Langues & Littératures, Université G. B. de Saint-Louis, Sénégal, n° 6, janvier 2002
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Bégong-Bodoli BETINA *
Resumen
En su lengua de escritura respectiva, el español y el francès, Juan
Rulfo y Ahmadou Kourouma son autores tan innovadores como
respetadores de los valores profundos de su cultura. En efecto, cada uno
ha logrado escribir el español en nahuatl y el francès en malinké. Dicho de
otra forma, cada uno ha escrito en una lengua extrajera, valorando los
tipismos de su ser, como si lo hiciera en su lengua materna. En este
trabajo, hemos tratado de mostrar a través de : 1°) El lenguaje referencial,
2°) El lenguaje popular y 3°) El lenguaje cultural, còmo estos dos autores
han realizado, cada uno, una obra maestra sin destacarse de sus raìces y
tampoco, sin decepcionar a quienes son respetuosos de la conservaciòn de
su diferencia, es decir de su personalidad.
Introduction
Le langage constitue l’un des éléments clés, sinon l’élément
fondamental sur lequel reposent les œuvres de Juan Rulfo et
Ahmadou Kourouma. Il est difficile de justifier le succès littéraire de
ces deux auteurs en dehors de cette caractéristique essentielle qui les
singularise parmi les auteurs latino-américains et négro-africains.
Mais si certains écrivains, usant de leur intelligence pénétrante ou de
leur sens de créativité aigu, tel Gabriel Garcia Marquez ou Sony
Labou Tansi, ont atteint des sommets dans l’expression langagière,
Rulfo et Kourouma, sans pour autant se déconnecter de leurs
milieux socio-culturels, des structures mentales et psychiques de
leurs peuples, ont réussi de véritables prouesses en imposant à leur
respective langue ‘’étrangère’’, l’espagnol et le français, un langage
propre à leur langue maternelle. Si l’on peut considérer que
l’espagnol est la langue maternelle de Rulfo, il n’en est pas autant
* Enseignant-chercheur, Section de L.E.A., UFR de Lettres &
Sciences Humaines, Université G. B. de Saint-Louis,
Sénégal.
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Juan Rulfo et Ahmadou Kourouma :de la
mexicanisation de l’espagnol à l’africanisation du français
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pour Kourouma, dont celle-ci est le malinké. Quoiqu’il en soit,
l’intérêt des deux auteurs, ou leur point de rencontre, est qu’ils n’ont
pas chercher à conserver la virginité à leur langue d’écriture mais
plutôt à la prostituer, à la dénaturer, à la déposséder de ce qui
constitue son intégrité ‘’corporelle’’ ou son authenticité. Comme si
elle était un esclave insoumis, ils l’ont d’abord réduite, asservie,
avant de l’utiliser à leur guise, en lui faisant exprimer ce qui jure
avec sa nature, ce qui la dépersonnalise. Leur langue d’écriture, telle
une femme étrangère, est devenue une marionnette dans leur
bouche, exprimant à son corps défendant les désirs de sa rivale. Tel
est le sort que Rulfo a réservé à l’espagnol en lui faisant traduire
l’idiosyncrasie des habitants de Jalisco et Kourouma, au français,
celle des Malinkés.
Mais un autre élément historique et populaire unit également
Juan Rulfo et Ahmadou Kourouma, dans leurmarche dans
l’élaboration d’un langage scriptural authentique ou d’une
production littéraire idoine et endogène : il s’agit du conte. L’un
comme l’autre puise ses techniques narratives dans ce genre
littéraire, ce qui, même au niveau de l’instance narratrice, c’est-à-
dire de la voix, crée une symbiose, une harmonie, voire une osmose
avec la manière de parler du milieu dont il est issu. A ce propos,
dans son article « De la mémoire et du conte, Autour de El llano en
llamas », Florence Olivier déclare, déclaration qui, pour nous, vaut
autant pour Ahmadou Kourouma:
Comme l’annonce le titre de cet article […], nous
avons pour intention d’analyser ici, la relation entre
la mémoire et le conte qui est, selon nous,
fondamentale dans l’élaboration littéraire de El llano
en llamas et les procédés narratifs que cette relation
met en œuvre.
Nous tenons au terme de conte, qui désigne en français un genre
littéraire dont l’origine se trouve dans la tradition orale. Les contes
appartiennent à la culture populaire, à la mémoire d’un groupe, d’un
pays, que l’on entende ce terme au sens large ou dans un sens plus
restreint : en effet, il peut s’agir d’un groupe lié à une région, comme
le Jalisco qui est le lieu d’où émergent, où se déroulent toutes les
histoires de El llano en llamas.
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Dans le cas de cette œuvre, recueil de contes, l’on ne peut bien
évidemment parler de tradition orale au sens strict. On dira tout
simplement, comme l’ont d’ailleurs constaté de nombreux critiques
de l’œuvre de Juan Rulfo, que ces contes ont partie liée avec la
tradition orale, qu’ils en gardent des traces. La double présence de ce
lien à la tradition et de l’acte de création littéraire de Juan Rulfo,
reconnu comme innovateur, comme l’un des membres de la
littérature universelle la plus ‘’moderne’’, fait de ce recueil à vrai
dire petit, un des termes inoubliables, une des réserves inépuisables
de notre ‘’moderne’’ espace de fiction qui permet aux histoires de
toujours courir, qui nous donne aujourd’hui les ressources
d’imaginaire et de symbolique , de langage donc, nécessaires à tout
groupe pour fonder son identité.1
Cette affirmation est en quelque sorte une ‘’leçon de
choses’’ sur laquelle nos deux auteurs ont fondé leur démarche
littéraire. Naturellement si Rulfo s’exprime de manière brève,
laconique, et parfois utilise le silence, ce qui est propre aux paysans
jalisciens, Kourouma par contre, en partant de l’art du griot,
développe un langage plutôt foisonnant. L’un comme l’autre
respecte scrupuleusement ce qui met en valeur l’ontologie profonde
de son peuple. Et c’est cette traduction, cette interprétation, mieux,
cette restitution fidèle de l’ontologie profonde de leurs concitoyens
dans leur langage littéraire qui leur confèrent, à la fois, leur
authenticité et leur originalité.
Comme nous allons le voir, la plus grande réussite de Juan
Rulfo et d’Ahmadou Kourouma réside indiscutablement dans
l’expressivité de leur langage et dans l’authenticité de celui-ci. Tour
à tour, ils passent du langage courant au langage anecdotique, du
simple discours au langage gestuel ou postural, du silence à ce qu’il
convient d’appeler ici le langage culturel : c’est-à-dire, la manière
d’être, les mots, les expressions, les aphorismes pris crûment dans
leur langue d’origine et traduits en espagnol ou en français même si,
parfois, ceux-ci ont un équivalent dans la langue de Cervantés ou de
Molière. En plus de cette « nationalisation » de l’espagnol et du
1 Florence Olivier. ‘‘Techniques narratives et représentations
du monde dans le conte latino-américain’’, in América,
Cahiers du CRICCAL. Paris : Service des Publications,
Université de la Sorbonne Nouvelle Paris III, n°2, 2ème
semestre 1986, pp.223-224.
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Juan Rulfo et Ahmadou Kourouma :de la
mexicanisation de l’espagnol à l’africanisation du français
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français, certaines exclamations ou expressions nous sont
directement données dans la langue locale sans être traduites, ce qui
surdétermine le caractère référentiel du mot ou de l’expression en
question.
Notre objectif dans ce travail n’est pas de recenser les
différents langages employés par les deux auteurs. Nous nous
emploierons plutôt à montrer comment, dans leur souci
d’authentification de leur langage littéraire, ceux-ci ont
respectivement «américanisé»’ (mexicanisé) ou «africanisé»
(ivoirisé) l’espagnol et le français. Aussi, pour mettre en relief ce
processus d’appropriation et de nationalisation de ces langues,
examinerons-nous respectivement à travers El llano en llamas et
Pedro Pàramo de Juan Rulfo et Les Soleils des Indépendances
d’Ahmadou Kourouma 1°) Le langage référentiel, 2°) Le langage
populaire et ce que nous appelons 3°) Le langage culturel. Grâce à
ces instruments, Juan Rulfo et Ahmadou Kourouma ont accultu
l’espagnol et le français en leur conférant des traits culturels nahuas
et malinkés.
I. LE LANGAGE RÈFÈRENTIEL
Nous appelons langage référentiel tout langage identifiable grâce à
une localisation géographique, climatique, à la faune ou à la flore, à
l’accent (dans le cas de l’expression orale), et aux mots ou
expressions typiques d’une aire culturelle donnée. Le langage
référentiel est ainsi une façon de s’exprimer en indiquant le lieu
l’on se situe, en nommant les choses qui nous entourent et en parlant
comme parlent nos concitoyens sans rechercher à polir notre
expression, c’est-à-dire sans l’élever aux normes académiques. Le
langage référentiel est donc une dénudation de soi pour laisser
transparaître ce qui, ontologiquement et morphologiquement,
constitue notre personnalité et donc nous distingue des autres.
Pour ce faire, Juan Rulfo et Ahmadou Kourouma ont mis
l’accent sur les référents géographiques et climatiques dans El llano
en llamas, Pedro Pàramo et Les Soleils des Indépendances.
1.1. El llano en llamas, Pedro Pàramo
Sans pour autant se comporter comme une œuvre historique,
l’espace romanesque de Juan Rulfo jouit d’une « référentialité » tant
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abondante que multiforme. Certains référents, loin de se contenter
des critères géographiques, sont doublés de signifiances tantôt
historiques, tantôt politiques et, parfois, les deux à la fois. Compte
tenu de leur grand nombre, nous nous contenterons de répertorier
ceux qui nous semblent les plus expressifs : San Gabriel, Sayula,
México, Ciudad Juàrez, Tejas (Texas), Oregòn, Colima,
Guadalajara, pour ne citer que ceux-là.
Si des référents comme Sayula, México, Oregòn, Colima,
Guadalajara, etc., peuvent être considérés uniquement du point de
vue de leur ancrage géographique national mexicain ou extra-
territorial, d’autres comme San Gabriel, Ciudad Juàrez ou Tejas,
comportent des charges affective, sociale, politique ou historique qui
méritent qu’on s’y attarde un peu.
D’abord San Gabriel. Selon les biographes de Juan Rulfo,
bien que né à Apulco, il fut emmené très jeune à San Gabriel et ce
fut dans cette ville qu’il aurait passé son enfance, suite à l’assassinat
de la quasi totalité de ses parents, dû à la guerre des Cristeros2
(1926-1928). La référence à San Gabriel se trouve surtout dans le
conte « En la madrugada », où cette ville sert de cadre exclusif au
récit. Dans ce conte, Rulfo raconte l’histoire de l’assassinat d’un
maître par son employé. Est-ce une remémoration de la guerre des
Cristeros au cours de laquelle l’auteur avait perdu la plupart de ses
parents ? Ce qu’on ne sait pas précisément, selon Carlos Blanco
Aguinaga, c’est le lieu précis où se trouvait Rulfo lorsque cette
guerre avait éclaté. Etait-ce dans son village de naissance, Apulco,
ou bien à San Gabriel ? Quoi qu’il en soit, le fait de consacrer un
conte entier à San Gabriel et d’y raconter l’histoire d’un assassinat
n’est peut-être pas totalement fortuit.
Le second référent géographique qui a retenu notre attention
est Ciudad Juàrez. D’une part à cause sa position limitrophe avec les
2 Guerre des ‘‘Cristeros’: guerre qui, entre 1926 et 1928, avait
opposé l’État fédéral mexicain à l’église catholique. En effet,
cette dernière s’était opposée par les armes aux réformes
préconisées par la Révolution mexicaine, surtout celles du
système de l’enseignement. Ce soulèvement de l’église avait
été encouragé par la papauté.
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