Avant-propos. Pourquoi évaluer les troubles neuropsychologiques

Pour que la prise en charge des patients en médecine physique et de réadaptation soit la
plus complète possible, il est nécessaire d’évaluer les déficits, de mettre en place une
rééducation adaptée, d’organiser la réadaptation et la (ré)insertion sociale des patients.
Au cours des dernières années, les troubles cognitifs ont pris une place essentielle dans
cette démarche. Les pathologies neurologiques qui entraînent des troubles cognitifs,
isolés ou associés à d’autres troubles, sont nombreuses et particulièrement invalidantes.
Elles touchent les enfants souffrant de troubles développementaux ou de pathologies
acquises parfois très précocement et interfèrent avec les capacités d’apprentissage et de
devenir social. L’accident vasculaire cérébral est la première cause de handicap acquis de
l’adulte, les traumatismes cranio-cérébraux sont un problème reconnu de santé
publique, et les démences et les autres pathologies dégénératives sont la pathologie
d’avenir d’une population vieillissante.
Au cours des vingt dernières années, on a pu observer le développement de l’intérêt
pour les troubles cognitifs, pour leur modélisation théorique, et en particulier la mise en
lumière de fonctions complexes de contrôle et de régulation de l’activité telles que le rôle
des fonctions exécutives frontales. Dans le même temps, l’approche conceptuelle du
handicap a pris forme. La Classification internationale des handicaps (CIDH) puis la
Classification internationale des fonctionnements et de la santé (CIF, voir dans cet
ouvrage André et al.) sont des outils conceptuels essentiels pour aborder l’évaluation en
vie quotidienne. La formation médicale classique n’a pas préparé les médecins à cette
évolution. Ils ont appris à faire le lien entre un signe déficitaire observé et une patho-
logie, ou une localisation neurologique, pour faire le diagnostic de la maladie, et dans le
meilleur des cas, mettre en place un traitement. Les approches du handicap ont mis en
lumière les autres niveaux, d’incapacité, puis de limitation d’activité et de participation,
et de désavantage et de handicap. Cet enseignement est au programme des facultés de
médecine depuis 2002, et les étudiants en médecine vont apprendre que les déficits (ou
déficiences) ne sont pas seulement des signes cliniques qui guident vers un diagnostic,
mais qu’ils ont des conséquences sur la vie pratique de leur patient.
Avant-propos. Pourquoi évaluer les troubles
neuropsychologiques en vie quotidienne
P. Pradat-Diehl, A. Peskine et M. Chevignard
Qu’est-ce que la vie quotidienne ?
La définition de la vie quotidienne n’est pas simple. La vie quotidienne ne peut certai-
nement pas se résumer aux « ADL » (activity of daily life), évaluées par les échelles géné-
riques les plus usuelles que sont l’échelle de Barthel ou la MIF. Les activités de toilette,
habillage, prise des repas, déplacement limité au domicile sont communes à l’ensemble
de la population, indispensables à une vie autonome, mais elles sont aussi bien limitées
et donnent le reflet d’une vie restreinte au domicile ou à l’hôpital. Les activités complexes
de la vie quotidienne (IADL, instrumental activity of daily life) sont plus riches dans leur
conception de la vie humaine. Elles comportent des activités diverses allant des déplace-
ments à l’extérieur par les transports en commun ou en conduisant une automobile, les
activités de loisirs, la gestion du budget, l’intégration scolaire ou professionnelle… Ces
échelles d’AIDL sont moins largement utilisées. En effet, les personnes ne sont pas iden-
tiques dans leurs activités de vie quotidienne. Les enfants jeunes ne sont pas dès leur
naissance autonomes pour les activités de vie quotidienne, même simples. Leur vie
quotidienne est faite de jeux, moins présents chez les adultes. Ils vivent aussi dans un
monde particulier qui est celui de l’école et des apprentissages. Les adultes ont des acti-
vités complexes de vie quotidienne très différentes selon les individus. Voulant illustrer
le dépliant présentant la journée de l’ANMSR par une cuisine, il est rapidement apparu
que ce lieu n’était pas quotidien pour tous ! Les activités professionnelles illustrent bien
aussi cette diversité.
Enfin, la vie quotidienne est aussi un mélange d’habitudes, de routines et d’imprévus
auquel il faut pouvoir s’adapter et réagir de façon adaptée.
Pourquoi évaluer ?
Toute évaluation doit répondre à un objectif défini. Il peut s’agir de faire le diagnostic
d’une pathologie, d’analyser le trouble cognitif, d’évaluer les conséquences en vie quoti-
dienne dans une optique de compensation, ou de mettre en place et d’évaluer une réédu-
cation. Le bilan pratiqué n’est pas le même en fonction de la question posée. L’évaluation
neuropsychologique en général, et l’évaluation écologique dans le cas particulier, n’est
pas automatisée comme le décompte des hématies ou la mesure de la glycémie par une
machine.
Dans une démarche médicale classique, la constatation de troubles cognitifs ayant
des conséquences en vie quotidienne permet de révéler une pathologie et d’en faire le
diagnostic. Les difficultés en vie quotidienne observées par le patient ou son entourage
peuvent amener à consulter et faire le diagnostic d’une maladie cognitive dégénérative
(voir dans cet ouvrage Peskine et Verny). De même, des difficultés d’apprentissage
constatées par la famille ou l’entourage scolaire permet la reconnaissance des difficultés
développementales touchant le langage oral ou écrit, les praxies (voir dans cet ouvrage
Marchal et al.). La pathologie peut être déjà connue, et les conséquences cognitives
peuvent être détectées lors de difficultés survenant en vie quotidienne. Cela permet de
révéler des troubles cognitifs dans une maladie générale, la persistance des troubles
cognitifs chez un traumatisé crânien léger, dans une pathologie dont les conséquences
avaient été sous-estimées. Ce sont parfois les difficultés révélées par la reprise du travail
2Évaluation des troubles neuropsychologiques en vie quotidienne
chez certains traumatisés crâniens graves qui permettent d’identifier des troubles cogni-
tifs discrets mais invalidants.
Ces évaluations écologiques permettent aussi d’analyser les mécanismes des troubles
cognitifs qui se démasquent en vie quotidienne. Ainsi l’analyse des troubles observés lors
de l’évaluation des fonctions exécutives en vie quotidienne (voir dans cet ouvrage
Chevignard et al.) permet de révéler des difficultés d’interaction avec l’environnement
qui ne sont pas objectivées par le bilan neuropsychologique classique. Les troubles
comportementaux sont mal évalués en test et c’est leur description au quotidien qui
permet de les identifier (voir dans cet ouvrage Peskine et al.). Chez certains patients la
négligence spatiale unilatérale sera mieux identifiée par l’observation en vie quotidienne,
et la comparaison entre les observations de négligence par le patient lui-même et par son
entourage peut permettre de mesurer l’anosognosie (voir dans cet ouvrage Azouvi et al.).
Le rôle essentiel des évaluations en vie quotidienne est bien sûr de mesurer les capa-
cités et incapacités, conséquences des troubles cognitifs qu’ils soient isolés, intriqués
entre eux (cf. cas clinique de l’apraxie (voir dans cet ouvrage Taillefer et al.) ou d’autres
déficits moteurs ou sensoriels. Ces évaluations des dimensions d’incapacité, et de limi-
tation d’activité et de participation, sont indispensables pour prévoir l’autonomie et les
possibilités de maintien ou de retour au domicile, d’insertion sociale, voire profession-
nelle des patients. Il est donc nécessaire d’évaluer et de quantifier les troubles cognitifs
par un bilan neuropsychologique, mais également par leur retentissement sur les acti-
vités de la vie quotidienne. Ces évaluations participent à la mesure de l’éventuelle dange-
rosité, de l’aide nécessaire, et à la mise en évidence de la nécessité d’une tierce personne.
La démonstration du besoin en aide extérieure est cruciale dans un contexte de réadap-
tation, mais aussi de compensation ou de réparation du dommage corporel après un
accident (voir dans cet ouvrage Laurent-Vannier et al.) ou plus largement dans le prin-
cipe de compensation issu de la loi sur l’intégration des personnes handicapées de février
2005 (voir dans cet ouvrage Weiss).
Ces évaluations en situation sont nécessaires dans le cadre des activités scolaires (voir
dans cet ouvrage Marchal et al.) ou professionnelles (voir dans cet ouvrage Schnitzler et
al.), et pour la reprise de la conduite automobile (voir dans cet ouvrage Fattal et al.)
L’évaluation en vie quotidienne est nécessaire pour fixer des objectifs de rééducation
et de réadaptation, dans la pratique clinique comme dans les études expérimentales.
L’évaluation de difficulté de vie quotidienne peut amener à proposer une rééducation
pragmatique (voir dans cet ouvrage Patry et al.). L’efficacité d’un programme de réédu-
cation ne peut être montrée que parce qu’elle améliore la vie des patients. L’efficacité
d’une rééducation du manque du mot chez les aphasiques doit montrer une améliora-
tion de la communication verbale et pas seulement une augmentation du taux de déno-
mination ! (voir dans cet ouvrage Mazaux et al.)
Comment évaluer ?
Différentes méthodes d’évaluation en vie quotidienne sont possibles et sont détaillées
dans cet ouvrage.
Avant-propos 3
L’interrogatoire libre et dirigé du patient, de sa famille et de l’équipe soignante est
indispensable, très riche en informations, mais non quantifié. L’interrogatoire et l’obser-
vation du patient doivent rester le moment essentiel du diagnostic en pratique médicale.
Les questionnaires ou les check list permettent une quantification mais restent soumis
aux problèmes de l’anosognosie du patient et de l’entourage qui parfois ne veut pas ou
plutôt ne peut pas voir les difficultés de son enfant ou de son conjoint.
Les simulations de la vie quotidienne semblent plus faciles à mettre en place. Il peut
s’agir de simulations par des épreuves « papier-crayon » intégrées au bilan neuropsy-
chologique classique. La réalité virtuelle permet une approche plus moderne de la simu-
lation de vie quotidienne, et sera peut-être la méthode de choix des générations dont la
vie quotidienne est centrée sur l’ordinateur, pour la communication par les courriers
électroniques, pour les jeux informatisés ou pour les courses sur Internet (voir dans cet
ouvrage Picq et al.). Il peut aussi s’agir de simulation de vie quotidienne dans le cadre
des services hospitaliers ou des centres de rééducation. Les acteurs essentiels de cette
évaluation sont les ergothérapeutes. Plusieurs tests ont pu être développés : test des
errances multiples, recherche d’itinéraires, évaluation des courses ou de la cuisine. Ces
épreuves sont très riches en informations mais gardent l’inconvénient d’être des tâches
induites par l’examinateur et elles sous-estiment les troubles de l’initiative.
De réelles observations en vie quotidienne ont été proposées. L’échelle Catherine
Bergego mesure la négligence au cours de la vie quotidienne et est le plus souvent réalisée
dans l’établissement de rééducation. Les « visites à domicile » ont un intérêt majeur qui
ne doit pas être limité à l’aménagement du domicile. L’observation du patient au domi-
cile peut montrer les difficultés mais aussi le maintien d’automatismes dans un univers
connu. Les évaluations en situation ont tout leur intérêt dans les situations particulières
que sont l’école, le travail ou la conduite automobile.
Les évaluations des troubles cognitifs en vie quotidienne ne sont pas exclusives. Elles sont
complémentaires des évaluations analytiques classiques qui apportent souvent une
meilleure analyse des mécanismes cognitifs isolément. Il a été montré des dissociations
entre ces évaluations dans le cadre de la négligence ou des fonctions exécutives, les tests
cognitifs classiques étant normalisés alors que des difficultés persistent en vie quoti-
dienne. Ces dissociations ne représentent pas la majorité des patients. Mais les épreuves
cognitives classiques explorent plus un niveau de déficiences alors que les épreuves en vie
quotidienne s’adressent plus particulièrement au niveau d’incapacité.
Les conséquences pratiques seront le moteur du développement de ces évaluations
en vie quotidienne. La possibilité de financement de tierces personnes, le développement
de l’intégration scolaire et professionnelle, issus des « facteurs environnementaux »
cruciaux que sont la réparation du dommage corporel en cas d’accident et la nouvelle
loi sur les personnes handicapées de février 2005, font espérer des applications favorables
pour les patients de ces évaluations.
4Évaluation des troubles neuropsychologiques en vie quotidienne
Les ouvrages de référence en évaluation
1. Wade D (2003) Measurement in neurological Rehabilitation. Oxford University Press
2. Pelissier J, Pellas F, Benaïm C (2004) Principales échelles d’évaluation en médecine phy-
sique et réadaptation. Ipsen
3. Seron X, Van der Linden M (2000) Traité de neuropsychologie clinique. Solal, Marseille
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