Organisation des soins psychiatriques en milieu pénitentiaire

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Organisation des soins
psychiatriques en milieu
pénitentiaire
CHAPITRE
4
Psychiatrie légale et criminologie clinique
© 2013, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Gérard Laurencin
Créés en application de la loi n° 85-1468 du 31
décembre 1985 relative à la sectorisation psychiatrique, les secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire répondent aux besoins de santé mentale
de la population incarcérée dans les établissements
relevant d'une région pénitentiaire3. Chacun est
rattaché à un établissement hospitalier public et
comporte un Service médicopsychologique régional (SMPR), aménagé dans un établissement pénitentiaire et placé sous l'autorité d'un psychiatre
assisté d'une équipe pluridisciplinaire relevant du
centre hospitalier de rattachement.
Depuis la loi n° 94-4 du 18 janvier 1994 relative à
la santé publique et à la protection sociale, le service public hospitalier est chargé d'une mission
globale de soins aux personnes détenues. Il assure
les examens de diagnostic et les soins dispensés
aux détenus en milieu pénitentiaire et, si nécessaire, en milieu hospitalier, et concourt aux
actions de prévention et d'éducation pour la santé
organisées dans les établissements pénitentiaires.
Toutes les personnes détenues sont immatriculées
et affiliées obligatoirement aux assurances maladie et maternité du régime général4 . Chaque
établissement pénitentiaire est rattaché par
convention à un établissement public de santé, qui
crée au sein de l'établissement pénitentiaire, une
unité de consultations et de soins ambulatoires
(UCSA), animée par une équipe composée de personnel hospitalier.
La création en 2002 des unités d'hospitalisation
spécialement aménagées (UHSA) ouvre sur l'hospitalisation des personnes détenues atteintes de
troubles mentaux dans un établissement de santé,
avec ou sans leur consentement5.
La loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre
2009 affirme le respect du droit au secret médical des personnes détenues ainsi que le secret de
la consultation et indique que ne peuvent être
demandés au personnel sanitaire intervenant en
milieu carcéral ni un acte dénué de lien avec les
soins ou avec la préservation de la santé des personnes détenues ni une expertise médicale.
La prévalence élevée des troubles psychiatriques
et mentaux chez les personnes détenues a contribué à poursuivre l'adaptation du dispositif d'offre
de soins en santé mentale en milieu pénitentiaire6, traduite dans le guide méthodologique
3
5
4
Décret no 86-602 du 14 mars 1986 relatif à la lutte
contre les maladies mentales.
Décret no 94-929 du 27 octobre 1994 relatif aux soins
dispensés aux détenus par les établissements de santé
assurant le service public hospitalier, à la protection
sociale des détenus et à la situation des personnels
infirmiers des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire.
6
La loi no 2002-1138 d'orientation et de programmation pour la justice, titre V : « Dispositions relatives à
l'amélioration du fonctionnement et de la sécurité des
établissements pénitentiaires ».
Plan d'actions stratégiques relatif à la politique de
santé des personnes placées sous main de justice,
ministère de la Santé et des Sports, ministère de la
Justice et des Libertés, octobre 2010.
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Partie I. Psychiatrie légale
avant l'incarcération. Les personnes détenues
handicapées ainsi que vieillissantes ou âgées, les
femmes détenues ont des besoins de santé plus
spécifiques.
On observe une augmentation récente des actes
autoagressifs dans les établissements pénitentiaires. Le taux de suicides sous écrou en France
(17 pour 10 000 en 2011) reste un des plus élevé
de l'Union européenne, à l'instar du taux de
mortalité toutes causes confondues (40,5 pour
10 000).10 Le risque suicidaire est quatre fois plus
élevé pour les prévenus que pour les condamnés.
Environ 15 % des suicides ont lieu dans les dix
premiers jours d'écrou, 2/3 des suicides étant
perpétrés au-delà des trois premiers mois. Les
personnes détenues se suicident six fois plus que
les hommes libres âgés de 15 à 59 ans.11 À noter
l'absence de travaux en France sur le suicide en
détention et ses rapports avec les troubles
mentaux.
De longue date, on observe la fréquence élevée des
pathologies psychiatriques en milieu pénitentiaire. En 2002, Fazel et Danesh retrouvent chez
les hommes incarcérés 3,7 % de psychoses chroniques, 10 % de troubles dépressifs caractérisés et
65 % de troubles de la personnalité incluant 47 %
de personnalités antisociales. Chez les femmes, ils
font état de 4 % de psychoses chroniques, 12 % de
troubles dépressifs et 42 % de troubles de la personnalité.12 La prévalence des troubles schizophréniques dans les prisons françaises selon
l'étude publiée en 2006 par Rouillon et Falissard
est entre 3,8 et 8 %, celle des psychoses chroniques
entre 1,6 et 8 %, les troubles dépressifs concernant
35 à 40 % des personnes détenues.13 On ne retrouve
d'études ni sur le lien entre maladies mentales et
violences agies en détention ni sur les violences
sur la prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice publié en octobre 20127.
Les schémas régionaux d'organisation des soins et
le projet régional de santé (SROS-PRS) doivent
intégrer l'offre de soins en milieu pénitentiaire et
en définir les objectifs et les moyens. L'organisation
des soins en milieu pénitentiaire est une composante du projet d'établissement de chaque établissement de santé. Lorsque les soins psychiatriques
et les soins somatiques sont sous la responsabilité
de deux établissements de santé distincts,
l'établissement de santé en charge des soins somatiques est l'interlocuteur privilégié de la direction
de l'établissement pénitentiaire. Un protocole
détermine les conditions de fonctionnement et
rappelle les obligations respectives du ou des établissements de santé et de l'établissement pénitentiaire. Une convention précise les modalités de
fonctionnement de ces deux dispositifs de soins.
Contexte
En 2003, la DREES a procédé à un recueil d'informations sur les facteurs de risque auxquels sont
exposés les entrants, les pathologies constatées et
les traitements en cours. Si huit entrants sur dix
ont été jugés en bon état de santé général, un sur
dix se voit prescrire une consultation spécialisée
en psychiatrie8. La souffrance psychique en milieu
pénitentiaire est attestée par les observations quotidiennes des personnels soignants exerçant en
milieu carcéral9.
La population détenue est caractérisée par une
surreprésentation des catégories sociales en
grande précarité, sans travail, sans domicile, sans
soutien de l'entourage, au niveau éducatif peu
élevé, avec un faible recours au système sanitaire
10
7
8
9
Circulaire interministérielle no DGOS/DSR/DGS/
DGCS/DSS/DAP/DPJJ/2012/373 du 30 octobre 2012
relative à la publication du guide méthodologique sur
la prise en charge sanitaire des personnes placées sous
main de justice.
Mouquet MC. « La santé des personnes entrées en prison en 2003 », DREES, Études et résultats, No 386,
mars 2005.
« L'évaluation de la souffrance psychique liée à la
détention », Rapport final, GRESP-ADNSMPL, juin
2008.
11
12
13
Tournier P-Y. « Les décès sous écrou, réponses
pénales, la criminalité en France », rapport 2012,
INHESJ/ONDRP.
Duthé G, Hazard A, Kensey A, Pan Ké Shon J-L.
Suicide en prison : la France comparée à ses voisins
européens. Population 1 Sociétés, No 462, Décembre
2009.
Fazel S, Danesh J. Serious mental disorder in 23 000
prisoners : a systematic review of 62 surveys. Lancet
2002 ; 16 ; 359(9306) : 545–50.
Falissard B, Rouillon F. Prevalence of mental disorders
in French prisons for men. BMC Psychiatry 2006.
http://www.biomedcentral.com/1471-244X/6/33.
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Chapitre 4. Organisation des soins psychiatriques en milieu pénitentiaire
spécialisés ne pouvant être réalisés en milieu
pénitentiaire.
• Niveau 2. Pour les soins somatiques, les soins en
hospitalisation de jour sont assurés en milieu
hospitalier, alors que pour les soins psychiatriques, l'hospitalisation de jour est organisée en
milieu pénitentiaire au sein d'une unité sanitaire, le cas échéant d'un SMPR.
• Niveau 3. Alors que les unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) sont concernées
par les seules personnes faisant l'objet d'une
mesure privative de liberté de façon continue à
l'intérieur d'un établissement pénitentiaire18, s'y
ajoutent pour les UHSA les personnes hébergées
par l'établissement pénitentiaire de façon discontinue (personnes semilibres, bénéficiaires de
permissions de sortie et de placements extérieurs
avec surveillance de l'administration pénitentiaire)19.
subies en détention par les personnes souffrant de
troubles mentaux14.
Organisation des soins
en milieu pénitentiaire
Les personnes détenues doivent bénéficier du
même niveau de soins médicaux que la population vivant en milieu libre, s'agissant de l'accès
au médecin, de l'équivalence des soins, du
consentement du patient et de la confidentialité,
de la prévention sanitaire, de l'intervention
humanitaire, de l'indépendance et de la compétence professionnelle15.
Les personnes détenues bénéficient de toutes les
dispositions en faveur des droits des patients. Le
secret professionnel s'impose à toute personne
exerçant au sein des structures sanitaires en
milieu pénitentiaire. Le patient détenu prend,
avec le professionnel de santé et compte tenu des
informations et des préconisations qu'il lui a fournies, les décisions concernant sa santé. Les soins
mis en œuvre, sous réserve du consentement des
patients, sont adaptés aux troubles psychiques
présentés. Toute action favorisant l'alliance thérapeutique doit être recherchée16.
L'organisation des soins en milieu pénitentiaire
repose sur deux dispositifs, l'un pour les soins
somatiques, le second pour les soins psychiatriques, structurés en trois niveaux17 dissymétriques :
• Niveau 1. Seuls les soins ambulatoires somatiques peuvent également être assurés en milieu
hospitalier lorsqu'ils requièrent des examens
14
15
16
17
Niveau 1 : soins psychiatriques
ambulatoires dans les unités
sanitaires et les services
médicopsychologiques régionaux
Les unités sanitaires de niveau 1 incluent un dispositif de soins somatiques (DSS) et un dispositif
de soins psychiatriques (DSP). L'activité ambulatoire des services médicopsychologiques (SMPR)
relève aussi du niveau 1. Les locaux sont fréquemment vétustes, parfois bien agencés, le plus souvent insuffisants.
Le DSP, ou le SMPR le cas échéant, assure l'ensemble des activités de consultations individuelles
et de prises en charge de groupe à l'instar des
CMP et CATTP. L'accès à l'ensemble de ces activités de soins doit pouvoir être assuré pour tous les
hommes et les femmes détenus dont l'état de santé
le nécessite. L'administration pénitentiaire doit
veiller à optimiser les mouvements de détenus.
La réglementation ne prévoit pas l'accueil systé-
Dangerosité psychiatrique : étude et évaluation des
facteurs de risque de violence hétéro-agressive chez
les personnes ayant des troubles schizophréniques ou
des troubles de l'humeur, Rapport d'orientation de la
commission d'audition, Haute Autorité de santé,
mars 2011.
Normes du CPT. Conseil de l'Europe, CPT/Inf/E
(2002) 1 - Rev. 2010.
Plan Psychiatrie et Santé mentale 2011–2015.
Ministère des Affaires sociales et de la Santé.
Circulaire interministérielle no DGOS/DSR/DGS/
DGCS/DSS/DAP/DPJJ/2012/373 du 30 octobre 2012
relative à la publication du guide méthodologique sur
la prise en charge sanitaire des personnes placées sous
main de justice.
18
19
Arrêté du 24 août 2000 relatif à la création des unités
hospitalières sécurisées interrégionales destinées à
l'accueil des personnes incarcérées.
Circulaire interministérielle no DGOS/R4/PMJ2/2011/105
du 18 mars 2011 relative à l'ouverture et au fonctionnement des unités hospitalières spécialement aménagées
(UHSA).
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Partie I. Psychiatrie légale
tiaire ainsi que des locaux adaptés. Elles peuvent
s'adresser à des groupes présentant des problématiques particulières. Les ateliers thérapeutiques
s'appuient sur divers médias.
Le médecin remet au patient des attestations de suivi
du traitement à intervalles réguliers. Une réduction
supplémentaire de la peine peut être accordée aux
personnes condamnées qui manifestent des efforts
sérieux de réadaptation sociale, notamment en suivant une « thérapie destinée à limiter les risques de
récidive » à l'instar du travail, de la formation ou du
remboursement des parties civiles. De fait, le soin
peut revenir à une formalité parmi d'autres dans le
parcours d'exécution de la peine.
La régularité des prises en charge individuelles et
groupales est nécessaire à la qualité des soins et prévient de certaines situations d'urgence. Le soin en
milieu pénitentiaire intègre la continuité des soins à
l'issue de leur période d'incarcération, en facilitant
aux patients l'accès aux systèmes de droit commun
et en les incitant à prendre en charge leur santé.
L'accès aux soins en situation d'urgence doit être
assuré pour les personnes détenues hors des heures
d'ouverture, notamment la nuit et le week-end.
matique des entrants par les DSP ou le SMPR. Les
modalités concrètes de l'entretien d'accueil sont
définies dans le cadre de protocoles locaux. Il est
assuré par le personnel infirmier, parfois des psychologues ou des médecins, précocement après
l'incarcération ou de manière différée.
Les prérequis aux soins sont le consentement de la
personne et la garantie de la confidentialité des
échanges. Le prise en charge et l'accompagnement
des patients détenus est un élément atténuant la
souffrance psychique. Les soignants ne se limitent
pas à une seule posture d'attente de la demande du
patient mais travaillent fréquemment à son émergence. L'incitation aux soins concerne notamment
les personnes souffrant de pathologies mentales
ou d'addictions ainsi que les auteurs de violences
sexuelles20.
Le juge de l'application des peines informe une
personne condamnée à un suivi sociojudiciaire
comprenant une injonction de soins de la possibilité d'entreprendre un traitement. Il peut aussi
proposer à toute personne condamnée pour
laquelle un suivi sociojudiciaire pouvait être
encouru de suivre un traitement durant sa détention si un médecin estime que cette personne est
susceptible d'en faire l'objet. En milieu pénitentiaire, il n'existe ni soins pénalement ordonnés
(obligation ou injonction de soins) ni soins sous
contrainte (programme de soins21).
Les décisions cliniques relatives à la santé des personnes détenues sont fondées sur des critères
médicaux. Le personnel de santé exerce son activité en toute indépendance, dans la limite de ses
qualifications et de ses compétences22.
Les modalités de soins consistent en prises en
charge individuelle et groupale. Celles-ci sont
plus complexes à développer et nécessitent une
bonne coopération de l'administration péniten20
21
22
Niveau 2 : hospitalisation de jour
L'hospitalisation en SMPR répond à cette qualification d'activité d'hospitalisation de jour. À
terme, l'ensemble de la population pénale d'un
secteur géographique donné doit pouvoir avoir
accès à cette offre de soins et chaque région disposer d'au moins une unité sanitaire de niveau 2,
que ce soit au sein de l'établissement siège du
SMPR ou dans un autre établissement.
L'hospitalisation de jour en psychiatrie suppose un
accès facilité du patient aux différentes activités et
consultations tout au long de la journée. Des cellules
spécifiques sont dédiées à l'hébergement des
patients pris en charge en hospitalisation de jour.
Doubles dans la limite d'un tiers du nombre de
places, elles sont gérées par l'administration pénitentiaire. Les admissions sont prononcées par le
directeur de l'établissement de santé sur proposition médicale. La décision d'affectation au sein
d'une cellule d'hébergement est prise par le directeur de l'établissement pénitentiaire sur demande
exclusive du médecin responsable, qui décide de la
date d'admission et de sortie. L'admission peut être
prononcée pour toute personne détenue relevant de
Michel L, Brahmy B. Guide de la pratique psychiatrique en milieu pénitentiaire.Paris : Heures de
France ; 2005.
Loi no 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et
à la protection des personnes faisant l'objet de soins
psychiatriques et aux modalités de leur prise en
charge.
Recommandation No R(98)7 du Comité des ministres
aux États membres relative aux aspects éthiques et
organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire. Conseil de l'Europe, comité des Ministres,
8 avril 1998.
30
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Chapitre 4. Organisation des soins psychiatriques en milieu pénitentiaire
Expertise en milieu pénitentiaire
la zone géographique de son ressort. Le transfert est
organisé par l'administration pénitentiaire dans les
délais les plus brefs. Les structures d'hospitalisation
de jour sont tenues d'organiser la continuité des
soins en dehors de leurs heures d'ouverture y compris les dimanches et jours fériés23.
Le soin prime de manière temporaire sur les autres
aspects de la détention. Les personnels de surveillance tiennent compte de la spécificité des malades
détenus pris en charge, respectant le caractère
médical de ce lieu de soins. La collaboration entre
personnels de surveillance et professionnels sanitaires est indispensable. Des formations d'adaptation à la fonction sont organisées localement.
L'expertise médicale d'une personne détenue ne doit
pas être réalisée au sein des structures de soins en
milieu pénitentiaire et le médecin de l'unité sanitaire ou du SMPR étant médecin traitant ne peut
pas être désigné comme expert. En raison du
manque patent de psychiatres acceptant des missions d'expertise, les délais de leur réalisation
peuvent être suffisamment longs pour conduire à la
remise en cause de projets d'aménagement de peine.
Niveau 3 : hospitalisations
à temps complet avec
et sans consentement en milieu
hospitalier
Coordination régionale
La spécificité des SMPR repose sur sa double
mission de coordination au niveau régional et
de conseil technique auprès des dispositifs de
soins en psychiatrie du secteur. Ils promeuvent
toute réflexion, animent toute réunion permettant de confronter les expériences et participent
à des actions de formation et de recherche24.
Les hospitalisations à temps complet intègrent les
hospitalisations au sein des unités hospitalières
spécialement aménagées (UHSA), les hospitalisations régies par l'article D. 398 du Code de procédure pénale et les hospitalisations au sein des
unités pour malades difficiles (UMD).
La mise en œuvre d'une hospitalisation d'office en
d'application de l'article D. 398 du Code de procédure pénale peut conduire à de vives tensions26. La
féminisation des équipes de soins ainsi que la
crainte d'une confusion entre les missions de
soins et de garde et l'éventuelle recherche en responsabilité en cas d'évasion,27 renforcés par leur
constante augmentation, y participent, d'autant
que les patients détenus sont souvent perçus
comme dangereux ou perturbateurs, souffrant de
troubles psychiatriques sévères ou à la recherche
de bénéfices secondaires. Le recours très fréquent
et souvent inadapté à la chambre d'isolement et à
leur maintien durant la durée de l'hospitalisation
souvent brève28 ne leur permet pas d'avoir accès à
Mission concernant la prévention
et l'éducation pour la santé
La mission d'éducation pour la santé (EPS) est
mise en œuvre dans la grande majorité des établissements. Si les DSS des unités sanitaires sont
au centre du dispositif, il existe souvent un partenariat de terrain notamment entre professionnels de santé et professionnels pénitentiaires,
facilitant l'élaboration de programmes et la mise
en œuvre d'actions nombreuses et variées, dont
les thèmes reflètent les problématiques de santé
les plus fréquentes des personnes détenues25.
26
23
24
25
Article D6124-304 du Code de la santé publique.
Juan F. Le dispositif de soins en santé mentale en
milieu carcéral : évolution et actualités, Thèse pour le
diplôme d'état de docteur en médecine, qualification :
psychiatrie, Université d'Angers, Faculté de médecine, 2005.
État des lieux et recommandations sur l'éducation
pour la santé en milieu pénitentiaire. Enquête nationale auprès des professionnels de santé sur les conditions de réalisation de l'éducation pour la santé en
milieu pénitentiaire. Institut national de prévention
et d'éducation pour la santé (INPES), juin 2012.
27
28
Rapport Masse. Bilan et perspectives de la politique
de santé mentale en France ; 1992.
Kies L. La place du dispositif de santé mentale en prison, Prisons : entre oubli et réforme. Revue de
Sociologie et d'Anthropologie 1998, 5 : 49–58.
Granier Thémines J. Approche des rapports entre
psychiatrie et justice. Illustration à partir de l'étude
de 92 patients détenus sur Toulouse hospitalisés d'office entre 2000 et 2006 selon l'article D398 du Code de
procédure pénale et/ou l'article 122-1 alinéa 1 du
Code pénal. Thèse pour le diplôme d'état de docteur
en médecine, Université Toulouse III-Paul-Sabatier,
Facultés de médecine, 27 juin 2007.
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Partie I. Psychiatrie légale
l'éventail des soins hospitaliers, sans évoquer le
respect de leur dignité29.
L'hospitalisation au sein d'une UHSA est le principe général pour toute hospitalisation complète
en psychiatrie d'une personne détenue30. L'UHSA
est une unité hospitalière implantée au sein d'un
établissement de santé, sécurisée par l'administration pénitentiaire. Elle accueille des personnes
hébergées en établissement pénitentiaire, de façon
continue discontinue, des deux sexes, y compris
mineures, souffrant de troubles psychiatriques et
nécessitant une hospitalisation à temps complet,
avec ou sans consentement. La première tranche
du programme de construction des UHSA comporte 440 places pour neuf unités31, la seconde 265
places pour huit autres dont les établissements de
santé d'implantation ne sont pas encore fixés. Le
débat technique et éthique autour des UHSA n'est
pas épuisé32, dispositif de soins utile et pertinent
dans le parcours de soins d'un patient ou maillon
d'une filière de soins psychiatriques dédiée à la
population sous mains de justice parallèle à l'organisation psychiatrique de droit commun.
Le projet médical et à sa mise en œuvre président à
sa réalisation architecturale et à son fonctionnement. L'équipe pluridisciplinaire propose des
modalités de soins équivalentes aux autres unités
d'hospitalisation de l'établissement de santé.
L'administration pénitentiaire assure les transferts, le contrôle des entrées et des sorties et n'est
pas présente au sein de l'unité de soins, sauf en cas
29
30
31
32
de demande de prêt de main-forte du personnel
soignant. Les modalités générales de fonctionnement ont été définies conjointement par les trois
ministères impliqués (respectivement en charge de
la Santé, de la Justice et de l'Intérieur)33 et sont
déclinées localement dans un règlement intérieur.
L'hospitalisation de patients consentants n'est possible qu'en UHSA et représente entre la moitié et les
deux tiers des admissions. Les hospitalisations sans
consentement sont régies par la loi du 5 juillet 2011 et
entrent dans le cadre de la mission de service public
n° 11 de l'article L6112-1 du Code de la santé
publique. Seules sont possibles les hospitalisations
décidées par le représentant de l'État et la seule
modalité possible de prise en charge est l'hospitalisation à temps complet. Dans l'attente de la finalisation
des deux tranches du programme UHSA, les hospitalisations au titre de l'article D398 du CPP restent
possibles au sein des établissements de santé autorisés en psychiatrie. Ces hospitalisations se déroulent
sans gardes statiques ni surveillance de l'administration pénitentiaire ni des forces de l'ordre.
L'admission dans une unité pour malades difficiles (UMD) concerne les patients présentant
une dangerosité psychiatrique et s'effectue dans
l'UMD34 la plus proche du lieu d'hospitalisation
du patient, sous réserve des disponibilités.
Quelques spécificités
Quelques spécificités sont propres à l'intervention
en milieu pénitentiaire : consultations postcarcérales, crises suicidaires, prise en charge des auteurs
de violences sexuelles et partage d'informations
Avis du 15 février 2011 du Contrôleur général des
lieux de privation de liberté relatif à certaines modalités de l'hospitalisation d'office.
Lambert C-E, Bied C, Meunier F, Becache E,
Massoubre C. Les Unités hospitalières spécialement
aménagées : perspectives et appréhensions face à une
nouvelle institution psychiatrique dans le paysage
pénitentiaire français, Psychiatrie et violence, Volume
11, numéro 1, 2011–2012.
Les UHSA du Centre hospitalier Le Vinatier à Bron,
du CH départemental Georges-Daumezon à Fleuryles-Aubrais, du Centre psychothérapique de Nancy à
Laxou et du Centre hospitalier Gérard-Marchant à
Toulouse sont ouvertes. L'ouverture des UHSA du
CHRU de Lille, du CH Guillaume-Régnier à Rennes,
du Groupe hospitalier Paul-Guiraud à Villejuif, du
CH de Cadillac et de l'Assistance publique-Hôpitaux
de Marseille est prévue à court ou moyen terme.
Normes du CPT, Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (CPT), Strasbourg, décembre 2011.
Consultations postcarcérales
En avril 200935, 23 consultations postcarcérales
étaient identifiées dont 11 rattachées à des
33
34
35
Circulaire interministérielle DGOS/R4/PMJ2/2011/105
du 18 mars 2011 relative à l'ouverture et au fonctionnement des unités hospitalières spécialement aménagées
(UHSA).
Albi, Bron, Cadillac, Châlons-en-Champagne, MonestierMerlines, Montfavet, Sarreguemines, Sotteville-lèsRouen, Plouguernével et Villejuif.
Séminaire « Politique de santé des personnes détenues
- Organisation de la santé mentale et de pénitentiaire », DHOS, 29 et 30 avril 2009.
32
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Chapitre 4. Organisation des soins psychiatriques en milieu pénitentiaire
SMPR. La mise en place de ces consultations
postcarcérales s'appuie sur la difficulté à mettre
en œuvre la continuité des soins en milieu libre
et la perception d'une compétence particulière
au carrefour de la criminologie et de la santé
mentale. Ces consultations peuvent être vues
comme un dispositif utile d'évaluation ou de
relais vers les dispositifs de droit commun, ou
comme un maillon d'une filière de soins psychiatriques dédiée à la population sous mains de
justice, ou l'ayant été, parallèle à l'organisation
sectorielle psychiatrique de droit commun.
et d'éducation pour la santé. Le personnel du
centre de soins d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) référent assure la
mise en relation du patient avec des partenaires
extérieurs. Une dizaine d'établissements pénitentiaires de grande densité carcérale disposent d'un
CSAPA en propre qui dépend de l'établissement
de santé de rattachement. Le pilotage de la prise
en charge des addictions est confié à un intervenant du DSS, mais peut l'être par convention à un
professionnel du service assurant les soins psychiatriques.38 Les secteurs de psychiatrie générale
et les secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire sont paradoxalement aussi positionnés au
premier plan39. Un protocole organisationnel
local acte de la nomination de la personne coordinatrice, du CSAPA référent et de la place et du rôle
des différents intervenants.
Crise suicidaire : prévention,
repérage et prise en charge
« Pour avoir une atmosphère propice à la prévention,
le stress et l'anxiété des personnes détenues sont à
réduire au maximum en particulier grâce à de
bonnes relations entre les détenus et le personnel
pénitentiaire, à des conditions de vie décentes, à
l'assurance de ne pas être brutalisé, au maintien des
liens familiaux ainsi qu'à des activités constructives
et valorisantes »36. L'évaluation du potentiel suicidaire peut être effectuée par les personnels sanitaires, pénitentiaire, autres… et intègre trois
dimensions : le risque, l'urgence et la dangerosité.37
La coordination est essentielle. Un entretien avec un
personnel de santé est proposé aux personnes repérées comme étant en crise suicidaire. La gestion des
dispositifs de protection d'urgence et les cellules de
protection d'urgence, qui ont pour objet l'urgence et
la dangerosité, appartiennent à l'Administration
pénitentiaire. Des formations sur la crise suicidaire à
destination des professionnels de santé, du personnel de l'administration pénitentiaire et d'autres
intervenants sont organisées.
Prise en charge sanitaire
des auteurs de violences sexuelles
Le principe d'un dispositif spécifique relatif à la
prise en charge sanitaire des auteurs de violences
sexuelles a été instauré en 1998 avec la création
du suivi sociojudiciaire et l'injonction de soins.40
Les lois relatives à la prévention de la récidive ou
à la rétention de sûreté en ont élargi le champ
d'application. La personne condamnée doit exécuter sa peine dans un établissement pénitentiaire lui permettant un suivi médical et
psychologique adapté. Vingt-deux établissements
pénitentiaires ont été désignés comme spécialisés
dans l'accueil des auteurs de violences sexuelles,
disposant de moyens sanitaires accrus permettant une offre de soins psychiatriques et psychologiques plus développée. Leur prise en charge
dans les établissements pénitentiaires non spécialisés ne fait pas l'objet d'une organisation de
soins spécifique. Des thérapies et des activités
Conduites addictives
La prise en charge globale intègre le repérage, le
diagnostic, la définition d'un projet de soins
adapté, la préparation à la sortie, la politique de
réduction des risques et les actions de prévention
38
39
36
37
Rapport de mission du Professeur Terra, « Prévention
du suicide des personnes détenues », décembre 2003
(p. 133).
ANAES, Conférence de consensus « La crise suicidaire :
reconnaître et prendre en charge », octobre 2000.
40
Instruction N°DGS/MC2/DGOS/R4/2010/390 du
17 novembre 2010 relative à l'organisation de la prise
en charge des addictions en détention.
Décret no 2010-1635 du 23 décembre 2010 portant
application de la loi pénitentiaire et modifiant le Code
de procédure pénale (troisième partie : Décrets).
Loi no 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention
et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la
protection des mineurs.
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Partie I. Psychiatrie légale
thérapeutiques de groupe, le cas échéant spécialisées, peuvent être proposées. Les auteurs de violence sexuelle représentent une population qui
doit être prise en charge par le dispositif de soins
psychiatriques de la même manière que tout
patient tout en respectant les spécificités du cadre
et des modalités de soins41. Les centres ressources
pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles42 (CRIAVS) peuvent être sollicités par les équipes soignantes des établissements
pénitentiaires.
à certaines données après habilitation par le
chef d'établissement.45 Dès lors qu'il existe un
risque sérieux pour la sécurité des personnes
au sein des établissements pénitentiaires, les
personnels soignants y intervenant et ayant
connaissance de ce risque sont tenus de le signaler dans les plus brefs délais au directeur de
l'établissement en lui transmettant, dans le respect des dispositions relatives au secret médical,
les informations utiles à la mise en œuvre de
mesures de protection46. S'il est réitéré que le
partage d'informations opérationnelles entre
professionnels de santé et de l'administration
pénitentiaire s'exerce dans le respect du droit au
secret médical, les dispositifs de partage d'information organisés écornent in fine l'indépendance
des médecins et le secret médical.
Partage d'information
La commission pluridisciplinaire unique
(CPU)43 est un dispositif pénitentiaire présidé
par le chef de l'établissement pénitentiaire. Elle
a pour objet l'examen des parcours d'exécution
de peine (PEP) des personnes condamnées. Sa
consultation est facultative pour toute autre
situation le justifiant. Les professionnels de
santé représentants des unités sanitaires, désignés par l'établissement de santé de rattachement, y sont convoqués en fonction de l'ordre du
jour dans le but d'une prise en charge plus adaptée des personnes détenues grâce à une meilleure articulation entre les professionnels, dans
le respect du secret médical. Le cahier électronique de liaison (CEL) est mis en place par l'administration pénitentiaire. Les personnels
hospitaliers ne doivent en aucune façon porter
dans le CEL des éléments d'information couverts par le secret médical.44 Ils peuvent accéder
41
42
43
44
Conclusion
Les besoins en santé mentale et en soins psychiatriques se sont fortement accrus au cours de ces
dernières décennies. Depuis près de 40 ans,
l'évolution de l'organisation des soins en milieu
pénitentiaire a eu pour but de se rapprocher du
droit commun. L'exercice de la psychiatrie en
milieu pénitentiaire n'a pas tant pour objet de
concourir au service public pénitentiaire que
d'être durant le temps de son incarcération un
des éléments du parcours de soins des patients,
intégrant leur poursuite en milieu libre dans les
dispositifs de droit commun et n'est possible que
dans le respect de fondamentaux de la médecine.
Le passage des soins « aux détenus » aux soins « à
la population sous main de justice » est un changement de paradigme radical qui ouvre sur la
construction d'une filière spécifique en rupture
avec les fondements de la psychiatrie en milieu
pénitentiaire.
Guide de l'injonction de soins, ministère des Affaires
sociales et de la Santé, 31 août 2009.
Circulaire DHOS/F2/F3/F1DSS/A1/2008/264 du 8
août 2008.
Décret no 2010-1635 du 23 décembre 2010 portant
application de la loi pénitentiaire et modifiant le Code
de procédure pénale.
Circulaire interministérielle DGS/MC1/DGOS/R4/
DAP/DPJJ no 2012-94 du 21 juin 2012 relative aux recommandations nationales concernant la participation des
professionnels de santé exerçant en milieu carcéral à la
commission pluridisciplinaire unique (CPU) prévue par
l'article D90 du Code de procédure pénale ou à la réunion
de l'équipe pluridisciplinaire prévue par l'article D514 du
même Code et au partage d'informations opérationnelles
entre professionnels de santé et ceux de l'administration
pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse.
45
46
Décret no 2011-817 du 6 juillet 2011 portant création
d'un traitement de données à caractère personnel
relatif à la gestion informatisée des détenus en établissement (GIDE).
Article L6141-5 du Code de la santé publique.
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