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01/03/2017 |
Alimentation
Phénomène global, l'alimentation ouvre des perspectives sur l'état d'une société et peut s'interpréter aussi
bien comme facteur que comme révélateur de mutations socioculturelles. Au-delà des aspects purement
physiologiques, son étude permet à l'historien de recueillir divers indices, relatifs par exemple à la culture
matérielle (Manières de table), aux stratifications sociales, aux rôles masculin et féminin, à la démographie,
aux modèles migratoires, aux rapports de pouvoir et même aux mentalités.
L'histoire de l'alimentation ne s'intéresse pas seulement à la préparation et à la consommation de la
nourriture, mais à toute la chaîne économique qui les entoure: structures et techniques agraires, distribution
des produits, organisation du marché, travaux domestiques, Provisions de ménage, Conservation des
aliments, gestion des déchets. Il est donc nécessaire de se fonder sur un modèle interprétatif vertical capable
de saisir les rapports entre production, distribution et consommation. La quantité d'aliments à disposition,
leur répartition et leur qualité mettent en jeu les notions de justice et de santé, ce qui débouche sur la
nébuleuse des conflits sociaux. Quotidiens ou festifs, les repas permettent de conforter le sentiment
d'appartenance à une communauté culturelle et de manifester en même temps des différences sociales,
parfois subtiles. Ces deux rôles opposés renvoient à la dimension politique de l'alimentation. Ainsi, pour les
Suisses, y a-t-il tension entre une diversité régionale et une identité incarnée dans quelques "plats
nationaux"? Quand on traite de l'alimentation, il convient d'en garder à l'esprit les multiples significations.
Auteur(e): Jakob Tanner / PM
1 - Préhistoire, Antiquité et haut Moyen Age
L'homme est un animal omnivore. Durant des millénaires, son alimentation dépendit entièrement de l'offre
spontanée de la nature. Dans les steppes qu'il habitait aux âges glaciaires, il se nourrissait surtout de gibier
et de quelques œufs, comme le prouve l'étude du site paléolithique d'Hauterive-Champréveyres (NE). La
consommation de végétaux peut se déduire dans certains cas de l'état de la dentition.
Au Néolithique, la Céréaliculture permit d'augmenter notablement la part des hydrates de carbone, au point
de risquer des déséquilibres et des carences. Cependant, dans les stations littorales de Suisse, on rencontre
une alimentation variée, comportant selon les saisons noisettes, baies, prunelles et autres fruits. La Cueillette,
la Chasse et la Pêche restaient importantes. Des pains complets au levain sont attestés dès 3600 av. J.-C.
environ. Les provisions hivernales consistaient en céréales, en fruits séchés (surtout des pommes) et en
viande, peut-être fumée, fournie par les Animaux domestiques abattus en automne.
Le Sel ne fut guère utilisé comme moyen de conservation avant le IIe millénaire av. J.-C., comme semblent
l'indiquer les fouilles archéologiques menées sur le site de sources salées et de dépôts de sel gemme. En
Basse-Engadine, on tirait sans doute parti du climat dès le Ier millénaire av. J.-C. pour faire sécher de la viande
de bœuf et de porc, dont on a retrouvé des omoplates percées. Le miel devait servir depuis longtemps
d'édulcorant, comme le montrent des peintures rupestres en Espagne. L'usage de la cire, et donc,
indirectement, la production de miel sont bien attestés en Suisse au IIe millénaire av. J.-C. (Apiculture).
A l'âge du Bronze furent introduites de nouvelles cultures: la fève, légumineuse peu exigeante
particulièrement fréquente dans les Alpes (Terres ouvertes); le millet à grappes et le millet à panicules, qui
servaient peut-être aussi à brasser de la bière (Brasserie). La vaisselle retrouvée dans les tombes prouve que
les usages liés à la boisson se développèrent au IIe et surtout au Ier millénaire av. J.-C. Les aspects sociaux de
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l'alimentation, qui reflètent la tendance générale à la spécialisation des travaux et des fonctions, se laissent
de mieux en mieux appréhender au Ier millénaire. Quelques sites suisses ont livré des amphores à vin et à
huile en provenance de la Méditerranée occidentale.
Sous l'Empire romain, les couches aisées adoptèrent de nouvelles habitudes alimentaires, telle la
consommation de garum (sauce à base de poisson, importée de Méditerranée). La Viticulture et les Cultures
fruitières s'élargirent. Dans les grandes villae (où l'on consommait des huîtres, des asperges, des figues, des
dattes, des épices exotiques), la table des maîtres se différenciait de celle des serviteurs, par exemple dans le
choix des viandes. Si les historiens pensaient autrefois qu'au nord des Alpes l'Horticulture avait disparu au
Ve s. pour renaître plus tard sous l'influence des abbayes, les opinions actuelles sont plus nuancées: il semble
que la culture des Jardins, des arbres fruitiers, des légumes, des plantes condimentaires (Epices) et des
Plantes médicinales ait survécu au moins localement aux bouleversements de l'Antiquité tardive.
Auteur(e): Margarita Primas / PM
2 - Moyen Age
L'accroissement de la population rendit nécessaire une agriculture plus intensive, tandis que le rôle de la
cueillette en forêt et de la pâture diminuait. Les premières sources écrites médiévales valent pour le monde
monacal. Dans ses Benedictiones ad mensas (avant 1025), Ekkehard IV, moine de Saint-Gall, énumère les
mets et les boissons qu'il connaît personnellement ou par la littérature: diverses sortes de pains
(Boulangerie), sel, poissons, volaille, viande de boucherie, gibier, produits laitiers (Industrie laitière), fruits,
herbes et épices, légumes, champignons, vin, cidre, vin épicé, hydromel et bière.
L'alimentation du bas Moyen Age est mieux connue. Pour une grande partie de la population, les céréales (ou
les Châtaignes au sud des Alpes) dominent, suivies par les Légumineuses, les légumes, les fruits secs ou
cuits, complétés quand tout va bien par de la viande. Bouillies et pain étaient la base de l'alimentation
quotidienne, les salaires versés en nature l'étaient souvent sous forme de pain. On ne consommait guère,
même dans les régions d'Elevage, les produits laitiers, destinés à l'exportation, mais seulement des sous-
produits, en complément aux céréales. Cependant, le beurre était largement utilisé en cuisine, comme le
montrent de nombreuses dispenses de maigre. Le fromage, riche en calories, était l'aliment préféré des
moissonneurs.
La consommation de viande était plus élevée au bas Moyen Age qu'elle ne le sera dans la période suivante,
où l'approvisionnement se détériorera à la suite de la hausse de la population et d'une stagnation de la
production. Les contrats d'admission à l'hôpital du Saint-Esprit de Saint-Gall, par exemple, montrent que
même les pensionnaires les plus défavorisés recevaient un régime varié. On connaît l'alimentation des hautes
classes et leur goût pour la viande et les abats grâce aux livres de recettes et aux ordonnances alimentaires:
le Viandier attribué à Taillevent, maître queux du roi de France Charles V (ouvrage du milieu du XIVe s., connu
en Suisse), le Fait de cuisine de maître Chiquart (vers 1420) pour la cour de Savoie, l'ordonnance de l'abbé de
Saint-Gall Ulrich Rösch (1480) pour la cour de Wil. Lors des jours d'abstinence, répartis tout au long de l'année
liturgique, on renonçait à la viande pour le poisson, réputé maigre et d'ailleurs consommé en tout temps. Les
bourgeois des villes s'approvisionnaient soit sur les domaines qu'ils possédaient à la campagne, soit au
marché, surveillé par les autorités. Les denrées refusées par les contrôleurs, pas forcément avariées, étaient
vendues à bas prix ou données aux pauvres. Les classes moyennes et inférieures ne mangeaient de la viande
que les jours de fête ou au moment de "faire boucherie"; par exemple les paysans du Petit-Huningue
voulaient avoir, le jour où ils payaient leurs dîmes, du bœuf au poivre, du veau, de la poule, du pain blanc, du
vin rouge et blanc. Les comptes du chantier de la cathédrale de Bâle pour l'entretien de ses ouvriers en 1438,
année de crise, sont intéressants: en dehors des céréales (non mentionnées), les viandes représentent 54%
des dépenses, le poisson 27%, y compris les poissons de mer salés ou séchés.
L'alimentation du bas Moyen Age est connue notamment par les fouilles réalisées dans d'anciennes latrines à
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Bâle, Zurich, Constance, Schaffhouse et Bienne; notons néanmoins qu'elles se trouvaient pour la plupart dans
des quartiers habités par les classes aisées. Elles ont livré des restes de fruits (même importés: grenades,
figues), de noix, de baies et de légumes, des os de bovins, de moutons, de porcs, de chèvres et de gibier.
Elles ne révèlent presque rien sur les céréales, bien conservées en revanche dans certains sols sous forme
carbonisée; on a trouvé sur le site de six maisons incendiées de Laufon (XIIIe-XVe s.) surtout de l'avoine et de
l'épeautre, mais aussi de l'engrain, de l'amidonnier, du froment, de l'orge, du millet et du seigle (avec des
traces d'ergot toxique), ainsi que des légumineuses (fèves, pois, lentilles, vesces). Un second groupe de
plantes comprenait vingt-cinq espèces cultivées, telles qu'ail, navet, chou, noix, fruits, herbes aromatiques et
médicinales.
On a diagnostiqué des symptômes de carence (en fer et autres éléments) sur les squelettes exhumés à Bühl
près de Nänikon, dans un ancien cimetière comprenant notamment 73 tombes d'enfants de la fin du XVe et du
début du XVIe s.: dépôts spongieux dans les orbites (cribra orbitalia, présents chez un enfant sur six), lignes
de Harris (troubles de croissance des os longs des enfants) et déformations osseuses dues au rachitisme. Ces
faits illustrent les conséquences des famines répétées qui pouvaient frapper une société agricole au bas
Moyen Age.
Auteur(e): Martin Illi / PM
3 - Epoque moderne et contemporaine
3.1 - Nouveaux aliments et protoindustrialisation (XVIe-XVIIIe siècles)
Deux stéréotypes opposés ont marqué durant des siècles l'idée que l'on se faisait de l'alimentation en Suisse:
d'une part celui du pays pauvre, incapable de nourrir sa population, raison pour laquelle les hommes jeunes
s'engageaient au service étranger. D'autre part celui du peuple des bergers, sains et vigoureux grâce à leur
frugalité.
En fait, les zones agraires qui se différencient à la fin du Moyen Age et à l'époque moderne ont élaboré
chacune leur modèle alimentaire: ainsi (sans entrer dans les détails), les éleveurs des Alpes se nourrissent de
laitages, de fromage, de noix, de baies, de champignons, de légumes et de fruits; les laboureurs du Plateau
(qui boivent de cas en cas du vin), de bouillies, de soupes, de pain, de légumineuses, de légumes. Pour tous
le pain revêt une valeur particulière. Le régime variait fortement selon les saisons. Les légumes frais du jardin
faisaient place en hiver aux fruits séchés et à la choucroute. La disette forçait à consommer davantage de
glands, de betteraves, de racines et de pains faits de succédanés.
Le fait que la plupart des régions de la Suisse participaient à de vastes réseaux d'échanges, qui influençaient
aussi l'alimentation bat en brèche la vision trop étroite d'un approvisionnement autarcique et purement local
jusqu'au XIXe s. Il faut relever deux points importants. Premièrement, l'essor démographique des débuts de
l'époque moderne entraîna, alors que la productivité agricole stagnait, un appauvrissement du régime
alimentaire (avec des bouillies ou des purées comme base de l'alimentation) et un recul de la consommation
de viande. L'approvisionnement était irrégulier, les disettes et les chertés fréquentes. Cependant, de longues
phases de prospérité sont attestées, avec un régime plus riche en viande et en laitages. Deuxièmement, la
conquête de l'Amérique amena la diffusion en Europe des produits coloniaux, tel le Sucre, qui trouva un large
emploi en pâtisserie, divers fruits et légumes. Le goût des nouveautés fut longtemps l'apanage de la bonne
société urbaine; mais au XVIIIe s. la Pomme de terre répondit à un besoin des classes inférieures et
l'innovation vint pour une fois d'en bas.
La fin du XVIIIe s. connut une "révolution alimentaire", liée à la protoindustrialisation, qui vit s'imposer, outre
la pomme de terre, le Café et un peu plus tard les Eaux-de-vie, souvent sous forme de succédanés de
mauvaise qualité ou de tord-boyaux. Le Maïs se répandit au Tessin, dans le Rheintal saint-gallois et dans
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quelques vallées grisonnes, qui adoptèrent la polenta pour le petit déjeuner, les autres régions s'en tenant au
café au lait et à la pomme de terre. Ces innovations eurent un effet plus durable sur l'alimentation que celles
apportées par l'industrialisation au XIXe s.
Auteur(e): Jakob Tanner / PM
3.2 - Croissance économique, industrialisation et urbanisation (XIXe siècle)
Avec l'industrialisation, les modèles alimentaires créés au XVIIIe s. se généralisèrent. Les dernières crises de
subsistance eurent lieu en 1816-1817 et 1845-1847. Les cycles conjoncturels ne suivirent plus dès lors le
rythme des bonnes et mauvaises récoltes. Même si la crainte de manquer n'était pas encore surmontée à la
fin du siècle, l'approvisionnement s'était élargi et stabilisé dans le dernier quart du XIXe s., grâce à plusieurs
phénomènes concomitants. La deuxième révolution agricole avait fait augmenter la productivité. Une
économie laitière efficace et spécialisée travaillait à la fois pour l'exportation, pour l'industrie de
transformation et pour le marché indigène. Le développement des transports affaiblit les marchés régionaux,
désormais confrontés à la concurrence mondiale. Les céréales devinrent un des principaux produits du
commerce international et la possibilité d'acquérir des blés d'outre-mer à bas prix facilita la formation d'une
société industrielle moderne (développement du secteur secondaire et urbanisation). Même si la Boucherie
n'atteignit jamais en Suisse la même concentration que dans le nord-est des Etats-Unis, la centralisation des
abattoirs facilita le marché de la viande.
L'essor de l'Industrie alimentaire et de la Conserverie offrit aux entrepreneurs un nouveau champ d'activité.
Les maisons suisses s'intéressèrent surtout aux produits lactés (Lait condensé, Lait en poudre), au Chocolat,
aux pâtes alimentaires et aux soupes. Il en résulta une offre croissante et régulière de produits que purent
s'offrir des couches de plus en plus larges de la population, grâce à leurs revenus en hausse.
Mais l'industrialisation fit naître aussi des problèmes alimentaires. De plus en plus de gens durent
s'approvisionner au marché, ce qui les rendait dépendants de la conjoncture commerciale et d'une
monétarisation sans visage, même si le pouvoir d'achat s'accrut nettement à long terme. Mais on ne trouvait
plus de lait, accaparé par l'industrie d'exportation, comme le montre Jeremias Gotthelf dans une histoire
mettant en scène un village bernois imaginaire (Die Käserei in der Vehfreude, 1835). En ville surtout, vu la
longueur de la chaîne reliant le producteur au consommateur, la qualité des aliments, parfois frelatés, baissa;
la loi fédérale sur les denrées alimentaires ne date que de 1905. Par ailleurs, l'usine impliquait une distinction
entre lieu de travail et domicile, entre activités salariées et domestiques. Elle mettait ainsi en cause les
habitudes relatives au partage des tâches et à l'organisation de la vie quotidienne. Or l'alimentation est un
domaine sensible à de telles ruptures. Et comme les usines employaient surtout des femmes dans la première
phase de l'industrialisation, des conflits de rôle surgirent qui eurent généralement une influence négative sur
l'alimentation. Liée à ce qui précède, la popularité de "substituts" comme le schnaps et le sucre pouvait avoir
des conséquences physiologiques négatives, malgré la hausse des revenus.
Auteur(e): Jakob Tanner / PM
3.3 - Entre diététique et idéologie (première moitié du XXe siècle)
Le débat sur les effets de l'industrialisation sur l'alimentation se déroula de plus en plus, dès le dernier tiers
du XIXe s., dans un cadre scientifique; la diététique, qui concevait à ses débuts le corps comme une sorte de
machine thermodynamique, diffusa au cours du XXe s. une série de théories basées sur des hypothèses
relatives aux effets de l'alimentation sur la santé, recommandant par exemple plus de vitamines ou de fibres,
moins d'alcool ou de graisses ( Mouvement pour une vie saine). L'alimentation devint le thème de prédilection
d'une éducation populaire menée surtout par des cercles bourgeois, souvent dans un esprit missionnaire et
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dans un but de discipline sociale. De nouvelles activités formatrices destinées aux femmes apparurent: cours
de cuisine, école ménagère, livres de recettes codifiant le savoir culinaire, diffusion de conseils pratiques.
Durant la grande crise des années 1930, on mit l'accent sur les plats nationaux typiques, à commencer par la
fondue, qui rapproche, que l'on peut comprendre comme un antidote au conflictuel Röstigraben, cliché peu
adéquat du point de vue de l'histoire de l'alimentation. La propagande pour l'alimentation saine se renforça
pendant l'entre-deux-guerres, mais sans obtenir de grands succès, même si le birchermüesli créé par
Maximilian Oskar Bircher-Benner était promis à une gloire internationale.
Des facteurs sociaux, techniques et psychologiques ont entraîné aux XIXe-XXe s. des changements durables
dans les goûts et les habitudes alimentaires, ainsi qu'une diminution de la part du Budget familial affectée à
la nourriture. Entre 1830 et 1875, une famille ouvrière consacrait en moyenne 62% de ses dépenses à ce
poste, le pain et le café (généralement un succédané à base de chicorée) venant en premier, suivis de la
viande, du lait et des pommes de terre, en proportions variables selon le sexe et l'âge. Au début du XXe s.,
cette part était passée à 50% pour les ouvriers, à 40% pour les employés. En 1950, les ménages suisses
consacraient en moyenne moins d'un tiers de leur budget à la nourriture et à peine plus de 10% en 1995. A
long terme, les préférences des consommateurs passèrent du pain et des pommes de terre à la viande, aux
œufs et aux légumes. L'évolution de l'élevage et de la Sélection animale permit d'accroître l'offre d'aliments
carnés. La primauté des hydrates de carbone s'affaiblit, et l'amidon recula devant les sucres rapides. Dans
l'ensemble, les repas devinrent plus variés, mais tendirent à se destructurer.
Auteur(e): Jakob Tanner / PM
3.4 - La société de consommation et le problème de la surabondance (seconde moitié du
XXe siècle)
Après 1950, une très forte croissance économique entraîna une hausse sans précédent des revenus et du
pouvoir d'achat de toutes les couches sociales. Le déclin de la pomme de terre et des céréales se poursuivit,
la nourriture devint plus grasse. La part des produits traités artisanalement ou industriellement augmenta
face aux denrées brutes, comme le montre l'exemple du lait en vrac, remplacé par yoghourts et autres
drinks.
Cette évolution accéléra le mélange des styles et le changement des habitudes alimentaires. Nous relèverons
quelques aspects. La Cuisine s'est technicisée et le ménage s'est rationalisé, obéissant largement dès les
années 1950 à des mots d'ordre lancés dans les années 1920. De nouveaux produits et de nouvelles
manières de cuisiner sont apparus sous le signe de la préparation rapide (convenience food). Cet aspect de la
"civilisation de la vitesse" est faussement confondu avec le fast food qui en est la variante américaine. Malgré
mets en boîte et autres plats tout prêts, la préparation des repas familiaux (achats y compris) reste une tâche
longue et exigeante. Il n'y a pas lieu d'attendre ou de craindre la "fin de la cuisine". Après avoir profité dans
les années 1950 de la levée des restrictions imposées pendant la guerre, on s'engagea dans un processus de
libéralisation et d'individualisation qui s'accentua sous l'influence des mouvements de 1968. On abandonna
les manières de table bourgeoises et guindées pour des repas "à la bonne franquette", tandis que se
dessinaient les diverses tendances d'un nouvel art de vivre. Puis vint la vogue des restaurants
gastronomiques défendant l'esthétique de la "nouvelle cuisine" dans un cadre étudié (Auberges). L'offre en
produits alimentaires s'est diversifiée tout en se standardisant. L'internationalisation du marché a permis non
seulement d'effacer les saisons, mais d'importer une multitude de spécialités exotiques. Le consommateur a
désormais l'embarras du choix. Si la population ne se limite plus à une cuisine régionale ni aux habitudes
alimentaires liées au rang social, les mets "nationaux" ou locaux sont revalorisés pour des raisons folkloriques
ou touristiques. La "cuisine suisse typique", dans sa diversité régionale, n'a donc nullement disparu sous
l'effet d'une mondialisation forcée. On constate au contraire que la redécouverte des traditions culinaires est
une "tendance porteuse".
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