
Les personnes âgées en consultation mémoire
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SOCIOLOGIE, 2013, n° 1, vol.4,1-17
14 mars 2013 01:34 - Revue Sociologie 4 - Varia - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 2 / 114
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Les « consultations mémoire » sont des consultations spécifi-
quement consacrées au diagnostic des démences neuro-
dégénératives liées à l’âge, dont l’enjeu central réside dans le
repérage précoce de la maladie d’Alzheimer parmi les per-
sonnes âgées1. En 2008, on comptait déjà 427 services dispen-
sant ce type de consultation en France ; 200000 patients s’y
sont rendus la même année (DGOS, 2011), et depuis la mise en
place de ces consultations en 1980 (Pasquier, Lebert & Petit,
1997), les chiffres ne cessent d’augmenter (DGOS, 2011).
Ce dispositif massif de dépistage et d’encadrement cognitif de
la population vieillissante consiste au niveau microsocial en la
diffusion d’un type d’interaction médicale jouant un rôle crucial
dans la trajectoire des patients âgés. En effet, on y estime entre
autres leur autonomie domestique et leur capacité à prendre
des décisions (ou « autonomie décisionnelle », Gzil, 2009). Les
répercussions possibles de ces interactions s’étendent donc
bien au-delà des soins : la configuration d’aide, professionnelle
comme familiale, et la possibilité pour une personne de conti-
nuer à vivre à son domicile seront affectées par le diagnostic et
les recommandations du médecin (Béliard, 2010).
Les pathologies majoritairement diagnostiquées à l’occasion des
consultations mémoire (démence vasculaire ou mixte, maladie
d’Alzheimer, dépression) ont sur le plan médical la particularité
de ne pas être décelables par le biais de marqueurs biologiques
évidents. Par exemple, pour la maladie d’Alzheimer, seule l’au-
topsie permet d’établir une certitude. Les médecins doivent par
conséquent manier plusieurs types d’information et les mettre en
cohérence afin de produire un diagnostic inéluctablement pro-
babiliste : discours des patients et de leurs proches, IRM, prise
de sang, tests neuropsychologiques, plus rarement ponctions
lombaires. Recueillir les propos des patients et de leurs proches
est dans ce cadre nécessaire à la construction d’un tableau cli-
nique. En effet, ces discours sont les seules voies d’accès aux
difficultés des personnes âgées dans leur vie quotidienne.
Mais cette nécessité diagnostique ne va pas sans poser de pro-
blèmes pratiques. D’une part, si les patients souffrent effective-
ment de troubles cognitifs, cela peut signifier qu’une partie de
ce qu’ils disent ne reflète pas leur situation réelle. D’autre part,
1. Généralement les services médicaux se calquent sur la définition admi-
nistrative de la vieillesse, avoir plus de soixante ans.
imaginons qu’un patient prétende ne pas avoir de problème à
gérer sa vie à son domicile alors que ce n’est pas le cas. Le croire
aurait potentiellement des conséquences dangereuses. Enfin,
l’un des symptômes des démences est l’« anoso gnosie », terme
médical désignant une dysfonction neurologique (Trouillet
et al., 2003) manifestée par la négation de ses difficultés.
Si un patient nie avoir des troubles cognitifs, il s’agit peut-être
d’un symptôme. En définitive, de nombreuses raisons mènent
les professionnels à percevoir l’intégralité du comportement
des patients comme un signe possible de maladie.
C’est pourquoi la manière dont se joue la crédibilité ou le dis-
crédit des patients2 en consultation mémoire est déterminante
au niveau sociologique et médical. Pendant l’interaction, deux
possibilités schématiques s’opposent. Soit le comportement du
patient est considéré comme crédible et le médecin enregistre
ses propos comme étant descriptifs d’une réalité clinique. La
fonction du langage est alors la même pour tous les interlocu-
teurs : décrire les troubles. Mais lorsque le comportement du
patient n’est pas considéré comme crédible, le contenu du
discours est compris comme un symptôme : délire, divagation,
altération de la réalité liée au trouble. Les interlocuteurs ne par-
tagent plus le même cadre, car si le patient parle de ses troubles,
pour le médecin ses propos témoignent de ses troubles. Nous
définissons donc la crédibilité comme le fait, pour un individu,
d’être cru par ses interlocuteurs, et ainsi de partager le même
cadre primaire (tel que défini par Goffman)3, c’est-à-dire que
l’interaction a globalement le même sens pour tous.
Rendre un discours crédible ou le discréditer est une condition
de possibilité du travail gériatrique (qui s’apparente en cela au
travail psychiatrique) ; autrement dit, produire un diagnostic,
c’est aussi pour le gériatre accorder un certain degré de cré-
dibilité aux discours d’une personne âgée. Cet article propose
une analyse interactionniste de la manière dont se joue, au
double sens de l’interprétation des acteurs (comme jouer un
rôle) et du processus de décision (comme jouer une mise),
cette crédibilité lors des consultations mémoire. Il aboutit à
penser que les moyens utilisés par les personnes âgées pour y
maintenir leur crédibilité contribuent souvent à les discréditer.
2. Le mot « patient » est ici employé dans son sens le plus simple : toute
personne suivie par des professionnels médicaux.
3. « Est cadre primaire ce qui nous permet, dans une situation donnée,
d’accorder du sens à tel ou tel de ses aspects, lequel autrement serait
dépourvu de signification » (Goffman, 1991, p. 30).
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