EPIDÉMIOLOGIE DES ERREURS
MÉDICAMENTEUSES
Jean-Luc Quenon
Comité de Coordination de l’Evaluation Clinique et de la Qualité en
Aquitaine. Hôpital Xavier Amozon, 33604 Pessac cedex
INTRODUCTION
Sécuriser l’utilisation des médicaments, en particulier dans les établisse-
ments de santé, est un des principaux enjeux de santé publique.
Le circuit du médicament dans un établissement de santé recouvre la
prescription, l’analyse et la validation de cette prescription, la préparation, la
livraison, la distribution et l’administration du médicament, les commandes
par la pharmacie, l’analyse de l’activité, la gestion des périmés, des retraits de
lots. C’est un processus complexe avec de nombreuses étapes impliquant de
nombreux acteurs et nécessitant plusieurs transmissions de consignes et de
produits. Cette complexité est source d’erreurs [1]. En effet, plusieurs études
montrent que les erreurs de médication depuis la prescription du médicament
jusqu’à l’administration au patient sont fréquentes. D’après une étude réalisée
dans 2 hôpitaux américains en 1992, il y aurait 5,3 erreurs pour 100 prescrip-
tions [2]. Une étude publiée en 2002, réalisée dans 36 établissements américains
montre que 19 % des doses dispensées et administrées comportaient au moins
une erreur [3]. Dans une étude réalisée dans un hôpital gériatrique parisien, une
discordance entre le médicament délivré et celui prescrit a été observée pour
4 % des médicaments prescrits [4].
La plupart de ces erreurs sont sans conséquences sur le patient, mais
1 % sont à l’origine d’événements iatrogènes et 7 % auraient pu l’être sans
leur récupération avant l’administration du médicament au patient ou sans un
peu de chance [2]. Plusieurs organisations ont proposé des recommandations
visant à améliorer la sécurisation du circuit du médicament [5, 6]. L’efficacité
de certaines mesures est bien documentée. Par exemple, la prescription sur
support informatique permet de réduire de moitié la fréquence des erreurs
graves de médication non interceptées par d’autres moyens de contrôle [7].
L’utilisation d’automates assurant une préparation des médicaments avec des
codes barre, et une dispensation unitaire diminuent les erreurs de dispensation
et augmentent la disponibilité des pharmaciens pour des interventions cliniques
renforçant encore la sécurité [8].
MAPAR 2007
408
Deux projets récents (SECURIMED, ENEIS) menés par notre équipe ont
montré les nombreuses vulnérabilités dans le circuit du médicament des éta-
blissements de santé et l’importance des risques liés aux médicaments.
1. LES ERREURS DE MÉDICATION SONT FRÉQUENTES
Le CCECQA (Comité de Coordination de l'Evaluation Clinique et de la Qualité
en Aquitaine) avec l’aide d’un groupe de travail régional a mené en Aquitaine
un projet d’évaluation de la sécurité du circuit du médicament (projet SECURI-
MED). Au total, 21 services de pharmacie et 38 services cliniques (16 services
de médecine, 8 services de chirurgie, 8 services de psychiatrie, 6 services de
gériatrie) situés dans 19 établissements ont participé à ce projet.
L’approche proposée était centrée sur les barrières (ou défenses) suscep-
tibles d’éviter la survenue d’incidents ou d’accidents. La réglementation et les
recommandations existantes permettent d’identifier les principales barrières.
En France, la pièce maîtresse de l’organisation du circuit du médicament est un
arrêté ministériel du 31 mars 1999 [9]. L’ensemble des dispositions repose sur
les compétences des différents professionnels intervenant dans la chaîne de
distribution des médicaments. Ce texte fixe aux différents acteurs (médecin,
pharmacien, infirmier, directeur d’établissement) des règles conduisant à la
vérification à chaque étape de l’étape précédente.
Ce projet basé sur la réalisation de visites de risques [10], comportait une
étude des erreurs du circuit du médicament par l’observation des médicaments
administrés ou préparés le jour de la visite, et la recherche d’écarts avec les
médicaments prescrits.
Le jour de la visite de risques, il a été obserde nombreux écarts entre
les médicaments préparés ou administrés et ceux figurant sur le support de
prescription (de 1,6 % des lignes de prescription étudiées en psychiatrie jusqu’à
17 % en chirurgie) (Figure 1).
Dans les services de chirurgie, il a été obserau total 296 médicaments
préparés ou administrés (de 15 à 59 médicaments selon les services). Au total,
il a été enregistré 51 écarts (17 %) par rapport aux médicaments prescrits. La
répartition des écarts selon les services est présentée dans la Figure 2.
Figure 1 : fréquence des erreurs de médication observées lors de la préparation
ou de l’administration des médicaments (projet SECURIMED).
1455 médicaments observés
123 écarts (8,5 %)
%
Les erreurs médicamenteuses et de prescription 409
Les deux types d’erreurs les plus fréquentes étaient : l’administration ou la
préparation de médicaments non prescrits (36 médicaments, dont 11 traitements
habituels des patients, 3 prescriptions orales, 3 relais per os de médicaments
injectables…), la non administration ou la non préparation de médicaments
prescrits (6 médicaments).
D’autres types d’erreurs potentiellement dangereuses ont aussi été notés,
comme une erreur de dosage (Sotalex® 160 mg au lieu de Sotalex® 80 mg), un
retard d’administration (plus de 60 minutes après l’horaire prescrit) de médica-
ments injectables : injections de Perfalgan®, Ciflox®, Calciparine®.
Exemple d’erreur survenue dans un service de
chirurgie orthopédique
Un patient, épileptique majeur, avait une prescription à son arrivée dans le service de
3 médicaments anti-épileptiques : Alepsal®, Di-hydan® et Dépakine®.
L’analyse chronologique des événements a mis en évidence l’enchaînement des faits
suivants :
En recopiant le traitement personnel du patient sur la feuille de prescription du service, l’in-
firmière a sauté une ligne de traitement et a oublié l’ALEPSAL®,
Le DI-HYDAN® n’étant pas supposé être dans la liste des médicaments disponibles à la
pharmacie pour l’infirmière qui s’était occupée de l’entrée du patient, la commande de ce
médicament n’a pas été faite tout de suite à la pharmacie. L’infirmière n’a pas demandé
d’ordonnance nominative, n’a pas transmis l’information à ses collègues, et est partie
en vacances.
Seule la DEPAKINE® a été commandée.
Ce patient a donc reçu pendant 4 jours un seul anti-épileptique au lieu de trois. L’équipe
a réalisé l’omission des deux médicaments quand la crise d’épilepsie s’est déclenchée.
2. LES ERREURS DE MÉDICATION SONT LIÉES AUX VULNÉRABI-
LITÉS DU CIRCUIT DU MÉDICAMENT
Dans 17 établissements ayant participé au projet SECURIMED, il n’existait
pas un, mais plusieurs circuits du médicament, jusqu’à cinq circuits du médi-
cament dans un établissement. Cette situation, source de complexité, s’était
construite par ajouts successifs de circuits du médicament plus sécurisés pour
Figure 2 : Répartition selon les services des erreurs de médication observées
lors de la préparation ou de l’administration des médicaments en chirurgie (projet
SECURIMED).
Nombre de
médicaments obser
Conformité
Ecarts
Service
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410
certaines activités (gériatrie, cardiologie par exemple) ou certains médicaments
(antibiotiques de deuxième intention, cytostatiques par exemple) que le circuit
initial basé sur une dispensation globale des médicaments (Figure 3). Les
activités ou les médicaments concernés par cet effort de sécurisation ont été
sélectionnés dans une logique de sécurisanitaire ou le plus souvent de maîtrise
des dépenses de santé.
La répartition des missions des différents acteurs aboutissait souvent à des
glissements de tâches potentiellement dangereux avec par exemple dans certains
établissements, une faible « séniorisation » des activités complexes (par exemple
prescriptions de chimiothérapie et analyse pharmaceutique des prescriptions par
des internes), des infirmiers en situation de prescripteur en particulier pour les
traitements habituels du patient, des infirmiers effectuant des tâches de prépa-
rateur, des aides-soignants des tâches d’infirmier, des préparateurs des tâches
de magasinier, des pharmaciens des tâches de gestionnaire et de fournisseur !
Cette situation tendait à éloigner chaque acteur de ses missions prioritaires.
Les circuits du médicament observés dans les 38 services cliniques étaient
peu sécurisés. Les principales défenses contre la survenue d’erreurs comme la
prescription informatisée, l’analyse pharmaceutique, la dispensation individuelle
et nominative des médicaments étaient rarement présentes (Figure 4). Cinq
services seulement disposaient d’une prescription informatisée et 9 d’une
analyse pharmaceutique des prescriptions.
Les défenses importantes étaient surtout présentes au niveau des étapes
de préparation et d’administration avec la mise en place d’un double contrôle
des médicaments avant l’administration, une administration des médicaments
effectuée par l’infirmier. Cependant, le jour de la visite, il a été observé de nom-
Figure 3 : Le circuit du médicament le plus fréquent (projet SECURIMED)
Les erreurs médicamenteuses et de prescription 411
breux écarts entre les médicaments préparés ou administrés et ceux figurant
sur le support de prescription.
Au cours des entretiens individuels, il a été constaté que les différents
acteurs du circuit du médicament faisaient peu confiance au circuit du médica-
ment mis en place et redoutaient des erreurs à toutes les étapes du circuit du
médicament.
3. DE NOMBREUSES VULNÉRABILITÉS DANS LES SERVICES DE
CHIRURGIE
Au total, 8 services de chirurgie ont participé à ce projet : 4 services de
chirurgie viscérale et vasculaire, 1 service de chirurgie générale, 2 services de
chirurgie orthopédique, 1 service de chirurgie orthopédique et urologique.
Les prescripteurs étaient nombreux : chirurgiens (14 chirurgiens dans un
des services visités), anesthésistes, internes du service, mais aussi internes de
garde, faisant fonction d’internes (la nuit, le week-end), chirurgiens ou médecins
d’autres services pour les patients hébergés, médecins des urgences, médecins
du SMUR, médecins spécialistes consultants… Les habitudes de prescriptions
étaient différentes selon les médecins, et les domaines de prescriptions étaient
parfois mal définis entre chirurgiens et anesthésistes (4 services). Par exemple,
dans un service de chirurgie viscérale, le chirurgien assurait le suivi des traite-
ments de la douleur, les anesthésistes prescrivaient les nutritions parentérales,
les électrolytes, et assuraient le suivi postopératoire, tandis que les anesthésistes
remplaçants ne suivaient pas les patients en période postopératoire.
Figure 4 : Fréquence des principales défenses du circuit du médicament dans
38 services cliniques (projet SECURIMED).
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