Le nouvel antisémitisme - Maison de l`Europe de Brest et Bretagne

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Le nouvel antisémitisme. Ian Buruma is Professor of Democracy, Human Rights… Project
Syndicate
Ian Buruma is Professor of Democracy, Human Rights, and Journalism at Bard College. He is
the author of numerous books, including Murder in Amsterdam: The Death of Theo Van Gogh
and the Limits of Tolerance and Year Zero: A History of 1945. FEB 8, 2017. Traduction François
Boisivon
NEW YORK – Ceux qui nous disent que l’islam, et non seulement l’islam révolutionnaire, est une
menace de mort pour la civilisation occidentale doivent aujourd’hui se sentir satisfaits : le
président des États-Unis et ses principaux conseillers sont d’accord avec eux. Selon les mots d’un
tweet du général Michael Flynn, conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump : « La peur des
musulmans est rationnelle. » Stephen Bannon, ancien directeur du site de la « droite alternative »
Breitbart News, responsable de la stratégie et membre du Conseil de sécurité national l’affirme :
l’Occident « judéo-chrétien » est engagé dans un guerre mondiale contre l’Islam.
Trump promet de faire passer « l’Amérique d’abord », empruntant son slogan aux isolationnistes
américains des années trente, dont le plus célèbre porte-parole, l’aviateur Charles Lindbergh, fut
un antisémite notoire, accusant les juifs et les électeurs de gauche de pousser les États-Unis à la
guerre contre Hitler, qu’il admirait. « Nous n’aurons la paix et la sécurité qu’aussi longtemps […]
que nous nous préserverons de l’attaque des armées étrangères et de la dilution dans des races
étrangères » : ainsi parlait Lindbergh.
Le racisme est donc dans l’ADN de « l’Amérique d’abord ». La perception de l’islam qui s’est
aujourd’hui installée à la Maison-Blanche a-t-elle des traits communs avec l’antisémitisme des
années trente ? Bannon, Flynn et Trump ne font-ils qu’actualiser des préjugés du passé, en
remplaçant un groupe sémite par un autre ?
Peut-être ne le remplacent-ils même pas. Il a paru décidément étrange que Trump ne soit pas
parvenu à prononcer les mots « juif » ou « antisémitisme » dans son allocution lors de la journée
commémorative de l’Holocauste. Et les avertissements de sa campagne à l’encontre de
personnalités juives, comme George Soros, accusé d’appartenir à une conspiration mondiale
menaçant l’Amérique, ne sont pas passées inaperçus.
Certes, entre les années trente et notre temps, certaines différences sont évidentes. Il n’y avait pas
alors parmi les juifs de mouvements révolutionnaires commettant au nom de leur foi des atrocités.
Pas plus qu’il n’y avait d’États à majorité juive hostiles à l’Occident.
Mais les similarités de l’antisémitisme hier et aujourd’hui sont frappantes. L’utilisation d’un
vocabulaire emprunté à la biologie dans la perception de l’ennemi en constitue un signe révélateur
et terrifiant. Hitler disait des juifs qu’ils étaient un « germe racial » toxique. Une brochure nazie
largement distribuée s’intitulait Der Jude als Weltparasit (« Le Juif, parasite du monde »). Frank
Gaffney, personnage influent des cercles ethno-nationalistes de Trump, parle des musulmans
comme de « termites », qui « minent la structure de la société civile et des institutions ».
Lorsqu’on classe des êtres humains en parasites, germes ou termites nocifs, la conclusion qu’ils
doivent être éliminés pour préserver la santé de la société n’est pas très loin.
Il y a peut-être une autre différence, pourtant, entre la persécution des juifs et l’actuelle hostilité
envers les musulmans. L’antisémitisme d’avant-guerre n’était pas seulement dirigé contre les juifs
religieux, mais aussi – voire surtout – contre les juifs assimilés, qu’il n’était plus facile d’identifier,
de quelque façon, comme distincts. Les préjugés à l’encontre les musulmans semblent moins
raciaux que culturels et religieux.
Mais cette différence elle-même pourrait être plus apparente que réelle. Pour les antisémites des
XIXe et XXe siècles, un juif était toujours un juif, quoi qu’il affirme croire. Les juifs ne pouvaient
être fidèles qu’à leurs semblables. Le judaïsme n’était pas considéré comme une foi spirituelle, mais
comme une culture politique, par définition incompatible avec la civilisation occidentale et ses
institutions. Cette culture était dans le sang des juifs. Pour la défendre, ils mentiraient toujours aux
gentils.
Ces jugements furent bien antérieurs au nazisme. Ils sont même la raison pour laquelle les
éminents auteurs de la première constitution de la Norvège indépendante, rédigée en 1814,
interdirent aux juifs de devenir citoyens du pays. Le motif de cette exclusion se fondait sur la
défense des principes des Lumières : la culture et les croyances juives affaibliraient inévitablement
la démocratie libérale norvégienne.
Les ennemis actuels de l’islam utilisent précisément cet argument : les musulmans mentent aux
infidèles. Leur religion n’est pas spirituelle, elle est politique. Et s’ils semblent modérés, c’est un
mensonge. Ce que nous devons craindre, pour reprendre les termes employés par Gaffney, c’est
« cette forme furtive, subversive, du djihad ».
Mais si les peurs et les préjugés qui sont à l’œuvre dans la construction des conspirations
musulmane et juive se ressemblent, les conséquences en seront probablement fort différentes. Les
juifs, accusés par les nazis de constituer pour l’Allemagne une menace existentielle, ont pu être
persécutés – et plus tard assassinés en masse – dans une totale impunité. Les révoltes furent peu
nombreuses, faibles et désespérées, car les juifs n’avaient aucuns moyens de résister au pouvoir
nazi.
La violence sanguinaire de l’islam révolutionnaire ne peut, d’autre part, être négligée. Les actes de
terreur islamistes dans les pays occidentaux ne seront prévenus que par un bon travail du
renseignement et de la police, notamment auprès des communautés musulmanes. Mais si tous les
musulmans sont désignés comme des ennemis et humiliés, le terrorisme ne fera qu’empirer. Et l’on
peut aisément imaginer quelles seront les conséquences d’une « guerre mondiale contre l’islam »
sur la situation politique hautement inflammable au Moyen-Orient et en Afrique.
Si tel devait être le cas, le « choc des civilisations », qui existe dans les esprits des terroristes
islamistes comme dans ceux de leurs ennemis les plus acharnés, cesserait d’être un fantasme ; il
pourrait réellement survenir.
Il n’est pour l’instant pas possible de dire si les croisés de Trump allument leurs feux sans savoir ce
qu’ils font ou s’ils souhaitent réellement une conflagration. On ne saurait sous-estimer, dans ces
milieux, l’ignorance crasse. Mais peut-être n’est-il pas trop cynique d’imaginer que les idéologues
de Trump souhaitent voir le sang couler. La réponse à la violence islamiste prendrait alors la forme
de lois d’exception, du recours à la torture approuvé par l’État et d’une limitation des droits
civiques – en un mot de l’autoritarisme.
Ce pourrait être ce que veut Trump. Mais ce n’est certainement pas l’issue souhaitée par la plupart
des Américains, ni, pour certains du moins, par ceux qui ont voté pour lui.
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