Bégong-Bodoli BETINA
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Dans le cas de cette œuvre, recueil de contes, l’on ne peut bien
évidemment parler de tradition orale au sens strict. On dira tout
simplement, comme l’ont d’ailleurs constaté de nombreux critiques
de l’œuvre de Juan Rulfo, que ces contes ont partie liée avec la
tradition orale, qu’ils en gardent des traces. La double présence de ce
lien à la tradition et de l’acte de création littéraire de Juan Rulfo,
reconnu comme innovateur, comme l’un des membres de la
littérature universelle la plus ‘’moderne’’, fait de ce recueil à vrai
dire petit, un des termes inoubliables, une des réserves inépuisables
de notre ‘’moderne’’ espace de fiction qui permet aux histoires de
toujours courir, qui nous donne aujourd’hui les ressources
d’imaginaire et de symbolique , de langage donc, nécessaires à tout
groupe pour fonder son identité.1
Cette affirmation est en quelque sorte une ‘’leçon de
choses’’ sur laquelle nos deux auteurs ont fondé leur démarche
littéraire. Naturellement si Rulfo s’exprime de manière brève,
laconique, et parfois utilise le silence, ce qui est propre aux paysans
jalisciens, Kourouma par contre, en partant de l’art du griot,
développe un langage plutôt foisonnant. L’un comme l’autre
respecte scrupuleusement ce qui met en valeur l’ontologie profonde
de son peuple. Et c’est cette traduction, cette interprétation, mieux,
cette restitution fidèle de l’ontologie profonde de leurs concitoyens
dans leur langage littéraire qui leur confèrent, à la fois, leur
authenticité et leur originalité.
Comme nous allons le voir, la plus grande réussite de Juan
Rulfo et d’Ahmadou Kourouma réside indiscutablement dans
l’expressivité de leur langage et dans l’authenticité de celui-ci. Tour
à tour, ils passent du langage courant au langage anecdotique, du
simple discours au langage gestuel ou postural, du silence à ce qu’il
convient d’appeler ici le langage culturel : c’est-à-dire, la manière
d’être, les mots, les expressions, les aphorismes pris crûment dans
leur langue d’origine et traduits en espagnol ou en français même si,
parfois, ceux-ci ont un équivalent dans la langue de Cervantés ou de
Molière. En plus de cette « nationalisation » de l’espagnol et du
1 Florence Olivier. ‘‘Techniques narratives et représentations
du monde dans le conte latino-américain’’, in América,
Cahiers du CRICCAL. Paris : Service des Publications,
Université de la Sorbonne Nouvelle Paris III, n°2, 2ème
semestre 1986, pp.223-224.
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