IXe Congrès mondial de
droit constitutionnel
Oslo 16-20 juin 2014
«Défis
constitutionnels:
Globaux et
Locaux »
Atelier 12: Constitutions
et crise financière
Présidents : Cheryl Saunders
Elena- Simina Tanasescu
Eugenia KOPSIDI
Doctorante à l’Université d’Aix Marseille
Institut Louis Favoreu
Groupe d’Etudes et de Recherches Comparées
sur la Justice Constitutionnelle
Le renforcement du pouvoir exécutif sous l’effet des crises
financières. L’exemple américain, argentin et grec.
« Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle »1.Cette
appréhension, chère à Carl Schmitt, de la souveraineté comme volonté insurmontable
s’imposant en dernier ressort, lorsque des temps impérieux l’exigent, nous paraît tout
particulièrement appropriée pour analyser le sort qui est aujourd’hui fait à la
souveraineté, ou pour être plus précis, pour analyser les mutations de la répartition des
pouvoirs - expressions de la souveraineté - provoquées par l’actuelle crise économique.
Malgré les différences nationales, on assiste, avec la crise économique actuelle, à
un même phénomène. Celui d’une réorganisation des pouvoirs au profit du pouvoir
exécutif et au détriment du pouvoir législatif, notamment pour des raisons de célérité.
Le temps économique n’est pas le temps politique du débat. Problème, lorsque la
situation exceptionnelle tend à devenir la norme, déséquilibre structurel de la
répartition des pouvoirs et danger pour la démocratie.
Chaque crise économique, et quelle que soit son ampleur ou sa durée, n’a pas
uniquement des conséquences sur la vie économiques d’un pays. Elle affecte également
ses institutions. Les situations d’urgence déclenchées par les crises économiques
nécessitent des adaptations rapides et efficaces de la part du pouvoir politique. C’est sur
la base de ce truisme que se déploie classiquement l’argumentaire favorable au
renforcement du pouvoir exécutif et à la dégradation simultanée du rôle du pouvoir
législatif. Ce renforcement se manifeste notamment par le transfert de certaines
attributions législatives vers le gouvernement.
Pour faire face aux problèmes économiques du pays, les gouvernements
nationaux, font appel aux dispositions constitutionnelles d’urgence. Ainsi, le pouvoir de
l’exécutif de légiférer, prévu dans tout ordre juridique pour affronter des situations
« difficiles », se transforme d’une procédure exceptionnelle à une règle d’utilisation
normale. Les normes émises et qui ont force de loi, sont principalement d’origine
gouvernementale alors que l’action du pouvoir législatif est marginalisée.
Pour étudier ce phénomène, nous nous proposons d’examiner trois pays qui ont
connu de profondes crises économiques et pour cela ils constituent des exemples
emblématiques de ce phénomène dangereux pour la démocratie.
Premièrement, le krach de 1929 aux Etats-Unis marque le début de la plus
grande crise économique du 20ème siècle. Dès son arrivée au pouvoir en mars 1933, le
Président Franklin Delano Roosevelt exerce la quasi-totalité de l’activilégislative tout
1 C.Shmitt, Théologie Politique (en grec), Ed. Leviathan, Athènes, 1994, p.130
en se substituant au Congrès pour tenter de gérer la situation de chaos qui sévît dans le
pays. Ainsi, soit par la voie des « executive orders », sorte de décrets réglementaires
entrant en vigueur avec la seule signature du Président, soit par des légations
législatives extrêmement vastes, Roosevelt concentre tout le pouvoir entre ses mains.
Son fameux programme « de 100 jours », qui comprend une série de strictes
mesures interventionnistes, constitue une délégation de pouvoir sans précédent, et
pour ainsi dire, la plus importante de toute l’histoire des Etats-Unis2. Ayant pour devise
principale3 que les situations extraordinaires exigent des pouvoirs extraordinaires, le
Président Roosevelt demande au Congrès les pouvoirs qu’il aurait eu en cas de guerre,
afin de pouvoir lutter contre la crise. Ainsi, au nom de la survie du pays, la solution
adoptée dépasse les limites posées par le principe fondamental de la séparation des
pouvoirs4.
Le même phénomène est observé plus d’un demi-siècle après en Argentine. En
juillet 1989, dans un contexte marqué par l’hyperinflation et l’instabilité économique, au
milieu d’une grande crise économique et sociale, l’arrivée et l’exercice du pouvoir de
Carlos Menem fait de ce dirigeant le symbole de l’hyper présidentialisme. Afin de
mettre fin au problème d’inflation excessive, et en accusant le pouvoir législatif d’un
manque de réactivité, Carlos Menem réussit à gouverner sans que le Parlement ne
parvienne à entraver sa pratique du pouvoir. En invoquant des situations d’urgence
économique, il arrive à effectuer des reformes structurelles radicales, sans l’autorisation
préalable du pouvoir législatif. Plus précisément, il émet massivement des décrets de
nécessité et d’urgence et utilise son pouvoir de veto partiel pour bloquer toute initiative
de la part du Congrès. Ainsi, se plaçant en conflit constant avec le pouvoir législatif, le
Président Menem adopte des mesures exceptionnelles et exerce un pouvoir autoritaire
durant les 10 ans de sa présidence.
Cependant, les reformes ultralibérales menées en Argentine par Carlos Menem,
constituaient dans la réalité l’application à la lettre des programmes d’ajustement dictés
par le Fonds Monétaire International (F.M.I). La dépendance économique dun pays à
une institution internationale affecte sans conteste non seulement le contenu des
décisions prises par les gouvernants du pays mais également son organisation
institutionnelle. Ainsi, outre la mutation du processus législatif due à la marginalisation
du pouvoir législatif, l’intervention du FMI soulève des questions sérieuses sur le respect
des principes démocratiques et l’exercice de la souveraineté nationale.
D’ailleurs, le même phénomène de renforcement du pouvoir exécutif au
détriment du législatif survient à l’heure actuelle en Grèce. Dans un contexte de crise
2 C. Rossiter, Constitutional Dictatotorship, Crisis Government in modern democracies, Princeton University Press,
1948, p.260
3 Id. p. 256
4 Articles I, II de la Constitution américaine concernant les compétences des pouvoirs législatif et exécutif.
économique violente, qui menace non seulement l’appartenance du pays à la zone euro,
mais l’existence de la zone elle-même, l’équilibre des pouvoirs devient particulièrement
problématique. La pléthore de mesures adoptées par les gouvernements grecs depuis le
début de la crise en 2008, et ayant comme objet principal la réduction du déficit public,
sont en effet entrées en vigueur grâce à des procédures parlementaires d’exception.
Ainsi, les actes législatifs du gouvernement et le vote des lois selon des processus
abrégés, deviennent la pratique habituelle de l’action législative. En outre, les vastes
délégations législatives accordées aux ministres compétents contribuent à la
marginalisation indirecte du Parlement. Ce déséquilibre institutionnel, effectué au nom
des circonstances exceptionnelles, constitue le résultat des décisions prises à un niveau
supranational.
En effet, dans le cas grec, la fameuse troïka (qui comprend l’UE, le FMI, et la BCE),
ayant accordé des prêts pour la restructuration économique du pays, a conditionné
l’octroi d’aide financière à l’application de politiques spécifiques. Ainsi, il est clair que
l’adoption de mesures spécifiques dérive des engagements nationaux imposés par les
créanciers du pays. Pour cette raison le gouvernement apparaît comme un simple
exécutant de décisions prises de l’extérieur.
En prenant en considération l’environnement internationalisé, les Etats sont de
moins à moins libres de déterminer seuls les moyens mis en œuvre pour surmonter une
crise économique. Le problème d’équilibre des institutions au niveau national s’avère
alors particulièrement complexe. La dépendance économique vis-à-vis des institutions
internationales, affecte différemment la répartition des pouvoirs au sein de chaque
pays. De plus, elle restreint drastiquement la marge de manœuvre laissée aux acteurs
nationaux et met en cause le principe de la souveraineté étatique. Même au niveau
européen, le degd’implication des organes de l’Union Européenne n’est pas toujours
justifié par l’existence d’une zone monétaire commune et la nécessité de sa stabilité, et
les politiques prônées aggravent le déficit démocratique préexistant.
Pour appréhender dans toute sa complexité ce phénomène contemporain, il est
nécessaire de revenir sur un exemple classique historique, une grande Nation
démocratique a permis un renforcement du pouvoir exécutif afin de faire face à la plus
grande crise économique du siècle (I). Toutefois, si les crises contemporaines
bouleversent elles aussi la répartition des pouvoirs, ce bouleversement est d’une toute
autre nature en ce qu’il résulte des engagements internationaux des Etats pris dans les
périodes de crise. Or, si classiquement on retient qu’un des aspects de la souveraineté
d’Etat réside avant tout dans sa capacité à s’engager dans l’ordre international, ces
engagements internationaux - se substituant aux élaborations internes de la norme de
droit - se traduisent par voie de conséquence dans l’ordre interne par une
marginalisation renforcée du pouvoir législatif (II).
I- L’expérience américaine : La présidence Roosevelt : gouverner par
« executive orders »
Les actes législatifs issus du pouvoir exécutif, institués dans chaque ordre juridique
en tant qu’exception légitime au principe de la séparation des pouvoirs, trouvent leur
fondement dans le traitement efficace des situations urgentes. Cependant, en période
de crises financières, ayant forcement une durée assez prolongée, l’utilisation de ce
moyen dépasse souvent son caractère exceptionnel et remplace le rôle du pouvoir
législatif.
Le système américain de freins et contrepoids réserve une place bien définie et
relativement limitée au chef de l’exécutif concernant le processus législatif. Ainsi, la
procédure d’élaboration des lois appartient exclusivement au Congrès selon l’article I
§15 de la Constitution américaine. Le Président peut soit accepter et signer le projet de
loi soit le rejeter. Par contre, dans le cas il est en désaccord avec le contenu d’un
projet de loi, deux choix s’offrent à lui. Il peut d’abord exercer son droit de veto et
renvoyer le texte avec ses objections à la chambre de laquelle il a émané. Si après un
nouvel examen de cette chambre, le projet de loi réunit une majorité de deux tiers des
membres de la chambre, il sera transmis à l’autre chambre et s’il est de nouveau
approuvé avec la même majorité de deux tiers, il acquiert force de loi. Le deuxième
choix du Président est de rester inactif et de ne pas renvoyer le projet de loi. Dans le cas
de non-renvoi par le Président du projet de loi dans une période de 10 jours, celui-ci
devient loi, à moins que le Congrès, par son ajustement, rende le renvoi impossible.
(Art. I, Sec. 7, §2 U.S Const.).
Malgré les possibilités limitées d’intervention du Président américain dans le
processus législatif, le chef de l’exécutif dispose d’un moyen précieux afin d’élargir le
champ de son action législative. Il s’agit des executive orders, qui bien que non prévus
par la Constitution, ont toujours été largement employés par les Présidents américains.
En effet, d’origine administrative, un executive order s’adresse, comme son nom
l’indique, aux agents exécutifs et a comme but l’application d’une loi. Pourtant, les
executive orders peuvent avoir force de loi avec leur seule publication dans le Federal
Register, à condition d’émaner d’un pouvoir directement accordé par la Constitution à
l’exécutif, ou s’ils s’appliquent conformément à un acte du Congrès (lequel confère
explicitement au Président un certain degré de pouvoir discrétionnaire)6.
Malgré la formulation abstraite du texte constitutionnel, le recours aux
« executive orders », exclut toute idée d’élaboration de la norme par le pouvoir
5 Larticle I§1 de la Constitution américaine prévoit que « Tous les pouvoirs législatifs accordées par cette Constitution
seront attribués à un Congrès des Etats-Unis, qui sera composé d’un Sénat et d’une Chambre des représentants ».
6 H.William, «Executive orders and the Development of Presidential Powers» , 17 Vill.Rev.688, 1972, p.8
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