Dissertation p 315 corrigé Les inégalités de revenus se sont accrues dans les pays développés et dans les pays émergents dès avant la crise économique. Elles ne sont pas les seules formes d’inégalités. Cette situation soulève selon l’OCDE des difficultés économiques, éthiques, sociales et politiques et pourrait ampli- fier les laissés-pour-compte. Apprécier l’efficacité des pouvoirs publics dans sa politique de réduction des inégalités ; c’est l’envisager au regard de ses deux objectifs économique et social : favoriser la croissance et le maintien du lien social. Dans quelle mesure l’action de l’État peut-elle être efficace pour réduire les inégalités économiques et sociales, tout en favorisant la croissance et en contribuant au maintien du lien social ? I. L’action des pouvoirs publics est efficace pour lutter contre les inégalités A. Si elle réduit les inégalités économiques par des politiques de redistribution verticale favorables à la croissance… La redistribution verticale s’appuie sur des prestations et des prélèvements obligatoires progressifs dont le poids est important dans le revenu disponible. En France, la redistribution est plus efficace par le jeu des prestations que des prélèvements obligatoires : les prélèvements (taxes comprises) auraient un effet anti-redistributif en augmentant les inégalités (doc. 1). Elle permet d’augmenter le revenu disponible des plus pauvres, qui ont une propension moyenne et marginale à consommer plus élevée, ce qui est favorable à la consommation, à l’emploi, à l’investissement et à la croissance dans une logique keynésienne, tout en limitant l’accroissement des inégalités de patrimoines. Dans une perspective keynésienne, une fiscalité des patrimoines (successions et ISF) peut également favoriser l’investissement productif par un taux progressif sur les successions et limiter la propension moyenne à épargner, en limitant celle des plus riches. À cet égard, les réformes menées en France entre 2007 et 2011 ont plutôt contribué au renforcement des inégalités de patrimoines (doc. 2), en réduisant les recettes fiscales de l’État. B. … et les inégalités sociales par des politiques de lutte contre les discriminations. Les inégalités sociales sont multiformes et cumulatives. L’action des pouvoirs publics est particulièrement efficace pour les réduire en s’appuyant sur les services collectifs gratuits que sont l’éducation et la santé (doc. 1). L’égalité des droits d’accès à ces services est source d’externalités positives : en augmentant le capital humain (les qualifications, l’état de santé), donc la produc tivité du travail et les salaires, elle favorise la croissance, permet de réduire la délinquance, la criminalité, contribue à renforcer le lien social. Ces services collectifs peuvent permettre d’atteindre une plus grande égalité des chances (exemple de la garde d’enfant gratuite et collective de qualité mise en évidence par G. Esping- Andersen) et de contribuer à une plus grande participation des femmes à la vie professionnelle (égalité hommes-femmes), de favoriser l’ascenseur social. L’action des pouvoirs publics peut aussi passer par des politiques ciblées permettant de compenser les handicaps conformément au principe de différence (J. Rawls), qui consiste à donner plus à ceux qui ont moins. Elles prennent aussi la forme de politiques de discriminations positives (doc. 2). Ces politiques de discriminations peuvent prendre des formes variées : parité politique entre les hommes et les femmes, lutte contre les discriminations au travail, à l’accès au logement, etc. L’action des pouvoirs publics peut aussi contribuer à transformer les représentations par des campagnes d’informations, des changements de normes juridiques (congé parental, etc.) et par l’école (programme scolaire). II. Mais elle peut être source d’inefficacité A. Inefficacité économique en raison des désincitations qu’elle provoque Pour les libéraux, l’action des pouvoirs publics modifie le système des prix et donc les incitations à produire, à travailler, à épargner. Pour Hayek, elle est inefficace en empêchant le marché d’exercer ses sanctions (succès ou échec) : des entreprises qui auraient dû faire faillite peuvent être maintenues en vie artificiellement, de manière coûteuse et inefficace. Pour A. Laffer, « trop d’impôt tue l’impôt »). Cela justifie les politiques de diminution de l’impôt pesant sur les plus riches. De fait, les réductions d’impôts n’ont pas contribué, dans les pays développés qui y ont eu recours, à accroître les recettes fiscales (l’effet revenu continue d’être dominant). La protection sociale, en raison d’effets de seuil dans la distribution des prestations, peut également contribuer à l’existence de trappes à inactivité. C’est pourquoi, les pouvoirs publics ont été amenés à mettre en place des dispositifs comme le RSA pour contrer les effets de désincitation du RMI à la reprise d’emploi, même à temps partiel, de manière à ce que le gain à la reprise d’emploi soit positif, en tenant compte de l’ensemble des revenus et des coûts (doc. 4). Le financement de la protection sociale peut être plus ou moins efficace dans un contexte de concurrence internationale pour favoriser l’emploi : l’allègement du coût du travail par diminution des cotisations sociales remplacées par l’impôt réduirait la substitution du capital au travail et les délocalisations… mais réduirait aussi le pouvoir d’achat des salariés et donc la demande pour d’autres. B. Inefficacité sociale en raison des effets pervers qu’elle peut induire L’action des pouvoirs publics peut entraîner des effets pervers. Les politiques scolaires de discriminations positives (ZEP, RAR) sont source d’effets pervers : effet de seuil (doc. 4), stigmatisation des populations qui bénéficient du ciblage, évitement des classes moyennes qui contribuent à réduire la mixité sociale au détriment des plus défavorisés. Les politiques de lutte contre la pauvreté qui cherchent à limiter les désincitations se révèlent peu efficaces pour lutter contre la précarité et la pauvreté quand il y a sous-emploi. La politique du RSA est généreuse en période de croissance de l’emploi (procyclique), en raison de l’intéressement, et se rétracte en période de récession sans permettre d’atteindre le seuil de pauvreté (doc. 4). Les politiques ciblées, contrairement aux politiques fondées sur l’égalité, sont source de délitement social et de refus des citoyens de contribuer pour les plus pauvres, ce qui conduit à donner un écho politique aux revendications de réductions des impôts dès lors qu’une majorité est exclue des prestations destinées aux pauvres et qu’elle cherche à réduire. En conclusion, l’action publique pour réduire les inégalités économiques est efficace pour les keynésiens. Elle permet de réduire les inégalités sociales à travers les services publics et la redistribution, par des politiques ciblées ou des politiques de discrimination positives afin d’accroître l’égalité des chances et de produire des effets positifs sur l’économie et la société. Mais cette action peut être source d’effets désincitatifs nuisibles pour l’économie (Hayek, Laffer) et source d’effets pervers. Le dilemme incitation-réduction des inégalités est finalement tranché par les citoyens au moment des échéances électorales.