7 Un exemple : à moins que
Considérons les deux phrases suivantes :
(26) Je ne sors pas à moins qu'il pleuve
(27) Je ne sors que s'il pleut
Comment exprimer leur signification en utilisant la logique des propositions? Ce que nous
permet la logique, c'est une traduction, comme quand nous traduisons du latin en français.
Une traduction parfaite, c'est une forme de la langue d'arrivée qui a la même signification, que
la phrase traduite, c’est à dire une forme qui exprime la même proposition. Notre approche
nous conduit en effet à réduire la signification prise en compte aux conditions de vérité. Une
traduction parfaite aura les mêmes conséquences logiques que la phrase de départ. Mais très
souvent, en traduction, nous nous contentons d'une bonne traduction, ou mieux, de la
meilleure traduction possible : c'est-à-dire de la phrase de la langue d'arrivée dont la
signification est la moins éloignée de celle de la phrase de départ.
Les deux propositions atomiques constitutives de (26) et (27) sont manifestement :
P: Je sors
Q : il pleut
Le premier travail consiste à bien se mettre d'accord sur la signification des phrases (26) et
(27). Pour ce faire, la méthode consiste à dégager des propositions qui sont sans conteste des
conséquences logiques de ces phrases, et à considérer la conjonction de ces conséquences
logiques comme la signification de la phrase.
La proposition ¬Q
¬P (s’il ne pleut pas, je ne sors pas) est sans discussion possible une
conséquence logique de (26) et (27) :
(28) non P à moins que Q |= ¬Q
¬P
ne P que si Q |= ¬Q
¬P
Une question beaucoup plus ardue est de savoir si Q
P (s’il pleut je sors) est une
conséquence logique de (26) et (27).
Les avis sont sans aucun doute partagés sur ce point. Pour beaucoup de personnes, ce n'est pas
absolument obligatoire, mais c'est presque toujours "sous-entendu".
Il est vrai en effet que dans certains emplois, Q
P n’est pas une conséquence logique.
Considérons (29) :
(29) Une voiture ne démarre que si elle a du carburant.
Celui qui admet cette phrase n’est certainement pas prêt à admettre (30) :
(30) Si une voiture a du carburant, elle démarre.
Pour la plupart d’entre nous, (29) est vrai, mais (30) ne l’est pas : il y a bien d’autres raisons
que l’absence de carburant qui empêchent une voiture de démarrer. Donc ne P que si Q n’a
pas pour conséquence logique Q
P.
Nous essaierons de traiter dans le chapitre suivant de ces éléments "presque toujours sous-
entendus", et pour l'instant, nous admettrons comme hypothèse de travail que deux traduction
sont possibles, soit (31) :
(31) Deux hypothèses de traduction pour non P à moins que Q et ne P que si Q.
Je ne sors pas à moins qu'il pleuve
Je ne sors que s'il pleut
1 2
(¬ Q ¬ P)
(
Q
P) (¬ Q ¬ P)
s’il ne pleut pas je ne sors pas s’il ne pleut pas je ne sors pas
et s’il pleut je sors
En utilisant les méthodes introduites dans ce chapitre, nous pouvons donner d'autres
traductions équivalentes, dont certaines sont plus simples :
(32) D’autres formulations de traduction pour non P à moins que Q et ne P que si Q :
Je ne sors pas à moins qu'il pleuve
Je ne sors que s'il pleut
1 2
(¬ Q ¬ P) (QP) ¬ Q ¬ P
PQ Q¬ P
Il est très facile d'enrichir cette liste en utilisant ces méthodes.
Intéressons-nous au fait que pour beaucoup de locuteurs, et dans beaucoup de contextes ces
deux phrases se traduisent au moyen de la bi-conditionnelle "" (branche 1 de notre
hypothèse de travail).
Une première observation est que ces formules assez compliquées et opaques (ne pas P à
moins que Q, ne P que si Q) correspondraient en fait, si l’hypothèse de traduction 1 est
correcte, à un connecteur simple, la bi-conditionnelle. En français comme dans beaucoup de
langues naturelles, il n'y a pas de mot simple qui corresponde à l'équivalence logique.
Dans les discours scientifiques en langue naturelle, et peut-être en raison de l'ambiguïté des
précédentes expressions, on utilise en général, pour exprimer la bi-conditonnelle, la formule
un peu lourde si et seulement si, dont il est facile de retracer la composition :
(33) Je mange si et seulement si j’ai faim.
La formule si et seulement si est explicitement une conjonction (et) dont un des termes est une
proposition complexe comportant un si, dont la meilleurs traduction en logique est
l'implication :
(34) Si j’ai faim, je mange F M
et
Je mange seulement si j’ai faim ?
La traduction proposée par les locuteurs de P seulement si Q semble être en général la même
que celle qu'ils proposent pour ne pas P à moins que Q, et ne P que si Q, c'est-à-dire que
deux solutions sont proposées :
(35) Hypothèses de traduction pour P seulement si Q
Je mange seulement si j’ai faim
1 2
(¬ F ¬ M) (F M) (¬ F ¬ M)
A nouveau, exactement comme dans le cas de ¬P à moins que Q, et de ne P que si Q, la
formule P seulement si Q donne lieu à une hésitation entre deux traductions : une simple
implication (¬F
¬ M), ou une conjonction de cette implication avec sa version négative :
(¬ F ¬M) (F M).
Dans une telle situation (hésitation entre deux interprétations) deux hypothèses sont ouvertes :
1) la formule est réellement ambiguë ; 2) la formule a une seule interprétation, mais déclenche
souvent, en contexte, une implicature (nous reviendrons sur cette notion infra Chap 5) qui
enrichit son sens.
La forme particulière des deux interprétations suggère que 2) est l’hypothèse correcte. En
effet, les deux interprétations se laissent représenter comme une implication (branche 2) et
comme cette implication augmentée de sa version négative (branche 1).
Nous pouvons confirmer indirectement cette hypothèse en observant que chacune de ces
formules (¬M à moins que F, ne M que si F, et P seulement si Q) accepte d’être coordonné à
l’expression de l’implication si Q P, sans que l’adjonction soit perçue comme redondante.
Si nous essayons de conjoindre les traductions de P seulement si Q et de P si Q, nous
obtenons (36) :
(36) Hypothèses de traduction de P si et seulement si Q :
s'il pleut je sors
( Q P)
et je sors seulement s'il pleut
1 2
(¬ Q ¬ P) ( Q P) (¬ Q ¬ P)
(¬ Q ¬ P) ( Q P) ( Q P) (¬ Q ¬ P) ( Q P)
La branche de droite (2) nous donne une dérivation compositionnelle, et sans redondance de
l'interprétation "biconditionnelle" de P si et seulement si Q. Il s'agit d'une branche dans
laquelle nous considérons que la traduction (la signification) de P seulement si Q est
uniquement ¬ Q
¬ P.
La branche de gauche (1) nous donne le même résultat global, mais avec une redondance qui
peut nous faire douter que cette traduction de P seulement si Q soit correcte. En somme, au
cas P seulement si Q voudrait dire Q ¬ P) ( Q P), on ne comprend pas très bien
pourquoi il pourrait se combiner avec P si Q, puisque cette combinaison serait redondante.
La conclusion que nous devons tirer est que nous aurions avantage à considérer que la
signification de P seulement si Q est ¬ Q
¬P, et qu'il en va ainsi pour tous les éléments de
la série : non P à moins que Q et ne P que si Q.
Il nous restera alors à expliquer pourquoi
(
Q
P) est presque toujours "ajouté" à la
signification, et nous y reviendrons dans le chapitre suivant.
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