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doute parce qu’elle est difficile à saisir. D’elle on pourrait dire ce que Saint
Augustin disait du temps : “Qu’est-ce donc que la vie ? Si personne ne me le
demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne
le sais plus.” […]
Si la notion de vie est difficile à cerner, et n’a jamais été très clairement
définie, pourquoi (et comment) en faire l’histoire ? Un concept non défini
aurait-il non seulement une existence mais aussi une histoire ? […]
Contrairement à l’histoire des mathématiques, de la physique ou même de la
chimie, l’histoire de la biologie ne se présente jamais comme un
développement, mais plutôt comme une accumulation d’hypothèses,
d’anecdotes expérimentales et, parfois, de découvertes. Le plus souvent,
d’ailleurs, ces découvertes semblent avoir été faites au hasard car, à leur
époque, elles entraient dans le cadre de théories qui n’avaient rien à voir avec
celles où nous les interprétons aujourd’hui. »
A. Pichot, Histoire de la notion de vie, éd. Gallimard, coll. TEL, 1993
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.
En effet, plus de deux siècles après son invention par Jean-Baptiste
Lamarck (1744-1829) en France et Gottfried Reinhold Tréviranus (1776-
1837) en Allemagne (aux alentours de 1802), la biologie – la science qui
étudie les êtres vivants – n’a toujours pas de définition de son “objet”. C’est
en partie cette absence de définition claire, précise et unanime chez les
scientifiques qui explique la succession plus ou moins chaotique des
théories. Et c’est surtout la difficulté à en élaborer une – toujours
repoussée, jamais affrontée – qui explique le triomphe, par défaut et faute
de mieux, de la conception de l’être vivant comme machine.
Aujourd’hui, c’est le courant que l’on peut qualifier de “cybernétique”
(quoiqu’il ne revendique pas cette appellation) qui occupe le haut du pavé
en biologie. L’être vivant est conçu comme une sorte d’usine biochimique
dirigée par un programme génétique dont la finalité est de dupliquer et
propager son information génétique. Depuis un moment déjà, cette
mouvance prétend d’ailleurs que « la vie n’existe pas ! » – ce qui, il faut
l’avouer, est une manière astucieuse et élégante de résoudre le problème de
la définition du vivant.
Le premier à soutenir une telle position a probablement été le
biochimiste hongrois Albert Szent-Györgyi (1893-1986), découvreur de la
vitamine C et prix Nobel de médecine en 1937. Dans un ouvrage traitant de
La nature de la vie, il n’a pas hésité à écrire :
La vie en tant que telle n’existe pas, personne ne l’a jamais vue… Le nom de
“vie” n’a pas de sens, car une telle chose n’existe pas.
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env. 1000 pages et autant de citations, 16 euros.
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Cité par Henri Atlan, Question de vie, entre le savoir et l’opinion, éd. du Seuil, 1994, p. 43.