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D’une part c’est bien l’application des mathématiques aux phénomènes naturels, qui permet de calculer rigoureusement les grands phénomènes cosmiques (mouvement des planètes, pesanteur, marées) : l’invention du calcul des fluxions, seul langage adéquat de la nouvelle mécanique, permet d’exprimer non seulement, comme la géométrie analytique, quel est l’état d’une grandeur à un instant donné, mais encore comment elle varie à cet instant en intensité et en direction. Mais, d’un autre côté, et c’est là le second trait de la mécanique newtonienne, les conditions qui rendent possible l’application de ce calcul à la réalité physique ne sont pas contenues dans le calcul lui-même : ces conditions initiales ne sauraient être mathématiquement déduites, mais seulement données par l’expérience. On peut facilement imaginer telles conditions qui, si elles eussent été réalisées, auraient rendu complètement impossibles l’emploi de ce calcul et la découverte de la loi de l’attraction : dans les circonstances actuelles en effet, la position d’une planète par rapport au soleil est telle que l’attraction des autres corps de l’univers sur elle est négligeable par rapport à l’attraction du soleil, si bien que le calcul n’a à considérer que l’attraction réciproque de deux masses ; mais supposons que les causes perturbatrices aient été du même ordre de grandeur que l’attraction solaire, dans ce chaos d’actions réciproques, le calcul eût été sans application. Il n’y a pas d’autre explication des phénomènes que le calcul mis en œuvre, qui seul rend compte de leur intelligibilité. Tout se passe comme si, quand il s’agit de la connaissance de la nature, l’intelligibilité des phénomènes laissait place vide à l’intelligence des causes. Newton a déclaré, de façon répétée, que toutes les « hypothèses » c’est-à-dire les structures mécaniques imaginées pour rendre raison des phénomènes, devaient être évitées dans la philosophie expérimentale. Non fingo hypotheses, c’est-à-dire je n’invente aucune de ces causes qui sans doute peuvent rendre raison des phénomènes, mais qui sont seulement vraisemblables. Newton n’admet d’autre cause que celle qui peut être « déduite des phénomènes eux-mêmes ». Enonçant la loi de la gravitation universelle, Newton ne pensait pas du tout être arrivé à la cause dernière des phénomènes qu’elle explique : il montrait seulement que c’est selon une même loi que les corps pesants sont attirés vers le centre de la terre, que les masses liquides des mers sont attirées vers la lune dans les marées, que la lune est attirée vers la terre et les planètes vers le soleil : la preuve de cette identité de loi repose uniquement sur des mesures expérimentales En d’autres termes, pour Newton, la physique expérimentale en quoi consiste notre connaissance rationnelle de la nature, ne saurait permettre de parvenir jusqu’aux principes capables d’expliquer les phénomènes dont elle énonce les lois, – d’en déterminer les causes. Il n’y a pas d’explication scientifique de l’origine des rapports actuels de position et de vitesse des corps célestes. Comment interpréter cette limite de l’explication scientifique ? L’empirisme est la réponse à cette question 2) L’empirisme et la philosophie anglaise L’empirisme apparaîtpour la première fois au XVIII°siècle avec la philosophie anglaise, La démarche empiriste de la philosophie anglaise est liée à la montée de la bourgeoisie qui doit obtenir de la royauté et de la féodalité anglaises la reconnaissance des libertés nécessaires à son développement : Le but avoué de ses enquêtes sur « l’entendement », quand elle dénonce la confiance en la raison comme saisie intuitive des essences, est de combattre l’innéisme des idées qui lui paraît fonder l’absolutisme du pouvoir et l’immutabilité des privilèges. A travers la réflexion sur la connaissance, qui met en cause la représentativité des idées qu’on prétend fonder sur une réalité permanente, indépendante du psychisme humain : passions et volontés des individus, ce qui est affirmé c’est le lien entre les idées et l’expérience des hommes qui seule peut fonder les rapports qu’ils instituent entre eux sur la base de leur activité pratique. Quand Locke publie dans les années 1690 ses « Lettres sur la tolérance », ses « Traités sur le gouvernement civil » et son « Essai sur l’entendement humain » , il est revenu de son exil en Hollande pour occuper la place de conseiller politique auprès de Guillaume d’Orange ; La « glorieuse révolution » a eu lieu en Angleterre, par laquelle la bourgeoisie a obtenu du nouveau pouvoir la garantie des libertés nécessaires à son développement. Le compromis politique confirme par les faits la démarche empiriste qui dénonçait comme une illusion de la raison le dualisme des idées et des choses, en montrant que l’expérience, inséparable de l’activité pratique, est en fin de compte le seul et véritable terrain où se constituent les liens entre les idées, comme s’y instituent les rapports entre les hommes. La problématique empiriste La réflexion « empiriste » sur la connaissance, persuadée d’un lien naturel de l’homme au monde qui dément le dualisme mis à jour par la réflexion de Descartes, exclut toute spéculation qui doit faire appel à l’existence d’un dieu pour réconcilier la pensée avec la nature ; mais n’est-elle pas amenée en même temps à « découvrir » que l’on n’a jamais affaire dans la connaissance à cette réalité indépendante de la pensée qu ‘on appelle matière ? La question posée par la réflexion empiriste, - aujourd’hui comme hier -, peut être formulée ainsi : - Sachant que nous n’avons jamais affaire qu’à des idées, ne peut-on rendre compte de l’objectivité de nos connaissances, en expliquant la formation de ces idées à partir des données des sens, sans poser le problème insoluble du rapport des idées et des choses, de la pensée et du réel ? La réflexion sur l’expérience ne permet-elle pas de comprendre l’objectivité de la connaissance sans faire de l’objet une chose – une réalité – indépendante de la connaissance? Et, à la fin du compte, le problème insoluble du rapport des idées et des choses, qui est à l’origine de tous les systèmes philosophiques, ne prend-il pas sa source dans la simple croyance en une réalité, dont nos idées seraient la représentation, la reproduction ? La démarche de Locke C’est Locke (1632-1704)qui, le premier, met en cause le rationalisme de Descartes, fondé sur l’innéité des idées. Il a lutté toute sa vie contre la théocratie anglicane, c’est-à-dire contre ces deux thèses solidaires : le pouvoir du roi est un pouvoir absolu et de droit divin ; le pouvoir du roi est un pouvoir spirituel non moins que temporel, et il a le droit d’imposer à la nation une croyance et une forme de culte. L’Essai sur l’entendement humain , en montrant la nature et les limites de l’entendement humain, doit fonder la tolérance religieuse et philosophique. ll voit dans l’innéisme, partant d’une prétendue connaissance immédiate et interne, une sorte de dogmatique qui laisse place à tous les préjugés individuels. - Il part d’une réflexion sur la doctrine cartésienne : il est, comme le lui reprochent ses adversaires, un « idéisme » : nous n’avons jamais affaire aux choses elles-mêmes mais toujours à des idées. Et, puisque nous n’avons jamais affaire qu’à des idées, la connaissance objective ne saurait résider dans la correspondance des idées et des choses ; elle ne peut consister que dans la perception d’une convenance ou d’une disconvenance entre des idées, comme : le jaune n’est pas le rouge, deux triangles qui ont leurs trois côtés égaux sont égaux etc. Pour expliquer la connaissance, il faut chercher d’abord ce que sont les idées simples, puis comment elles se combinent pour former les idées complexes (livre II), enfin comment on perçoit la convenance ou la disconvenance entre les idées (livre IV). - Parmi les idées simples, seules les idées de sensation ( chaud, solide, poli, dur, amer, étendue, figure mouvement, etc. ) peuvent être considérées comme représentatives d’une réalité extérieure ; mais, suivant ici Descartes, il faut distinguer : 1) les qualités premières : l’étendue, la figure, la solidité et le mouvement, avec les idées d’existence, de durée et de nombre, qui nous représentent les choses telles qu’elles sont. 2) Quant aux couleurs, aux sons ou aux saveurs, ce sont des « qualités secondes » qui sont produites en nous par l’impression que font, sur nos sens, divers mouvements de corps si petits que nous ne pouvons les apercevoir. Doit-on pour autant, comme Descartes, prendre les qualités premières pour les éléments réels des choses, constituant la substance des choses ? En fait il en va de même de toutes les idées aussi bien « d’étendue, de figure, de couleur, que de toutes les autres qualités sensibles, à quoi se réduit toute notre connaissance des corps : D’un côté, il est impossible à l’esprit d’imaginer ces idées simples existant par elles-mêmes, sans une substance à laquelle elles sont inhérentes ; mais, d’un autre côté, « nous sommes aussi éloignés d’avoir quelque idée de la substance des corps que si nous ne la connaissions point du tout. » Nous n’avons, de cette substance, nulle idée : expliquer la cause de la liaison des idées simples, cela est au-dessus de notre entendement : La substance, pour Locke, sans doute existe, mais nous ne savons ce qu’elle est, et la seule recherche possible pour nous est la recherche expérimentale des qualités coexistantes. La porte est ouverte par la réflexion empiriste de Locke à l’idéalisme de l’évêque Berkeley (1685-1753) : Si nous n’avons jamais affaire qu’à des idées qui sont des perceptions, pourquoi, distinguant des qualités premières (grandeur, étendue etc.) et des qualités secondes ( telles les couleurs, les saveurs etc.) voudrait-on que les premières nous renvoient à l’existence d’une réalité indépendante de nos sensations ? quelle différence y a-t-il entre le blanc et la perception du blanc, sinon le nom qui est un signe que nous avons institué pour communiquer entre personnes auxquelles Dieu a donné la faculté de voir un monde ? Pour un esprit doué de cette vision, être, ce n’est rien d’autre qu’être perçu. Comment expliquer la connaissance sans référence à quelconque caractère représentatif de l’idée qui renverrait à l’existence d’une substance indépendante de la connaissance, en évitant le piège de l’idéalisme de Berkeley, telle est la tâche qui s’impose à Hume, dans la seconde moitié du siècle. La réflexion de Hume Hume (1711-1776) publie en 1737 le Traité de la Nature humaine qu’il transforme en Essai neuf ans plus tard. a) la distinction des impressions et des idées Hume, restant dans la ligne de l’idéisme, fait une distinction entre les impressions et les idées , qui, selon lui, lève la difficulté : les impressions, ce sont les originaux ou modèles, dont les idées sont les copies ; elles sont fortes et vives, tandis que les idées sont faibles ; dès lors, il est vrai que toute idée est représentative, mais elle est représentative d’une impression, qui est de même nature qu’elle, supérieure seulement en intensité ; aucune idée n’est valable, aucune idée n’a même d’existence, si on ne sait assigner le ou les impressions dont elle est la copie. L’objet propre de la réflexion n’est pas l’étude de l’impression, étude qui, selon lui, ressortit à l’anatomie et à la physiologie et non à la philosophie : ce sont uniquement les idées, ces copies des impressions, dont les relations diverses entre elles et avec les impressions, forment le tissu de l’esprit. b) les lois de fonctionnement de l’esprit Il s’agit donc de rechercher quelles sont les formes qui entrent naturellement et spontanément en jeu pour lier les idées entre elles. Or, l’expérience montre que deux idées entrent en connexion soit à cause de leur ressemblance, soit parce que les impressions dont elles sont les copies ont été contiguës, soit enfin parce que l’une représente une cause dont l’autre représente l’effet. Ces lois ( de fonctionnement de l’esprit) sont, à nos idées, ce que la loi newtonienne d’attraction est aux corps : elles maintiennent l’ordre dans l’esprit, comme la loi de l’attraction maintient l’ordre de l’univers, en formant toutes les idées complexes. c) Le problème de la relation de causalité Parmi ces connexions, seule pose problème celle que nous percevons comme une relation de cause à effet, qui semble supposer une liaison nécessaire, indépendante de l’esprit. A consulter et à retourner en tout sens l’idée de la chose qui est cause, nous n’y trouvons aucun efficace pour produire l’effet. S’il est vrai que nous n’avons l’expérience d’aucune force ni d’aucune efficacité dans un fait, pourquoi et comment croyons-nous que ce fait sera suivi inévitablement d’un autre que nous attendons avec la plus grande confiance ? Rien n’autorise, selon Hume, à passer du constat de cette impuissance de la réflexion à expliquer la relation de causalité à une critique de la connaissance sensible qui nous contraindrait, par une dialectique quelconque, à faire appel à un pouvoir propre de l’esprit. Ce n’est pas le fait d’une « relation mystérieuse » de causalité qu’il faut expliquer, mais, restant sur le plan du fonctionnement de la pensée, c’est la « croyance » qu’il faut comprendre. En effet, c’est seulement lorsque la croyance s’ajoute à l’idée, que l’idée devient la connaissance de quelque chose de réel. Or, cette nuance particulière de l’idée, qui fait qu’on y croit, dérive de ses liaisons associatives avec les impressions présentes, car l’impression qui est plus vive que toute idée, a cette propriété singulière de transmettre quelque chose de sa vivacité et de sa forme aux idées qui sont en connexion avec elles. Nous tenons là tous les éléments d’explication de cette confiance que nous avons en l’apparition de l’effet, lorsque la cause est présente, confiance qui aboutit au jugement que leur connexion est nécessaire. On observera d’abord que nous n’admettons aucune connexion nécessaire qu’entre des faits successifs et contigus, dont la succession a été observée plusieurs fois ; cette répétition n’affecte en rien le couple même des faits ; mais elle engendre dans notre esprit une habitude (custom) ; l’habitude fortifie la connexion imaginative qui fait passer l’esprit de l’idée de l’un à l’idée de l’autre ; renforçant la connexion, elle produira une croyance irrésistible. La connexion nécessaire n’est donc que la transition de plus en plus facile d’une idée à une autre, « le penchant, que l’habitude engendre, à passer d’un objet à l’idée de son compagnon ordinaire ». L’idée de cause est donc, comme toute idée, la copie d’une impression, non pas la copie d’un pouvoir que nous saisirions dans les choses, mais celle de cette impression interne ou impression de réflexion, qui est le sentiment d’habitude. L’explication de la connaissance : En posant au point de départ que la connaissance prend sa source dans les impressions des sens, la démarche consiste à montrer que les idées n’ont pas d’autre réalité que psychologique : ce sont des images mentales qui renvoient aux impressions vives des sens sans lesquelles elles ne seraient que de purs et simples phantasmes : l’imagination est précisément ce qui permet de croire aux idées comme si elles représentaient des choses : une réalité indépendante comprise comme la cause des impressions. L’expérience n’est rien d’autre que l’ensemble des connexions entre les idées à partir desquels se constitue l’image d’un monde. Hume s’emploie à montrer que la connaissance que nous avons du réel n’est pas l’œuvre de la raison mais le produit de l’expérience, même si le raisonnement semble jouer un rôle comme dans la science : Les prévisions scientifiques, loin d’être le résultat d’un raisonnement, sont des prédictions fondées sur la répétition des phénomènes. La raison n’est rien d’autre que ce penchant de l’esprit lié à la vivacité des impressions qui nous fait croire que la connexion des idées renvoie à une réalité indépendante des images mentales. C’est le penchant universel de l’esprit à se répandre sur les objets extérieurs qui nous fait supposer que cette nécessité est dans les objets que nous considérons et non dans l’esprit qui les considère. La portée de la démarche : Si l’on cherche à comprendre la portée de la réflexion de Hume et, plus généralement, de la démarche empiriste, on est conduit à s’interroger sur le scepticisme de Hume, qu’il définit lui-même dans le dernier chapitre de L’enquête sur l’entendement humain comme un scepticisme mitigé, pour le distinguer du pyrrhonisme. En posant au point de départ que la connaissance prend sa source dans les impressions des sens, la démarche consiste à montrer que les idées n’ont pas d’autre réalité que psychologique : ce sont des images mentales qui renvoient aux impressions vives des sens sans lesquelles elles ne seraient que de purs et simples phantasmes : l’imagination est précisément ce qui permet de croire aux idées comme si elles représentaient des choses : une réalité indépendante comprise comme la cause des impressions. L’expérience n’est rien d’autre que l’ensemble des connexions entre les idées à partir desquels se constitue l’image d’un monde. La connaissance n’est pas un « logos » - une logique- : une raison qu’on peut aussi bien comprendre comme une activité de l’esprit ou comme un sens immanent aux choses ; c’est un processus psychologique qui est propre à la « nature humaine » : un fonctionnement qui permet aux hommes de réguler leur vie par l’habitude, on dirait aujourd’hui : un « habitus » autrement dit des dispositions acquises qui permettent l’adaptation des individus à leur existence parce qu’elles constituent le monde auquel ils ont affaire. La réponse aux questions insolubles soulevées par la philosophie est à chercher dans la nature humaine et son fonctionnement. Nota : Rien n’éclaire mieux la démarche empiriste que sa reprise par Pierre Bourdieu, lorsqu’il s’agit pour lui de rendre compte de l’adaptation de l’individu au monde, en échappant à l’alternative de l’idéalisme et du matérialisme. Pour expliquer “l'ajustement” miraculeux de l'individu au réel sans faire de l’un le produit de l’autre, il crée le concept d’ «habitus ». Le problème des rapports de la pensée à la réalité que soulève la philosophie pour rendre compte de la connaissance, devient caduc si l’on montre que la connaissance, qui est d’abord, selon l’expression de Bourdieu, une “ connaissance par corps ”, est le produit d’une genèse par laquelle se constitue l’image d’un monde. Voici le texte où nous soulignons les termes de l’explication empiriste, dont il attribue lui-même la paternité à Hume : “ Le monde est compréhensible, immédiatement doté de sens , parce que le corps, qui, grâce à ses sens et à son cerveau, a la capacité d'être présent à l'extérieur de lui-même, dans le monde, et d'être impressionné et durablement modifié par lui, a été longuement (dès l'origine) exposé à ses régularités. Ayant acquis de ce fait un système de dispositions accordé à ces régularités, il se trouve incliné et apte à les anticiper pratiquement dans des conduites qui engagent une connaissance par corps assurant une compréhension pratique du monde tout à fait différente de l'acte intentionnel de déchiffrement conscient que l'on met d'ordinaire sous l'idée de compréhension. Autrement dit, si l'agent a une compréhension immédiate du monde familier, c'est que les structures cognitives qu'il met en œuvre sont le produit de l'incorporation des structures du monde dans lequel il agit, que les instruments de construction qu'il emploie pour connaître le monde sont construits par le monde. Ces principes pratiques d'organisation du donné sont construits à partir de l'expérience de situations fréquemment rencontrées et sont susceptibles d'être révisés et rejetés en cas d'échec répété. (Je n'ignore pas la critique, rituelle, donc propre à apporter de grands profits symboliques pour un faible coût de réflexion, des concepts “dispositionnels”. Mais, dans le cas particulier de l'anthropologie, on ne voit pas comment on pourrait, sans nier l'évidence des faits, éviter de recourir à telles notions : parler de disposition, c'est simplement prendre acte d'une prédisposition naturelle des corps humains, la seule, selon Hume - lu par Deleuze -, qu'une anthropologie rigoureuse soit en droit de présupposer, la conditionnabilité comme capacité naturelle d'acquérir des capacités non naturelles, arbitraires. Le scepticisme de Hume Là où le pyrrhonisme montre l’impuissance de la raison pour démontrer l’impossibilité de la connaissance du réel, Hume s’emploie à montrer que la connaissance que nous avons du réel n’est pas l’œuvre de la raison mais le produit de l’expérience, même si le raisonnement semble jouer un rôle comme dans la science : Les prévisions scientifiques, loin d’être le résultat d’un raisonnement, sont des prédictions fondées sur la répétition des phénomènes. La raison n’est rien d’autre que ce penchant de l’esprit lié à la vivacité des impressions qui nous fait croire que la connexion des idées renvoie à une réalité indépendante des images mentales : c’est précisément le fait que les idées ne sont pas des concepts mais des images inséparables des impressions qui explique ce penchant de l’esprit. Telle est la portée du scepticisme de Hume : dénoncer les croyances qui sont à l’origine de l’errance de la philosophie : Ce penchant de l’esprit qu’on appelle imagination, rend compte non seulement de notre croyance à la causalité ; il fonde aussi la solution de trois des grands problèmes qui agitaient la philosophie depuis le XVIIIème siècle : l’existence du monde extérieur, l’immatérialité de l’âme, l’identité personnelle. 1. Pourquoi croyons-nous à l’existence de corps permanents et distincts de nous, alors que les sens ne nous donnent que des objets sans cesse évanouissants, et qui se résolvent en pures impressions qui, telles qu’elles sont immédiatement données, ne nous sont pas plus extérieures qu’un plaisir ou une douleur ? L’imagination seule entre en jeu ; assurément là aussi, elle ne peut s’exercer qu’à une condition : c’est que certains amas d’impressions, collections ou séries, se reproduisent à des moments intermittents ; mais seules les propriétés de l’imagination peuvent expliquer comment nous croyons, à chacun de ces moments, que ces amas sont les mêmes corps, qui ont continué à exister dans les intervalles de leur apparition. Ces impressions que l’on voudrait faire indépendantes de nous, sont étroitement dépendantes des sens, comme le montrent toutes les illusions. La philosophie dogmatique prend alors les intérêts de la croyance spontanée, et elle invente un monde d’objets réels permanents, distincts de nos perceptions qui sont, elles, périssables. 2. Qu’entend-on par l’immatérialité de l’âme sinon que les dées, par leur nature, ne peuvent être inhérentes qu’à une substance spirituelle ; or, on ne sait ni ce qu’est inhésion, ni ce qu’est substance ; comment connaîtrions-nous la substance, puisque nous ne pouvons connaître que des impressions, ou des idées qui en sont les copies. 3. Aussi peu fondée est la croyance en l’identité du moi, comme d’une réalité permanente, supérieure au déroulement changeant des impressions et des idées. Il n’y a dans l’esprit que des impressions et des idées, distinctes l’une de l’autre, et entre lesquelles il n’y a aucune connexion réelle qui puisse être aperçue : la notion de l’identité de notre moi naît comme nous avons vu naître la notion de l’identité des corps extérieurs ; les états successifs de notre moi s’évoquent dans la mémoire grâce à leur ressemblance ou surtout à la connexion causale qui les unit, et l’imagination crée ainsi la fiction de notre permanence. Tel est le paradoxe que développe la réflexion de Hume, où le scepticisme apparaît comme le corollaire de l’empirisme : Toutes nos connaissances viennent de l’expérience, mais nous ne pouvons rien apprendre de l’expérience concernant la réalité à laquelle nous croyons, qu’il s’agisse de la nature, de la faculté de connaître ou de notre individualité. L’empirisme doit avouer son impuissance à comprendre la nature telle qu’elle pourrait exister indépendamment de la pensée ( la substance des choses), l’essence de la pensée indépendamment de la vie des idées (l’immatérialité de l’âme), et l’identité du moi indépendamment du fonctionnement psychique ( la personne). L’expérience est la seule réalité à laquelle nous avons « affaire ». Seule la croyance nous conduit à « dépasser » l’expérience. Conclusion : les limites historiques de la réflexion empiriste Ce paradoxe reflète les limites de l’activité pratique de la bourgeoisie: L’échange des produits ( le commerce), qui constitue l’expérience de la bourgeoisie ignore la production qui est directement aux prises avec une réalité matérielle qu’elle doit apprendre à connaître en la transformant. Dans le commerce les choses circulent : s’achètent et se vendent au prix du marché, sans qu’on sache d’où vient leur valeur, à quelle réalité se réfère le prix de la marchandise. L’échange repose sur la confiance entre les contractants qui ne sont personne si ce n’est les partenaires abstraits de l’échange. La valeur des choses est purement fiduciaire. Elle repose sur la croyance, sur la bonne foi des contractants, qui tient lieu de règle dans les échanges, c’est à dire dans les relations entre les choses établies par l’activité pratique des hommes. 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