Il existe une « institution » du judaïsme que l’on a trop
tendance à négliger ou même à ignorer, je veux parler
du commandement du Ma’asser, la dîme, qui est au
cœur du système social mis en place dans la Thora.
Qu’il soit destiné aux Lévites (1ère dime) ou aux pauvres,
veuves, étrangers… (2ème dime), le Ma’asser était, à l’époque
du Temple, un impôt agricole lié à la terre d’Israël, dont le
produit était réservé à certaines catégories de la population
dans le besoin ou qui, comme les Lévites, vouaient leur vie
au « service public ».
Personne n’était exempté de ce devoir : religieux ou laïcs,
riches ou pauvres…, même ceux qui en
étaient bénéficiaires devaient s’en acquitter
à leur tour à proportion de leurs faibles
revenus.
Que reste-t-il aujourd’hui de cette belle
mitsva du Ma’asser dans le monde urbanisé,
mais aussi diasporique dans lequel nous vi-
vons, où la mitsva (prescription religieuse)
s’est transformée en minhag (coutume) et où
les prélèvements de moisson ou de bétail ont
été remplacés par des dons d’argent ? Hélas,
seule une minuscule frange de Juifs fervents
se soucie de calculer méticuleusement la
fraction du 10ème de leurs revenus dévolus à
cet impôt volontaire en vue de le reverser
aux œuvres communautaires de leur choix.
Ainsi, c’est grâce à l’attachement de leurs membres à la règle
du Ma’asser que les communautés juives orthodoxes par-
viennent à financer en grande partie leurs institutions (yé-
chivoth, écoles, caisses d’entraide).
Mais où donc ces frères juifs, si minoritaires, vont-ils cher-
cher ces ressources d’abnégation, de foi et de générosité pour
aller jusqu’à s’amputer d’une part aussi importante de leurs
revenus en faveur des œuvres chères à leur cœur ?! On
trouve une réponse à cette question dans la sublime prophé-
tie de Malachie que nous lisons le chabath hagadol qui pré-
cède Pessah’ : « Apportez toute la dime dans les caisses (du
Sanctuaire) pour qu’il y ait de la subsistance dans Ma mai-
son, et mettez Moi ainsi à l’épreuve, dit l’Eternel, pour vérifier
si Je ne vais pas ouvrir pour vous toutes les cataractes du
ciel pour déverser sur vous Ma bénédiction sans aucune
limite » (1).
La profusion de bénédictions divines est la récompense im-
médiate et tangible accordée en retour du versement de la
dime. C’est le seul cas dans toute la Bible où le Créateur nous
demande de L’éprouver… pour vérifier s’Il dit vrai.
Loin de chercher à s’enrichir en prenant cette annonce pro-
phétique au pied de la lettre, les adeptes du Ma’asser ne
cherchent aucun intérêt lucratif pour eux-mêmes. Il leur suf-
fit de savoir, avec une foi pleine et entière, que leurs gestes
de générosité ne les appauvriront jamais, car dans l’esprit
des croyants, cette part de leurs revenus dévolue à la dime
ne leur appartient pas, et ils ne font, en la payant, que rendre
aux œuvres communautaires ce qui leur appartient de droit.
Etant donné l’état des besoins du judaïsme organisé et les
difficultés de financement de nos œuvres, il nous faut res-
taurer et populariser cette pratique caritative « miraculeuse »
en faveur de nos institutions.
Il nous faut tout entreprendre pour généraliser cette mé-
thode de dons en faveur des causes religieuses, sociales et
éducatives, ce qui requiert une entreprise pédagogique sub-
tile et de grande ampleur pour sensibiliser les nouvelles gé-
nérations à l’impératif de générosité et de confiance en D-ieu
qui sous-tend le principe de la dîme ? Ainsi nous parvien-
drons à hisser l’acte de donner au niveau des commande-
ments les plus consensuels comme le
respect de la cacherouth et du chabath.
L’esprit et la règle du Ma’asser, que l’on
devait acquitter avant de commencer à
jouir soi-même du fruit de son propre la-
beur, sont d’une réelle actualité dans nos
sociétés revendicatives et arc-boutées sur
les droits acquis ! On apprend ainsi qu’on
doit d’abord donner avant de réclamer, que
nos devoirs priment sur nos droits. C’est
cette morale de la solidarité induite du
Ma’asser qui a accompagné et soutenu le
peuple juif à travers les vicissitudes de son
histoire. Bien que significatif, ce taux de
10% des revenus ne met pas en péril la si-
tuation matérielle du donateur tout en lui
permettant de participer à la réussite des projets collectifs.
C’est pourquoi je tiens à m’inscrire dans cette longue tra-
dition du peuple juif pour postuler, avec autant de foi que de
raison, que si une partie significative de notre communauté
consentait à adopter la mitsva du Ma’asser pour aider à la
perpétuation et à l’épanouissement de la vie juive sous toutes
ses formes, une part importante des problèmes matériels de
nos institutions seraient ipso facto résolus.
Il ne faut pas se contenter de lever les yeux au Ciel pour
espérer que le miracle de la manne nourricière se reproduise
par la seule force de notre imploration. Les moyens sont là,
disponibles, à condition que l’on apprenne à voir grand, à
voir large, à voir collectif, afin de nous libérer de nos
égoïsmes primaires, nous émanciper des incrédulités de
l’époque « moderne ».
Et puisque le prophète a poussé l’audace jusqu’à nous
exhorter à mettre la Providence à l’épreuve dans le but de
faire éclater au grand jour les bienfaits miraculeux du Ma’as-
ser et créer ainsi une société plus juste et plus solidaire, n’est
ce pas notre devoir aujourd’hui de relever le pari divin en
inscrivant le réflexe de la dime au cœur de notre éthique de
vie, selon l’injonction biblique : « Tu ouvriras largement ta
main » (2) ?
--
*Président du Consistoire
--
(1)Malachie III, 4-24
(2)Deutéronome XV, 8
INFORMATION JUIVE Mars 2016 5
EDITO
Le
MaÊasser
ou lÊinvention de la solidarité juive
par Joël Mergui*
“ On doit d’abord donner
avant de réclamer...
nos devoirs priment sur
nos droits. C’est cette mo-
rale de la solidarité
induite du Ma’asser qui a
accompagné et soutenu
le peuple juif à travers
les vicissitudes de
son histoire. “