évidence le même processus de substitution à l’œuvre dans la névrose et notamment dans
l’hystérie. Le sujet hystérique peut attacher ses symptômes à tous les organes du corps, par
exemple dans les paralysies hystériques, dans les hyperesthésies hystériques, qui sont autant de
satisfactions sexuelles substitutives. Et donc, s’il prend la référence de la perversion, c’est pour
démontrer que la jouissance substitutive est aussi bien présente dans la névrose, notamment dans
l’hystérie, et qu’elle est capable de perturber les fonctions du corps. Comme on a traduit : Les
organes se conduisent comme des organes génitaux de substitution.
Et comment mieux marquer l’affinité de la jouissance substitutive et du signifiant qu’en disant,
comme il le fait, que les organes corporels – les organes corporels et les membres – acquièrent
une signification sexuelle : eine sexuelle Bedeutung. C’est cette expression de Bedeutung – avec
le mot allemand – que Lacan avait, comme vous le savez, mise en évidence, à propos du phallus,
en traitant de « Die Bedeutung des Phallus », conformément à la lettre de Freud. Avec un clin
d’œil, qu’il a essayé plus tard, à l’endroit du logicien Frege qui faisait la différence entre Sinn et
Bedeutung. Je crois que la Bedeutung du titre de Lacan est en fait très directement freudienne et
ne s’insère que difficilement dans la conceptualité fregéenne.
Donc, du point de vue de la jouissance, la différence entre la perversion et l’hystérie n’est pas
essentielle. Dans la perversion, la substitution joue en direct, elle se montre en plein et elle est
consciente : le sujet sait ce qu’il recherche, l’action qu’il lui faut, l’objet dont il a besoin pour
jouir. Alors que dans l’hystérie, pour retrouver la fonction de signification sexuelle, il faut en
passer par le détour de l’interprétation du symptôme : c’est inconscient. Mais, à cette différence
près du conscient et de l’inconscient, nous avons, dans les deux cas, affaire à la jouissance
substitutive.
Cette conception, cette conception de la substitution de jouissance, de la jouissance substitutive,
anime toute la théorie freudienne de l’évolution de la libido. Quand il met en valeur les zones
érogènes, les objets correspondants, l’objet oral ou l’objet anal, les zones érogènes avec le plaisir
d’organe qu’elles comportent, qu’elles permettent, lorsqu’il détaille les pulsions partielles, c’est
toujours dans le cadre de la jouissance substitutive.
L’évolution de la libido témoigne qu’il faut en passer d’abord par la jouissance substitutive avant
d’arriver à celle qui ne le serait plus. Alors, c’est quoi ?
Il y a, chez Freud, un étalon de la substitution. Il y a, chez Freud, une référence originaire de la
jouissance. Mais, manque de bol, si je puis dire, c’est une référence tardive dans ce qu’il appelle
l’évolution de la libido. Sa référence, la référence par rapport à laquelle il mesure les
substitutions, c’est la sexualité dans sa fonction reproductive, c’est la sexualité procréative, le
coït ordinaire, si je puis dire (rires) – ah ! vous riez parce qu’évidemment vous considérez que le
coït est toujours extraordinaire (rires), ce n’est pas faux – c’est-à-dire, sa référence c’est la
sexualité en tant qu’elle obéit au programme biologique. Et c’est par rapport à cela qu’il ne voit,
dans l’histoire de la libido, que jouissance substitutive. Si on lit Freud convenablement on
s’aperçoit que la jouissance est toujours substitutive – sauf lorsqu’elle se conforme au
programme biologique.
Freud est conduit à supposer, dans l’évolution de la libido, un tournant, comme il s’exprime, où
toutes les pulsions partielles viennent se subordonner au primat des organes génitaux, viennent se
soumettre à la fonction de la procréation. Les pulsions partielles arrêtent de gambader, de cueillir
la succion, le regard – comme l’a ajouté Lacan – la voix, et elles se concentrent sur la sexualité
procréative.
Autrement dit – comment le dire plus simplement que ça ? – pour Freud, le rapport sexuel existe.