traiter 2e CHAPITRE Les instituts d’études marketing face à la profusion de data Par Etienne Bressoud Le marché des études marketing est en crise. Pourtant, il existe des solutions. Proposition de 3 stratégies data pour combler ce décalage entre besoin des annonceurs et business des instituts. — Lancer un nouveau produit, définir l’angle d’une campagne de communication, modifier un site Internet… Les décisions à prendre sont toujours aussi nombreuses pour les annonceurs. Voire plus nombreuses dans des marchés ultra concurUn institut rentiels. Pour cela, les annonceurs ont besoin d’étude marketing d’informations, donc est comparable à un de données. Pourtant, concessionnaire les budgets des Directions Etudes sont en automobile baisse, ce qui impacte directement le business des instituts d’études marketing. Parce que ces derniers se privent d’une part du marché de la data, alors qu’ils ont toute la légitimité pour en être des 110 acteurs majeurs. Légitimité qui repose autant sur ILLUSTRATIONs d'arthur poitevin leur savoir-faire en termes de traitement de données que sur leur capacité à transformer les résultats d’étude en recommandations marketing. Les instituts présents sur un seul des deux marchés de la donnée Un institut d’études marketing est comparable à un concessionnaire automobile qui ne vendrait que des voitures neuves et pas de voitures d’occasion. Alors que le marché des véhicules d’occasion représente, en volume, près de trois fois celui des véhicules neufs ! Les instituts d’études sont spécialisés dans les données neuves, de première main, dites « primaires ». À une question client, ils répondent en proposant de collecter de la donnée pour l’analyser. Seulement voilà, aujourd’hui, face aux restrictions budgétaires, les annonceurs sont de plus en plus ouverts à acheter de la donnée d’occasion, de seconde main, dite « secondaire », tant qu’elle répond à leur question et permet de décider. Si elle vous amène à bon port, peu importe qu’une voiture d’occasion soit moins fiable qu’une voiture neuve ! Cette stratégie, purement défensive, consiste à se réfugier sur une niche présumée moins attaquable. Mais dans un marché en mutation, toutes les niches sont vulnérables. Et les barrières à l’entrée, comme par exemple l’investissement en capital, peuvent vite devenir inopérantes. Par ailleurs, cette stratégie revient à se protéger de la menace venant traiter 2e CHAPITRE Adapter l'offre aux besoins des annonceurs Avec l’avènement de la Big Data, qu’il s’agisse de stocker la donnée dans l’entreprise ou de la chercher sur Internet, le marché de la donnée secondaire est en train de croître, sans les instituts d’études. L’entrée des instituts sur ce marché est d’autant plus compliquée que les interlocuteurs et les budgets associés ne sont pas gérés par les mêmes services chez l’annonceur : la donnée primaire est achetée par la Direction Etudes Marketing, tandis que la donnée secondaire dépend le plus souvent de la Direction de la Stratégie. C’est pourquoi, alors que les annonceurs utilisent de plus en plus de données pour répondre à leurs questions et prendre des décisions, le marché des études marketing est en crise : les instituts d’études vendent d’abord de la collecte de données puis des réponses, alors que leurs clients veulent d’abord des réponses et éventuellement des données. Les instituts doivent donc adapter leur offre aux besoins des annonceurs, en capitalisant sur leur intelligence marketing et leur expertise sectorielle, au-delà de leur savoir-faire technique. Trois stratégies Trois stratégies peuvent être choisies, de la plus défensive à la plus offensive. Elles correspondent aux différentes étapes à franchir pour assurer leur croissance à plus long terme sur un marché en mutation. Stratégie data n°1 : la spécialisation La spécialisation consiste à renforcer et à développer des expertises études sur des problématiques annonceurs faisant appel à un besoin de données ad hoc, pour lequel la donnée secondaire n’existe pas (et n’existera jamais ?). Par exemple, les tests d’innovation de nouveaux produits. Par essence, il n’y a pas de données d’occasion contenant de l’information sur un produit qui n’a jamais existé. du nouveau marché de la donnée sans tenter d’en saisir les opportunités. Cette option correspond mal à un acteur majeur sur le domaine des études qui ne peut se contenter de ce premier niveau de réponse à l’ouverture du marché de la donnée. Elle serait plus l’apanage de petits instituts spécialisés, à capacité de développement limitée. Stratégie data n°2 : l’évolution Elle consiste à intégrer, en institut ou par un partenariat, la capacité à utiliser la donnée secondaire pour vendre des réponses aux questions avant de vendre de la collecte de données. Par exemple, uti- face aux restrictions budgétaires, les annonceurs sont de plus en plus ouverts à acheter de la donnée d’occasion liser la masse d’informations disponibles sur les stars de cinéma (sondages passés, commentaires d’internautes, filmographie, box-office…) pour aider une marque à choisir son égérie. Sans avoir besoin d’effectuer un sondage spécifique. Cette stratégie nécessite d’intégrer des profils de Data Miner, à l’aise avec les problématiques marketing et le management des données internes (CRM…) et externes (INSEE…) à l’entreprise, 111 traiter 2e CHAPITRE mais pas nécessairement avec les technologies et le langage informatiques, à l’inverse des Data Scientists. Leur mission : introduire dans les instituts la culture de la donnée secondaire. L’objectif étant de faire en sorte que les équipes études soient aussi à l’aise pour extraire des insights marketing de la donnée secondaire qu’elles le sont aujourd’hui pour effectuer des recommandations à partir de la donnée primaire collectée par questionnaire. Il s’agit d’un premier pas laissant la possibilité de basculer vers une stratégie data plus offensive, pour peu que s’éclaircissent favorablement les « mythes et réalités » de la Big Data. Stratégie la plus cohérente à court terme pour les instituts généralistes, réalisant une majorité d’études ad hoc (TNS, BVA…), elle pose la question du business model associé. Amasser la donnée est financièrement abordable et automatisable. Tout l’art consiste à isoler la donnée utile pour lui donner du sens et la rendre opérationnelle pour le marketing. Ce qui requiert souvent l’intervention humaine. Dans ce cadre, la donnée secondaire ne va pas toujours de pair avec une réduction des coûts : l’étude des avis laissés spontanément par les consommateurs sur Internet peut se révéler plus chère qu’une étude par sondage ! Stratégie data n°3 : l’adaptation Cette voie consiste à doter les instituts d’études des équipes et du matériel nécessaires à l’exploitation de la Big Data. Face à la menace, et à l’opportunité, que constitue la profusion de données pour les instituts, elle est la plus offensive, et répond au Dans un marché besoin des Directions de la Stratégie. L’objecen mutation, tif est de les accompatoutes les niches gner à structurer leur sont vulnérables besoin en données internes comme externes et les solutions techniques associées pour optimiser l’exploitation qui en sera faite par les équipes marketing. Cette stratégie apparaît clef pour les 112 panélistes (Nielsen, GfK) et les instituts spéciali- sés sur les problématiques de mesure de l’efficacité publicitaire (Ipsos MediaCT, Médiamétrie). Par exemple, l’avènement de la télévision connectée peut permettre de dépasser la traditionnelle logique d’échantillonnage, qui prévaut dans la constitution des panels, pour fournir de la donnée d’audience en temps réel sur des centaines de milliers de foyers. Cette stratégie nécessite l’intégration, au sein des équipes, des fameux Data Scientists à la fois statis- Amasser la donnée est financièrement abordable et automatisable ticiens et marketeurs, mais aussi informaticiens. Ce que certains instituts et panélistes ont déjà commencé à faire en utilisant eux-mêmes les outils de la Big Data pour renouveler leur façon de collecter la donnée, avant que d’autres le fassent à leur place. Investir la prise de décision Face à chacune de leurs questions d’étude, les annonceurs doivent mener une réflexion sur la décision qui se cache derrière et le besoin en informations associé. Puis faire appel à l’institut qui saura l’orienter vers la donnée, primaire ou secondaire, la plus adéquate. Tout en s’assurant de la capacité de l’institut à exploiter cette donnée à des fins décisionnelles. L’expertise sectorielle et marketing des instituts trouve là tout son sens, au-delà de l’expertise statistique. De leur côté, en développant leur offre autour de la donnée secondaire, ces derniers peuvent apporter une réelle valeur ajoutée à leurs clients et sortir de la crise en investissant un marché en croissance : celui de la prise de décision . traiter 2e CHAPITRE App ort er une r éelle valeur ajo ut ée aux client s e t sort ir de l a cr ise en inv e st issant un marché en croissance, celui l a pr ise de décision Illustration d'Arthur Poitevin 113