Groupes
Dimitri Ara
Introduction historique
Il est toujours délicat d’essayer d’identifier une source unique pour un idée. Néan-
moins, il semble raisonnable de faire remonter l’introduction du concept de groupe à
Lagrange dans son article Réflexions sur la résolution algébrique des équations publié
en 1770–1771. Dans cette article, Lagrange s’intéresse au nombre de valeurs que prend
une fonction rationnelle quand on permute ses variables. Les groupes y sont vus – dans
un langage anachronique – comme des sous-groupes du groupe symétrique. Son but est
d’appliquer cette étude à la résolution par radicaux des équations polynômiales.
La théorie est ensuite développée par Ruffini (Teoria generale della equazioni, 1799),
Abbati (à qui on doit la première démonstration du théorème de... Lagrange), Abel
(qui utilise la théorie des groupes pour prouver que l’équation polynômiale générale de
degré 5n’est pas résoluble par radicaux), Galois (dont on reparle ci-dessous) et surtout
Cauchy entre 1844 et 1846 (qui démontre entre autres le théorème de Cauchy énoncé
par... Galois).
Une application spectaculaire de la théorie des groupes est le célèbre théorème de
Galois (dont on célèbre le bicentenaire de la naissance en cette année 2011) : Galois
associe à toute équation polynômiale un groupe de permutations de ses racines (qu’on
appelle maintenant le groupe de Galois) et donne un critère portant sur ce groupe pour
déterminer si l’équation est résoluble par radicaux.
La définition moderne de groupe (c’est-à-dire sans passer par le groupe symétrique)
est publiée par Cayley en 1854 dans un article intitulé On the theory of groups, as
depending on the symbolic equation θn= 1. Dans ce même article, Cayley prouve que
tout groupe se plonge dans un groupe symétrique faisant ainsi le lien avec l’ancienne
définition : c’est le théorème de Cayley.
1 Premières définitions
Définition 1.1. Un groupe Gest un ensemble muni d’une loi interne
G×GG
(x, y)7→ xy
vérifiant les axiomes suivants :
1. la loi est associative : pour tous x, y, z dans G, on a (xy)z=x(yz);
1
2. la loi admet un élément neutre : il existe un élément ede Gtel que pour tout x
dans G, on ait xe =x=ex ;
3. tout élément admet un inverse : pour tout xdans G, il existe x0dans Gtel que
xx0=e=x0x.
Remarques 1.2.
1. L’élément neutre est unique. On le notera souvent 1.
2. L’inverse est unique. On notera souvent x1l’inverse d’un élément x.
Définition 1.3. On dit qu’un groupe Gest abélien (ou commutatif ) si la loi de Gest
commutative, c’est-à-dire si pour tous x, y dans G, on a xy =yx.
Remarque 1.4. Si Gest un groupe abélien, on notera souvent +sa loi interne, 0son
neutre et xl’inverse de x. On parle alors de notation additive (par opposition à la
notation multiplicative).
Exemples 1.5.
1. Soit Eun ensemble. On note SEl’ensemble des bijections de Edans E. On
vérifie immédiatement que SEmuni de la composition des applications est un
groupe. L’élément neutre de ce groupe est l’application identité. Pour n0, si
E={1, . . . , n}, on note Sn=SE. On appelle Snle groupe symétrique sur n
éléments. Ce groupe est abélien si et seulement si n2.
2. Les entiers relatifs Zmunis de l’addition forment un groupe. De même, pour
n2, les entiers modulo nmunis de l’addition forment un groupe noté Z/nZ.
Ces deux groupes sont abéliens.
3. L’ensemble Qdes nombres rationnels est un groupe pour l’addition et l’ensemble
Q=Q\{0}est un groupe pour la multiplication. Plus généralement, si kest un
corps, (k, +) et (k,×)sont deux groupes abéliens.
4. Soient kun corps et Vun espace vectoriel sur k. L’ensemble des automorphismes
linéaires de Vmuni de la composition forme un groupe noté GL(V). Pour n0,
si V=kn, on note GLn(k) = GL(kn). On appelle GLn(k)le groupe linéaire. Ce
groupe est abélien si et seulement si n1.
5. Soit k=R. Le sous-ensemble de GLn(R)formé des automorphismes préservant
le produit scalaire euclidien forme un groupe pour la composition noté On(R).
On appelle On(R)le groupe orthogonal. Ce groupe est abélien si et seulement si
n3. (Plus généralement, si kest un corps de caractéristique différente de 2et V
est un espace vectoriel sur kmuni d’une forme quadratique q, on peut considérer
le groupe O(q)des automorphismes linéaires de Vpréservant q.)
6. Soit n3. Les isométries du polygone régulier à nsommets forment un groupe
pour la composition. On appelle ce groupe le groupe diédral et on le note Dn. Ce
groupe n’est jamais abélien.
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Remarque 1.6. Les groupes SE,GL(V),O(q)et Dnsont des exemples de groupes
d’automorphismes d’une certaine structure (un ensemble, un espace vectoriel, un espace
vectoriel quadratique et une forme géométrique). Considérer les automorphismes d’une
structure est un moyen très général de créer de nouveaux groupes.
Définition 1.7. Soient Get Hdeux groupes. Un morphisme (ou homomorphisme) de
groupes de Gvers Hest une application f:GHtelle que pour tous x, y dans G, on
ait f(xy) = f(x)f(y).
Remarques 1.8.
1. On a automatiquement f(1) = 1 (et si ce n’était pas automatique on le deman-
derait, comme dans la définition d’un morphisme de monoïdes).
2. On a automatiquement f(x) = x1.
Définition 1.9. Un morphisme de groupes f:GHest un isomorphisme de groupes
s’il existe un morphisme de groupes g:HGtel que gf= idGet fg= idH. On
dit que deux groupes sont isomorphes s’il existe un isomorphisme entre eux.
Proposition 1.10. Un morphisme de groupes est un isomorphisme si et seulement s’il
est bijectif.
Démonstration. Il est clair qu’un morphisme de groupes est une bijection. Réciproque-
ment, une bijection fadmet un unique inverse f1et il s’agit de montrer que si fest
un morphisme de groupes alors f1est un morphisme de groupes. La démonstration est
laissée en exercice. (Un résultat similaire a été démontré en algèbre linéaire.)
Exemples 1.11.
1. Soit Gun groupe. L’identité idG:x7→ xest évidemment un isomorphisme de
groupes.
2. L’application de Zvers Z/nZqui envoie un entier sur sa classe modulo nest un
morphisme de groupes.
3. L’inclusion de Zdans Qest un morphisme de groupes.
4. L’exponentiel est un morphisme de groupes de (C,+) vers (C,×).
5. Soient kun corps et aun élément de k. La multiplication par aest un morphisme
de groupes de (k, +) dans lui-même. C’est un isomorphisme si et seulement si a
est non nul.
6. Soient kun corps et Vun espace vectoriel sur kde dimension finie. Le déterminant
est un morphisme de groupes de GL(V)vers k.
7. Soit n0. Il existe un unique morphisme de groupes Sn→ {±1}qui envoie les
transpositions (voir TD pour une définition) sur 1. Ce morphisme s’appelle la
signature.
8. Soit n2. Notons Unl’ensemble des racines n-ième de l’unité dans C. Il est
immédiat que celles-ci forment un groupe pour la multiplication. L’application de
Z/nZvers Unqui envoie la classe de ksur ζk
n, où ζn= exp2/n, est bien définie
et est un isomorphisme de groupes.
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Remarque 1.12. Si Gest un groupe, les automorphismes de Gforment un groupe
(selon la remarque 1.6).
Définition 1.13. Soit Gun groupe. Un sous-groupe Hde Gest un sous-ensemble de
Gvérifiant les propriétés suivantes :
1. si xet ysont dans H, alors xy est dans H;
2. 1appartient à H;
3. si xappartient à H, alors x1appartient à H.
Proposition 1.14. Si Hest un sous-groupe de G, alors il existe une unique structure
de groupe sur Hfaisant de l’inclusion de Hdans Gun morphisme de groupes.
Démonstration. Notons i:HGl’application d’inclusion. Si iest un morphisme, pour
x, y dans H, on a i(xy) = i(x)i(y). On est donc conduit à poser xy =i1(i(x)i(y)). En
terme moins pédant, cette loi n’est autre que la restriction à Hde la loi de G. On vérifie
par ailleurs immédiatement que cette loi fait de Hun groupe.
Remarque 1.15. La formulation de la proposition précédente peut sembler pédante.
Elle a le mérite d’insister sur l’importance de la notion de morphisme.
Proposition 1.16. Soit f:GHun morphisme de groupes.
1. Si G0est un sous-groupe de G, alors f(G)est un sous-groupe de H.
2. Si H0est un sous-groupe de H, alors f1(H0)est un sous-groupe de G.
Démonstration. La démonstration est laissée en exercice. (Un résultat similaire a été
démontré en algèbre linéaire.)
Définition 1.17. Soit f:GHun morphisme de groupes.
1. On appelle image de fle sous-groupe f(G)de H. On le note Im f.
2. On appelle noyau de fle sous-groupe f1({1})de G. On le note Ker f.
Proposition 1.18. Un morphisme de groupes fest injectif si et seulement si son noyau
est trivial ( i.e. réduit à 1).
Démonstration. La démonstration est laissée en exercice. (Un résultat similaire a été
démontré en algèbre linéaire.)
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Exemples 1.19.
1. Les inclusions
ZQRC
forment une chaîne de sous-groupes.
2. Les sous-groupes de Zsont exactement les nZ(ensemble des multiples de n) pour
n0(voir TD pour une démonstration).
3. Soit kun corps et Vun espace vectoriel sur kde dimension finie. Le noyau du
déterminant GL(V)kest un sous-groupe du groupe linéaire appelé groupe
spécial linéaire et noté SL(V).
4. Le noyau de la signature Sn→ {±1}est un sous-groupe du groupe symétrique
appelé groupe alterné et noté An.
5. Les nrotations appartenant à Dnforment un sous-groupe de Dnisomorphe à
Z/nZ. Si Dest une droite passant par un sommet du polygone régulier à n
sommets et par son centre, alors {1, τ}, où τest la symétrie d’axe D, est un
sous-groupe de Dnisomorphe à Z/2Z.
6. Soit Gun groupe. On note Z(G)l’ensemble des éléments gde Gqui commutent
à tout autre élément g0de G. Cet ensemble est un sous-groupe de Gqu’on appelle
le centre de G.
Proposition 1.20. Soient Get Hdeux groupes. Il existe une unique structure de groupe
sur le produit cartésien G×Hfaisant des projections pG:G×HGet pH:G×HH
des morphismes de groupes.
Démonstration. Soient (g, h)et (g0, h0)dans G×H. Si pGest un morphisme de groupes,
on a
pG((g, h)(g0, h0)) = pG(g, h)pG(g0, h0) = gg0.
De même si pHest un morphisme de groupes, on a
pG((g, h)(g0, h0)) = hh0.
D’où nécessairement (g, h)(g0, h0)=(gg0, hh0). Par ailleurs, on vérifie immédiatement
qu’on définit ainsi une structure de groupe.
Définition 1.21. Si Get Hsont deux groupes, on notera G×Hle produit cartésien
muni de cette unique structure de groupe.
Exemples 1.22.
1. Le groupe Z/2Z×Z/2Zs’appelle le groupe de Klein.
2. Si Gest un groupe, on peut itérer la construction et définir un groupe Gnpour
n0.
3. On peut montrer que tout groupe abélien de type fini, i.e. engendré par un nombre
fini d’éléments (voir la section suivante) est un produit fini de Zet de Z/nZ.
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