2-2014-Collectif:nouvelles AFIC n°1vol5 22/09/14 14:20 Page42 T hérapeutique L'afatinib, un inhibiteur de la famille ErbB Données pratiques d’utilisation dans le traitement du cancer bronchique non à petites cellules Afatinib an ErbB family blocker : appropriate use in non-small cell lung cancer P Dielenseger1, L Mortier2, J Bennouna3, M Wislez4, R-J Bensadoun5, J-B Rey6, J Sicard8, D Moro-Sibilot9, D Malka, F Scotté10. 1 Département Innovation thérapeutique et Essais précoces (DITEP), Gustave Roussy, 114 rue Edouard Vaillant, 94800 Villejuif, France < [email protected] > 2 service de dermatologie, centre hospitalier régional universitaire de Lille, Lille, France ; 3service d’oncologie médicale, Institut de Cancérologie de l’Ouest-CRLCC René Gauducheau, Nantes Saint-Herblain, France ; 4 service de pneumologie, hôpital Tenon, AP-HP, Paris, France ; 5service de radiothérapie, centre hospitalier universitaire de Poitiers, Poitiers, France ; 6service de la pharmacie, Institut Jean Godinot, Reims, France, 7 pharmacie d’officine, Châlons-en-Champagne, France ; 8unité d’oncologie thoracique, centre hospitalier universitaire de Grenoble, Grenoble, France ; 9service de cancérologie digestive, Gustave Roussy, Villejuif, France ; 10service d’oncologie médicale et de soins de support, Hôpital Européen Georges Pompidou, AP-HP, Paris, France Généralités sur les thérapies ciblées pour des molécules de signalisation impliquées dans la prolifération et la survie des cellules tumorales (notion de driver oncogénique) ont aussi été découvertes modifiant le traitement de la maladie. Parmi ces gènes, le récepteur du facteur de croissance épidermique (EGFR pour Epidermal Growth Factor Receptor) qui fait partie de la famille ErbB est une cible qui a aussi permis le développement de nouvelles molécules [1,2]. Les inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) sont des molécules de petite taille qui pénètrent à l’intérieur de la cellule et qui bloquent, en aval, la cascade du signal intracellulaire. Parmi ces molécules le géfitinib (Iressa Ò, AstraZeneca) et l’erlotinib (Tarceva Ò, Roche) ont été les premières molécules à démontrer leur efficacité dans le cancer du poumon et plus particulièrement chez les patients dont la tumeur est porteuse de mutations activatrices au Les thérapies ciblées font désormais partie de l’arsenal thérapeutique de prise en charge des patients atteints de cancer. La fréquence des anomalies des récepteurs de la famille ErbB (HER) dans de nombreux types de cancer et leur implication dans la croissance et la propagation des cancers les plus envahissants en ont fait très tôt une cible de choix pour le développement de nouvelles approches thérapeutiques. Les premiers succès ont été obtenus avec le trastuzumab, un anticorps monoclonal humanisé dirigé contre le domaine extracellulaire ErbB2 (HER2), qui est aujourd’hui largement utilisé dans le traitement des cancers du sein surexprimant HER2. Dans le cancer bronchique non à petite cellule (CBNPC), des mutations au niveau de gènes codant Bulletin Infirmier du Cancer 42 Vol.14-n°2-avril-mai-juin 2014 2-2014-Collectif:nouvelles AFIC n°1vol5 22/09/14 14:20 Page43 T hérapeutique Figure 1. impact sur l’efficacité du traitement et son observance ainsi qu’un retentissement sur la qualité de vie des patients. Il est donc important de bien les connaître et de mettre en place toutes les mesures nécessaires pour leur prise en charge, d’autant plus qu’il s’agit de traitements ambulatoires au long cours. Une collaboration pluri-professionnelle entre l’oncologue, le médecin généraliste, le pharmacien, les infirmier(e) s (de ville ou hospitalier), le dermatologue, le pédicure-podologue, le psychologue… est primordiale pour aider le patient à poursuivre son traitement dans de bonnes conditions. Cette mise au point présentera le mode d’action et les spécificités pharmacologiques de l’afatinib ainsi que les principaux effets indésirables liés à son utilisation. Les mesures préventives et curatives à mettre en place seront discutées afin d’optimiser le bénéfice du traitement pour le patient. niveau du gène de l’EGFR [3]. Ces molécules dites « ITK réversibles » ciblent exclusivement l’EGFR. Récemment, une troisième molécule de la même famille, mais avec un mécanisme d’action différent vient d’être approuvée. Il s’agit de l’afatinib (BIBW2992, Boehringer Ingelheim), un inhibiteur dit irréversible de l’activité tyrosine kinase. L’afatinib vient de recevoir l’autorisation de mise sur le marché (AMM) sous le nom commercial de Giotrif® dans le traitement des patients atteints d’un CBNPC localement avancé ou métastatique qui présente une ou des mutations activatrices de l’EGFR et naïfs de traitement par ITK anti-EGFR (patients non antérieurement traités par ITK anti-EGFR). L’obtention de l’AMM est basée sur les résultats de l’étude pivot LUX-Lung 3 ayant comparé l’afatinib à la chimiothérapie de référence cisplatine + pémétrexed en 1re ligne métastatique chez des patients atteints de CBNPC EGFR muté (test centralisé du statut mutationnel) [4]. Le critère principal était la survie sans progression (SSP) déterminée par un comité indépendant. L’afatinib a montré une augmentation significative de la SSP par rapport à la chimiothérapie (11,1 mois dans le bras afatinib versus 6,9 mois dans le bras chimiothérapie, HR = 0,58, IC 95 % : 0,43-0,78, p = 0,001) [4]. Le bénéfice sur la SSP s’est accompagné d’une amélioration des symptômes liés à la maladie et de la qualité de vie des patients [5]. L’utilisation des thérapies ciblées en général et des ITK en particulier confronte les soignants à la gestion de nouveaux effets indésirables, différents de ceux observés avec les chimiothérapies classiques, comme par exemple les effets indésirables cutanées. Les effets indésirables sont fréquents et variés et peuvent avoir un Bulletin Infirmier du Cancer Mécanisme d’action L’afatinib se distingue des ITK dits réversibles (erlotinib et géfitinib) par son mécanisme d’action qui cible l’EGFR (ErbB1) mais aussi les autres récepteurs de la famille ErbB (HER 2/ErbB2 et HER4/ErbB4) à l’exception de HER3/ErbB3 qui ne possède pas de domaine tyrosine kinase. Ce mécanisme d’action conduit à une inhibition complète de l’ensemble des homo-dimères et hétéro-dimères des récepteurs de la famille ErbB. L’inhibition du signal est rendue irréversible par une liaison covalente avec le site de fixation de l’ATP sur le domaine tyrosine kinase de l’EGFR. 43 Vol.14-n°2-avril-mai-juin 2014 2-2014-Collectif:nouvelles AFIC n°1vol5 22/09/14 14:20 Page44 T hérapeutique Figure 2. Mode d’administration et posologie dernier est administré une fois par jour. Des précautions d’emploi doivent être prises avec les inducteurs de la Pgp (rifampicine, carbamazépine, phénytoïne, phénobarbital, millepertuis…) qui sont susceptibles de réduire l’exposition à l’afatinib. La dose recommandée est de 40 mg/jour à raison d’une prise quotidienne en continu et en monothérapie. L’afatinib est disponible sous forme de comprimés pelliculés à 20, 30, 40 et 50 mg permettant une adaptation de dose, si nécessaire. Le médicament doit être pris à distance des repas ; la prise de nourriture n’est pas recommandée 3 heures avant et dans l’heure qui suit l’administration du traitement. Une diminution de l’absorption et de la concentration plasmatique de l’afatinib a été observée avec la prise concomitante d’une alimentation riche en graisse. Effets indésirables liés à l’afatinib Dans les essais cliniques, des effets indésirables comparables à ceux déjà décrits avec les autres ITK antiEGFR [6] ont été rapportés. Il s’agit d’effets de classe, liés au mécanisme d’inhibition de l’EGFR. Dans la majorité des cas, ces effets sont prévisibles et gérables, mais ils peuvent être fréquents et variés. Il s’agit essentiellement d’effets indésirables d’ordre digestif (diarrhée et mucite) et cutané (rash, réaction acnéiforme, prurit, xérose, folliculite et paronychie). Ces effets indésirables connus et attendus avec les anti-EGFR mais de sévérité plus ou moins importante, peuvent nécessiter l’orientation du patient vers un spécialiste et l’arrêt du traitement. Dans l’étude pivot LUX-Lung 3, quel que soit le grade, la diarrhée (95 %), la stomatite (72 %), le rash (89 %) et les paronychies (57 %) ont été les effets indésirables les plus fréquemment rapportés [4]. Cependant, ces effets ont rarement entraîné un arrêt définitif du traitement (8 % des cas dans le bras afatinib dans l’étude LUX-Lung 3 versus 12 % dans le bras chimiothérapie) [4]. La diarrhée et l’éruption cutanée surviennent en général dans les quatre premières semaines du traitement et dans la majorité des cas dès les deux premières semaines. Les paronychies sont d’apparition plus tardive, 2 à 4 mois Interactions médicamenteuses à éviter Le profil pharmacocinétique de l’afatinib n’est pas modifié par la consommation d’alcool et de tabac, l’origine ethnique, ou l’âge. Il n’y a pas d’interaction métabolique chez le fumeur ou en cas de co-médication avec des substrats inducteurs ou inhibiteurs du CYP3A4. En revanche, les études in vitro, ont montré que l’afatinib est un substrat de la P-gp. Cependant, les effets d’interactions sont limités et l’afatinib peut être associé aux inhibiteurs de la P-gp (ritonavir, nelfinavir, saquinavir, ciclosporine A, tacrolimus, kétoconazole, itraconazole, érythromycine, vérapamil, quinidine, amiodarone…) à condition de respecter un intervalle de 6 heures par rapport à la prise de l’afatinib si l’inhibiteur est administré deux fois par jour ou un intervalle de 12 heures si ce Bulletin Infirmier du Cancer 44 Vol.14-n°2-avril-mai-juin 2014 2-2014-Collectif:nouvelles AFIC n°1vol5 22/09/14 14:20 Page45 T hérapeutique Figure 3. après l’instauration du traitement par l’afatinib. Des effets indésirables plus rares à type de kératite (0,8 %), en général peu sévère, ou d’atteinte pulmonaire interstitielle (0,7 %) décrits avec la plupart des ITK antiEGFR, ont été également rapportés. Les données actuelles ne suggèrent pas d’effet de l’afatinib sur la contractilité cardiaque malgré son effet anti HER2. approche pluridisciplinaire. Pour être optimisée, cette prise en charge devra s’intégrer dans le cadre du parcours personnalisé de soins du patient. Une meilleure coordination des soins entre l’hôpital et la ville, en associant davantage le médecin généraliste, le pharmacien d’officine et l’infirmier(e) à domicile permettra en effet d’améliorer la prise en charge globale du patient. Bien informé, le médecin généraliste pourra initier rapidement les traitements symptomatiques appropriés et ainsi favoriser une prise en charge optimisée. Le rôle de l’infirmier(e) à domicile et du pharmacien a une importance primordiale, en s’assurant de la bonne compréhension par le patient des conseils prodigués, et du bon suivi des traitements prescrits. Des médicaments anti-diarrhéiques (type lopéramide) doivent être prescrits systématiquement avec l’administration d’un traitement par l’afatinib et seront débutés immédiatement après les premiers symptômes et poursuivis jusqu’à 12 heures après la disparition des selles liquides [7]. La mucite sera traitée efficacement dès son apparition par des soins de bouche. Le traitement au laser de basse énergie se développe dans la prévention et la prise en charge des mucites [8,9] et son intérêt pourra peut-être discuté dans certains cas. Afin de limiter les signes cutanés, il sera conseillé aux patients de veiller à une hydratation correcte de la peau en utilisant un pain dermatologique surgras sans savon et en évitant les lotions alcoolisées (parfums, etc...), de se protéger contre le soleil en utilisant un écran solaire avec un indice de protection > 30 et d’appliquer des crèmes ou lotions hydratantes après chaque bain ou douche pour éviter le dessèchement de la peau [10]. En Optimisation de la prise en charge des effets indésirables La plupart des effets indésirables induits par l’afatinib peuvent être pris en charge grâce à des mesures préventives et des traitements symptomatiques appropriés. Une adaptation de la dose avec ou non un arrêt temporaire du traitement pourra être envisagée en fonction de l’intensité ou de la durée des effets indésirables. Modalités pratiques de prise en charge des effets indésirables La prise en charge des effets indésirables doit débuter, avant la première administration du traitement, par une information simple et rassurante du patient et de son entourage sur la nature de ces effets et les possibles conséquences. La mise en place précoce de mesures préventives adaptées, qui seront aussi expliquées au patient, permettra de limiter ces effets et leur impact sur l’efficacité du traitement et l’observance, plus particulièrement pour les signes cutanés et la diarrhée. La gestion des effets indésirables nécessite une Bulletin Infirmier du Cancer 45 Vol.14-n°2-avril-mai-juin 2014 2-2014-Collectif:nouvelles AFIC n°1vol5 22/09/14 14:20 Page46 T hérapeutique fonction de la sévérité des lésions cutanées, un traitement spécifique dermatologique (type doxycycline ou dermocorticoïdes) pourra être commencé dès les premiers signes d’intolérance [10]. Une attention particulière sera portée aux soins de pédicure avant de débuter le traitement et tout au long du suivi. Il sera également conseillé au patient d’éviter les microtraumatismes au niveau des pieds par le port par exemple de chaussures « non serrées ». Pour les paronychies, des bains de pieds ou doigts avec la bétadine sous forme de solution en application locale sur les lésions, associés aux dermocorticoïdes de classe I sont recommandés [10]. En cas de prurit, un traitement antihistaminique de deuxième génération (desloratadine ou lévocétirizine) pourra être prescrit [10]. Dans certains cas, l’avis d’un dermatologue pourra s’avérer nécessaire. site une approche pluridisciplinaire où le rôle du personnel infirmier hospitalier, aux côtés de l’oncologue, est primordial pour la bonne compréhension du traitement et l’explication des éventuels effets indésirables. Le rôle des infirmier(e) s de ville est aussi essentiel pour s’assurer de la bonne adhésion du patient à son traitement pendant toute sa durée. C’est cette collaboration qui permettra d’optimiser l’efficacité du traitement pour le bénéfice du patient. Liens d’intérêts : ce travail résulte d’un consensus d’experts. Les auteurs déclarent avoir effectué une activité de conseil pour Boehringer Ingelheim France en lien avec cet article et avoir été consultés aux différentes étapes de la rédaction de ce manuscrit. Références 1. Planchard D, Besse B. Vers l’individualisation des prescriptions en oncologie : Cancer bronchique non à petites cellules. Bull Cancer 2008 ; 95 : 951-8. 2. Ruppert AM, Wislez, M, Polot V, et al. Un regard simple sur la biologie du cancer bronchique : EGFR. Revue des Maladies Respiratoires 2011 ; 25 : 565-77. 3. Rosell R, Carcereny E, Gervais R, et al. Erlotinib versus standard chemotherapy as first-line treatment for European patients with advanced EGFR mutation-positive non-small-cell lung cancer (EURTAC) : a multicentre, open-label, randomised phase 3 trial. Lancet Oncol 2012 ; 13 : 23946. 4. Sequist LV, Yang JCH, Yamamoto N, et al. Phase III study of afatinib or cisplatin plus pemetrexed in patients with metastatic lung adenocarcinoma with EGFR mutations. J Clin Oncol 2013 ; 31 : 3327-34. 5. Yang J CH, Hirsh V, Schuler M, et al. Symptom control and quality of life in Lux-Lung 3 : a phase III study of afatinib or cisplatin/pemetrexed in patients with advanced lung adenocarcinoma with EGFR mutations. J Clin Oncol 2013 ; 31 : 3342-50. 6. Hu JC, Sadeghi P, Pinter-Brown LC, Yashar S, Chiu MW. Cutaneous side effects of epidermal growth factor receptors inhibitors : clinical presentation, pathogenesis, and management. J Am Acad Dermatol 2007 ; 56 : 31726. 7. Yang JC, Reguart N, Barinoff J, et al. Diarrhea associated with afatinib : an oral ErbB family Blocker. Expert Rev Anticancer Ther 2013 ; 13 : 72936. 8. Procédure de prévention et traitement des mucites buccales chimio et/ou radio-induites. Recommandations du Groupe pour la Prévention des Infections en Cancérologie (GPIC) et de l’Association Francophone pour les Soins Oncologiques de Soins de Support (AFSOS). Version 3 du 12/10/2011.Téléchargeable sur http://www.afsos.org/IMG/pdf/procedure_mucite_gpic-afsos_V3.pdf 9. Bensadoun R-J, Caillot E. Mucites radio et chimio induites : actualités sur la prise en charge. Bulletin Infirmier du Cancer 2013 ; 13 (4) : 107-14 10. Lacouture ME, Schadendorf D, Chu CY, et al. Dermatologic adverse events associated with afatinib : an oral ErbB family blocker. Expert Rev Anticancer Ther 2013 ; 13 : 721-8. Adaptations des doses en cas d’effets indésirables En cas de toxicité sévère (> grade 3) ou de toxicité de grade 2 mal tolérée, le traitement par l’afatinib sera interrompu jusqu’au retour à la normale (grade ≤ 1) [7,10]. Une réduction de la dose est possible par palier de 10 mg. Si le patient ne peut pas tolérer la dose de 20 mg/jour, l’arrêt définitif du traitement par afatinib doit être envisagé [7,10]. Conclusion L’afatinib, nouveau traitement dans le CBNPC EGFR muté localement avancé ou métastatique, est le premier ITK de la famille ErbB irréversible à démontrer en première ligne une efficacité supérieure versus une chimiothérapie de référence. La plupart des effets indésirables, même s’ils sont fréquents et variés, sont communs à ceux observés avec la classe des ITK anti-EGFR. Les effets indésirables sont gérables et généralement réversibles grâce à des mesures préventives et des traitements symptomatiques appropriés. Leur prise en charge néces- Bulletin Infirmier du Cancer 46 Vol.14-n°2-avril-mai-juin 2014