Diagnostic et exploration un déficit immunitaire héréditaire ?

THÉMATIQUE À TAPER52es JOURNÉES DE BIOLOGIE CLINIQUE NECKER – INSTITUT PASTEUR
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Diagnostic et exploration
un décit immunitaire héréditaire ?
Capucine Picard
a,b,c,*
1. Introduction
Les décits immunitaires héréditaires (DIH) ont une fré-
quence estimée à 1 naissance sur 5 000 dans la popula-
tion générale. Il existe actuellement plus de 200 décits
immunitaires rapporté, dont plus de 150 ont une base
moléculaire identiée [1]. La majorité des DIH sont symp-
tomatiques au cours de l’enfance, mais certains comme
décit immunitaire commun variable (DICV) peuvent se
révéler à l’âge adulte. Les DIH sont généralement respon-
sables d’une prédisposition infectieuse, mais ils peuvent
être aussi responsables de manifestations auto-immunes
ou de lympho-proliférations. Comment identier ces DIH
sans multiplier les investigations ? Le but de cet article est
de guider le clinicien et le biologiste dans leur démarche
diagnostique d’un patient suspect de DIH.
2. Examens orientant
le diagnostic du déficit
immunitaire héréditaire
Un DIH doit être recherché devant un ou des signes clini-
ques d’alertes (tableau I) [2]. Le bilan à aliser en première
intention fait appel à des examens simples et de routine
qui va permettre d’orienter le diagnostic vers un type de
DIH. Les premiers examens à réaliser sont une numéra-
tion de la formule sanguine (NFS) plaquettaire, un dosage
pondéral des Immunoglobulines (Ig) en pédiatrie ou une
électrophorèse des protéines (EPP) chez l’adulte et des
sérologies post-vaccinales et/ou post-infectieuse [2].
2.1. La NFS
La NFS plaquettaire permet d’apprécier la formule leuco-
cytaire qui sera à interpréter en valeur absolue en fonction
de l’âge du patient. En effet, la lymphocytose du jeune
enfant, doit être interprétée en fonction de son âge du
fait de l’hyperlymphocytose physiologique [3]. Une lym-
phopénie orientera vers un décit de l’immunité cellulaire
(immunité dépendante des lymphocytes T). Une neutropé-
nie isolée peut être responsable des manifestations infec-
tieuses lorsqu’elle est généralement inférieure à 500/mm3.
Une numération normale des polynucléaires neutrophiles
sur un examen n’élimine pas une neutropénie cyclique,
celle-ci devra être recherchée par des NFS successives
hebdomadaires. Cinq gènes ont été identiés dans le
cadre des neutropénies congénitales, certaines avec une
transmission autosomique dominante et d’autres avec une
transmission autosomique récessive [1]. La numération
apporte également d’autres informations, une anémie,
une thrombopénie ou/et une neutropénie dans le contexte
d’un décit de l’immunité cellulaire peuvent représenter
des stigmates d’auto-immunité, complication fréquente de
ce type de décit. Le frottis sanguin permet de rechercher
des corps de Jolly qui permettra d’évoquer une asplénie
ou une hyposplénie.
2.2. Le dosage pondéral des Ig
et électrophorèse des protides
Le dosage pondéral des IgG, des IgA et des IgM apporte
des éléments aux diagnostics des déficits immunitai-
res humoraux (lymphocytes B) et des décits immuni-
taires combinés (touchant à la fois les lymphocytes T
© 2010 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.
a Centre d’étude des déficits immunitaires
Hôpital Necker-Enfants Malades (AP-HP)
149, rue de Sèvres
75743 Paris cedex 15
b Génétique humaine des maladies infectieuses
INSERM U550 – Faculté Necker, Paris.
c Université Paris Descartes, Paris.
* Correspondance
Tableau I – Les signes d’alertes
qui doivent faire évoquer et rechercher un DIH :
1. Des infections récurrentes des voies respiratoires hautes et
basses:
Fréquence
- plus de 8 otites /an (pendant l’automne et l’hiver) chez les moins
de 4 ans,
- plus de 4 otites /an (pendant l’automne et l’hiver) chez les plus
de 4 ans,
- plus de 2 pneumonies par an ou > 2 sinusites/an.
2. Des infections sévères avec des germes de type pneumocoque,
Haemophilus, Neisseria : un seul épisode de méningite ou sepsis
se doit d’être exploré.
3. Des infections à bactéries pyogènes récurrentes
(cutanée, invasive, tissulaire, etc.).
4. Des infections récurrentes avec le même type de pathogène.
5. Des infections inhabituelles et/ou d’évolution inhabituelle
(ex. infection par un germe opportuniste, diarrhée infectieuse
persistante, un muguet ou candidose cutanée récidivante).
6. Une cassure de la courbe staturo-pondérale et/ou une diarrhée
persistante.
7. Autres signes : eczéma, auto-immunité (ex. cytopénie auto-immune),
inammation chronique ou une lympho-prolifération (adénopathies
et hépato-splénomégalie).
8. La présence d’antécédents familiaux de décit immunitaire
ou des mêmes signes cliniques.
Dossier scientifique
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et les lymphocytes B). Cependant, ces dosages sont
difficilement interprétables avant l’âge de 4 mois, car
à cet âge l’essentiel des IgG sont d’origine mater-
nelle, par la suite les taux devront être interprétés en
fonction de l’âge pour les enfants [2]. Un dosage des
sous-classes des IgG (1,2, 3 et 4) ne sera proposé
qu’aux patients de plus de 18 mois. Une EPP sera à
réaliser en première intention à la place du dosage des
Ig chez l’adulte. Ces dosages permettent d’apprécier
la production globale d’anticorps sans tenir compte
de leur spécificité.
2.3. Les sérologies post-vaccinales
et post-infectieuses
L’étude des sérologies post-vaccinales (par ex : anti-
tétanique, anti-diphtérie, antipolio, anti-Haemophi-
lus et anti-pneumocoque) après vaccination et des
sérologies après une infection patente permet d’ap-
précier la capacité de production d’anticorps spéci-
fiques qui peuvent être de deux types, soit de type
anti-protidique ou de type anti-polysaccharidique.
Les anticorps de type anti-protidique font appel à
une coopération entre les lymphocytes T et B, ils sont
produits après une infection ou après une vaccination
(par exemple : vaccin antitétanique et vaccin conju-
gué anti-pneumocoque). Les anticorps de type anti-
polysaccharidiques font eux appel à une réponse
lymphocytaire B seule, ils sont produits après une
infection par un germe encapsulé, (par exemple : le
pneumocoque) ou bien après une vaccination par les
vaccins non-conjugués anti-pneumocoque ou anti-
méningocoque. Les allo-hémagglutinines sont égale-
ment des anticorps de type anti-polysaccharidiques,
ce sont des anticorps naturels dirigés contre les anti-
gènes des groupes sanguins A ou B. Ils ne sont pas
évaluables chez les sujets de groupe sanguin AB. Il
est également important de savoir que l’enfant de
moins de deux ans présente de manière physiologi-
que un défaut de production de ces anticorps anti-
polysaccharidiques, la production de ces anticorps
n’est donc évaluable qu’après cet âge. L’ensemble des
sérologies doit être également interprété avec prudence
pendant les 6 premiers mois de vie, période pendant
laquelle il peut exister des sérologies faussement posi-
tives dues à la persistance d’anticorps maternels.
3. Examens biologiques
de deuxième intention
Dans la grande majorité des cas, l’ensemble des élé-
ments apportés par ces examens simples (NFS, dosa-
ge pondéral des IgG, A, M, EPP et les sérologies)
conjointement à ceux apportés par l’anamnèse et
l’examen clinique, permet de cibler les examens
demandés en deuxième intention selon le type de DIH
suspecté.
3.1. Le phénotypage des lymphocytes
du sang périphérique
Cet examen quantitatif utilise des anticorps monoclo-
naux qui reconnaissent des molécules membranaires
spécifiques des populations lymphocytaires. Ces anti-
corps monoclonaux sont détectés par une technique
d’immunofluorescence à l’aide d’un cytomètre de flux.
La molécule CD3 est spécifique des lymphocytes T qui
se repartissent en deux sous populations CD4+ (lym-
phocytes auxiliaires) et CD8+ (lymphocytes cytotoxi-
ques). Les molécules CD19 et CD20 sont spécifiques
des lymphocytes B. Les cellules Natural Killer (NK)
quant à elles expriment les molécules CD56 et CD16.
La numération des lymphocytes T, des sous popula-
tions lymphocytaires T, des lymphocytes B et NK doit
être interprétée en valeur absolue et selon l’âge du
patient [3]. Ces quelques marqueurs sont utilisés le
plus fréquemment, mais de nombreux autres anticorps
monoclonaux peuvent être utilisés lorsqu’un phénoty-
page des populations lymphocytaires plus poussé est
nécessaire pour confirmer le DIH suspecté.
3.2. Étude fonctionnelle
des lymphocytes T
La fonction des lymphocytes T peut être évaluée in vitro
par le test de transformation lymphoblastique (TTL) qui
mesure la capacité proliférative des lymphocytes T vis-
à-vis de mitogènes ou d’antigènes. Les mitogènes sont
capables de stimuler les lymphocytes T de manière
non spécifique, c’est-à-dire sans immunisation préa-
lable. Le mitogène le plus couramment utilisé est la
phyto-hémagglutinine (PHA). Les TTL en réponse aux
antigènes nécessitent une sensibilisation antérieure du
patient, soit par vaccination (par ex. anatoxine tétani-
que, tuberculine, poliovirus), soit par infection (par ex.
Candida albicans, Herpes virus). Les TTL vis-à-vis des
antigènes vaccinaux ne sont interprétables cependant
que durant l’année qui suit la vaccination. Un test négatif
au-delà de ce délai nécessite une confirmation après
un rappel vaccinal [2].
3.3. Étude fonctionnelle
des polynucléaires
Les fonctions des polynucléaires dépendent du mouve-
ment, de l’adhésion, de l’endocytose et de la destruction
des particules ingérées. Le mouvement et l’adhésion
sont explorés par l’étude du chimiotactisme spontané
et en présence de substances chimio-attractantes. Les
fonctions phagocytaires qui étudient l’explosion oxyda-
tive (mécanisme mis en jeu pour détruire le pathogène
endocyté) font appel à la capacité de réduction de ces
cellules, grâce à la génération d’ions superoxyde O2-
après activation. Le test de réduction au nitro bleu de
tétrazolium (NBT) permet de détecter cette réduction
en microscopie optique dans les polynucléaires neutro-
philes. Cette capacité de réduction des polynucléaires
neutrophiles peut également être évaluée par cytométrie
en flux avec la dihydrorhodamine (DHR) [4]. Et enfin,
le test de chimioluminescence qui mesure l’émission
d’énergie lumineuse émise par l’explosion oxydative
des phagocytes grâce à un compteur à scintillation
peut également être utilisé [4].
3.4. Examens utiles dans le diagnostic
des déficits en complément
La voie classique du complément est explorée par le
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dosage du CH50. Un défaut d’un des composés du Cl
au C9 entraîne une baisse du CH50 et le diagnostic
sera confirmé par le dosage spécifique des divers
composants [5]. La voie alterne du complément est
étudiée par le dosage de l’AP50, en cas d’anomalie
l’exploration sera complétée par le dosage des diffé-
rents composés (D, H, I et properdine). Des défauts
génétiques de tous les composés ont actuellement
été décrits. Parmi les déficits du complément, les
déficits en C3, C4, C5, C6, C7, C8 et en properdine
sont plus particulièrement responsables d’infections à
répétition. Les déficits en protéines H et I, entraînant
un déficit en C3 par consommation, peuvent être res-
ponsables d’infections récurrentes.
4. Conclusion
En cas de normalité de l’ensemble de ces explora-
tions immunitaires, il ne faut cependant pas éliminer le
diagnostic de DIH, car c’est avant tout un diagnostic
clinique et les explorations connues actuellement n’ex-
plorent qu’une partie du système immunitaire. De plus,
l’observation clinique attentive permet le diagnostic
de nouveaux DIH et le développement de nouvelles
explorations immunologiques. En cas de suspicion de
DIH, il ne faut pas hésiter à demander un avis auprès
d’un immunologiste pour orienter au mieux l’explora-
tion du patient.
Références
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[4] Emmendorffer A, Nakamura M, Rothe G, Spiekermann K,
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[5] Dragon-Durey MA, Fremeaux-Bacchi V. [Complement component
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