Quelques apports essentiels de loptique
quantique à linvestigation de la nature
de la lumière
Y C
Centre de Recherche en Physique de la Matière et du Rayonnement (PMR)
Département de Physique, Université de Namur
Rue de Bruxelles 61, B-5000 Namur, Belgique
yves.caudano@unamur.be
Résumé
Cet article met en avant quelques éléments clés qui ont approfondi notre
compréhension expérimentale et théorique des propriétés de la lumière
depuis la parution en  du compte-rendu « Vues générales sur les théories
de la lumière » par Louis de Broglie dans la Revue des Questions Scienti-
ques [], republié à loccasion de ce numéro thématique. Près de quatre-
vingts ans plus tard, malgré laccumulation considérable de nos connaissances
sur la lumière et la conception d’instruments optiques repoussant sans cesse
les limites de sa maîtrise technologique, la nature même de la lumière semble
encore nous échapper et demeure lobjet de controverses scientiques. Les
questions sur la nature de la lumière intègrent et éclairent inéluctablement
le débat sur linterprétation et la signication de la mécanique quantique.
Introduction
Quest-ce que la lumière ? Cette question, très naturelle étant donné le rôle
primordial que joue la vue dans nos vies, est trompeusement simple. Notre
perception directe de lenvironnement habite essentiellement le monde de la
physique classique, auquel lévolution biologique nous a spéciquement adap-
Revue des Questions Scientiques, ,  () : -

  
tés. La lumière nest pas de ce monde-là cependant, même si on l’y aperçoit. Et
c’est là que réside toute la diculté de saisir la nature de la lumière dès que
nous sommes confrons aux observations de son comportement en laboratoire.
Certes, la modélisation théorique de la lumière est élégante et le formalisme,
bien quabstrait, se prête même à l’intuition. Cependant, linterprétation des
observations dans la matrice classique de notre entendement semble encore
incapable d’échapper aux paradoxes. Pour appréhender ceux-ci, il convient de
présenter la nature dobjets modèles étudiés en physique classique, à savoir les
particules et les ondes, et dexpliquer la révision complète de ces concepts que
la physique quantique a imposée au e siècle.
Classiquement, les phénomènes de transport dénergie et de quantité de
mouvement s’expliquent par le déplacement de particules ou la propagation
dondes. Les premières sont localisées en un point de lespace et se conçoivent
telles des boules de billard, éventuellement inniment petites, dont nous pou-
vons suivre la trajectoire et étudier toutes les propriétés simultanément. Les
secondes sont associées à des oscillations, telles les vagues à la surface de leau
ou les vibrations dune corde, qui présentent une certaine extension spatiale et
temporelle, mais qui évoluent néanmoins localement de proche en proche.
Notons la distinction usuelle entre les ondes progressives, typiques des phéno-
mènes de propagation ondulatoire libre, et les ondes stationnaires, qui oscillent
sans se déplacer, caractéristiques des ondes piégées dans une cavité.
Le critère didentication d’un phénomène ondulatoire est lobservation
de la diraction et d’interférences []. La diraction dune onde est sa déviation
à proximité d’obstacles, alors qu’à grande distance de ceux-ci la propagation
des fronts donde est rectiligne. En particulier, si une onde plane se propageant
en ligne droite passe au travers dune fente étroite, à sa sortie, les fronts donde
se courbent et londe poursuit sa propagation dans toutes les directions en
adoptant une forme circulaire. Les interférences se produisent lorsque plusieurs
ondes de même nature se rencontrent et se superposent. Les oscillations locales
peuvent alors se renforcer mutuellement, formant une interférence constructive,
ou, au contraire, se compenser, dénissant une interférence destructive.
Les particules et les ondes sont des concepts féconds en physique classique.
Avantageusement, il en existe des exemples observables à lœil nu, facilitant
. Loptique géométrique étudie la propagation rectiligne de la lumière, décrite par des
rayons.
     

notre représentation mentale des phénomènes quils modélisent. Il est donc
naturel de poser la question de la nature de la lumière en ces termes: est-ce une
onde ou une particule ? Malgré lubiquité de ces modèles classiques, la réponse
à cette question ne fait pas lobjet dun consensus à lheure actuelle. A vrai dire,
la formulation même de la question est sujette à caution de par son exclusion
dalternative. Avant daborder les causes de cette situation, il est important de
noter que, pour la physique classique de la n du e siècle, la réponse est sans
équivoque le modèle ondulatoire. En eet, Young avait observé la diraction
et linterférence de la lumière []. Par ailleurs, en formulant sa théorie de l’élec-
tromagnétisme, Maxwell avait montré que la lumière est une onde électroma-
gnétique [] : une oscillation transverse, c’est-à-dire perpendiculaire à la
direction de sa propagation, d’un champ électrique et dun champ magnétique
[].
Remarquablement, létude de la lumière est à lorigine des deux grandes
révolutions de la physique du e siècle: la théorie de la relativité et la physique
quantique. La théorie de la relativité d’Einstein découle de l’observation expé-
rimentale de la constance de la vitesse de la lumière pour tous les observateurs,
y compris ceux en mouvement relatif []. Elle prouve que les notions despace,
de temps et de simultanéité de diérents observateurs leur sont relatives [].
Les eets relativistes prennent de lampleur aux vitesses très élevées, approchant
la vitesse de la lumière (  km/s), ce qui explique que nous ne les observons
pas directement dans la vie courante. La théorie de la relativité souligne aussi
que la masse est une forme dénergie, ce qui permet leurs conversions respectives
(via la relation E = mc2, c étant la vitesse de la lumière dans le vide) []. La
physique quantique est née du succès de deux hypothèses impliquant une forme
de granularité des échanges dénergie associés à la lumière, incompatible avec
la théorie ondulatoire classique et qui évoque des comportements habituelle-
ment associés aux particules classiques. D’une part, Planck parvient à reproduire
correctement les observations expérimentales de l’émission de la lumière par
un corps noir [] (le soleil pour xer les idées) en modélisant la lumière par des
ondes stationnaires dont l’énergie est quantiée, c’est-à-dire quelle nadopte
que des valeurs discrètes, multiples dun nombre entier. Il relie les sauts d’éner-
gie à la fréquence de londe à travers la relation E = hν, qui dénit la constante
fondamentale de la physique quantique (h, la constante de Planck). D’autre
. Appelée « mécanique ondulatoire » dans larticle de Louis de Broglie ou mécanique quan-
tique.

  
part, Einstein explique les observations caractéristiques de leet photo-élec-
trique (l’éjection délectrons dun métal due à l’absorption de la lumière) en
postulant que la lumière ne transfère son énergie à la matière que par paquets
dénergie discrets [], appelés quanta ou, désormais, photons. Ce rôle essentiel
de la lumière lors de la dénition des deux constantes fondamentales c et h
suggère sa nature à la fois relativiste et quantique.
La physique quantique brouille la frontière classique entre les particules et
les ondes. Parallèlement à la révision du modèle ondulatoire de la lumière, elle
impose aussi de revoir notre conception des particules. C’est dailleurs Louis
de Broglie qui proposa dassocier une longueur donde aux particules massiques
de la physique classique []. Lexpérience conrmera cette intuition exception-
nelle, notamment par lobservation de phénomènes de diraction et d’interfé-
rence de corps massiques, comme les électrons et les atomes. Cette dualité
mêlant comportements ondulatoires et corpusculaires est lune des dicultés
majeures de la compréhension des phénomènes quantiques si on poursuit leur
interprétation en termes dondes et de particules classiques. Dans son exposé
« Vues générales sur les théories de la lumière » daté de , Louis de Broglie
explore les théories avancées historiquement pour comprendre la nature de la
lumière. Sa classication des phénomènes lumineux en cinq catégories pose
nettement le débat en termes de confrontation entre les conceptions ondula-
toires et corpusculaires des phénomènes lumineux. Il évoque la synthèse quap-
porte de son point de vue la physique quantique sur cette dualité. En dénitive,
il avance une hypothèse sur la nature de la lumière, qu’il suggère être une paire
de neutrinos, dont lexistence supposée n’avait pas encore été prouvée à l’époque.
Lanalyse de l’auteur ore un aperçu riche denseignements sur sa pensée
à une époque encore proche des débuts de la physique quantique. On y découvre
des idées restées dactualité, conjointement à dautres non conrmées par lex-
périence. Il ne fait aucun doute que son opinion exprimée alors sur la nature
de la lumière continuera dévoluer puisque ses activités scientiques se pour-
suivront pendant plusieurs décennies. Nous naborderons pas cette question
dordre historique. Dans la suite, nous présentons quelques expériences et
concepts théoriques liés à loptique quantique, complémentaires à lanalyse de
. Les phénomènes neutres (explicables indiéremment par les modèles ondulatoire ou
corpusculaire), ondulatoires, ondulatoires vectoriels (c’est-à-dire impliquant la polarisa-
tion), électro-optiques (en lien avec la théorie de lélectromagnétisme) et corpusculaires
(quantiques).
     

Louis de Broglie. Ils mettent en évidence diérentes approches des propriétés
de la lumière que nous pensons pertinentes dans le contexte du débat sur sa
nature. Comme point de départ, nous décrivons lexpérience ondulatoire des
deux fentes de Young dans le domaine quantique, choisie pour son illustration
eective des termes en lesquels Louis de Broglie pose le débat dans son article,
le point de vue de la dualité onde-corpuscule.
Quelques éléments clés pour appréhender
la nature de la lumière
Expérience quantique des deux fentes de Young
Dans lexpérience classique des deux fentes de Young, de la lumière mono-
chromatique – comme celle produite de nos jours par un laser – passe à travers
deux fentes puis est récoltée sur un écran. On y observe des franges lumineuses
verticales alternant zones claires et sombres, typiques des phénomènes dinter-
férences constructives et destructives. Ce résultat démontre la nature ondula-
toire de la lumière: les fentes provoquent sa diraction; la superposition sur
l’écran des ondes diractées en provenance de chaque fente est la cause des
interférences. Les zones de renforcement ou de suppression de lintensité lumi-
neuse apparaissent suivant le déphasage existant entre les deux contributions,
qui dans le cas présent est lié au temps relatif mis par celles-ci pour parvenir
au point considéré de l’écran.
Dans sa version quantique, lexpérience s’eectue pour des intensités extrê-
mement faibles de la lumière. L’écran est donc remplacé par une caméra CCD
beaucoup plus sensible que l’œil. Le détecteur enregistre désormais des impacts
discrets qui se succèdent aléatoirement en diérentes positions de l’écran. En
accumulant un nombre susant de ces impacts, on constate que leur réparti-
tion sur l’écran forme une distribution régulière, malgré le caractère aléatoire
de leur apparition individuelle. Cette distribution donne exactement la forme
. Lexpérience originale de Young correspond en réalité à la situation dune lumière ren-
contrant un obstacle, la tranche dune carte dépaisseur équivalente à un trentième de
pouce [], comme le fait remarquer W. Scheider [].
. Une superbe illustration des observations de cette expérience [] est disponible en ligne
sur le site de la Société Suisse de Physique []. Il est instructif de la comparer avec lexpé-
rience de Tonomura [], eectuée elle sur des électrons, dont les résultats sont repris sur
Wikipedia [].
1 / 36 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !