I / POSITION DU PROBLEME
La démographie médicale constitue un sujet sensible dans le développement des politiques
de santé depuis une vingtaine d’année, à tel point qu’elle a souvent été considérée comme un
moyen prioritaire de régulation de l’offre et de l’accès aux soins, donc un élément essentiel
structurel de l’économie de la santé, qui reste un des rares pans économiques à être encore
administrés. Plusieurs rapports officiels se sont succédés depuis 1990 (cf. partie V). Le besoin de
ne pas considérer isolément la démographie médicale, mais au contraire de la positionner en
fonction des acteurs environnants (paramédicaux, industriels, distributeurs) et des bénéficiaires
(malades, populations à risques), est récent : seul le Rapport Berland d’octobre 2002 a amorcé
réellement cette approche. Depuis, de nombreux travaux se sont penchés sur le devenir de la
démographie médicale avec parfois une remise en cause importante des idées et des travaux
antérieurs (cf. par ex. le rapport 2004 de l’ONDPS : Observatoire National de la Démographie des
Professions de Santé). Il n’est plus possible de ne pas tenir compte des besoins de la population,
lesquels doivent intégrer l’évolution des techniques médicales diagnostiques et thérapeutiques, et la
légitime revendication de pouvoir en bénéficier pour tout un chacun. La Santé a trop souvent et
trop longtemps été considérée comme un fardeau par certains responsables politiques et
économiques. Il n’est toujours question que de dépenses de santé, en mettant soigneusement de
côté tous les apports positifs pour les individus, pour la société et pour l’économie. La Santé n’est
pas un mal nécessaire du point de vue social et économique, elle est un bien d’ordre supérieur. Elle
est une des plus parfaites illustrations de ce que peut amener, avec l’éducation, le développement
de la civilisation. L’amélioration de la santé de la population devient progressivement, dans les
pays les plus développés, un des devoirs régaliens de l’Etat. En France, la distribution des soins
constitue l’un des derniers domaines où la devise de la République ait encore un sens : Liberté,
Egalité, Fraternité (= solidarité par l’entremise de la Sécurité Sociale), la Santé fait donc partie du
socle de la société française. Par ailleurs, la Santé va représenter, dans les trente prochaines années,
par l’action conjuguée des progrès médicaux et du vieillissement de la population, une des
principales sources de développement économique des pays occidentaux.
Si la démographie médicale est à ce point d’actualité, c’est aussi parce qu’après avoir parlé
pendant près de vingt ans de pléthore médicale, une pénurie grave (en tout cas annoncée comme
telle) est devant nous après 2010. Ce basculement rapide, en une petite poignée d’années, de
l’idéologie pléthorique à celle de la disette insupportable, devrait rendre humble, prudent et
favoriser la mise au panier des théories fumeuses ou à l’emporte-pièce pour enfin réaliser une
analyse rigoureuse de la situation et des moyens à mettre en œuvre pour faire face à l’avenir et
ainsi réaliser un développement médical, social et économique harmonieux et conjoint. Cela n’est
pas gagné d’avance, ne serait-ce qu’en regardant les propositions simplistes que certains
« spécialistes » auto-proclamés font au sujet de l’ophtalmologie.
L’ophtalmologie va, dans les vingt prochaines années, affronter les mêmes problèmes que
le reste de la médecine, avec cependant quelques particularités, qui seront énoncés par la suite, et
pourra bénéficier des mêmes solutions générales. La principale particularité est que
l’ophtalmologie est en avance : en avance sur la « pénurie » annoncée de médecins, en avance sur
l’augmentation de la demande de la part de la population, en avance sur les effets du vieillissement
(accroissement rapide du nombre de cataractes par ex.), en avance sur les solutions et leurs
expérimentations (stabilisation démographique, délégations de tâches, complémentarités avec
d’autres acteurs). Une des autres particularités est que l’ophtalmologie est « maître d’œuvre »
d’une véritable filière de soins, assez bien individualisée (mais pas totalement) au sein de la
médecine ; certains des acteurs de cette filière n’ont que peu d’utilité en dehors d’elle. Le cas de