6SÉBASTIEN DALGALARRONDO, BORIS HAURAY
Si l’espoir de stopper ou au moins de ralentir le vieillissement
semble avoir toujours existé (Haycock, 2008), l’idée selon laquelle vieillir
n’est plus une fatalité s’impose avec force depuis quelques années. Vieillir
ne va plus de soi et les promesses issues de la recherche biomédicale sur
les mécanismes du vieillissement, le développement et la démocratisation
de la médecine esthétique (Brooks, 2010 ; Kinnunen, 2010) ainsi que l’ap-
parition récente d’une médecine anti-âge (Cardona, 2007 ; Mykytyn,
2010) sont autant d’éléments remarquables dans le processus contempo-
rain de médicalisation du vieillissement (Conrad, 2007). Ce texte porte sur
une séquence importante dans l’émergence en France de cette promesse
anti-âge. En 1995, les médias français titrent sur l’existence d’une
hormone, la déhydroépiandrostérone (DHEA), dont la concentration dans
le sang baisse régulièrement avec l’âge. Ils s’enthousiasment pour une
idée défendue dans des travaux scientifiques américains: en compensant
cette baisse, il serait possible de lutter contre de multiples maux, dont la
détérioration des os, de la peau, des muscles et de la mémoire, l’obésité
tardive et même la survenue de certains cancers. La molécule est rapide-
ment qualifiée par les journalistes de « pilule de jouvence » (1) et on
observe, au début des années 2000, un « engouement fou pour la DHEA »
(2). Mise en cause par les autorités sanitaires et scientifiques, la DHEA
quitte ensuite progressivement la scène médiatique sans, pour autant, que
sa consommation ne disparaisse.
L’étude de la science et des technologies (Science and technology
studies) est marquée par l’émergence d’un courant de recherche qui place
les discours sur le futur, les visions et autres anticipations, au centre de
leur analyse. Ce travail sur la DHEA s’inscrit pleinement dans la perspec-
tive de cette sociologie des « expectations » (Borup et al., 2006 ; Brown
et al., 2000) qui cherche à comprendre le rôle joué par ces problématisa-
tions stratégiques dans la création d’une réalité nouvelle, au sens où elles
peuvent modifier les préférences des acteurs, leurs actions et le cadrage de
leurs décisions. Il s’agit donc d’analyser comment la mobilisation du futur
par la production de visions (Rajan, 2006) de métaphores (Nerlich et
Halliday, 2007), la diffusion de concepts (Pickersgill, 2011 ; Rosengarten
et Michael, 2009), l’utilisation de discours hyperboliques ou hype (Brown,
2003 ; Kitzinger, 2008 ; Racine et al., 2006) participent à la structuration
(1) Les scientifiques à l’origine de ces travaux contribuèrent eux-mêmes à l’utilisation
de ce langage hyperbolique. Voir la publication, en septembre 1996, dans une revue
américaine de premier plan, d’un article du Pr Baulieu intitulé « DHEA: a fountain of
youth? » (Baulieu, 1996).
(2) Le Point, 6 juillet 2001.