Essais cliniques de médicament: Illustration par le Vioxx Ma thèse

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DESCRIPTIF POUR PRIX LATSIS
Essais cliniques de médicament: Illustration par le Vioxx
Ma thèse traite des essais cliniques de médicaments. Son objectif est de décrire et d'analyser les
principes scientifiques, économiques et juridiques qui régissent ces essais; l'approche est donc
résolument interdisciplinaire. La comparaison entre les droits suisse, européen et américain y tient
une place importante, notamment en raison du rôle précurseur joué par les autorités sanitaires
américaines.
Plutôt que d'évoquer ces principes et interactions de manière abstraite, une illustration permet de les
appréhender concrètement. Le cas du médicament Vioxx fournit l'exemple idéal, en mettant en
exergue tant la nécessité scientifique des essais cliniques que leurs incidences économiques et
juridiques.
Vioxx (nom générique: rofecoxib) est un médicament sur prescription appartenant à la classe des
inhibiteurs de la coxib-2 (appelée communément coxib), dont font partie notamment Bextra et
Celebrex1. Il s'agit d'un anti-douleur, particulièrement indiqué en cas d'arthrose/arthrite.
Commercialisé depuis juin 1999 par la société pharmaceutique Merck, il a été brusquement retiré
du marché mondial le 30 septembre 20042. Ce retrait a eu un retentissement colossal. Il résultait de
l'évaluation intermédiaire de l'essai clinique APPROVe3. De celle-ci ressortait que les sujets de
recherche recevant le Vioxx subissaient des troubles cardiaques nettement plus fréquents que ceux
prenant un placebo (produit complètement inactif auquel a été donné la même apparence que le
médicament testé4). Autrement dit, l'essai APPROVe a fourni la preuve que le Vioxx cause des
troubles cardiaques, en particulier des crises cardiaques (infarctus du myocarde).
Ce n'est bien sûr pas la première fois qu'un médicament doit être retiré du marché en raison de
risques n'ayant pas été détectés par l'autorité publique au moment de se prononcer sur la demande
de mise sur le marché. En effet, une demande de mise sur le marché s'appuie sur des essais
cliniques auxquels n'ont participé au mieux que quelques milliers de patients. Ce chiffre, même s'il
peut paraître élevé, est très nettement inférieur aux millions de patients qui reçoivent le médicament
après sa mise sur le marché. Dans le cas du Vioxx, il a été estimé que, aux Etats-Unis seulement,
quelques 20 millions de patients l'ont ingéré5. Par conséquent, il est normal que certains effets
indésirables, en particulier ceux assez rares, ne soient pas décelés lors des essais cliniques
antérieurs à la mise sur le marché.
1
Celebrex (celecoxib) est toujours disponible sur le marché. Pour raisons de sécurité, Bextra (valdecoxib) a été retiré du
marché en 2005. D'autres coxibs, notamment Arcoxia de Merck et Prexige de Novartis, se sont vus refuser leur
autorisation de mise de marché aux Etats-Unis (AMM).
2
En Suisse, voir le communiqué de presse de Swissmedic (Institut suisse des produits thérapeutiques), intitulé "Retrait
de Vioxx dans le monde entier" (30 septembre 2004). Voir ensuite, Swissmedic, "Sécurité d'emploi des antiinflammatoires: état actuel des connaissances (20 octobre 2004); "Prise de position de Swissmedic sur la suspension
prématurée d'un essai clinique avec Celebrex" (20 décembre 2004); "Evaluation des risques liés aux anti-inflammatoires
inhibiteurs de la COX-2: derniers développements dans l'UE et aux Etats-Unis" (2005); "Nouveaux résultats sur le
risques cardiovasculaires de Celebrex" (6 janvier 2005); "Suspension immédiate de la distribution de Bextra comprimés
filmés" (7 avril 2005); "Dernières connaissances scientifiques sur les risques cardio-vasculaires des anti-inflammatoires
non stéroïdiens" (13 juin 2005).
3
APPROVe est la désignation abrégée de l'essai "Adenomatous Polyp Prevention on Vioxx".
4
La comparaison du médicament testé avec un produit interne permet de distinguer les effets dus aux médicaments des
effets attribuables à l'effet placebo. L'effet placebo consiste en une modification de l'état de santé (effets bénéfiques ou
nuisibles) des patients qui croient recevoir un médicament actif. En créant deux groupes distincts de sujets de recherche,
dont l'un reçoit le médicament testé et l'autre reçoit le placebo, on peut quantifier les effets du médicament qui vont audelà de l'effet placebo.
5
Au niveau mondial, on estime que 80 millions de personnes ont été exposées au Vioxx.
Dans le cas du Vioxx, les choses se présentent toutefois de manière plus complexe – d'où l'intérêt de
cet exemple afin de mettre en lumière le rôle des essais cliniques. Pour le comprendre, revenons
quelques années en arrière.
Au moment où l'agence américaine, la Food and Drug Administration (FDA), donne son
autorisation de mise sur le marché (AMM) au Vioxx, les essais cliniques analysés ne révèlent guère
d'indices de toxicité cardiovasculaire6. L'hypothèse d'un tel risque a certes été posée en raison du
mécanisme d'action des coxibs7. Cependant, le risque ne s'est pas concrétisé lors des essais cliniques
pre-AMM. Aussi, en mai 1999, la FDA approuve-t-elle le Vioxx au terme d'une procédure
accélérée qui n'aura duré que six mois.
Toutefois, Merck n'est alors pas parvenue à convaincre la FDA que le Vioxx est plus efficace contre
les douleurs que les médicaments classiquement utilisés, à savoir les anti-inflammatoires nonstéroïdiens (AINS) tels le naproxen ou le diclofenac. Plus gênant pour la société américaine, celle-ci
n'a pas non plus convaincu la FDA que Vioxx est moins toxique pour l'estomac que les AINS. Or,
un tel bénéfice gastro-intestinal est la raison pour laquelle les médicaments de la classe des coxibs
ont été développés8. C'est ce bénéfice qui doit leur permettre de s'emparer des parts de marché des
AINS, médicaments d'ancienne génération disponibles à très prix bas et généralement sans
prescription.
Pour convaincre la FDA de l'existence d'un tel bénéfice et donc obtenir l'autorisation d'en faire état
dans la notice d'emploi du Vioxx, Merck lance dès janvier 1999 un essai clinique randomisé9, en
double-aveugle10, multi-centrique11. En comparant le Vioxx au naproxen, l'essai clinique VIGOR a
pour but de démontrer sa moindre toxicité sur l'estomac des patients. Huit mille patients sont
recrutés. Ceux souffrant de troubles cardiaques et/ou devant prendre régulièrement de l'aspirine à
titre cardio-préventif ne peuvent y participer. Autrement dit, la population de sujets de recherche
étudiée dans l'essai VIGOR n'est pas particulièrement susceptible de souffrir de problèmes
cardiaques. Et pourtant, début 2000, au terme de neuf mois d'étude, Merck est confrontée à un
double résultat qui ne la satisfait que partiellement. Oui, Vioxx est moins nocif sur l'estomac que le
6
Le rapport d'évaluation de la FDA daté du 23 novembre 1998 observe toutefois: "in the six-month studies the 50 mg
dose was associated with a numerically higher incidence of hypertension, fluid retention, edema, renal-related
laboratory abnormalities and GI adverse events compared to the 12.5 and 25 mg doses." L'expert en conclut: "The most
frequent serious adverse events were of the cardiovascular system in all study groups. With the available data, it is
impossible to answer with complete certainty whether the risk of cardiovascular and thromboembolic events is
increased in patients on rofecoxib. A larger database will be needed to answer this and other safety comparison
questions."
7
L'hypothèse dite "Fitzgerald" a été posée en 1998.
8
Selon des estimations hautes et aujourd'hui remises en cause, les AINS causeraient chaque année, aux Etats-Unis,
quelques 107'000 hospitalisations et 16'500 décès. Selon l'estimation révisée à la baisse, le nombre de décès serait
d'environ 5'000. Cf. par exemple le blog de Merrill Goozner, "Bad News Day for Big Pharma" du 14 janvier 2008.
9
Un essai randomisé est un essai où l'attribution des sujets de recherche à chacun des groupes étudiés (en l'occurrence
au groupe Vioxx ou au groupe naproxen) se fait de manière purement aléatoire. Autrement dit, personne – ni le
médecin, ni le patient - ne peut choisir qui recevra le Vioxx. Grâce à la randomisation, les groupes constitués doivent
présenter des caractéristiques similaires. La randomisation renforce ainsi la fiabilité scientifique des résultats observés.
10
Le double-aveugle signifie que ni les sujets de recherche ni le personnel participant à l'étude ne savent qui reçoit le
médicament expérimental testé et qui reçoit le produit de comparaison. Le plus souvent, seul un petit nombre de
chercheurs ne participant pas directement à la réalisation de l'essai a connaissance de l'attribution des sujets de
recherche. Ces personnes réunies dans un comité de pilotage s'assurent à intervalles réguliers que les risques et les
bénéfices pour l'un ou l'autre des groupes étudiés n'ont pas atteint une ampleur telle que la poursuite de l'étude en
devient contraire à l'éthique.
11
Un essai multi-centrique est celui mené dans plusieurs hôpitaux ou cabinets médicaux distincts; chaque centre recrute
des sujets de recherche, administre les traitements et effectue un suivi conformément aux directives uniformes
contenues dans le protocole (document-cadre) de l'essai clinique. Dans le cas de l'essai VIGOR, 301 centres dans 22
pays ont participé à l'étude.
comparatif naproxen. Mais, les sujets de recherche ayant reçu le Vioxx ont subi davantage de
troubles cardiaques que les sujets ayant reçu le naproxen12.
La nouvelle est potentiellement dramatique pour Merck. En effet, même sans notice d'emploi
faisant état d'un bénéfice gastro-intestinal démontré, le Vioxx a acquis des parts de marché
considérables. En 2000. son chiffre d'affaires annuel dépasse les 2 milliards de dollars, faisant de lui
un blockbuster13. Le Vioxx est destiné à devenir le produit-phare de Merck. Il peut être prescrit à
une population très nombreuse et en constante croissance démographique: les "seniors". Malgré la
notice d'emploi qui recommande un usage bref, le Vioxx est souvent utilisé pendant de longues
périodes, voire même de manière chronique. En d'autres termes, le Vioxx présente les attributs du
parfait blockbuster. Certes, il se partage le marché des coxibs avec d'autres produits, notamment le
Celebrex de Pfizer, mais ce marché est suffisamment profitable pour deux entreprises.
En juin 2000, les résultats de l'essai VIGOR sont communiqués aux agences du médicament, et
notamment à la FDA américaine. Comme le veut la loi et la pratique, ces résultats doivent être
intégrés à la notice d'emploi, afin que les médecins et, dans une moindre mesure, les patients
puissent prendre une décision éclairée sur les risques et bénéfices du produit. En raison de la
faiblesse de la FDA – faiblesse imputable tant à des motifs institutionnels que juridiques –, la
discussion sur les modifications à apporter à la notice d'emploi du Vioxx vont prendre près de 18
mois. Plus qu'un débat scientifique, c'est une véritable négociation entre la FDA et Merck qui
s'engage. L'argument de Merck (pour défendre son produit et s'opposer à une mise en garde cardiovasculaire trop sévère) est que l'essai VIGOR n'a pas prouvé le lien de causalité entre Vioxx et les
troubles cardio-vasculaires. Selon Merck, le pourcentage plus élevé d'infarctus dans le groupe
Vioxx s'explique par … le caractère cardio-protecteur du naproxen. Plus précisément, Merck défend
la thèse que Vioxx est neutre pour le cœur, alors que le naproxen protège le cœur des patients, à
l'image de l'aspirine, médicament dont les vertus cardio-protectrices sont scientifiquement avérées.
L'argument de Merck repose sur certaines similarités entre le naproxen et l'aspirine, mais sans que
les vertus cardio-protectrices du naproxen n'aient, elles, été prouvées par essai clinique. L'argument
de Merck, sans être illogique, n'est donc pas scientifiquement établi. Inversement, la FDA ne peut
pas prouver la thèse contraire. Au bout de plusieurs mois de négociation, en avril 2002, la notice
d'emploi est finalement modifiée pour inclure un avertissement sur les risques cardio-vasculaires,
mais la formulation est suffisamment peu inquiétante pour ne pas trop affecter les ventes du Vioxx.
La logique scientifique aurait voulu que Merck lance dans les plus brefs délais un grand essai
clinique pour confirmer ou infirmer son argument. Quatre ans s'écoulent sans qu'une telle
information n'émerge. Au sein de Merck, des discussions ont lieu sur la nécessité de conduire un tel
essai et sur la façon de le concevoir. En attendant, la force de vente de Merck minimise le possible
risque cardio-vasculaire. La FDA devra même adresser à Merck une lettre d'avertissement,
critiquant de manière sévère les assertions – fausses – d'une parfaite sécurité cardio-vasculaire du
Vioxx14. Plus tard, la divulgation d'emails internes du département marketing jettera une lumière
crue sur les pratiques commerciales de l'entreprise américaine.
Début 2000, Merck choisit cependant d'initier un grand essai clinique dont l'objectif n'est pas
d'évaluer la sécurité cardiovasculaires du Vioxx, mais d'explorer une possible nouvelle indication
thérapeutique. L'entreprise envisage en effet d'obtenir une AMM l'autorisant à vendre et
12
Sur un total 8'076 sujets de recherche, il y a eu 17 infarctus du myocarde dans le groupe Vioxx contre 4 dans le
groupe naproxen, ce qui signifie un risque relatif de 4.25 (risque multiplié par 4.25). Cinq ans plus tard, le New England
Journal of Medicine qui a publié l'étude VIGOR initiale révèlera à ces lecteurs qu'il aurait fallu compter 20 infarctus du
myocarde dans le groupe Vioxx contre toujours 4 dans le groupe naproxen, élevant ainsi le risque relatif à 5 (contre
4.25 avant la correction).
13
En 2002, le chiffre d'affaires du Vioxx était de USD 2.5 milliards.
14
"Warning letter" du 17 septembre 2001. La FDA avait déjà (en décembre et en juillet 1999) adressé à Merck deux
avertissements relatifs au Vioxx.
promouvoir son médicament comme prévenant les polypes à l'origine de cancer colorectaux15.
L'essai clinique APPROVe doit démontrer que le Vioxx prévient de tels polypes. L'essai est mené
contre placebo et doit durer 3 ans; 2'500 sujets de recherche sont recrutés. Cette fois encore, les
personnes qui souffrent de troubles cardiaques sont exclues. En revanche, environ 500 personnes
prenant régulièrement de l'aspirine faiblement dosée à des fins cardio-protectrices peuvent y
particulier. Par rapport à l'essai VIGOR, les critères de participation sont plus larges et
correspondent à une population de patients plus proche de la réalité clinique.
Le 23 septembre 2004, le comité chargé d'évaluer périodiquement les résultats intermédiaires de
l'essai APPROVe arrive à la fameuse conclusion, évoquée en début d'article, que les sujets de
recherche recevant le Vioxx subissent davantage d'incidents cardiaques que les sujets ayant reçu un
placebo16. Merck met immédiatement fin à l'essai APPROVe, deux mois avant la date d'échéance
initialement prévue. Cette fois, la conclusion est inattaquable, puisque le comparatif utilisé, un
placebo par définition inerte, ne peut pas avoir protégé le cœur des sujets de recherche. C'est la
preuve scientifique que le Vioxx est bien la cause des infarctus.
Sans attendre, Merck retire le Vioxx dans le monde entier. Son communiqué de presse insiste sur
son devoir éthique vis-à-vis des patients17.
Mais les problèmes du géant pharmaceutique viennent seulement de commencer18. Tout d'abord, le
cours de l'action Merck décroche. Le 1er septembre 2004, l'action se vend à 39 dollars; le 1er octobre
2004, elle ne vaut plus que 29 dollars19. La chute du cours boursier suscite la colère des actionnaires
qui, comme c'est souvent le cas aux Etats-Unis dans pareilles circonstances, ouvrent action en
justice pour violation du devoir d'information boursière dû aux investisseurs20. De même, des
employés de Merck saisissent la justice en invoquant une atteinte à leurs droits de pensionnés21.
Comme c'est toujours le cas aux Etats-Unis, les patients ayant pris du Vioxx ouvrent eux aussi
action. La gamme des troubles cardiaques invoqués par les plaignants varie fortement. Certains
réclament d'être indemnisés simplement pour le risque résiduel qui demeure après avoir arrêté le
Vioxx. Quelques 27'000 actions sont dénombrées22. Certains patients européens tentent même leur
15
Plus précisément, l'essai visait à déterminer si Vioxx pouvait prévenir la récurrence de polypes colorectaux chez les
patients ayant des antécédents d'adénomes colorectaux.
16
Il y a eu 21 infarctus du myocarde dans le groupe Vioxx contre 9 dans le groupe placebo. Au total, il y a eu 31
événements cardiaques dans le groupe Vioxx contre 12 dans le groupe placebo (risque multiplié par 2.8); il y a eu 15
événements cérébrovasculaires (notamment des attaques cérébrales) dans le groupe Vioxx contre 7 dans le groupe
placebo (risque multiplié par 2,3).
17
Selon le CEO de Merck, Raymond V. Gilmartin, "We are taking this action because we believe it best serves the
interests of patients". Cf. communiqué de presse Merck du 30 septembre 2004.
En septembre 2006, Merck rend public le rapport du Juge John S. Martin qu'elle a mandaté par la société pour évaluer
la conduite de ses hauts cadres. Le rapport de 179 pages arrive à la conclusion que les dirigeants de Merck ont agi avec
intégrité, de bonne foi et de manière raisonnable. Toutefois, ce rapport est focalisé sur la question d'une "intentional
wrongdoing", sans envisager et trancher l'hypothèse de négligences.
18
Pour un tour d'horizons des procès intentés contre Merck, voir l'ouvrage (très critique à l'égard des plaignants) de
Richard Epstein, Overdose, How Excessive Government Regulation Stifles Pharmaceutical Innovation, Oxford
University Press (2006).
19
Ce sont 27 milliards de dollars de capitalisation boursière qui "s'évaporent".
20
Voir dernièrement l'arrêt de la Cour d'appel du 3ème circuit: In re Merck Securities Derivative & ERISA Litigation,
493 F.3d 393 (18 juillet 2007).
21
Cf. par ex. Mary Pat Gallagher, Vioxx settlement buoys lawyers in shareholder, ERISA suits against Merck, New
Jersey Law Journal (15 novembre 2007).
22
Dans son rapport annuel 10-K pour 2006, Merck indique "as of December 31, 2006, approximately 27,400 product
liability lawsuits, involving approximately 46,100 plaintiff groups, alleging personal injuries resulting from the use of
Vioxx, have been filed against the Company in state and federal courts in the United States. The Company is also a
defendant in approximately 264 purported class actions related to the use of Vioxx."
chance aux Etats-Unis, estimant que leurs perspectives de succès y sont bien meilleures qu'auprès
de leurs tribunaux locaux23.
De manière plus originale, la justice est aussi saisie d'actions de consommateurs se plaignant d'avoir
trop payé pour le Vioxx. Leur argument? S'ils avaient été avertis du risque cardio-vasculaire, ils
n'auraient pas acheté le Vioxx ou l'auraient acheté moins cher. Tant les patients utilisateurs finaux
que les tiers payeurs, notamment des assureurs et des entités gouvernementales, réclament d'être
remboursés24.
En 2007, le nombre de patients lésés représentés par avocats avoisine les 50'00025. Les frais de
défense de la société pharmaceutique sont d'autant plus considérables que le droit de procédure
américain sur les moyens de preuve ("discovery") est nettement plus généreux que les droits
européens. Merck doit mettre à disposition des plaignants des millions de documents26. A eux seuls,
les emails échangés par les employés de Merck sont un casse-tête juridique27.
Fin 2007, Merck, qui avait initialement proclamé une position intransigeante – refus des compromis
judiciaires et stratégie agressive de défense – change d'avis. Un accord de grande ampleur est
proposé aux plaignants américains lésés par le Vioxx. Le coût de cette transaction est chiffré à près
de 5 milliards de dollars. Il doit mettre fin à la grande majorité des procès basés sur la responsabilité
du fait des produits. L'indemnisation moyenne, après prélèvement des frais d'avocats (le plus
souvent des "contingency fees"), est estimée à 100'000 dollars28.
Au 1er janvier 2008, l'action Merck est remontée à 57 dollars. Merck a remplacé son blockbuster
Vioxx par cinq médicaments-phares29, dont son illustre vaccin Gardasil. Quelques procès vont se
poursuivre, mais la menace juridique est maintenant revenue à des proportions somme toute
gérables. Merck a évité une catastrophe judiciaire du type de celle ayant plombé durablement
Wyeth (plus de 20 milliards de dollars suite au retrait des médicaments "fen-phen" Pondimin et
Redux).
En revanche, le cataclysme a eu des répercussions durables sur les autres acteurs de la scène
pharmaceutique. La FDA en sort largement discréditée, notamment pour n'avoir pas exigé
immédiatement une étude scientifique sur la sécurité du Vioxx. Fin 2007, une révision législative
("Food and Drug Administration Amendments Act of 2007") contraint l'agence à davantage de
23
Voir dernièrement l'arrêt du 31 juillet 2007: In re Vioxx Litigation, 395 N.J. Super. 358 (Sup.Ct. N.J. 2007).
En septembre 2007, la Cour suprême de l'Etat du New Jersey a refusé d'accorder le statut de "class action" à ces
plaintes, diminuant ainsi très nettement la menace pesant sur Merck.
25
Seule une poignée de plaintes ont été tranchées par la justice, à savoir un juré composé de laïques. Merck a gagné 11
cas sur 16. Dans les cinq cas où elle a perdu, les dommages alloués par les jurés au plaignant ont été élevés, jusqu'à 253
millions de dollars au Texas (ramené à environ USD 25 millions par l'effet d'un plafond légal). Voir par exemple In re
Vioxx Products Liability Litigation, 2007 U.S. Dist. 85153 (E.D.La. 5 juin 2007) et 448 F.Supp.2d 737 (E.D.La. 30
août 2006).
26
Selon le rapport du juge Martin, Merck a produit plus de 23 millions de pages dans les diverses procédures ayant
suivi le retrait du Vioxx.
27
Voir ainsi l'arrêt du 14 août 2007: In re Vioxx Products Liability Litigation, 2007 U.S. Dist. Lexis 60299 (E.D.La
2007).
28
Les patients qui acceptent l'offre de Merck doivent renoncer à toute plainte ultérieure. De manière plus inhabituelle,
l'accord stipule apparemment que chaque avocat doit soit recommander à tous ses clients d'accepter l'accord, soit
recommander son refus à tous ses clients. Cf. Alex Berenson, Some Lawyers Seek Changes in Vioxx Settlement, article
paru dans le New York Times du 21 décembre 2007.
29
Quatre médicaments (hors vaccins) de Merck ont un chiffre d'affaires de blockbusters: Singulair (USD 3,6 milliards),
Cozaar/Hyzaar (USD 3,2 milliards); Fosamax (USD 3,1 milliards), Zocor (USD 2,8 milliards). Rapport 10-K de 2006,
p. 4.
24
transparence et renforce ses pouvoirs. Néanmoins, les reproches d'une agence trop dépendante de
l'industrie pharmaceutique continuent de pleuvoir30.
Les revues médicales sont également prises dans la tourmente. Le prestigieux New England Journal
of Medicine, qui avait accepté, après examen par un comité de relecture indépendant ("peerreview"), de publier tant l'étude VIGOR31 que l'étude APPROVe32, remet en cause certaines de leurs
conclusions. Fin 2005, il critique les auteurs de l'étude VIGOR pour avoir caché que les bénéfices
gastro-intestinaux avaient été calculés sur une période légèrement plus longue que les risques
cardio-vasculaires33. Si risques et bénéfices avaient été recensés sur la même période (longue), le
risque cardio-vasculaire serait apparu, non pas 4 fois plus élevés, mais 5 fois plus élevés34. Un
risque aussi élevé aurait rendu hautement douteux l'argument de Merck relatif au caractère cardioprotecteur du naproxen. En été 2006, le New England Journal of Medicine doit également publier le
correctif des auteurs de l'étude APPROVe; ceux-ci se sont en effet trompés dans le choix de l'outil
statistique fixant le moment à partir duquel le risque cardio-vasculaire fait son apparition. Se
fondant sur une analyse post hoc intrinsèquement moins fiable, l'article original défendait la thèse –
hautement favorable aux intérêts judiciaires de Merck – que ce risque n'apparaissait qu'au bout de
30
Parmi les reproches qui pèsent sur la FDA est celui d'être intervenue, de manière insidieuse, pour faire obstacle à la
grande majorité des actions judiciaires de patients lésés par un médicament. Par le biais du préambule de sa
réglementation sur l'étiquetage des médicaments sur prescription (71 Fed.Reg. 3922 du 24 janvier 2006), la FDA défend
le point de vue qu'une entreprise pharmaceutique ne peut pas être tenue pour responsable (pour défaut de mise en garde
– "failure to warn") lorsque l'étiquetage de son médicament respecte les exigences de la FDA. L'argument de la FDA a
cependant été écarté par une majorité de tribunaux américains. Voir dernièrement l'arrêt du 3 juillet 2007, In re Vioxx
Products Liability Litigation, 2007 U.S. Dist. Lexis 48367 (E.D.La. 2007)
31
Claire Bombardier et al., Comparison of Upper Gastraintestinal Toxicity of Rofecoxib and Naproxen in Patients with
Rheumatoid Arthritis, n° 343 NEJM p.1520 (23 novembre 2000) ("Myocardial infarctions were less common in the
naproxen group than in the rofecoxib group (0.1 percent vs. 0.4 percent […]. … the effects of regular use of naproxen
may be similar to those of aspirin. […] Thus, our results are consistent with the theory that naproxen has a coronary
protective effect and highlight the fact that rofecoxib does not provide this type of protection owing to its selective
inhibition of cyclooxygenase-2 at its therapeutic dose and at higher doses. This finding that naproxen therapy was
associated with a lower rate of myocardial infarction needs further confirmation in larger studies.").
32
Robert S. Bresalier et al., Cardiovascular Events Associated with Rofecoxib in a Colorectal Adenoma
Chemoprevention Trial, n° 352 NEJM p.1092 (17 mars 2005) ("In this randomized, placebo-controlled, double-blind
trial, we found that long-term use of the COX-2 inhibitor rofecoxib was associated with an increased risk of
cardiovascular events [note: risk almost doubled]. In post hoc analyses, the increased relative risk of adjudicated
thrombotic events was first observed after 18 months of treatment.").
33
Gregory D. Curfman et al. Expression of Concern, n° 353 NEJM p.2813 (29 décembre 2005) ("Taken together, these
inaccuracies and deletions call into question the integrity of the data on adverse cardiovascular events in this article.").
Claire Bombardier et al., Response to Expression of Concern Regarding VIGOR Study, n° 354 NEJM p.1196 (16 mars
2006) ("Thus, we stand by our original article, which was written in line with basic clinical trial principles, specifying
that data must be analyzed according to plans that are determined before unblinding.")
Alise Reicin & Deborah Shapiro (Merck employee), Response to Expression of Concern, n° 354 NEJM p.1198 (16
mars 2006) ("… these three myocardial infarctions on rofecoxib were not included simply because they were reported
to Merck after the prespecified cutoff date for the primary analysis of cardiovascular events in the trial. […] Adherence
to a prespecified plan is routine and appropriate when reporting scientific data precisely because this practice avoids
later allegations that data were manipulated.").
Gregory D. Curfman et al. Expression of Concern Reaffirmed, n° 354 NEJM p. 1193 (16 mars 2006) ("The information
we have indicates that the VIGOR article, because it did not contain relevant safety data available to the authors more
than four months before publication, did not accurately reflect the potential for serious cardiovascular toxicity with
rofecoxib.").
On signalera encore la lettre ouverte de Merck du 15 décembre 2005 qui souligne que les trois infarctus du myocarde
survenus avec le 10 février 2000 avaient été signalés à la FDA fin 2000 et discutés en public en février 2001.
34
De plus, les 3 infarctus du myocarde supplémentaires ont touché des patients qui, vérification faite a posteriori,
n'appartenaient pas au groupe à risque (pour lequel un traitement préventif d'aspirine aurait été indiqué). Il s'ensuit que
le risque cardiovasculaire accru affecte non pas seulement un groupe à risque (et pour lequel des mesures de précaution
sont envisageables), mais une population large de patients (pour lequel la prévention est plus difficile ou impossible).
18 mois d'utilisation du Vioxx. Une fois l'erreur statistique corrigée, l'affirmation doit être retirée35.
D'un point de vue scientifique et statistique, l'essai APPROVe ne peut exclure un risque beaucoup
plus précoce, augmentant d'autant le nombre de plaignants potentiels. Des recherches
complémentaires publiées dans d'autres revues réputées affirment que le risque cardio-vasculaire
aurait pu – et dû – être identifié beaucoup plus tôt36.
L'histoire Vioxx illustre magnifiquement les tensions au sein du secteur pharmaceutique. Les
médicaments sont des produits hautement régulés, ce qui n'empêche pas les controverses
scientifiques, les doutes sur l'efficacité des autorités publiques ainsi qu'une judiciarisation croissante
des échecs médicamenteux. Droit, science et intérêts économiques y apparaissent étroitement liés.
Leur coexistence est généralement pacifique et bénéfique à tous. Plus rarement, des tensions, des
incertitudes ou des lacunes surgissent. Leurs conséquences sociales peuvent être lourdes: aux EtatsUnis, il a été estimé que 55'000 personnes seraient mortes d'un infarctus dû au Vioxx37.
35
Correction to Bresalier et al., n° 355 NEJM p.221 (13 juillet 2006) ("Analysis using the logarithm of time leads to the
following changes […] [S]tatements regarding an increase in risk after 18 months should be removed from the Abstract
[…] and from the Discussion section […]").
Stephen W. Lagakos, Time-to-Event Analyses for Long-Term Treatments – The APPROVe Trial, n° 355 NEJM p.113
(13 juillet 2006).
On mentionnera encore la lettre ouverte de Merck du 26 juin 2006 accompagnée d'explications statistiques et
maintenant l'argument d'une "séparation" au bout de 18 mois seulement ("We reaffirm our assessments that the
correction does not change the results of the APPROVe study.").
36
Peter Juni et al., Risk of cardiovascular events and rofecoxib: cumulative meta-analysis, n° 364 The Lancet p.2021 (4
décembre 2004) ("We identified 18 randomised controlled trials and 11 observational studies. By the end of 2000 (52
myocardial infractions, 20 742 patients) the relative risk from randomised controlled trials was 2.30 […] and 1 year
later (64 events, 21 432 patients) it was 2.24. There was little evidence that the relative risk differed depending on the
control group […] or trial duration […]. In observational studies, the cardioprotective effect of naproxen was small
[…] and could not have explained the findings of the VIGOR trial.").
D'autres articles critiquent le NEJM pour avoir attendu cinq ans avant de publier ses doutes sur l'étude VIGOR (par ex.
Richard Smith, "Lapses at the New England Journal of Medicine", 99 JRSM p.320 (août 2006). Que NEJM ait touché
pas loin d'un million de dollars de Merck pour les 900'000 "reprints" de l'article VIGOR ne contribue pas à l'image que
se fait le public d'un journal scientifique indépendant.
37
David Graham, l'employé de la FDA devenu célèbre suite à l'affaire Vioxx, a déclaré: "[my] report estimated that
nearly 28,000 excess cases of heart attack or sudden cardiac death were caused by Vioxx. I emphasize to the Committee
that this is an extremely conservative estimate. FDA always claims that randomized clinical trials provide the best data.
If you apply the risk-levels seen in the 2 Merck trials, VIGOR and APPROVe, you obtain a more realistic and likely
range of estimates for the number of excess cases in the US. This estimate ranges from 88,000 to 139,000 Americans.
Of these, 30-40% probably died." (témoignage du 18 novembre 2004).
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