J.H.M. BERDEN ET COLL. FIXATION GLOMÉRULAIRE D’AUTO-ANTICORPS DANS LA NÉPHRITE LUPIQUE : LA QUESTION EST-ELLE RÉGLÉE ? par J.H.M. BERDEN, C.C. VAN BAVEL et J. VAN DER VLAG* Chez un patient atteint de lupus avec atteinte rénale, la biopsie peut mettre en évidence différentes anomalies histologiques [1]. L’examen en immunofluorescence met systématiquement en évidence des dépôt composés d’immunoglobulines (Ig) et de complément. Suivant le degré des anomalies, ces dépôts sont localisés au moins dans le mésangium (néphrite lupique des classes I et II de la classification ISN/RPS), mais sont également observés très fréquemment le long de la paroi des capillaires glomérulaires au niveau sous-endothélial (classes III et IV de la classification ISN/ RPS) ou extramembraneux (classe V de la classification ISN/RPS). La microscopie optique révèle que les dépôts sous-endothéliaux sont accompagnés de lésions prolifératives constituées d’une prolifération endocapillaire, d’une infiltration par des cellules inflammatoires, d’une nécrose de l’anse capillaire et dans certains cas, d’une prolifération extracapillaire avec formation de croissants. Des dépôts importants associés à ces lésions aiguës peuvent également être observés le long de la paroi capillaire (anses en fil de fer ou wire loops). L’examen au microscope électronique montre que ces dépôts sont des structures denses aux électrons, localisées dans le mésangium, au niveau sous-endothélial et sous-épithélial. Des recherches ont été conduites depuis de nombreuses années afin de comprendre comment se forment ces dépôts glomérulaires. Étant donné que le développement d’une glomérulonéphrite chez un patient lupique est, dans la majorité des cas, accompagné par des titres élevés et souvent croissants d’anticorps antiADN bicaténaire (ADNdb) [2] et de taux abaissés de facteurs de complément C3 et C4, il a été suggéré que les anticorps anti-ADNdb forment des complexes avec * Laboratoire de Recherche en Néphrologie, Nijmegen Center for Molecular Life Sciences, Service de Néphrologie, Radboud University Nijmegen Medical Center, Nijmegen, Pays-Bas. FLAMMARION MÉDECINE-SCIENCES — ACTUALITÉS NÉPHROLOGIQUES 2008 (www.medecine.flammarion.com) NÉPHRI TE LUPIQUE : FIXATION GLOMÉRULAIR 206 J.H.M. BERDEN ET COLL. l’ADN et que ces complexes se déposent dans le glomérule, fixent le complément et, par conséquent, attirent les cellules inflammatoires. Ces événements déclenchent une attaque inflammatoire provoquant des lésions glomérulaires. Pour que ceci soit vrai, deux hypothèses doivent être vérifiées : – l’ADNdb est immunogène ; – les complexes d’anti-ADNdb et d’ADNdb sont néphropathogènes. IMMUNOGÉNICITÉ DE L’ADNdb ET D’AUTRES AGENTS NUCLÉAIRES En raison de la réponse auto-immune dominante contre les ADNdb dans le lupus, il était logique d’effectuer des essais d’immunisation d’animaux avec de l’ADNdb. Cependant, ces immunisations avec de l’ADNdb « nu » ou chimiquement modifié n’ont pas induit la formation d’anticorps présentant des caractéristiques similaires aux auto-anticorps anti-ADNdb formés chez des patients lupiques. Ces résultats ont pu être expliqués par des observations ultérieures qui ont démontré clairement que la réponse auto-immune dans le lupus érythémateux disséminé (LED) est dépendante des lymphocytes T ce dont témoigne la classe IgG, l’avidité élevée et l’existence de mutations somatiques observées pour les auto-anticorps du lupus [1]. Pour qu’une réponse des lymphocytes T soit efficace, il faut que les antigènes soient présentés sous la forme d’un peptide enfoui dans la cavité des molécules de classe II du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH). Ce complexe peptide-CMH classe II permet la reconnaissance des antigènes par le récepteur du lymphocyte T. En raison de sa nature chimique, l’ADNdb ne remplit pas les conditions permettant la présentation par les molécules du CMH de classe II. Cette énigme a été élucidée par l’observation que, pour obtenir une réponse correcte à l’ADNdb, celui-ci doit être complexé à une protéine. Les premières observations indiquant qu’une réponse antiADNdb peut être induite dans une telle conformation ont été effectuées avec la protéine de liaison d’ADN de protozoaire Fus1 décrite dans [3], ou avec l’antigène grand T du virus du polyome [4]. Apparemment, ces protéines imitent un des ligands naturels de l’ADNdb : les histones. La reconnaissance par les lymphocytes T de ces protéines microbiennes/virales met en place les conditions nécessaires à la reconnaissance par les récepteurs des lymphocytes T de peptides dérivés d’histone qui à leur tour stimulent les lymphocytes B ayant un récepteur pour l’ADNdb [5]. Parallèlement, il a été mis en évidence, à la fois chez des souris lupiques et des patients LED, que le nucléosome est l’auto-antigène déclencheur dans le LED. Ce résultat est basé sur plusieurs observations : – dans le lupus murin plus de 50 p. 100 des clones de lymphocyte T répondent à une stimulation par les nucléosomes [6] ; – dans le lupus humain, des observations similaires ont été effectuées [7, 8] ; – dans le lupus murin, des anticorps spécifiques de nucléosome apparaissent avant le développement d’autres réponses antigéniques anti-nucléaires telles que anti-ADNdb et anti-histone, qui apparaissent en conséquence du phénomène d’epitope spreading [9] ; – chez les patients lupiques, la prévalence des anticorps anti-nucléosome est beaucoup plus élevée et de plus grande sensibilité que les anticorps anti-ADNdb [10-12]. NÉPHRITE LUPIQUE : FIXATION GLOMÉRULAIRE D’AUTO-ANTICORPS 207 Mais pourquoi un nucléosome devient-il immunogène ? Le nucléosome est la structure de base de la chromatine. Il est constitué d’une protéine centrale, formée par des paires d’histones H2A, H2B, H3 et H4. Autour de cet octamère d’histone, un brin d’ADNdb est enroulé deux fois, l’histone H1 étant située à l’extérieur, comme un doigt sur un nœud pour maintenir la bobine (fig. 1). Les nucléosomes sont interconnectés par de l’ADNdb nu, ce qui donne à la chromatine dans son état déroulé l’aspect de « perles sur un cordon ». Mais pourquoi ces structures, qui sont normalement inaccessibles dans le noyau (puisque entourées par la membrane nucléaire, le cytoplasme et la membrane cellulaire), deviennent-elles des cibles du système immunitaire ? Des recherches importantes conduites par l’équipe de Rosen [13] et d’autres [14] ont démontré que ces structures nucléaires apparaissent à la surface des cellules lors de l’apoptose. Ce processus de mort cellulaire programmée commence par le clivage par des endonucléases des brins d’ADNdb interconnectés, qui produit des nucléosomes libres. Après fragmentation du noyau, ces nucléosomes sont transportés vers des petits corps/vésicules apoptotiques à la surface de la membrane cellulaire. Normalement, ce processus d’apoptose conduit à l’exposition de plusieurs signaux « eat me » à la surface de la cellule qui, en association ou non des molécules de pontage, sont reconnus par différents récepteurs sur les cellules phagocytaires spécialisées, telles que les macrophages, mais également par les cellules voisines. Cette reconnaissance permet une élimination rapide et efficace, et donc non phlogistique, des cellules apoptotiques [15]. Cependant, si ce système d’élimination est déficient, l’apoptose continue et des vésicules sont libérées par les cellules mourantes. Ces vésicules contiennent différentes molécules telles que des constituants de nucléosomes et de splicéosomes [13]. Un autre risque d’une élimination déficiente des cellules apoptotiques est que ces auto-antigènes putatifs sont modifiés durant l’apoptose par différents mécanismes tels que le clivage par des caspases et le granzyme B, ou par (dé)phosphorylation, ubiquitinylation, ou citrullination [16, 17]. En fait, il a été établi que si une protéine est susceptible de subir des modifications induites par l’apoptose, elle est prédestinée à devenir un auto-antigène dans des maladies auto-immunes systémiques [16] telles que le LED [18]. Par conséquent, si l’élimination de matériau dérivé de cellules apoptotiques est déficient, ces structures modifiées, et donc plus immunogènes, peuvent devenir H3 H1 H4 H2A H2B FIG. 1. — Topographie du nucléosome. Le nucléosome est constitué d’une protéine centrale comprenant des paires d’histones H2A, H2B, H3 et H4. L’ADNdb est enroulé autour du corps cylindrique de ces histones. Ce complexe est maintenu par l’histone H1, qui est positionnée comme un doigt sur un nœud. 208 J.H.M. BERDEN ET COLL. des cibles pour une réponse auto-immune. Nos observations récentes illustrent l’impact des modifications induites par l’apoptose dans la pathogenèse du LED [19]. En effectuant, avec des anticorps monoclonaux anti-chromatine dérivés de lupus, le criblage d’une bibliothèque de présentation de peptides à la surface de phage, nous avons découvert qu’un de ces anticorps monoclonaux, appelé KM2, reconnaissait un peptide fortement homologue à l’histone H4 (résidus 518). Cependant, le peptide de phage KM2 ne contient pas les résidus lysine en position 8, 12 et 16, qui sont normalement présents dans H4 natif. Il doit être noté que ces positions lysine peuvent être acétylées. En effet, KM2 se lie 10 fois plus à un peptide synthétique H4 1-20 acétylé à ces positions qu’au même peptide non acétylé. Nous avons pu démontrer par la suite que cette acétylation de H4 se produit durant l’apoptose. Cette hyperacétylation résulte d’une augmentation significative de l’activité histone acétyl-transférase et d’une diminution significative de la désacétylation d’histone durant l’apoptose. La validité in vivo de cette hyperacétylation de H4 induite par l’apoptose est étayée par plusieurs observations : – des sérums de souris MRL/lpr lupiques et de patients LED fixent plus fortement H4 acétylé que le peptide H4 non acétylé ; – l’hypersensibilité retardée, qui est une mesure de la réactivité des lymphocytes T, est plus élevée pour H4 acétylé que pour H4 non acétylé chez des souris MRL/lpr, et est absente chez des souris témoins de CMH correspondant ; – l’administration de H4 acétylé à de jeunes souris MRL/lpr accélère la progression de la maladie, traduite par une aggravation des lésions cutanées, une protéinurie plus élevée, des dépôts glomérulaires d’Ig plus importants et une mortalité plus élevée. Ceci n’a pas été observé après administration de H4 non acétylé. Par conséquent, des vésicules dérivées de cellules apoptotiques remplies d’auto-antigènes modifiés représentent un signal de danger potentiel pour le système immunitaire. En effet, des résultats récents, non publiés, de notre laboratoire indiquent que les vésicules apoptotiques sont préférentiellement absorbées par les cellules dendritiques immatures. Cette absorption conduit à une activation des cellules dendritiques, mesurée par une augmentation de l’expression de CD40, CD86 et du CMH de classe II et une augmentation de la production d’IL-6 et de TNF-α. Sur le plan fonctionnel, ces cellules dendritiques, après absorption de vésicules apoptotiques peuvent, dans un système allogénique, activer des lymphocytes T (prolifération et production d’IL-2). Des observations similaires ont été effectuées dans un système syngénique avec des cellules dendritiques de souris MRL/lpr exposées à des nucléosomes hyperacétylés, tandis que des nucléosomes dérivés de cellules normales sont moins efficaces. Ces observations, parmi d’autres [20], démontrent que les signaux danger, ainsi que d’autres, peuvent faire passer des cellules dendritiques d’un état tolérogénique à un état immunogène. Une fois que les lymphocytes T sont activés, ils peuvent stimuler non seulement des lymphocytes B avec un récepteur de nucléosomes, mais également des lymphocytes B avec des récepteurs d’ADNdb et d’histone. L’ensemble des anticorps anti-chromatine peuvent être induits par epitope spreading [21]. La séquence de ces événements est représentée sur la fig. 2. Pour conclure cette partie, l’ADNdb n’est pas lui-même directement immunogène dans le lupus. Le nucléosome est l’auto-antigène déclencheur dans le LED. NÉPHRITE LUPIQUE : FIXATION GLOMÉRULAIRE D’AUTO-ANTICORPS 209 Élimination diminuée des cellules apoptotiques Captation de l'auto-antigène par les cellules dendritiques Activation des cellules T et stimulation des cellules B Apoptose non contrôlée Modification des auto-antigènes Formation des complexes nucléosomes/antinucléosomes Liaison à la membrane par l'intermédiaire du nucléosome FIG. 2. — Représentation schématique de la séquence d’événements dans la réponse autoimmune dans le LED, comprenant la liaison de complexes néphropathogènes dans des tissus cibles, représentés sur cette figure par la membrane basale glomérulaire. NÉPHROPATHOGÉNICITÉ DE COMPLEXES ANTI-ADNdb/ADN Étant donné que la néphrite lupique est considérée comme un prototype de maladie par complexes immuns, les complexes ADNdb/anti-ADNdb étaient des candidats logiques pour ces complexes pathogènes et néphropathogènes. Cependant, des complexes synthétiques d’ADNdb et d’anticorps anti-ADNdb ne sont pas localisés dans la membrane basale glomérulaire (MBG) après injection intraveineuse à des animaux de laboratoire. Ils sont éliminés rapidement et sont principalement localisés dans le foie et la rate. La technique de génération d’anticorps monoclonaux par hybridome, récompensée par un Prix Nobel, a apporté de nouvelles possibilités d’étude. Non seulement des anticorps monoclonaux anti-ADNdb dérivés de souris et de patients lupiques se lient à l’ADNdb, mais ils présentent également une polyréactivité croisée relativement large avec d’autres antigènes [22]. Ce phénomène de « réactivité croisée » est une caractéristique particulière de ces anticorps monoclonaux qui peuvent se lier à la MBG in vitro ou au glomérule in vivo après inoculation intrapéritonéale d’hybridomes produisant ces anticorps monoclonaux [23]. Par conséquent, sur la base de ces observations, il a été suggéré que des anticorps anti-ADNdb peuvent se lier par réaction croisée à des antigènes glomérulaires intrinsèques. Cette possibilité a été étayée par la découverte que certains antigènes glomérulaires tels que la laminine [24] ou l’α-énolase [25] sont effectivement des cibles 210 J.H.M. BERDEN ET COLL. pour des anticorps anti-ADNdb. Nous avons également observé initialement des réactions croisées d’anticorps monoclonaux anti-ADNdb avec l’héparan sulfate (HS) [26], un constituant intrinsèque des MBG [27]. Cette liaison d’HS peut être inhibée par l’ADNdb et réciproquement. Cependant, après avoir purifié à un degré élevé ces anticorps anti-ADNdb à réactivité croisée dans des conditions dissociatives de concentration élevée de sel après traitement avec la DNase I, la réactivité avec l’HS a complètement disparu [28]. En résumé, la liaison à HS est causée par des nucléosomes complexés aux anticorps antiADNdb [29]. La formation de ces complexes est due à la libération de nucléosomes par les cellules d’hybridome apoptotiques au cours de la culture. Étant donné que ces hybridomes produisent des anti-corps anti-chromatine, le nucléosome est piégé par les auto-anticorps monoclonaux sécrétés. Dans le nucléosome, les extrémités N-terminales cationiques des histones sont responsables de la liaison de l’HS qui est fortement cationique. Un mécanisme de liaison similaire médié par les nucléosomes est, selon nous, responsable des autres réactivités croisées décrites des anticorps anti-ADNdb [11]. Afin de confirmer ce mécanisme de liaison in vivo, nous avons conduit des études de perfusion intrarénale avec des anticorps anti-ADNdb complexés à des nucléosomes. Ces complexes sont fortement localisés selon un motif granulaire le long des MBG et induisent une albuminurie. Les mêmes anticorps antiADNdb, totalement exempts de nucléosomes, ne produisent aucune localisation glomérulaire ou protéinurie (fig. 3). L’élimination de l’HS par perfusion d’héparitinase, une enzyme dégradant l’HS, réduit fortement la liaison glomérulaire de ces complexes de nucléosomes [30]. Complexes Anticorps purifiés FIG. 3. — Localisation glomérulaire après perfusion intrarénale de complexes nucléosome / auto-anticorps. Le panneau gauche représente l’immunofluorescence d’autoanticorps complexés avec des nucléosomes sur des dépôts granulaires. Il doit être noté que ces observations sont similaires à celles obtenues chez des patients atteints de néphrite lupique proliférative. Le panneau droit représente l’absence de liaison glomérulaire si des auto-anticorps totalement purifiés sont perfusés par voie intrarénale (pour plus de détails, voir la référence [30]). NÉPHRITE LUPIQUE : FIXATION GLOMÉRULAIRE D’AUTO-ANTICORPS 211 Dans la néphrite lupique, nos études d’inhibition par l’héparine [31] ont confirmé le rôle de l’HS. L’héparine est structurellement et fonctionnellement analogue à l’HS. Nous avons suggéré que le recouvrement par l’héparine des parties cationiques des histones, telles que les extrémités N-terminales saillantes du nucléosome (voir fig. 1) inhiberait la liaison à HS. Ceci a été effectivement confirmé, in vitro par ELISA et in vivo dans des études de perfusion intrarénale et chez des souris MRL/ lpr lupiques. Plusieurs observations semblent indiquer que ce mécanisme de liaison mettant en jeu les nucléosomes opère également chez les souris et les patients lupiques : – chez des souris MRL/lpr, des nucléosomes ont été détectés dans la circulation avant la formation de complexes de nucléosomes et l’apparition de protéinurie [32] ; – dans des biopsies de rein de patients atteints de néphrite lupique de classe IV, des nucléosomes ont été détectés dans des dépôts glomérulaires [33] ; – chez des souris MRL/lpr, l’élution d’anticorps glomérulaires liés à différents temps et avec une protéinurie croissante a permis de mettre en évidence que des anticorps anti-nucléosome se déposent dans un premier temps, suivis par le dépôt d’anticorps anti-ADNdb, probablement sur les nucléosomes déposés [34] ; – chez des souris lupiques [35] et des patients atteints de LED [36], le marquage de l’HS dans les MBG est fortement réduit. Il existe une corrélation inverse entre la coloration glomérulaire de l’HS et les dépôts de nucléosomes et la protéinurie [33]. Nous avons récemment mis en évidence que cette diminution de marquage de l’HS n’est pas due à un abaissement de l’HS, mais au masquage par les dépôts, étant donné que l’élution restaure le marquage glomérulaire de l’HS [37]. Par conséquent, pour conclure cette section, les complexes immuns ADNdb/ anti-ADNdb ne sont pas eux-mêmes néphropathogènes et les observations mentionnées ci-dessus suggèrent que les complexes nucléosome/anti-nucléosome sont les vrais complexes néphropathogènes. CIBLES GLOMÉRULAIRES POUR LES AUTO-ANTICORPS NÉPHROPATHOGÈNES Les observations mentionnées ci-dessus ont été étayées par des travaux récents de l’équipe de Ole-Petter Rekvig. Ceux-ci ont conduit des études de colocalisation par immunomicroscopie électronique sur la néphrite lupique chez des souris [38] et chez des humains [39] en utilisant différentes sondes marquées avec des particules d’or de 5 nm ou 10 nm. Dans la néphrite lupique murine et humaine, la détection à l’aide de particules d’or de 5 nm marquées avec la protéine A indique que les Ig liées in vivo sont confinées aux dépôts denses dans les MBG et la matrice mésangiale. L’utilisation d’anticorps contre différents composants de la chromatine (histone H1, histone H3, ADNdb ou protéine de liaison de boîte TATA (TBP)) marqués avec des particules d’or de 10 nm a pu démontrer que ces anticorps se fixent également sur les dépôts denses (fig. 4). Afin de déterminer si les auto-anticorps sont colocalisés avec la laminine, des anticorps anti-laminine ont également été utilisés en tant que sondes. Cependant, aucune colocalisation n’a été observée et les anticorps anti-laminine se lient aux MBG en dehors des dépôts denses (voir fig. 4). En outre, un essai TUNEL, ne mettant pas en jeu d’anticorps, a été conduit afin d’écarter la possibilité que des anticorps anti-chromatine puissent reconnaître des antigènes glomérulaires intrin- 212 J.H.M. BERDEN ET COLL. Espace urinaire Ig lié in vivo MBG Laminine Collagène IV Cellule endothéliale Lumière capillaire DDE MBG FIG. 4. — Localisation glomérulaire d’auto-anticorps néphropathogènes dans la néphrite lupique. Le panneau supérieur (A) représente schématiquement la composition de dépôts denses aux électrons (DDE) en microscopie électronique dans la MBG pour la néphrite lupique. Dans les dépôts denses, les différentes sondes permettent de détecter l’histone H1, l’histone H3, l’ADNdb et la protéine de liaison de boîte TATA (TBP) conjointement avec des immunoglobulines (Ig) liées in vitro. Dans les panneaux inférieurs, des régions de la MBG sont représentées. A gauche (B), les dépôts denses sont révélés par des Ig liées in vivo à des particules d’or de 5 nm (en blanc) et avec des anticorps anti-ADNdb marqués avec des particules d’or de 10 nm (en noir). Le panneau droit (C) montre des DDE situés en dehors de la GBM. Des anticorps anti-laminine (taches noires) se fixent dans la GBM et ne sont pas colocalisés avec des Ig liées in vivo dans le DDE (taches blanches, en haut à gauche). Adapté à partir de [38]. sèques par réaction croisée, comme décrit ci-dessus. Un matériau TUNEL positif a été détecté uniquement dans les dépôts denses et est systématiquement colocalisé in vivo avec les auto-anticorps déposés, révélés par la protéine A marquée par des NÉPHRITE LUPIQUE : FIXATION GLOMÉRULAIRE D’AUTO-ANTICORPS 213 particules d’or de 5 nm. Ces résultats obtenus par des études minutieuses de microscopie électronique, démontrent clairement que la chromatine apoptotique est la structure cible exclusive des auto-anticorps néphropathogènes. Des études supplémentaires sont nécessaires pour déterminer si ce matériau nucléosomique apoptotique est formé localement ou provient de la circulation. De plus, il serait souhaitable d’identifier les structures glomérulaires auxquelles se lie ce matériau nucléosomique. Sur la base de nos observations, nous suggérons que l’HS peut constituer un tel ligand. De plus, Lefkowith et al. ont mis en évidence que le collagène IV est également capable de lier le nucléosme [40]. Des études récentes d’affinité par résonance de surface conduites avec le système Biacore ont démontré que les nucléosomes possèdent une affinité élevée pour le collagène IV et la laminine (valeurs de Kd de 10–8 à 10–9 M) [41]. Ces résultats sont en contradiction avec les études TUNEL mentionnées ci-dessus dans lesquelles aucune colocalisation du matériau positif TUNEL n’est observée avec les anticorps anti-laminine dans les dépôts denses. De manière similaire au cas de l’HS, ceci peut être expliqué par le fait que la laminine est masquée dans les dépôts denses par les nucléosomes. Par conséquent, des études d’élution doivent être conduites afin d’éliminer les complexes déposés pour déterminer si la laminine peut être extraite des dépôts denses, comme nous avons pu l’observer récemment pour l’HS [37]. CONCLUSION Ces résultats récents suggèrent fortement que les nucléosomes apoptotiques sont les cibles majeures pour les auto-anticorps néphropathogènes. Sur la base de ces observations, selon notre opinion, la question posée dans le titre de cet article peut être considérée comme résolue. Remerciements Nos travaux sont actuellement soutenus par des fonds du programme PhD du Radboud University Nijmegen Medical Center et de la Dutch Kidney Foundation (Contrat C05.2119). BIBLIOGRAPHIE 1. BERDEN JH. Lupus nephritis. Kidney Int, 1997 ; 52 : 538-558. 2. TER BORG EJ, HORST G, HUMMEL EJ et al. Measurement of increases in anti-double-stranded DNA antibody levels as a predictor of disease exacerbation in systemic lupus erythematosus. A long-term, prospective study. Arthritis Rheum, 1990 ; 33 : 634-643. 3. DESAI DD, MARION TN. Induction of anti-DNA antibody with DNA-peptide complexes. Int Immunol, 2000 ; 12 : 1569-1578. 4. MOENS U, SETERNES OM, Hey AW et al. In vivo expression of a single viral DNA-binding protein generates systemic lupus erythematosus-related autoimmunity to double-stranded DNA and histones. Proc Natl Acad Sci U S A 1995 ; 92 : 12393-12397. 214 J.H.M. BERDEN ET COLL. 5. REKVIG OP, NOSSENT JC. 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