Faut-il faire perdre du poids aux patients de plus de 60 ans ?

publicité
en pratique
Faut-il faire perdre du poids
aux patients de plus de 60 ans ?
Analyse de la littérature
Pr Patrick Ritz*
Une perte de poids est recommandée comme première ligne de
traitement du diabète, et il y a de
nombreux arguments démontrant le
bénéfice sur l’équilibre glycémique
et sur la réduction des facteurs de
risque cardiovasculaire. Cependant,
aucune étude de qualité méthodologique irréprochable, n’a été conçue
pour montrer une plus faible mortalité chez les patients avec une perte
de poids durable. Il y a même des
études épidémiologiques suggérant
que la perte de poids est associée
à une surmortalité. C’est particulièrement le cas chez les personnes
âgées de plus de 55-60 ans conduisant à des messages et recommandations d’extrême prudence.
S
eules les études de cohorte
de patients ayant eu recours
à la chirurgie bariatrique
(1, 2) ont suggéré une réduction
de mortalité chez l’obèse avec une
perte de poids importante. Chez
les personnes âgées de plus de 5560 ans, la chirurgie bariatrique a
été associée à une surmortalité,
jusqu’à des études récentes de cas
qui tempèrent cet argument (3).
Alors que faire devant un patient
* Unité transversale de nutrition clinique, Hôpital de Rangueil,
Toulouse
© Meddy Popcorn - Fotolia
Introduction
diabétique de type 2 de 60 ans à la
découverte de son diabète ? Que
faire par extension chez un patient
du même âge avec des comorbidités associées à l’obésité (arthrose,
syndrome d’apnées du sommeil)
qu’une perte de poids pourrait
améliorer ? Au-delà de l’argument
ultra-orthodoxe en termes de méthodologie selon lequel aucun essai ne sera construit pour prouver
la surmortalité d’une stratégie, et
que par conséquent nous resterons longtemps sans preuve, cette
analyse de la littérature permet
d’être relativement serein.
Les évidences
Relation moRtalité/IMC
La relation entre la mortalité et
l’IMC est souvent décrite comme
une courbe en U. Aux catégories
les plus basses et les plus hautes
d’IMC correspond une surmortalité. Si ces courbes sont analysées
en fonction de l’âge, l’U a tendance
à s’aplatir et les valeurs d’IMC se
décalent vers la droite. En effet,
plus l’âge avance, plus le risque
relatif que le surpoids et l’obésité
entraînent le décès devient faible
par rapport aux autres causes de
décès. De plus, la taille diminuant,
l’IMC augmente naturellement,
décalant la courbe en U vers la
droite. Les patients âgés à l’IMC
le plus élevé sont cependant à
moindre risque de décès que ceux
à l’IMC le plus bas.
Diabète & Obésité • Décembre 2011 • vol. 6 • numéro 54
Une maladie
intercurrente
L’explication traditionnelle est que
la perte de poids importante, involontaire et associée à une maladie
intercurrente sévère, chez une
personne mince pourrait “gonfler” la mortalité des plus minces
et conduire à la conclusion que les
personnes avec un IMC élevé sont
relativement protégées. Cela a cependant conduit à des messages de
prudence, ne recommandant pas
la perte de poids volontaire chez
les personnes âgées (4). Pourtant
l’étude de Williamson avait montré que des femmes obèses de 40
à 64 ans, avec des comorbidités
associées à l’obésité et ayant perdu
du poids (quelque perte que ce
369
en pratique
Tableau 1 - Risque de mortalité en cas de perte de poids, selon Yaari et al. (15).
Variation de poids entre 1963 et1968
Mortalité ajustée
par 1000 personnes-année
soit), avaient une mortalité réduite de 20 % à 12 ans (5).
Perte de poids volontaire
ou involontaire Quelques études récentes analysent le caractère intentionnel ou
non intentionnel de la perte de
poids et modulent cette analyse.
Quelques études prospectives
analysant la perte de poids (volontaire et involontaire) trouvent
Perte de plus de 5 kg
Perte de
1-5 kg
Poids stable
à ± 1 kg
Prise de
1-5 kg
Prise de plus
de 5 kg
18,7
15,2
13,3
11,6
11,0
tients qui ont choisi de perdre du
poids volontairement étaient aussi
ceux qui avaient le plus de facteurs
de risque cardiovasculaire.
Mortalité élevéE en cas de
perte de plus de 5 kg
La mortalité est la plus forte dans la
catégorie de ceux qui perdent plus
de 5  kg (même après avoir éliminé
les morts des 5 premières années)
(Tab. 1). La mortalité est de cause
Les patients dont l’IMC est > 30 kg/m2 qui
perdent du poids n’ont pas de surmortalité.
une surmortalité de toute cause
mais aussi de façon surprenante
de cause cardiovasculaire.
Savoir lire entre les
lignes
L’étude de Yaari (6) porte sur plus
de 10 000 hommes fonctionnaires
israéliens évalués en 1963 (IMC,
poids, âge 40-65 ans) et en 1968
et analyse la mortalité 18 ans plus
tard.
Perdre du poids, risque élevé
Dans cette étude, les patients qui
perdaient plus de 5 kg en 5 ans
avaient un risque plus élevé d’être
“malade” à 5 ans. Non seulement
les cancers étaient plus fréquents,
mais aussi les facteurs de risque
vasculaire : diabète (20,9 vs 8,4 %
dans le groupe au poids stable),
tension artérielle systolique, et
insuffisance coronarienne. Les pa370
cardiovasculaire pour 30 % des cas.
Cependant, cette surmortalité ne
concerne que les patients les plus
minces au départ. Les patients dont
l’IMC est > 30 kg/m2 qui perdent
du poids n’ont pas de surmortalité.
Quand la pratique alimentaire est
considérée, le fait de faire un régime pour perdre du poids, ou pour
améliorer sa santé, ou ne pas changer son alimentation ne modifie
pas la mortalité, quelle que soit la
catégorie d’IMC de départ.
Prise modeste de poids
bénéfique pour les plus
minces
Cette étude qui prolonge une
analyse préalable (sur 13 études
publiées (7)) suggère donc que la
perte de poids majore le risque de
décès cardiovasculaire et d’autre
cause, surtout chez les patients
minces au départ. Dans cette population, un gain modeste de poids
a même tendance à minorer la
mortalité. Cependant, il n’y a pas
de surmortalité chez les obèses qui
perdent du poids, ni d’ailleurs de
réduction de mortalité par rapport
aux patients au poids stable.
La perte de poids
involontaire
Une analyse sur une grande cohorte de femmes américaines
(> 40 000) conclut de façon similaire (8). La perte de poids involontaire, mais pas la perte de poids
volontaire (ici de plus de 9,1 kg)
majore la mortalité totale par un
facteur de 1,4 à 1,7, et la mortalité
cardiovasculaire par un facteur
supérieur à 2. Cela est plus marqué
si la perte de poids apparaît après
55 ans, mais reste valable quel
que soit l’âge. Il est notable que les
femmes qui perdent du poids de
façon volontaire ou involontaire
déclarent un plus mauvais état de
santé perçu et ont plus de “maladies” que les femmes au poids
stable. Ce facteur “maladie” majore la mortalité, au point que les
femmes en bonne santé n’ont pas
de surmortalité quand elles perdent du poids. Il est encore noté
que les femmes les plus minces et
qui perdent du poids involontairement sont celles à la mortalité
la plus élevée. Les mêmes résultats sont obtenus dans l’étude
de Williamson et al. chez des
hommes (9).
En conclusion, les hommes et
les femmes en excès de poids
et quel que soit l’âge peuvent
Diabète & Obésité • Décembre 2011 • vol. 6 • numéro 54
Faut-il faire perdre du poids aux patients de plus de 60 ans ?
perdre du poids de façon volontaire sans excès de mortalité,
jusqu’à une limite d’âge moyen
de 60 à 65 ans.
Chez les plus âgés ?
Une analyse prospective porte
sur 985 Américains vivant en
communauté, âgés de 65 ans et
plus, suivis pendant 3 ans (10).
8,8 % ont perdu du poids de façon
volontaire, et 19,1 % de façon involontaire. Toutes choses égales
par ailleurs (modèle ajusté pour
toutes les causes classiques de
mortalité), la mortalité est deux
fois plus importante chez les
Des approches plus
élaborées
Perte de poids randomisée
Certains auteurs considèrent que
les études prospectives de cohortes ne sont pas assez précises
pour reconnaître le caractère volontaire on involontaire de la perte
de poids (12).
❚❚En faveur d’une perte de poids
pour l’une des études…
Shea et al. (13, 14) ont donc analysé
la mortalité au décours de deux
essais où la perte de poids a été
randomisée (par design) entre les
groupes. Ces deux études n’étaient
En conclusion, les hommes et les femmes en
excès de poids et quel que soit l’âge peuvent
perdre du poids de façon volontaire sans excès
de mortalité, jusqu’à une limite d’âge moyen de
60 à 65 ans.
maigres et n’est pas augmentée
chez les IMC les plus élevés. La
mortalité en cas de perte de poids
involontaire est de 1,67 fois celle
des patients de poids stable. La
perte de poids volontaire ne modifie pas la mortalité.
Dans une étude de registre de médecine générale britannique, où
4 786 hommes de 40-59 ans au recrutement ont été suivis pendant
8-12 ans, les mêmes conclusions
sont obtenues (11). Les hommes
avec une perte de poids volontaire
sont peu nombreux (limitant les
conclusions). En les séparant en
perte de poids par choix personnel
(n = 178) et perte de poids du fait
de la découverte d’une maladie ou
par suggestion de la part du médecin traitant (n = 164), les premiers
n’ont pas de surmortalité, voire
une discrète réduction de mortalité.
pas construites pour comparer la
perte de poids à son absence, mais
comportaient deux groupes de patients dont l’un perdait du poids et
pas l’autre. Cela devrait cependant
répartir les autres causes de mortalité potentielle entre les deux bras.
Dans la première étude (ADAPT :
arthritis diet activity promotion
trial (13)), 318 hommes et femmes
de plus de 60 ans sont répartis de
façon aléatoire entre deux bras :
un avec perte volontaire de poids
(4,8 kg à 18 mois) et un avec promotion de l’activité physique sans
perte de poids (1,4 kg). L’essai initial
est de 18 mois, la mortalité est évaluée 8 ans plus tard. Elle est moitié
moindre dans le groupe qui a perdu
du poids (14 décès) que dans l’autre
bras (29 décès). Cette étude est importante car elle porte sur des patients de 68 ans d’âge moyen, dont
75 % sont obèses, dépourvus de
maladie cardiovasculaire, d’HTA
Diabète & Obésité • Décembre 2011 • vol. 6 • numéro 54
ou de BPCO. Les analyses post-hoc
suggèrent une validité quelle que
soit la perte de poids, le genre, et
l’IMC de départ. La réduction de
mortalité est significativement plus
importante chez les plus de 67 ans.
❚❚Aucune différence pour
l’autre…
Dans une seconde analyse avec
la même stratégie, les mêmes auteurs (14) ont étudié la mortalité
au cours de l’essai TONE (Trial of
nonpharmacological intervention
in the elderly, essai sur la tension
artérielle). Cet essai chez des hypertendus sans autre maladie sévère (insuffisance cardiaque ou
coronaire, cancer, perte de poids
involontaire…) et d’âge moyen
65,5 ans, compare une stratégie
de perte de poids (au final 3,9 kg
maintenu à 30 mois) et une stratégie sans perte de poids (0,9 kg, par
restriction sodée) sur la mortalité
à 12 ans, sur un échantillon de 585
(sur les 975 patients initiaux) avec
un IMC > 25 kg/m2. La mortalité
n’est pas différente dans les deux
bras avant et après ajustement.
La perte de poids ne majore
pas la mortalité
Au total, quand la perte de poids
volontaire est randomisée par
le design de l’étude et que les
patients en excès de poids sont
sélectionnés pour ne pas présenter de pathologie sévère, la
mortalité totale n’est pas augmentée chez les personnes de
plus de 65 ans. Cependant, ces
études ne permettent pas de préciser quel aura été l’effet de la reprise
de poids (pour les patients concernés) sur la mortalité, et ne dégage
pas de preuve de cause à effet (l’effet non recherché des autres modifications). De plus les pertes de
poids sont modestes, et ne prédisent pas ce qui se passerait en cas
de perte de poids plus importante.
371
en pratique
Cela permet cependant de suggérer très fortement que la perte de
poids ne majore pas la mortalité.
Une revue récente de la littérature
avec méta-analyse des études à
tous les âges conclut que la perte
de poids intentionnelle n’est pas
associée à une surmortalité et que
la perte de poids ne peut être induite pour augmenter l’espérance
de vie (15). Une autre revue avec
sélection des études selon des critères stricts pour juger de l’inten-
mortalité, car il persiste des études
avec un sur-risque. Ces études
sont chez des sujets jeunes, et les
études chez les sujets de plus de
60 ans tendent à suggérer une réduction de mortalité (16).
Au total
Nous n’avons pas de preuve formelle, basée sur des études prévues
à cet effet, que la perte de poids volontaire réduit la mortalité. Ceci
Quand la perte de poids volontaire est
randomisée par le design de l’étude et que les
patients en excès de poids sont sélectionnés
pour ne pas présenter de pathologie sévère, la
mortalité totale n’est pas augmentée chez les
personnes de plus de 65 ans.
tion de perte de poids conclut que
nous ne pouvons pas encore faire
de recommandation au sujet de
la relation entre perte de poids et
est le cas tant chez la personne
relativement jeune que chez la
personne de plus de 55-60 ans. Ce
message peut être un peu plus op-
timiste après chirurgie de l’obésité.
Nous pouvons cependant considérer qu’il n’y a pas de surmortalité induite par la perte de poids
volontaire, quel que soit l’âge. Que
ce soit la perte de poids elle-même
ou les changements de style de vie
associés importent peu car dans
la prise en charge d’un patient, il
est rare que la perte de poids soit
le seul objectif. Une perte de poids
involontaire, signant une maladie
intercurrente, ou choisie par le patient dans l’espoir de guérir d’une
maladie sévère n’est sûrement pas
recommandée, car il y a des arguments convergents suggérant une
surmortalité.
n
Mots-clés :
Perte de poids, Mortalité,
Risque cardiovasculaire,
Personne âgée
Bibliographie
1. Adams TD, Gress RE, Smith SC et al. Long-term mortality after gastric
bypass surgery. N Engl J Med 2007 ; 357 : 753-61.
2. Sjostrom L, Narbro K, Sjostrom CD et al. Effects of bariatric surgery on
mortality in Swedish obese subjects. N Engl J Med 2007 ; 357 : 741-52.
3. Ritz P. Traitement du diabète et de l’obésité de la personne âgée par
la chirurgie bariatrique : point sur la littérature. Diabète & Obésité 2011 ;
6 : 128-32.
4. National Task Force on the Prevention and Treatment of Obesity. Weight
cycling. JAMA 1994 ; 272 : 1196-202.
5. Williamson DF, Pamuk E, Thun M et al. Prospective study of intentional
weight loss and mortality in never-smoking overweight US white women
aged 40-64 years. Am J Epidemiol 1995 ; 141 : 1128-41.
6. Yaari S, Goldbourt U. Voluntary and involuntary weight loss: associations with long term mortality in 9,228 middle-aged and elderly men. Am
J Epidemiol 1998 ; 148 : 546-55.
7. Andres R, Muller DC, Sorkin JD. Long-term effects of change in body
weight on all-cause mortality: a review. Ann Intern Med 1993 ;119 : 737-43.
8. French SA, Folsom AR, Jeffery RW, Williamson DF. Prospective study of
intentionality of weight loss and mortality in older women: the Iowa women’s health study. Am J Epidemiol 1999 ;149: 504-14.
372
9. Williamson DF, Pamuk E, Thun M et al. Prospective study of intentional
weight loss and mortality in overweight US white men aged 40-64 years.
Am J Epidemiol 1999; 149: 491-503.
10. Locher JL et al. J Body mass index, weight loss, and mortality in community-dwelling older adult. Gerontol A Biol Sci Med Sci 2007; 62: 1389–92.
11. Wannamethee SG, Shaper AG, Lennon L. Reasons for intentional weight
loss, unintentional weight loss, and mortality in older men. Arch Intern
Med 2005 ; 165 : 1035-40.
12. Kuller LH. Invited commentary. Am J Epidemiol 1999; 149: 515-6.
13. Shea MK, Houston DK, Nicklas BJ et al. The effect of randomization to
weight loss on total mortality in older overweight and obese adults: the
ADAPT Study. J Gerontol A 2010 ; 65 : 519-25.
14. Shea MK, Nicklas BJ, Houston DK et al. The effect of intentional weight
loss on all-cause mortality in older adults: results of a randomized controlled weight-loss trial. Am J Clin Nutr 2011 ; 94 : 839-46.
15. Harrington M, Gibson S, Cottrell RC. A review and meta-analysis of the
effect of weight loss on all-cause mortality risk. Nutr Res Rev 2009 ; 22 :
93-108.
16. Simonsen MK, Hundrup YA, Obel EB. Intentional weight loss and mortality among initially healthy men and women. Nutr Rev 2008 ; 66 : 375-86.
Diabète & Obésité • Décembre 2011 • vol. 6 • numéro 54
Téléchargement