Par Michel Caillon au congrès national de l - apemedda

Congrès national de l’APBG 2009
Conférence du 16 juillet 2009
Continuer à enseigner quand on devient malentendant
par Michel CAILLON, IPR honoraire
Permettez-moi tout d’abord de remercier Gilbert FAURY, Président de la Régionale de Poitiers, de
m’avoir invité à venir vous entretenir d’un sujet qui m’est cher. J’y ai volontiers répondu
favorablement à double titre:
d’une part comme ancien Président de la Régionale de Poitiers qui a eu en 1976 la charge
d’organiser le Congrès 1977 de l’APBG, il y a maintenant 37 ans,
et d’autre part comme représentant de l’Association des Enseignants Devenus Malentendants
dont l’un des membres tient aujourd’hui un stand dans le hall voisin et auquel je vous convie
de rendre visite après mon intervention.
Pour comprendre les diverses
causes de la malentendance je
vous propose tout d’abord de
préciser les rôles de l’audition et
de résumer brièvement le mode de
fonctionnement d’une oreille
normale à partir d’un schéma de
coupe de l’oreille.
L’ouïe qui nous permet de nous
situer dans notre environnement
sonore ou musical est surtout
déterminante dans
l’accomplissement de notre vie
sociale par l’exercice de la relation
audio-orale mais elle contribue
également au développement de
notre fonction de vigilance grâce à
la perception auditive des dangers.
Notre oreille est avant tout un organe sensoriel qui sert, très schématiquement:
à capter, grâce au pavillon et au conduit auditif, les signaux sonores véhiculés par les ondes
vibratoires dans l’espace aérien,
à les transmettre et à les amplifier
d’abord sous forme mécanique par le
tympan et les osselets de l’oreille
moyenne, puis, après avoir franchi la
fenêtre ovale, sous la forme de
vibrations qui se propagent en milieu
liquide dans la périlymphe de la
cochlée (ou limaçon) de l’oreille
interne,
à les convertir par transduction mécano
électrique grâce à l’organe de Corti
(équivalent de la rétine) dont les
cellules ciliées internes situées sur le
plancher du canal cochléaire (voir coupe de la cochlée si contre) sont programmées, chacune
pour recevoir une fréquence précise, les sons aigus étant détectés à la base de la cochlée, près
de la fenêtre ovale, et les plus graves au sommet de la spirale de la cochlée,
à transmettre par voie synaptique ces informations aux fibres nerveuses du nerf auditif qui les
conduiront à l’aire cérébrale auditive, directement ou par l'intermédiaire de noyaux gris.
Au cours de ce trajet deux phénomènes permettent de réguler l’intensité vibratoire des signaux
sonores:
Le réflexe stapédien qui atténue les sons forts par contraction de deux petits muscles des
osselets, ce qui permet de protéger les récepteurs sensoriels de l’oreille interne, tout au moins
chez les jeunes individus,
Une amplification, régulée par voie réflexe, des vibrations intra cochléaires grâce aux cils
contractiles des cellules ciliées externes et qui permet d’activer, au dessous de 50 décibels,
les stéréocils plus rigides des cellules ciliées internes, lesquelles ne réagissent spontanément
qu’au dessus de 50 décibels.
A partir de là on peut définir deux types de surdité:
la surdité de transmission qui résulte d’une altération de fonctionnement de l’oreille moyenne, et
la surdité de perception qui provient d’un dysfonctionnement de l’oreille interne, auxquelles
s’ajoute un troisième type, la surdité mixte.
Leur diagnostic s’effectue par audiométrie tonale en utilisant chez le patient l’exploration séparée
de la surdité de perception, par voie aérienne grâce à des écouteurs placés sur les oreilles, et la
surdité de perception, par voie osseuse avec un vibrateur placé sur l’os mastoïde. Dans les deux cas
le patient répond à chaque sollicitation en appuyant sur un interrupteur s’il entend un son.
Voici maintenant les deux audiogrammes que je me suis fait faire dans une clinique spécialisée au
cours d’une visite de contrôle post opératoire
Sur tous les audiogrammes figurent en abscisses les pertes d’audition de 0 à 100 décibels et en
ordonnées les fréquences sonore audibles pour l’homme depuis 125 hertz pour les graves jusqu’à
8000 hertz pour les aigus. Dans le cas présent, pour mes deux oreilles on constate une perte auditive
de plus de 50 dB en conduction aérienne, notamment dans les aigus elle atteint 100 dB. Il s’agit
d’une forte surdité de transmission qui avait été occasionnée dans chaque oreille par le
développement d’un cholestéatome à la prolifération de cellules épithéliales provenant des
conduits auditifs externes. Lors de l’opération le chirurgien a enlevé les cellules envahissantes qui
avaient détruit la chaine des osselets de l’oreille gauche et le deuxième osselet de l’oreille droite.
Par contre la courbe supérieure obtenue par conduction osseuse montre une surdité de perception
modérée mais légèrement accentuée dans les aigus et la perception des consonnes, ce qui est le
signe d’une presbyacousie liée à l’âge et à la perte des cellules ciliées externes les plus proches de la
fenêtre ovale. Nous avons donc ici une surdité mixte.
D’une manière plus générale pour définir le pourcentage d’invalidité de chaque personne
malentendante on fait pour chaque sujet la moyenne arithmétique des pertes auditives aériennes
pour les deux oreilles et sur quatre fréquences. Dans mon cas on a une invalidité de 60%.
Voyons maintenant ce que cela donne au plan statistique pour l’ensemble de la population française
malentendante
On se rend compte que 4 millions de personnes sont touchées sans compter les sourds de naissance
dont le nombre serait de 250 000, 100 000 pratiquant la langue des signes alors que les devenus
sourds sont oralisés.
Le handicap auditif est le handicap le plus répandu et ceci est encore plus net si on examine le
pourcentage de la population atteinte par tranche d’âge à partir de 41 ans
Le pourcentage de 52% de malentendants à déficit auditif supérieur à 45 dB entre 60 et 70 ans est
d’autant plus préoccupant qu’on nous annonce pour très bientôt le recul de l’âge de la retraite bien
au delà de 60 ans. On peut douter qu’il ait été aussi prévu d’offrir à ces actifs malentendants plus
âgés les moyens d’exercer leur métier avec leur handicap.
Cela m’amène à vous entretenir des conditions nécessaires à la poursuite de nos activités
professionnelles éducatives lorsque nous sommes victimes de déficience auditive quel que soit notre
âge. Comme pour toutes les formes de handicap ces conditions relèvent de deux types de stratégies
complémentaires: l’évolution comportementale du malentendant face à la survenue de son handicap
et un ensemble de modalités de compensation et d’accessibilité offertes par la société et la
technologie compte tenu des dispositions prévues dans le cadre de la loi du 11 février 2005 relative
aux personnes handicapées
En raison de leur mauvaise aptitude à la communication audio-orale les devenus malentendants
doivent d’abord résister au désengagement relationnel qui les guette et à leur tendance à s’isoler, ce
qui peut les conduire à l’exclusion familiale et sociale ou bien à l’anxiété et à la dépression
nerveuse.
Pour certains le handicap s’installe de manière si insidieuse qu’ils incriminent une modification de
leur propre environnement («les élèves deviennent de plus en plus agités, les collègues me
regardent de travers, les parents d’élèves ne me comprennent pas...») et ils fuient les contacts et se
tiennent en retrait lors des réunions. Pour éviter les conséquences d’un enseignement dialogué ils
ont recours à un enseignement magistral et parlent plus fort. C’est ce que l’on peut appeler la
période du déni de malentendance.
Même lorsqu’ils prennent conscience de leur perte d’audition et acceptent de se faire appareiller il
leur arrive d’enlever leurs prothèses ou de les dissimuler par leur chevelure avant d’entrer en cours
pour éviter que les élèves ou leurs collègues découvrent leur surdité. Ils craignent aussi que leur
hiérarchie mette en cause leur avenir professionnel et leur propose une reconversion ou une retraite
anticipée. La plupart du temps tout cela pourrait être évité si, au contraire, ils acceptaient leur
handicap pour reconsidérer leur attitude vis à vis de leurs interlocuteurs en réapprenant à écouter
avec de bonnes prothèses adaptées à leur type de surdité, ou bien par la pratique de la lecture
labiale.
Mais les prothèses ne sont pas suffisantes pour retrouver de bonnes conditions d’écoute. Elles
discriminent mal le langage parlé en milieu bruyant car il est alors masqué par l’amplification
simultanée de sons déjà intenses. Elles ne permettent qu’une faible récupération dans les aigus et
pour diverses consonnes comme les S ou celles qui se confondent comme les B et les P ou les D et
les T. L’écoute stéréophonique reste perturbée, entrainant des difficultés dans la localisation des
sons ou des bruits ce qui peut être source d’accident quand on traverse une rue.
Voici maintenant le témoignage d’Irène qui est une de vos collègues de la Creuse: «J’essaie, nous
écrit elle, d’enseigner en SVT, face à des classes de 6e et 5e de 23 à 28 élèves, sans aucun
aménagement acoustique des salles. Je suis à bout de nerfs et j’ai de plus en plus de mal à tenir. J’ai
été opérée d’une otospongiose bilatérale en 1995 et en 2003 puis appareillée. Je porte mes appareils
en permanence et ils me conviennent parfaitement pour ma vie familiale. Mais pour la vie
professionnelle, j’ai l’impression qu’ils ne me sont pas d’un grand secours: dans l’ambiance d’une
classe, je ne localise pas la provenance des bruits et les paroles ne sont pas plus amplifiées que le
reste, sauf les miennes ! J’en viens à adopter un enseignement magistral très frontal, je ne suis
pas à l’aise et pas efficace, et je n’arrive plus à gérer les classes. Et les journées les plus chargées se
soldent par le retour des acouphènes (ce sont des bourdonnements ou des sifflements qui
accompagnent souvent les baisses auditives).
Un ensemble plutôt déprimant donc, qui me conduira peut-être à envisager de partir en retraite
plutôt que prévu. Quoiqu’il en soit, j’ai obtenu ma mutation pour l’Académie de Poitiers pour me
rapprocher de mon conjoint travaillant à Angoulême et je demande un poste dans ce secteur au
mouvement intra. Je viens de découvrir le nom de M. Caillon en feuilletant le bulletin de l’APBG
récemment reçu et j’ai pu ainsi trouver l’adresse mail de votre association sur le site internet de la
MGEN. Je souhaiterai savoir quelles sont les conditions d’adhésion et s’il y a des personnes que je
puisse contacter sur Angoulême».
Cette dernière demande a été exaucée puisque nous l’avons immédiatement mise en rapport avec
Catherine X qui est devenue très malentendante alors qu’elle était encore directrice d’Ecole à La
Rochelle. Elle a appris la lecture labiale et obtenu un emploi réservé de secrétaire d’Inspecteur
d’Académie. Puis elle a passé avec succès le concours de Chef d’Etablissement et est actuellement
Principal d’un important collège près d’Angoulême. On peut dire qu’elle a positivé son handicap.
C’est aussi le cas de David qui est le Président de notre association. David était professeur
d’Anglais en Collège à 20 km au sud de Poitiers. Son itinéraire professionnel de malentendant
mérite de vous être présenté. En raison de la spécificité audio-orale de sa discipline il ne pouvait
plus l’enseigner en situation de classe avec des élèves ordinaires. Il a tout d’abord obtenu une année
de congé formation pour préparer le concours interne de documentation. Il a été admissible mais il
n’a pas réussi à franchir le cap des épreuves orales ce qui n’a rien de déshonorant en raison du très
faible nombre de postes ouverts à ce concours. Parallèlement il avait déposé auprès de la MDPH
(Maison Départementale des Personnes Handicapées) un dossier de reconversion avec certificat
médical de l’ORL, audiogramme et projet de vie comportant souhaits et besoins fondés sur une
analyse de situations de vie quotidienne, notamment celles qui étaient au cœur de sa vie
professionnelle tout en mettant en exergue son stage de formation en gestion documentaire. Au bout
de 6 mois d’instruction il lui a été délivré la RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur
Handicapé). Son cas a alors été examiné au Rectorat par le Groupe de Travail Académique ce qui
lui a permis d’être affecté, comme documentaliste, dans un EREA (Etablissement Régional
d’Enseignement Adapté) situé à deux pas d’ici. Grâce au décret ministériel du 27 avril 2007 il a
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