dOssier - La finanCe et L’avant-Crise : un aveugLement faCe au désastre
Cahiers français n° 375 3
Une crise systémique
Une crise du régime de croissance issu
de la mondialisation
La crise nancière qui s’est déclenchée au cours de
l’été2007, avant de se transformer en une crise systé-
mique, touchant l’ensemble des marchés nanciers à
l’échelle planétaire, à l’automne2008, présente de mul-
tiples facettes. Elle est pour partie liée aux conséquences
macroéconomiques, parmi les pays les plus développés,
de la vague de mondialisation qui a déferlé depuis une
vingtaine d’années environ et qui a modié le régime
de croissance: intégration croissante des marchés de
biens et des marchés d’actifs; pressions accrues sur les
niveaux de salaires des non-qualiés; déformation du
partage de la valeur ajoutée au détriment des salariés;
déséquilibres globaux de balances des paiements entre
les pays émergents et l’économie américaine, compensés
par des transferts massifs d’épargne sous la forme d’une
accumulation sans précédent de réserves en dollars…
Aux États-Unis, les inégalités de revenus et l’appau-
vrissement relatif des salariés ont été compensés par
un accès facilité au crédit qu’alimentait, en amont des
circuits nanciers domestiques, l’expansion très vive de
la liquidité internationale, et que favorisaient des poli-
tiques monétaires accommodantes, surtout entre2001
et l’été2004. Pour nombre d’économies, aux États-
Unis, au Royaume-Uni ou en Espagne, cette facilité
d’endettement a largement soutenu les investissements
immobiliers et la consommation des ménages, ce qui a
contrebalancé le ralentissement des gains de productivité,
qui affaiblissait le potentiel de croissance, mais aussi le
recul des parts de marché dans le commerce mondial. Ce
régime de croissance fondé sur le surendettement n’était
pas soutenable et il s’est interrompu brutalement avec
la crise immobilière aux États-Unis, rapidement suivie
d’une crise d’illiquidité, puis d’insolvabilité bancaire(2),
conduisant surtout, de la n2008 à l’été2009, à une
violente récession. Toujours sur le plan macroécono-
mique, la combinaison d’une croissance relativement
soutenue et d’une ination maîtrisée, parmi les pays
industriels – ce que l’on a appelé la «grande modération»
–, a également contribué à l’accumulation des tensions
(2) Une banque (ou une entreprise) est en situation d’illiquidité
lorsqu’elle ne peut plus, à un moment donné, honorer ses engagements
nanciers, alors même que son actif est supérieur à son passif. Il suft
pour cela que certains actifs soient gelés, par exemple parce qu’il
est impossible de revendre des titres sans pénalités pour récupérer
des liquidités. L’insolvabilité désigne une situation plus grave où la
valeur des dettes excède irrévocablement celle des actifs.
nancières. En permettant la coexistence durable de taux
d’intérêt réels particulièrement bas et d’une expansion
extrêmement rapide des crédits sans augmentation des
primes de risque, maintenues à des niveaux très faibles,
cette conguration a engendré des bulles sur les mar-
chés d’actifs immobiliers ou boursiers. Là encore, cette
dynamique n’était pas soutenable.
Une crise bancaire amplifiée par les
innovations financières
Mais cette crise est avant toute chose une crise ban-
caire classique dont l’ampleur a été considérablement
ampliée par une série d’innovations, au sein même
des systèmes nanciers. Aux États-Unis, le Financial
Services Modernization Act a été adopté en
novembre 1999, signifiant l’abandon du Glass
Steagall Act mis en place en1933 an d’établir une fron-
tière étanche entre les banques de dépôts et les banques
d’investissement intervenant sur les marchés d’actifs,
favorisant ainsi la titrisation des crédits et la redistribution
en chaîne des risques au moyen de nouveaux supports
structurés, les CDO – Collaterized Debt Obligations
– notamment. Un nouveau modèle d’intermédiation
bancaire de type originate and distribute, transférant les
risques vers des intermédiaires nanciers non bancaires(3),
s’est donc diffusé. Les crédits subprimes ont enregistré
une croissance sans précédent. La titrisation des cré-
dits hypothécaires a donné naissance à une expansion
phénoménale de ces produits hybrides, complexes et
opaquesque sont les CDO ou les dérivés de crédits, les
CDS – Credit Default Swaps –. Les bilans bancaires sont
devenus excessivement risqués, compte tenu du dévelop-
pement d’activités de nancement menées avec les hedge
funds et à cause des placements massifs en CDO ou sur
les marchés de CDS. Les nouvelles normes comptables
IFRS, qui évaluent les actifs selon leur valeur de marché
(fair value), ont produit des effets procycliques, c’est-à-
dire ampliant le cycle économique
(4)
. Les intermédiaires
nanciers non-bancaires, les compagnies d’assurance,
les hedge funds, les fonds de pension, se sont tout autant
engagés dans des prises de risques déraisonnables, don-
nant naissance à un véritable système bancaire parallèle
(3)
Pour une exposition détaillée de ce nouveau modèle
d’intermédiation bancaire, voir dans ce même numéro l’article de
Dominique Plihon et Esther Jeffers, p. 00.
(4) En période de forte croissance, le prix des actifs est élevé,
ce qui augmente la valeur des fonds propres détenus par la banque
et lui permet donc d’accorder plus de crédits et/ou de prendre plus
de risques, ce qui renforce l’expansion. C’est l’inverse lorsque le
cycle se retourne.