V O C A B U L A I R E La pharmaco-économie ● M.C. Woronoff-Lemsi* es études économiques appliquées au domaine de la santé ont pour objectif de comparer différentes interventions en reliant leur coût à leur résultat médical. Ainsi, la pharmaco-économie confronte les ressources consommées par un traitement (préventif, diagnostique ou thérapeutique) à ses conséquences médicales. Celles-ci peuvent être exprimées en résultats physiques, en nombre de décès évités, en réduction de la durée d’hospitalisation, par exemple, ou en termes qualitatifs (amélioration de la qualité de vie). Dans un contexte de maîtrise des dépenses de santé et d’innovations thérapeutiques coûteuses, la pharmaco-économie ou médicoéconomie a gagné une place. Spécialité au sein de l’évaluation économique, elle contribue à l’arbitrage et au choix des priorités entre les différentes stratégies disponibles. Elle est utilisée comme outil d’aide à la décision médicale et/ou à la décision politique en santé... Elle permet de comparer et de hiérarchiser différentes stratégies. La méthodologie utilisée diffère de celle des essais cliniques. En particulier, elle s’attache fréquemment à décrire les ressources consommées par les stratégies thérapeutiques comparées dans la vie “réelle” et non pas dans une situation “contrôlée”. En revanche, elle peut s’appuyer sur les résultats cliniques des essais pour évaluer les conséquences bénéfiques (efficacité et tolérance) des traitements comparés. Dans la démarche méthodologique, trois dimensions sont considérées pour la compréhension des études pharmaco-économiques (1) : – le type d’analyses (analyses coût-efficacité, de minimisation des coûts, coût-utilité ou coût-bénéfice) ; – le point de vue de l’analyse (c’est-à-dire la position d’où on réalise l’analyse : assurance maladie, hôpital, société, patient) ; – la mesure des coûts et la mesure des résultats. Si les essais sont particulièrement performants pour mesurer l’efficacité d’un traitement (efficacy), en revanche, ils sont beaucoup moins précis pour la mesure des coûts. À l’inverse, les études en conditions réelles ne satisfont pas au dogme de l’evidence-based-medicine, mais elles permettent une bonne mesure des ressources consommées et donc des coûts. L LES DIFFÉRENTS TYPES D’ÉTUDE Toutes les études pharmaco-économiques comparent des alternatives thérapeutiques, et leurs résultats sont exprimés de façon différentielle. Quatre types d’études sont utilisés (figure 1) : – l’analyse de minimisation des coûts ou analyse coût-coût ; – l’analyse coût-efficacité ; – l’analyse coût-utilité ; – l’analyse coût-bénéfice. * Pharmacie, CHU de Besançon. Ressources consommées Coûts engagés (C) Coûts directs Coûts indirects Coûts intangibles Action : stratégie thérapeutique ou diagnostique Coûts évités (V) Coûts directs Coûts indirects Coûts intangibles États de santé (E) Mortalité Morbidité Qualité de vie Résultats Appréciation état de santé Préférence “utilité” (U) “Disposition à payer” (W) Étude coût-coût Minimisation des coûts Étude coût-efficacité Étude coût-efficacité Figure 1. Représentation schématique des différents types d’études pharmaco-économiques. La Lettre du Pneumologue - Volume V - no 1 - janv.-févr. 2002 17 V O C A B U L A I R L’analyse de minimisation des coûts Elle permet de répondre simplement à la question “quelle stratégie est la moins chère ?” Elle ne peut être réalisée que si l’efficacité et la tolérance de stratégies comparées sont considérées comme identiques (1-3). L’analyse coût-efficacité Ce type d’analyse compare les stratégies à l’aide d’un même indicateur de résultats comme, par exemple, les années de vie gagnées ou le nombre de patients guéris. La différence des coûts des diverses stratégies rapportée à la différence d’efficacité obtenue à l’issue de ce type d’étude correspond au sacrifice supplémentaire, de nature financière, qu’il faut consentir pour gagner une unité de santé (1-3). Ce type d’étude est fréquemment retrouvé dans la littérature, par exemple, lors d’une comparaison des traitements de prise en charge de l’asthme (l’unité de santé étant le nombre de jours sans crise d’asthme). Une étude a ainsi montré que, chez des enfants de 7 à 16 ans, l’association corticoïdes inhalés-2 d’action courte s’avère plus coût-efficace que la stratégie 2 seule, avec une augmentation de 22 % du nombre de jours sans symptôme et une diminution de 22 % du coût total de prise en charge (4). L’analyse coût-utilité L’analyse coût-utilité peut être considérée comme une forme particulière d’analyse coût-efficacité dans laquelle les résultats sont mesurés en années de vie gagnées pondérées par la qualité de vie (QALY, quality adjusted life-year) (5). Ces QALY sont obtenues en pondérant le résultat de santé obtenu, notamment la durée de vie, par un coefficient d’utilité, reflet de la préférence des patients pour un état de santé plutôt qu’un autre. Une année en bonne santé compte pour 1 et une année de vie en moins bonne santé compte pour une fraction d’année (< 1) (1-3). Encore objet de controverses sur le plan de la théorie économique, les analyses coût-utilité sont très utilisées par les équipes américaines pour comparer différents protocoles dans lesquels l’impact sur la qualité de vie est prononcé. Les 2-mimétiques d’action prolongée ont un meilleur impact sur la qualité de vie des patients asthmatiques que les 2 d’action brève (6). C’est, par exemple, le cas lors de la comparaison de traitements anticancéreux qui peuvent améliorer l’efficacité en termes de réponse et/ou de durée de survie, mais surtout en confort de vie ; les résultats sont alors exprimés en années de vie gagnées ajustées par la qualité de vie (7). E L’analyse coût-bénéfice Les coûts et les résultats sont exprimés dans la même unité, en termes monétaires (3). Cependant, la valorisation monétaire des résultats de santé pose un problème éthique puisque, en fin de compte, cette méthode revient à donner une valeur monétaire à la vie... On peut seulement faire remarquer qu’en France, d’une certaine manière, l’État l’a fait avec la création du fonds d’indemnisation des personnes contaminées par le VIH lors d’une transfusion sanguine. Plus rares, ces études sont notamment utilisées pour évaluer l’impact économique de stratégies vaccinales ou de stratégies de dépistage (par exemple, décès, morbidité, arrêt de travail, etc.). Les trois premiers types d’analyse sont résumés dans le tableau I. Pour l’évaluation médico- ou pharmaco-économique, les résultats sont exprimés : – soit par les dépenses évitées (V), et c’est le cas de l’analyse de minimisation des coûts ; – soit par les états de santé obtenus (E) (outcome research), qui correspondent à la mesure objective de l’amélioration de l’état de santé (endpoint), par exemple une année de vie gagnée ou un décès évité, ou un infarctus évité ; – soit par l’utilité (U), qui correspond à l’expression de la préférence d’un individu pour un état de santé ; – soit par la disposition à payer (W) d’un individu pour obtenir tel état de santé (the willingness to pay) : “je suis prêt à payer X euros en plus pour être guéri, pour courir comme un lapin...” LES RÉSULTATS DE L’ANALYSE L’efficacité Les résultats mesurent l’amélioration de la santé grâce aux interventions mises en œuvre. L’efficacité peut se définir par la mesure du résultat d’un traitement en termes médicaux pour un patient ou pour une population (1, 3). L’efficacité au sens utilisé en économie recouvre deux notions individualisées en anglais par efficacy et par effectiveness. Efficacy désigne l’efficacité expérimentale dans des conditions proches de l’idéal (essai clinique). Effectiveness est utilisé pour l’efficacité de terrain, dans des conditions quotidiennes de réalisation d’une intervention ou d’utilisation d’une technologie (vie réelle). L’efficience ou efficiency est proche de la notion de rendement : il s’agit d’obtenir les meilleurs résultats au meilleur prix. Il peut s’agir de critères d’efficacité et de tolérance retrouvés dans des études cliniques prospectives : mais, pour l’analyse Tableau I. Expression des résultats des études pharmaco-économiques. Analyse Stratégie A Stratégie B Évaluation pharmaco-économique Coût-Coût CA-VA CB-VB = (CA-VA)-(CB-VB) Coût-efficacité CA-VA /EA CB-VB/EB = (CA-VA)-(CB-VB)/EA-EB Coût-utilité CA-VA /UA CB-VB/UB = (CA-VA)-(CB-VB)/UA-UB C = coûts engagés. V = coûts évités. E = états de santé. U = utilité. 18 La Lettre du Pneumologue - Volume V - no 1 - janv.-févr. 2002 médico-économique, la mesure des résultats obtenus correspond à l’utilisation courante du traitement en dehors de tout critère de sélection. Ainsi, elle s’attache à la mesure la plus finale possible du résultat, et cette mesure peut être calculée de façon rétrospective. En l’absence de données épidémiologiques ou de données recueillies au cours d’un essai clinique, il est possible de recourir à l’avis d’experts. Dans ce cas, la méthode de recueil communément utilisée est la méthode DELPHI (8). Cette méthode permet de déterminer l’étendue du consensus obtenu, à partir d’un panel d’experts, sur une question définie. Les résultats de l’analyse pharmaco-économique Le résultat final est exprimé en coût net par résultat supplémentaire de santé obtenu (par exemple, par année de vie sauvée). Ces analyses calculent un rapport (ratio) avec, au numérateur, la différence de coût entre les stratégies comparées et, au dénominateur, la différence des résultats médicaux (tableau I). Les résultats peuvent être présentés sur une figure simple, où l’innovation thérapeutique B est comparée à la stratégie de référence A. L’efficacité est représentée en abscisse et les coûts en ordonnée (figure 2). Les axes déterminent quatre quadrants qui correspondent aux différentes situations de l’analyse : 1. Dans le quadrant supérieur droit, le traitement B est plus efficace, mais plus coûteux, que le traitement de référence A. Dans Coûts + Choix simple : plus cher, moins efficace ➭ B est rejeté Choix difficile : plus cher, plus efficace ➭ Combien est-on prêt à payer en plus pour un surcroît d’efficacité ? B B1 B2 A Résultat médical : efficacité, utilité + B Choix difficile : moins cher, moins efficace ➭ Combien est-on prêt à perdre en efficacité pour réduire les coûts ? B Choix simple : moins cher, plus efficace ➭ B est adopté Figure 2. Analyse pharmaco-économique comparant un nouveau traitement B à un traitement de référence A. La Lettre du Pneumologue - Volume V - no 1 - janv.-févr. 2002 cette situation, le choix est réalisé selon les ressources disponibles. Si la stratégie B se situe sur l’axe B1, le surcoût est important pour une efficacité supplémentaire toute relative ; il est probable qu’elle ne sera pas adoptée. En revanche, si la stratégie se situe sur l’axe B2, elle apporte un supplément d’efficacité pour un surcoût faible. La probabilité de l’adopter est importante. 2. Dans le quadrant supérieur gauche, le traitement B est moins efficace et plus coûteux que A ; il sera rejeté. 3. Dans le quadrant inférieur gauche, B est moins efficace et moins coûteux que A ; il ne sera adopté que si l’on est prêt à cette diminution d’efficacité pour une économie supplémentaire. 4. Dans le quadrant inférieur droit, B est plus efficace et moins coûteux que A ; B devrait être adopté... L’analyse de sensibilité L’analyse de sensibilité explore le degré d’imprécision dans la mesure des ressources mises en œuvre, dans leur valorisation et dans la mesure des résultats (3). L’analyse de sensibilité consiste à recalculer le rapport coût-efficacité en faisant varier chacun des paramètres caractéristiques des interventions afin de déterminer quelle amplitude de variation se traduit par un changement dans l’ordre de préférence des stratégies (par exemple, si A domine B, on recherche les variations qui vont rendre B dominant). Plus cette variation est éloignée d’hypothèses raisonnables ou cliniquement pertinentes, plus l’analyse est considérée comme robuste (9). Par exemple, si, pour changer le sens du ratio, il faut attribuer un prix unitaire négatif à l’une des ressources ou une durée d’hospitalisation négative, les résultats de l’analyse pharmaco-économique sont considérés comme robustes ! Les conclusions peuvent ainsi être modifiées ou invalidées sous certaines hypothèses : on dit que le ratio est sensible à telle ou telle variable. La modélisation Dans les études publiées (cliniques, épidémiologiques), l’absence fréquente de données intégrant, d’une part, toutes les stratégies thérapeutiques et, d’autre part, tous les critères de mesure des résultats (bénéfice thérapeutique efficacy ou effectiveness) oblige à réunir des données provenant de sources différentes, telles que plusieurs essais cliniques et/ou les méta-analyses. De plus, les essais cliniques peuvent être limités dans le temps et présenter des résultats qui portent sur des critères d’efficacité intermédiaire (pression artérielle pour un traitement antihypertenseur par exemple). La pharmaco-économie construit alors des modèles, le plus souvent probabilistes (stochastiques). Ce type d’outil a été utilisé par une équipe française dans une analyse coût-efficacité comparant trois stratégies pour évaluer l’intérêt des facteurs de croissance hématopoïétiques associés à la chimiothérapie dans les cancers bronchiques à petites cellules (10). CONCLUSION La pharmaco-économie, discipline qui peine à trouver sa place en France, est à la recherche de crédibilité. Ainsi, les études pharmaco-économiques publiées sont rarement réalisées dans 19 V O C A B U L A I R E QUELQUES DÉFINITIONS (11) Coûts directs : valeur des biens et des services pouvant être imputée directement à une maladie ou à son traitement (médicaments, journées d’hospitalisation, etc.). Coûts indirects (12) : valeur des conséquences liées à une stratégie thérapeutique, y compris la valeur du travail potentiel qu’aurait pu effectuer le patient s’il avait été en bonne santé. Certains auteurs y ajoutent les frais annexes : frais de garde des enfants, frais de visites aux patients, déplacements, etc. le contexte français et, parmi celles disponibles, peu sortent indemnes de la grille de lecture critique préconisée par Mike Drummond (3). Le Collège des économistes de la santé a contribué à la structuration de cette spécialité en produisant des recommandations de bonnes pratiques d’évaluation économique du médicament avec le concours d’experts (13) ; il a aussi créé avec l’INSERM une base de données, CODECS1 (Connaissance et décision en économie de la santé), accessible sur Internet. Elle a pour objectif de recenser les études réalisées dans le contexte français. Mais il n’a pas été mis en place, en France, de structures équivalentes à celles qui existent au Canada (forte incitation des autorités) ou en Australie (obligation réglementaire). Les autorités françaises de tutelle n’ont pas clairement précisé la place des études d’évaluation économique des produits pharmaceutiques. Cette situation a limité la production d’études françaises spécifiques au contexte national. Mais l’intérêt grandissant des revues médicales pour ce type d’étude est en train de modifier cette situation. De même, la mise en place par le ministère de la Santé d’un groupe d’économistes auprès du Comité économique des produits de santé (CEPS) est probablement un signe d’intérêt. L’évaluation médico-économique ou pharmaco-économique possède une logique distincte de celle des essais cliniques. C’est un outil d’aide à la décision qui ne se substitue pas aux essais cliniques, mais apporte un éclairage complémentaire. ■ 1. http : //www.inserm.fr/codecs.nsf 20 R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Eisenberg JM. Clinical economics : a guide to the economic analysis of clinical practices. JAMA 1989 ; 262 : 2879-86. 2. Picot MC, Nègre M. Le point sur les méthodes d’évaluation en économie de la santé. Neurologie 1999 ; 2 : 346-51. 3. Drummond MF, O’Brien BJ, Stoddart GL, Torrance GW. Méthodes d’évaluation économique des programmes de santé. 2 e édition. Traduction : Carrère MO. Paris : Economica, 1998. 4. Rutten-van Mölken MP, Van Doorslaer EK, Jansen MC, van Essen-Zandvliet EE, Rutten FF. Cost effectiveness of inhaled corticosteroid plus bronchodilatator therapy versus bronchodilatator monotherapy in children with asthma. PharmacoEconomics 1993 ; 4 : 257-70. 5. Roser R, Kind P. A scale of valuation of states of illness : is there a social consensus ? Int J Epidemiol 1978 ; 7 : 347-58. 6. Juniper EF, Johnston PR, Borkhoff CM et al. Quality of life in asthma clinical trials : comparison of salmeterol and salbutamol. Am J Respir Crit Care Med 1995 ; 151 : 66-70. 7. Launois R, Reboul-Marty J, Nenry B, Bonneterre J. A cost-utility analysis for a second-line chemotherapy in metastatic breast cancer. Docetaxel versus paclitaxel versus vinorelbin. PharmacoEconomics 1996 ; 10 : 504-21. 8. Stewart J, O’Halloran C, Harrigan P et al. Identifying appropriate tasks for the preregistration year : modified DELPHI technique. Br J Med 1999 ; 319 : 224-9. 9. Durand-Zaleski I. Principes généraux d’analyse économique. Application à l’évaluation économique de l’utilisation des facteurs de croissance hématopoïétique dans la prise en charge des hémopathies malignes. Hématologie 1995 ; 1 : 415-21. 10. Chouaid C, Bassinet L, Furhman C, Monnet I, Housset B. Routine use of granulocyte colony-stimulating factors is not cost-effective and does not increase patient confort in the treatment of small-cell lung cancer. An analysis using a Markov model. J Clin Oncol 1998 ; 16 : 2700-7. 11. Auray JP, Beresniak A, Claveranne JP, Duru G. Dictionnaire commenté d’économie de la santé. Paris : Masson, 1996. 12. Bengt L. How to calculate indirect costs in economic evaluations. PharmacoEconomics 1998 ; 3 : 1-7. 13. Collège des économistes de la santé. Évaluation économique des stratégies thérapeutiques. Recommandations de bonnes pratiques. Lettre du Collège 1997 ; avril : 1-16. La Lettre du Pneumologue - Volume V - no 1 - janv.-févr. 2002