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ont bien une certaine efficacité, sinon elles auraient disparu d’elles-mêmes. Citons à propos de
l’homéopathie par exemple, le ministre de Louis Philippe, Louis Guizot en 1835 : « Si l’homéopathie
est une chimère ou un système sans valeur propre, elle tombera d’elle-même. Si elle est, au contraire,
un progrès, elle se répandra malgré toutes nos mesures de préservation… »xvii. Il est probable
qu’elles perdurent uniquement par l’expérience positive qu’en font les malades, évaluant leur efficacité
par le soulagement apporté après avoir été traités. Une fois encore, c’est sur l’explication de cette
efficacité que la médecine scientifique s’oppose aux autres médecines. Pour la médecine scientifique,
cette efficacité est réduite à l’effet placebo. A cet égard, seule la médecine scientifique parle d’effet
placebo. Les autres médecines (comme les malades d’ailleurs) ne font bien entendu jamais appel à
cet effet placebo pour expliquer leurs succès. Mais comme le précise Philippe Pignarrexviii, interpréter
cette efficacité par l’effet placebo ne nous renseigne pas sur comment obtenir cette efficacité. Ces
médecines pourraient bien avoir inventé une technique d’optimisation de l’effet placebo qu’il n’est pas
possible de reproduire en dehors du cadre de la théorie et du rituel de la thérapeutique « alternative ».
Un exemple pour illustrer notre proposxix. L’acupuncture est largement utilisée pour soulager les
patients qui présentent des douleurs chroniques. Un essai clinique randomisé publié en 2007 a évalué
la vraie acupuncture (conforme à la tradition chinoise) versus une fausse acupuncture et versus des
soins usuels chez des patients souffrant de lombalgies chroniques depuis plus de 8 ans. A 6 mois,
près d’un patient sur deux était soulagé par la vraie comme la fausse acupuncture. Alors que seul un
quart environ des patients traités par les soins usuels était amélioré. Ainsi, avec cette expérimentation,
nous touchons le cœur de notre réflexion. Au niveau épistémologique, la théorie expliquant l’efficacité
de l’acupuncture semble réfutée. Les « faux » points soulagent autant que les vrais ! Au niveau
médical, les scientistes diront « l’acupuncture n’est pas efficace ». Les soignants diront « comment
reproduire cette efficacité ? » puisque par rapport aux soins usuels, vraie et fausse acupuncture ont
permis un soulagement chez plus de patients ! Le problème est que l’efficacité d’une thérapeutique a
besoin d’un support théorique et technique, voire d’un rituel, pour se révéler ! Probablement, que les
patients n’auraient pas été améliorés sans l’acupuncture, fusse t-elle dans les règles de l’art ou pas.
Alors comment faire en pratique ? Dans une médecine étroitement scientifique, il ne faut prescrire que
des thérapeutiques dont l’efficacité est prouvée par l’essai clinique randomisé. Dans une médecine
soignante, le but est de soulager du mieux possible et donc d’optimiser au mieux cet effet placebo !
Que vaut-il mieux choisir xx ? Une thérapeutique dont l’efficacité spécifique est démontrée au sein de
l’essai clinique randomisé mais dont l’intensité par rapport au placebo est faible ou bien une
thérapeutique dont l’effet spécifique n’est pas démontré mais qui permet une amélioration clinique
conséquente ? Dans notre exemple, est-ce que les thérapies validées (comme les médicaments
antalgiques) feront aussi bien que la fausse acupuncture en terme de soulagement ?
4. Conclusion
D’une part, force est de constater que le sens commun de l’efficacité résiste au temps. L’efficacité
« perçue » par le malade, même si elle ne démontre pas que la thérapeutique administrée est
réellement efficace, ne peut être négligée. Le patient sait « quelque chose » de ce qu’il ressent.
D’autre part, l’essai clinique randomisé et les méta-analyses sont nécessaires pour prouver et
mesurer l’efficacité des remèdes. Toutes les thérapeutiques ne se valent pas, et c’est parce qu’il faut
décider et justifier les prescriptions thérapeutiques que le recours à ces outils expérimentaux
s’impose. Si l’on n’accepte pas cette évaluation, sur quels arguments prouve t-on l’efficacité
thérapeutique puisque la guérison ne suffit pas à le faire ? Néanmoins, il s’agit de connaître les limites
de l’essai clinique, et elles sont nombreuses. Toutes les thérapeutiques ne peuvent être évaluées par
cette expérimentation qui historiquement a été conçue essentiellement pour évaluer les médicaments.
L’essai clinique randomisé ne permet pas de répondre à toutes les questions comme le rappellent à
juste titre les propres fondateurs de l’Evidence-Based-Medicinexxi. L’essai clinique reste l’étalon or
pour prouver l’efficacité des médicaments. Malheureusement, il est souvent devenu le « veau d’or »
des médecins qui n’en voient pas les limitesxxii. Entre l’expérience subjective individuelle et l’essai
clinique randomisé, il reste la médecine qui doit tenir compte de ces différentes notions d’efficacité
thérapeutique. Son premier rôle est de prévenir, soigner, soulager et, si possible, guérir. Elle est avant
tout pragmatique et individuelle.
Mais il nous semble que ces différentes notions d’efficacité ne s’opposent qu’en apparence. Une
vision polysémique plus approfondie les réconcilie. En effet, l’efficacité thérapeutique, pour la plupart
des remèdes, n’existe pas en elle-même. Il n’y a pas d’ontologie de l’efficacité thérapeutique (« les
remèdes sont efficaces indépendamment de celui qui les prescrit »xxiii ) contrairement à ce qui est
admis implicitement par la médecine scientifique. Elle est toujours dépendante de celui qui la reçoit
(de la nature et de la gravité de sa maladie, de son terrain génétique, mais aussi de sa personnalité et
de ses attentes), de celui qui la prescrit et du contexte dans lequel elle est administrée. Elle est