Résumé S`il y a un rapport interdisciplinaire qui s - pug

Annales de l’Université Omar Bongo, n° 11, 2005, pp. 23-49
DU SYSTEME DE FILIATION ENTRE
LANTHROPOLOGIE ET LA SOCIOLOGIE
Bernardin MINKO MVE
Université Omar Bongo,
Libreville (Gabon)
Résumé
Sil y a un rapport interdisciplinaire qui sapparente à un ritable
système de filiation, cest bien celui de lanthropologie et de la sociologie. On
peut le situer dès la constitution des deux disciplines. Autant la sociologie est
e au XIXème siècle à l’issue dun besoin de organisation sociale
conséquence des volutions politiques et industrielles ; autant lanthropologie
s’est vue reconntre ses lettres de noblesse par l’intét romantique qu’elle
porte pour l’exotisme avec le souhait de cer une discipline à orientation
philosophique et avec le projet colonial dans la fondation de l’ethnologie.
En s’affirmant relativement différentes par leur champ et leur
thode, l’anthropologie et la sociologie cheminent largement de pair dans la
voie des grandes fresques historiques et de la patiente accumulation de
documents. On voudrait attirer l’attention sur certains aspects de la situation
de lobsolescence de la frontière entre lanthropologie et la sociologie car, elle
nous semble souvent connue et parfois formée par certaines recherches
actuelles. Et pourtant, c’est ce que nous tentons de montrer, les deux
disciplines sont liées aux mes théories ; elles trouvent souvent des
perspectives communes (organisation, institution, ingration, adaptation) et
se construisent parfois des marches assez semblables.
Mots clés
Anthropologie, sociologie, interdisciplinarité, socio-anthropologie,
socio-ethnologie.
Abstract
If there is a report interdisciplinarity which is connected with a true system of
filiation, it is well that anthropology and sociology. One can locate it as of the
constitution of the two disciplines. As much sociology was born at the XIme century
with exit need for social reorganization consequence of the political and industrial
Du système de filiation entre l’anthropologie et la sociologie
24
revolutions; as much anthropology is recognizing its letters of nobility by romantic
interest it carries for exoticism with the wish to create a discipline with philosophical
orientation and with the colonial project in the foundation of ethnology.
In affirming relatively different by their field and their method, anthropology
and sociology walk on largely together in the way of the large historical frescos and the
patient accumulation of documents. We would like to attract the attention on certain
aspects of the situation of obsolescence of the border between anthropology and sociology
because, it seems to us often ignored and sometimes deformed by certain current research.
And yet, it is what we try to show, the two disciplines are related to the same theories;
they often find prospects common (organization, institution, integration, adaptation)
and build sometimes rather similar steps.
Key words
Anthropology, sociology, interdisciplinarity, socio-anthropology, socio-
ethnology.
Introduction
L’anement du troisième milnaire interroge les divisions
disciplinaires telles quelles s’étaient établies au cours des vingt dernières
anes. Depuis que le terrain ethnologique s’est rebellé1, nous nous posons
gulièrement la question de la réinterpellation des scolastiques antérieures.
Face aux nouvelles situations rencontrées sur le terrain, trois problèmes se
posent sormais : l’intertextualité ralie des cultures, l’interpellation
systématique des ethnologues par les populations sur lesquelles ils travaillent,
et l’inconfort moral du chercheur dans la relation à lautre. moin des
changements sociaux, nous ne manquons pas d’observer des conditions
particulières dans lesquelles se veloppent aujourd’hui l’anthropologie et la
sociologie.
urs quasi jumelles, anthropologie et sociologie mettent en lumière,
selon l’expression d’Alfred Krœber, une distinction des deux disciplines qui
n’a jamais é bien nette. Elle lest moins que jamais aujourd’hui. Prétendre
tracer entre les deux disciplines une frontre, établir un bornage, y voir deux
1 Les communautés observées par les ethnologues ne peuvent plus être seulement considérées
comme des objets d’étude. Intéressées par des motivations identitaires, leurs stratégies
demandent l’établissement d’un nouveau type de rapports.
Du système de filiation entre l’anthropologie et la sociologie
25
projets scientifiques différents, deux activis sépaes d’étude du monde
social, serait tout à fait vain – et me, désormais, fallacieux. À leur
différenciation toute relative, et qui n’a jamais empêc une large
communication il ny a, à la ri, aucun fondement épismologique
rieux. Cest leur histoire seulement – et celle, générale, des deux derniers
siècles qui permet d’en rendre compte.
L’obsolescence d’une frontière entre l’anthropologie et la sociologie,
tient dune flexion axée tant sur la crise sociétale que sur les potentialités de
l’interdisciplinari. Lémergence et la justification de l’analyse s’expliquent
d’abord par les transformations qui affectent les sociétés contemporaines. La
dualisation du corps social, la brisure des solidaris organiques et la montée
non seulement du chômage mais également de l’exclusion qui concourent au
scepticisme ambiant. Le frottement entre anthropologie et sociologie ne
s’inscrit pas inopinément dans cette fin du XXe siècle. Les traits
caractéristiques de cet espace temporel concourent à son apparition. C’est une
émergence qui était peu probable et navait effectivement pas eu lieu
prédemment ou ne s’en était tenue qu’à des bribes de propositions. Dans la
présente réflexion nous voulons reconstituer les traces de cette dynamique
interdisciplinaire dont l’importance s’inscrit largement dans des contextes
épistémologiques et sociaux.
Aps avoir présenté la constitution des deux disciplines, nous
montrerons leur rapprochement par l’objet qui rend caduque la division
actuelle. Cela permet de comprendre enfin comment les faits sociaux
contemporains peuvent bénéficier d'une approche à résonance socio-
anthropologique ou socio-ethnologique.
I. La constitution de la sociologie et de l’anthropologie
I.1. La sociologie
La sociologie s’est constite au XIXe siècle comme sciencerale
des sociés, du social en ral, mais en se situant dans la perspective,
principalement, des sociétés modernes ces sociés occidentales en voie
d’industrialisation et durbanisation, en même temps que de laïcisation et de
rationalisation, de démocratisation et de nationalisation, de bureaucratisation
et de « scientification »..., de tous ces processus, rateurs de changements
permanents, constitutifs de ce qu’il est convenu dappeler la modernité. Des
Du système de filiation entre l’anthropologie et la sociologie
26
sociés qui ont été peues, dans la rupture introduite dans la chaîne des
temps par la Révolution française et par la révolution industrielle, comme des
formes nouvelles (et encore très indécises) de l’organisation économique,
sociale, politique, des modalis inédites du lien social, et par là de la vie
humaine en général ces formes nouvelles étant appelées à se raliser à
l’humanité entière, de telle sorte que les nations modernes, les sociétés
civilies d’Occident, plaes à l’avant-garde de l’histoire, montraient à toutes
les autres, exotiques, archques, traditionnelles, en arrière sur le chemin de
l’évolution, en retard dans la voie du progs, l’image plus ou moins long
terme) de leur avenir obligé. Dans cette perspective, le recours aux autres
sociés, exrieures et perçues comme antécédentes (et en tant que telles
iluctablement rimées), et notamment, dans la tradition française, aux
sociés "primitives" et par là aux formes consies comme les plus simples,
élémentaires, des phénomènes sociaux, ne fut ralement pour les
sociologues que le moyen d’expliquer les sociétés modernes. Ce sont celles-ci,
dit explicitement Durkheim (pourtant avec Mauss l’un des plus ethnologues
de tous les sociologues), c’est la alité actuelle qui nous inresse surtout de
connaître. Lévolution ulrieure de la discipline n’a fait que confirmer cette
tendance lourde de la sociologie à se préoccuper avant tout de la modernité –
et, ce faisant, des sociologues (qui demeurent dans leur grande majorité des
Occidentaux) à s’intéresser au premier chef à leur propre socié, à leur
propre univers social, culturel, historique, et à férer à lui tous les autres.
I.2. L’anthropologie
L’anthropologie selon le terme qui en définitive s’est imposé – ou
ethnologie comme on a dit longtemps, surtout dans la tradition fraaise
a, chez beaucoup, manifes de non moins vastes ambitions à être la science
rale de la socié, voire la science globale de l’homme, mais sa perspective
a été, au départ, dès ses origines, peut-on dire, difrente, et même, d’une
certaine manière, à loppo : ce fut, accompagnant depuis la Renaissance la
couverte par les Européens de leurs mondes exrieurs (plus ou moins vite
suivie de leur colonisation), la perspective de la diversité perçue dans
l’exrience (pulsion et fascination mêes) de létrange, de l’altéri, de la
différence des sociés et des cultures humaines. Et parmi celles-ci son
intét sest fixé de manière privilégiée sur les plus exotiques (occidentalement
parlant), les plus lointaines ographiquement, historiquement et
Du système de filiation entre l’anthropologie et la sociologie
27
culturellement, les plus "paysantes", et elle s’est en fait constituée comme la
science des sociétés restées les plus traditionnelles et plus préciment, sous le
signe de l’évolution où s’affirme sa scifici et son autonomie dans les anes
1860-1880, comme la science sociale des sociétés primitives.
Sa nomination, cependant, on vient de le voir, a été assez fluctuante
et elle n’est pas, du reste, encore aujourd’hui parfaitement établie. Trois
termes ont été en usage, qui ont connu de nombreux avatars .
Ts ancien, le mot anthropologie eut d’abord un sens théologique :
« action de parler humainement des choses divines », selon le Vocabulaire de la
philosophie de Lalande. Il conserve un sens philosophique2, qui désigne la
connaissance globale de l’homme – distinguant l’anthropologie théorique qui
est « la connaissance de l’homme en néral et de ses facultés ». L’anthropologie
pragmatique est « la connaissance de l’homme toure vers ce qui peut assurer et
accroître lhabileté humaine » et lanthropologie morale est la connaissance de
l’homme toure vers ce qui doit produire la sagesse dans la vie,
conformément aux principes de la taphysique des mœurs.
Mais le terme d’anthropologie a pris surtout, s la fin du XVIIIème
siècle, un sens naturaliste, comme équivalent de l’histoire naturelle de
l’homme que Linné et Buffon avaient rendu possible, enintroduisant,
contre la théologie gnante et les pjus taphysiques traditionnels, et
me si cétait à la première place, lesce humaine parmi les autres dans le
gne animal. Ce sens qui lui est donné pour la première fois, semble-t-il, par
Blumenbach en 1795, s’est impoau XIXème siècle, l’anthropologie étant
alors considée comme l’une des branches des sciences naturelles, celle qui
constitue pour ainsi dire la zoologie de lesce humaine. De fait, comme la
zoologie étudie les animaux du point de vue de leur morphologie et de leur
mode de vie, lanthropologie porte tout en même temps sur les traits
physiques et la biologie, et sur lesurs et les coutumes des êtres humains.
Elle a été définie par Broca comme « létude du groupe humain, envisa dans son
ensemble, dans ses détails et dans ses rapports avec le reste de la nature. L’Anthropologie3,
dit-il, est la biologie du genre humain. Étude globale, elle comprend l’anatomie et la
physiologie humaines, la préhistoire, larcologie, l’ethnographie et l’ethnologie, le
2 Emmanuel KANT, Anthropologie du point de vue pragmatique, Paris, 1798.
3 Elle a été particulièrement active en France avec la Société d’Anthropologie (fondée en
1859) de Paul Broca, Paul Topinard et Armand de Quatrefages.
1 / 27 100%

Résumé S`il y a un rapport interdisciplinaire qui s - pug

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !