au-delà du cadre
scientifique, des critiques s'élèvent contre l'idéologie progressiste et celles-ci sont renforcées par le
sentiment que les techniques contemporaines, de plus en plus complexes et mettant en jeu des
puissances toujours plus élevées, sont de moins en moins contrôlées. Le public souhaite
légitimement être mieux informé et plus fréquemment consulté par le corps des chercheurs. Bref,
l'impression se dégage que la communauté scientifique prend aujourd'hui conscience de l'exigence
énoncée quelque vingt années plus tôt par Schiele qui, constatant la reconsidération de la
vulgarisation scientifique qui s'est manifestée depuis 1965 environ, avait écrit en 1983 : « Une
politique scientifique repose d'abord et avant tout sur une politique de la communication
scientifique ».
L'activité de recherche est donc, plus que jamais, indissociable d'une activité de
communication (au sens d'une démarche aller-retour) et il faut s'interroger sur le cadre actuel de
cette communication.
- 21 -
Théorie (h)
1
Pratique (h)
2 (lecture et discussion critique de quelques études
récentes, notamment celles de Royal Society, de M.-C.
Roland, EMBO Journal, 2007, etc.)
9
B. Schiele, Enjeux cachés de la vulgarisation scientifique, Communication-Information, vol. V, n°2-3 (1983).
- 22 -
XI. Technologies et communication
S’il est une activité fondamentale de la société que la technoscience a bouleversée, c’est la
communication elle-même. Dans un premier temps, les TIC (technologies de l'information et de la
communication) ont facilité les échanges et l'accès au savoir ; à la fin du siècle passé, Internet a
répandu l'usage de la communication électronique à l'échelle mondiale et la Toile a ensuite donné
naissance à un nouveau média. Une véritable révolution qui met à portée de main et à la portée de
tous les richesses créées par l'Homme et accumulées au long des millénaires. Assis à notre table,
devant notre écran, le monde semble à portée de clic.
Internet, World Wide Web, TIC : les enjeux de ces innovations dépassent les seuls aspects
techniques. En annonçant qu'il va numériser 15 millions de livres en moins de dix ans, Google a
secoué les cocotiers de la culture. Des voix se sont élevées : l'Amérique veut-elle s'approprier et
contrôler la connaissance mondiale ? Certes, la mise en disposition gratuite de tous ces livres peut
être vue comme un formidable boost de la culture. Mais l'initiative n'est pas culturellement neutre.
C'est pourquoi 19 bibliothèques européennes sont embarquées dans une initiative destinée à
contrer le projet Google Print10. Deux grands bouleversements se déroulent actuellement sous nos
yeux :
•
Le premier concerne le monde de l'information et de la communication de la science, et en
particulier les éditeurs scientifiques. Les développements électroniques sont à l’origine
d’une transformation radicale de leurs modes de fonctionnement qui ont séculairement régi
la qualité, l'intégrité ainsi que l'accès aux connaissances. Un vaste débat traverse non
seulement les éditeurs, mais aussi les acteurs de la communauté scientifique, tous concernés
par la mutation numérique. Dans la mesure où la pratique de la science est indissociable de
sa communication, on peut s'interroger sur l'impact de ces changements sur la science ellemême. Près de 16.000 revues scientifiques publient bon an mal an quelque 1,2 million
d'articles. Ce marché – car c'en est un – brasse, à une échelle mondiale, une masse
financière dépassant 20 milliards d’euros.
•
Le second est lié au développement de toute une série de technologies de communication :
SMS, iPod, blogs, etc. Ces nouvelles formes d’accès à l’information et au savoir n'en sont
qu'à leurs débuts, et elles posent déjà beaucoup de questions. Comment leurs adeptes, de
plus en plus nombreux, parviendront-ils à utiliser cette somme croissante – et ce trop-plein
– de données ? Une boulimie de communication peut-elle entraîner une anorexie des
connaissances ?
- 23 -
Sous des aspects particulièrement sympathiques, le développement du cyberespace va-t-il
démocratiser l'accès au savoir ? développer la communication ? réduire les inégalités entre le Nord
et le Sud ? Rien n'est moins sûr. C’est même l’inverse qui est en train de se réaliser avec
l’émergence d’une fracture digitale entre le Nord et le Sud, entre les riches et les pauvres puisque
l'équipement minimum comprend, notamment, un ordinateur relativement sophistiqué et les
logiciels appropriés (sans parler de la formation nécessaire), ainsi qu'une ligne téléphonique et élémentaire pour nous, Européens - une source d'énergie électrique. En 1995, on comptait 180
millions d'ordinateurs personnels en usage dans le monde ; la possibilité d'accéder au réseau était
donc limitée, grosso modo11, à 3% de la population mondiale. En 2005, on en comptait plus de
800 millions12. Un bon 10% de l’humanité aurait donc accès à la société de la connaissance. Mais
celle-ci est essentiellement inégalitaire : près de 70% des PC se trouvent dans les pays les plus
industrialisés (Amérique du Nord, Europe, Australie). La Chine et l’Inde hébergent 7% des
ordinateurs du monde entier, pour une population qui représente plus du tiers de l’humanité. En
comparaison, 40% des Européens, selon les données les plus récentes, utilisent Internet13. Des
chiffres qui réduisent le concept d'une « société de l'information » à un mythe et à un privilège.
Le développement de l'encyclopédie Wikipédia est à cet égard intéressant. En 2002,
l'Américain Jimmy Wales crée Wikipédia, sur Internet. Originalité : les textes sont corrigés,
réécrits ou enrichis en permanence par les internautes. Cette œuvre collective, déclinée en 249
langues, est devenue un outil de travail qui attire plus de 350 millions de visiteurs par mois. Cet
exemple faisait figure de modèle en laissant entrevoir l'émergence d'une vaste « communauté
populaire du savoir ». Mais elle pose aujourd'hui de multiples questions sur le contrôle et la
validité des informations diffusées et, suite à quelques affaires récentes14, son développement
accuse aujourd'hui un sérieux coup de frein.
Les TIC nous aident à considérer comme synonymes transmission et intercompréhension,
connexion et communication. Mais l'idéologie technique ambiante risque de nous faire voir la
communication comme une simple technique et confondre communication et performances des
machines.
Seront abordés aussi :
•
La révolution des médias
10
J.-N. Jeanneney, Quand Google défie l'Europe, Paris, Fayard-Mille et Une Nuits, 2006.
Le raisonnement est ici assez grossier puisqu’il postule qu'une personne égale un PC. Il est clair que dans certains
pays, un nombre assez élevé d’utilisateurs se partagent un ordinateur. Mais il est clair aussi que, dans les pays
développés, de plus en plus de personnes possèdent plus d’un PC.
12
Le Journal du Net : http://www.journaldunet.com/cc/02_equipement/equip_pc_mde.shtml
13
http://ec.europa.eu/information_society/eeurope/2005/index_en.htm
14
Plusieurs internautes se sont relayés, le 2 mai 2007 dans la soirée, pour rectifier l'encyclopédie en ligne Wikipédia
afin d'y qualifier l'EPR de réacteur nucléaire "de quatrième génération", suivant en cela les déclarations - erronées de Nicolas Sarkozy.
11
- 24 -
•
La fracture numérique
Théorie (h)
1
Pratique (h)
2 (Réalisation de podcasts, etc.)
- 25 -
XII. Approche sectorielle de la
communication scientifique
Dans ce module, la communication scientifique sera abordée sous l'angle d'une série de
contextes différents tels que par exemple :
•
Une PME ou spin-off qui souhaite communiquer une innovation (voir l'étude de S.
Thielens, main 2007)
•
Une grande entreprise qui s'engage dans le domaine des nanotechnologies
•
Un projet européen soutenu par le 7ème programme-cadre qui fait une découverte
exceptionnelle dans le domaine de l'ozone stratosphérique.
L'exercice visera à mettre en lumière tant les similitudes que les différences entre ces
situations de communication scientifique.
Théorie (h)
1
Pratique (h)
3 (Etudes de cas et simulations)
- 26 -
XIII.
Communication et crises
Un cours abordant les théories et pratiques en matière de communication scientifique ne
saurait être complet s’il ne mentionnait l’onde de choc des grandes crises des années 1990
(Tchernobyl dans le domaine de l'énergie ; OGM, maladies à prion et dioxine dans celui de
l’alimentation ; sang contaminé, syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et grippe aviaire dans
celui de la santé) qui ont transformé la communication de la science en une communication du
risque.
S'il existe une riche littérature riche sur les modalités de la divulgation des sciences, plus
rares sont les études de cette divulgation dans une conjoncture de risque majeur pour l'humanité,
c'est-à-dire représentant une menace explicite à court ou moyen terme pesant sur la vie d'un grand
nombre d'individus. Et pour cause, de telles situations sont, heureusement, peu fréquentes.
Néanmoins, nous avons assisté à une recrudescence de tels événements au cours des
dernières années. Contre son gré, l’expert scientifique est devenu l’un des principaux acteurs des
grands problèmes et des récentes crises de portée mondiale comme le réchauffement climatique,
les catastrophes naturelles, l’énergie nucléaire, les maladies graves, etc. En conséquence, un effort
particulier d’information et surtout de communication est aujourd’hui demandé aux chercheurs.
Nous analyserons, en guise d’exemple, ce qui s’est passé lors de quatre crises récentes :
•
l’accident de Tchernobyl (la plus grave)
•
la maladie de la vache folle (qui a affecté directement les scientifiques)
•
l'épizootie de grippe aviaire (en partie instrumentalisée)
•
la crise de l'anthrax en Belgique (révélatrice d'une hyper-sensibilité du public).
Ces quatre crises, très différentes les unes des autres, possèdent toutes un volet
« communication » avec des erreurs, des fautes et surtout des actes d'incommunication publique
commis par les intervenants. Nous verrons que ces situations de crise sont riches d'enseignement
sur les modes de fonctionnement et de communication des acteurs impliqués et, plus
généralement, sur les relations entre le monde de la science, les médias et la société.
Théorie (h)
1
Pratique (h)
2 (Etudes de cas et simulations, rédaction d'une
stratégie de communication de crise)
- 27 -
XIV.
Cette
Pistes de réflexion
dernière
partie
du
cours
proposera
aux
étudiants
quelques
voies
d’approfondissement. Par exemple : comment développer une culture de la communication
publique de la science ? Notre société technoscientifique manque toujours et paradoxalement
d’une culture de communication publique de la science. Pourquoi donc cette réticence à exposer la
technoscience au débat, elle qui s'impose le plus souvent sans discussion ? A côté de nombreux et
très bons produits d’information (livres, magazines, émissions radiotélévisées15, etc.), une
véritable communication de la science reste à créer en Europe. Or celle-ci devrait permettre au
public de mieux anticiper les crises technoscientifiques et de mieux négocier les virages du futur.
On n’en est pas là.
L’incommunication ambiante handicape fortement les interactions entre science et société
et donc l’appropriation, par le public, des avancées technoscientifiques. Or nous avons vu qu’il
s’agit là d’une demande très clairement exprimée par les Européens : ils souhaitent être davantage
consultés et impliqués dans la marche du « progrès » et des choix qui sont opérés en son nom.
Mais nous avons vu également que certains acteurs de la science ont intérêt à répandre l'idée que
le public est scientifiquement sous-cultivé. Comment une population ignorante de la science peutelle participer valablement aux discussions sur ses orientations et ses applications ?
La difficulté du public (dont les scientifiques font aussi partie !) est accrue par le rôle
complexe de la science dans nos sociétés et, surtout, par la fragmentation de la science en une
multitude de micro-spécialités. Quelle est alors la compétence réelle du scientifique dans une
situation où l’expertise est elle-même hyper-fragmentée ? Et qui délivre les certificats de
compétence scientifique ? On se souvient que le spécialiste mondial du clonage, le Coréen Hwang
Woo-Suk, qui a dû démissionner au début 2006 de ses fonctions à l’université de Séoul en raison
de fraudes multiples, a publié ses articles dans les meilleures revues du monde. Des travaux de
recherche peuvent donc être scientifiquement corrects et partiellement faux.
Caractéristique fondamentale des sociétés ouvertes et mobiles, donc tournées vers les
changements, la communication est désormais érigée comme une valeur centrale, inséparable de
nos aspirations essentielles de liberté et d’égalité. Mais, dans les conditions actuelles, une
communication publique de la science est quasiment inexistante et pratiquement impossible. On a
vu les faiblesses des modèles actuels de la communication de la science. On en connaît donc les
15
Citons par exemple Horizon et The Naked Scientists sur la BBC, C’est pas sorcier sur France 3, Superquark sur la
RAI.
- 28 -
limites. Un nouveau paradigme pour la communication de la science doit être mis en œuvre. Mais
quelles doivent en être les caractéristiques ? L’objectif doit être de développer, au-delà de la
communication, une communion de la science. Mais comment entrer en communion de science
alors que notre société semble entrer de plain-pied dans une ère de l’incommunication ? Prôner la
communication à tous vents n’est-il pas condamné à rester lettre morte étant donné la rareté des
lieux ouverts à un vrai dialogue ? La pléthore de références à la communication masque en réalité,
comme on l’a dit, un vide immense. Si la technique a facilité la diffusion et l’accès à
l’information, la technologie a établi, elle, des obstacles à la communication. En conséquence,
submergés d’informations que véhiculent les voies électroniques, nous vivons paradoxalement, au
milieu du bruit, une époque caractérisée par une incommunication croissante. Le problème est
sans doute à la fois sociétal et technologique. L'un des enjeux fondamentaux du développement
technoscientifique de notre époque est de créer les conditions et le cadre permettant de donner la
parole aux citoyens et, surtout, de les écouter.
Théorie (h)
1
Pratique (h)
2 (préparation et présentation par les étudiants
d'un projet d'action de communication publique)
- 29 -
XV.
Lectures
BATESON, G. ET JURGEN, R., Communication et société, Paris, Seuil, 1988
BOY, D., Le Progrès en question, Paris, Presses de la Renaissance, 1999
BRETON, P., L'Utopie de la communication, Paris, La Découverte, 1996
CLAESSENS, M. (sous la direction de), Communicating European Research 2005, Utrecht,
Springer, 2006
COLLECTIF, Science et société, Paris, La Documentation française - Les Cahiers français, 2000
COMMISSION EUROPEENNE, A Guide to successful communication, Bruxelles, 2004
COMMISSION EUROPEENNE, Europeans, science and technology, Bruxelles, 2005
COMMISSION EUROPEENNE, Social values, science and technology, Bruxelles, 2005
ELLUL, J., Le Bluff technologique, Paris, Hachette, 1988
ELLUL, J., Le Système technicien, Paris, Calmann-Lévy, 1977
MONTGOMERY, L. S., The Chicago guide to communicating science, Chicago, University of
Chicago Press, 2002
RAMONET, I., La Tyrannie de la communication, Paris, Galilée, 1999
ROQUEPLO, P., Entre Savoir et décision, l’expertise scientifique, Paris, INRA, 1997
SCHIELE, B. (sous la direction de), Quand la science se fait culture, Québec, Editions
MultiMondes, 1994
SERRES, M., Le Parasite, Grasset, Paris, 1980
SFEZ, L., Critique de la communication, Le Seuil, Paris, 1988
SFEZ, L., La communication, Paris, P.U.F. Collection Que Sais-je ? n°2567, 1991
STOCKLMAYER, S.M., GORE, M.M. ET BRYANT , C. (sous la direction de), Science
Communication in Theory and Practice, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 2001
WOLTON, D., Il faut sauver la communication, Paris, Flammarion, 2005
- 30 -
Téléchargement