Le développement soutenable Franck-Dominique Vivien Repères Introduction Le terme « durable » a tendance à renvoyer à la durée du phénomène auquel il s'applique, comme si le problème se résumait à vouloir faire durer le développement. Or la notion de soutenabilité permet de mettre l'accent sur d'autres questions relatives à la répartition des richesses entre les générations et à l'intérieur de chacune des générations. La définition du développement soutenable la plus souvent citée est une de celles qui figurent dans le rapport Brundtland : « Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». • Le développement soutenable : au moins trente ans de débat Le Club de Rome : Le premier rapport remis au Club de Rome, The Limits to Growth, paraît en 1972. C'est un point de vue global et systémique qui est adopté par Meadows et son équipe du MIT. De fait, les problèmes considérés s'étendent à l'ensemble de la planète et interagissent les uns avec les autres. « Développement et environnement doivent absolument être traités comme un seul et même problème » selon Meadows. Le développement reste possible mais dans d'autres domaines. Ainsi : « la population et le capital sont les seules grandeurs qui doivent rester constantes dans un monde en équilibre. Toutes les activités humaines qui n'entraînent pas une consommation déraisonnable de matériaux irremplaçables, ou qui ne dégradent pas d'une manière irréversible l'environnement, pourraient se développer indéfiniment. En particulier, ces activités que beaucoup considèrent comme les plus souhaitables et les plus satisfaisantes : éducation, art, religion, recherche fondamentale, sports, relations humaines pourraient devenir florissantes ». Au-delà du slogan de la « croissance zéro », qui a beaucoup marqué les esprits et fait l'objet de vives discussions, y compris au sein du Club de Rome, c'est l'idée d'une redistribution des richesses au niveau mondial qui est proposée. Pour ce faire, la croissance doit se poursuivre dans les pays du Sud, au moins pendant un certain temps, tandis qu'elle doit s'arrêter dans les pays du Nord. La conférence de Stockholm : en juin 1972 se tient à Stockholm la première conférence des Nations unies sur l'homme et son milieu. Son slogan officiel est : « Une seule Terre ! ». la décision est prise de créer un organe spécifique au sein de l'ONU en charge des questions environnementales. Le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) voit le jour dans la foulée et est installé à Nairobi. Pendant ce temps, on assiste à une mobilisation très importante des ONG. Au slogan « Une seule Terre » répond l'appel des ONG « Un seul peuple ». Le rapport Brundtland : en 1983, l'Assemblée générale des Nations unies décide de créer la Commission mondiale sur l'environnement et le développement (CMED), un groupe de travail composé de membres du personnel politique de différents pays, placé sous la présidence de Mme Brundtland, qui est alors le Premier ministre de la Norvège. Le mandat de la CMED est triple : 1. établir un diagnostic en matière de problèmes d'environnement et de développement et faire des propositions pour une action novatrice, concrète et réaliste 2. viser à la prise de conscience et à la mobilisation de l'ensemble des acteurs concernés 3. envisager de nouvelles modalités de coopération internationale susceptibles de renforcer celle-ci et de provoquer les changements souhaités. Après cinq ans de travail, la CMED, en 1987, publie Notre avenir à tous, un rapport dont le contenu fait écho à beaucoup d'anciennes propositions. La notion de développement soutenable y est décrite. L'accent est d'abord mis sur la durée du développement. Une deuxième dimension à prendre en compte concerne l'équité sociale, à établir entre les générations et à l'intérieur des générations. Une troisième dimension est le respect des systèmes naturels qui nous font vivre. Cela constitue ce que l'on désigne généralement comme les « trois piliers » du développement soutenable. La qualité de cette croissance doit changer en respectant « la non-exploitation » d'autrui et en recourant à des techniques moins consommatrices d'énergie et de matière. Les pouvoirs publics et l'industrie ont à intégrer l'environnement dans leurs décisions. Il importe que cette croissance soit au service d'une conception élargie du développement, intégrant les besoins essentiels en ce qui concerne l'alimentation, l'énergie, l'emploi..., un objectif qui doit être décliné différemment selon les pays, puisque ceux-ci connaissent une variété de conditions écologiques et de systèmes économiques et sociaux. Le Sommet de la Terre de Rio : Suggérée par les rédacteurs du rapport Brundtland, la conférence des Nations-Unies sur l'environnement et le développement se tient à Rio de Janeiro du 3 au 14 Juin 1992, soit vingt ans presque jour pour jour après celle de Stockholm (d'où surnom Stockholm +20). Par son ampleur (40 000 personnes, 108 chefs d’État et de gouvernement, 172 États représentés), la conférence de Rio est, en son temps, la réunion la plus importante organisé par l'ONU. Elle voit le véritable lancement médiatique de la notion de développement soutenable. Au terme de dix jours de discussion entre gouvernements, plusieurs textes sont adoptés. La Déclaration de Rio reprend, en préambule, celle de Stockholm et entend lui donner de nouveaux prolongements. L'article 5 de la Déclaration de Rio se réfère à quelque chose qui ressemble au principe de précaution. Un plan d'action, baptisé Agenda 21, volumineux pense-bête de 40 chapitres et 800 pages, sans valeur juridique contraignante, recense plus d'une centaine d'actions à entreprendre pour que le développement soutenable devienne une réalité au XXI siècle. Le coût de cette mise en œuvre est estimé à environ 600 milliards de dollars à l'horizon 2000, ce qui correspond aux dépenses d'armement mondial. Un certain nombre d'engagements internationaux ont été signées, la première relative au changement climatique (CCCC), la seconde à l'érosion de la diversité biologique. La Convention cadre sur le changement climatique (CCCC) et le Protocole de Kyoto : le CCCC vise à « stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ». Le Protocole de Kyoto est un texte additionnel à la CCCC, qui a été signé en 1997 lors de la troisième conférence de ses parties signataires. Il définit l'engagement différencié de la communauté internationale – seuls les pays industrialisés sont concernés – dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour atteindre cet objectif, 3 mécanismes internationaux de flexibilité sont prévus : 1. Un commerce de permis d'émission entre pays industrialisés, qui doit entrer en vigueur en 2008. L’Union européenne a décidé de mettre en œuvre un tel système depuis janvier 2005 2. La « mise en œuvre conjointe », entrant en vigueur en 2008, qui est un mécanisme concernant essentiellement les investissements directs pauvres en carbone réalisés par les pays industrialisés dans les « pays en transition », la différence de rejets de gaz à effet de serre évités étant portée au crédit du pays investisseur et au débit du pays d'accueil 3. Le « mécanisme de développement propre » qui porte aussi sur des projets, mais localisés dans les pays du Sud, qui permettent de réduire les émissions de GES par rapport à une situation de référence, ces réductions étant portées au crédit de l'investisseur. Le Sommet de Johannesburg : le Sommet mondial du développement soutenable est organisé à Johannesburg du 26 août au 4 septembre 2002. Initialement, son ordre du jour portait sur la concrétisation des engagements pris, dix ans plus tôt, lors de la conférence de Rio. Il s'agissait, par ailleurs, d'insister davantage sur le pilier social de la soutenabilité et de mettre l'accent sur la pauvreté. Las ! Les crises financières (asiatique et bulle internet) et les problèmes de sécurité (11 septembre) ont entre-temps accaparé l'attention. Les observateurs s'accordent pour reconnaître la faiblesse des résultats de ce « Stockholm +30 ». La déclaration finale du Sommet n'a fait que reprendre les déclarations précédentes. Le plan d'action ne comprend que des engagements chiffrés assez flous, lesquels pour la plupart avaient déjà été annoncés lors de précédentes rencontres internationales (Déclaration de Doha en 2001, Déclaration du Millénaire). Ajout : La seconde conférence de Rio : 2012. « L'avenir que nous voulons » a été le titre de la déclaration finale de ce Rio +20. Triste échec. Des 3 piliers du développement soutenable il ne reste plus que l'économique avec une touche de couleur : vive la « croissance verte ». Des objectifs de développement durable seront proposés en 2013 pour une mise en place en 2015. Chaque paye pourra choisir une approche appropriée des politiques d'économie verte. A condition, bien sûr, de ne pas imposer des règles rigides ni de faire une restriction déguisée au commerce international. Absence totale d'objectifs contraignants et de financement. Il semble que la priorité a été donnée à la crise économique, pour l'écologie, on verra plus tard. • La confiance de la théorie économique standard dans une croissance durable La recherche des conditions économiques, sociales et environnementales de la poursuite de l'accumulation des richesses sur le long terme n'est pas neuve. Elle est même constitutive de la formation de l'économie politique. Chez les classiques : Pour beaucoup de classiques on note l'idée d'un état stationnaire même si chez Smith la division du travail et l'ouverture aux marché internationaux, et pour Ricardo, le progrès technique, peuvent contrecarrer cela. Il en va différemment chez John Stuart Mill, 1848 : « Il n'est pas nécessaire de faire observer que l'état stationnaire de la population et de la richesse n'implique pas l'immobilité du produit humain. Il resterait autant d'espace que jamais pour toutes sortes de culture morale et de progrès moraux et sociaux ; autant de place pour améliorer l'art de vivre et plus de probabilité de le voir amélioré lorsque les âmes cesseraient d'être remplies du soin d'acquérir des richesses. Les arts industriels eux-mêmes pourraient être cultivés aussi sérieusement et avec autant de succès, avec cette seule différence qu'au lieu de n'avoir d'autre but que l'acquisition de la richesse, les perfectionnements atteindraient leur but, qui est la diminution du temps de travail. Il est douteux que toutes les inventions mécaniques faites jusqu'à ce jour aient diminué la fatigue quotidienne d'un seul être humain […], elles ont augmenté l'aisance des classes moyennes ; mais elles n'ont pas encore commencé à opérer dans la destinée de l'humanité les grands changements qu'il est dans leur nature de réaliser ». Mill, indique ainsi que la noncroissance n'implique pas la fin du progrès et n'est pas incompatible avec l'épanouissement de la liberté individuelle. Chez Keynes : Bien qu'il se soit concentré sur les problèmes de court terme que rencontre à son époque le capitalisme, Keynes ne néglige pas la question du devenir à long terme des sociétés d'abondance. Ainsi, dans ses « Perspectives économiques pour nos petits-enfants »; c'est-à-dire quand la croissance de la productivité aura fait son œuvre, Keynes envisage sérieusement l'hypothèse d'une diminution du temps de travail dans les sociétés industrielles et s'interroge sur le vide que cela ne manquera pas de laisser sur le plan des motivations des individus et des valeurs dominantes de la société : « Ainsi, pour la première fois depuis sa création, l'homme fera-t-il face à son problème véritable et permanent : comment employer la liberté arrachée aux contraintes économiques ? Comment occuper les loisirs que la science et les intérêts composés auront conquis pour lui, de manière agréable, sage et bonne ? ». Les néoclassiques : L'idée avancée depuis les années 1970 par certains néoclassiques est que la poursuite de la croissance va dans le sens de la protection de l'environnement. Il y aurait une capacité des économies modernes à gérer la problématique environnementale. Beckerman évoque notamment le cas de la pollution par le dioxyde de soufre aux États-Unis dont il note la disparition dans de nombreux États alors même que la croissance du pays se poursuit. Ainsi, le développement soutenable apparaîtrait finalement comme une sixième étape de la croissance si l'on reprend la typologie de Rostow. Les néoclassiques sont donc très confiants. Pour eux, si il y a des problèmes d'environnement, c'est parce qu'il y a interférence entre deux catégories de biens. Les objets environnementaux sont en train de devenir des biens rares, alors qu'ils étaient considérés jusqu'alors comme des biens libres, disponibles en quantités illimitées et, de ce fait, ne relevant pas de l'analyse économique. Cependant, bien qu'entrant de plus en plus dans la sphère de la rareté, les objets naturels ne présentent pas encore toutes les caractéristiques des biens économiques, ce qui empêche que les relations marchandes jouent pleinement leur rôle régulateur (pas de prix clairement identifié, donc régulation par les prix impossible). Ces « défaillances de marché » aboutissent à une mauvaise allocation des ressources qui prend la forme de pollutions ou d'épuisement de ressources naturelles. Pour répondre à ces défaillances, la solution préconisée consiste, quand cela est possible, à faire basculer dans la sphère marchande les événements environnementaux qui n'y sont pas encore totalement entrés. On va procéder à une internalisation des externalités en créant des marchés ou des quasi-marchés là où, au départ, ils n'existent pas, ou pas complètement, soit en établissant des signaux-prix envoyés aux agents économiques, soit en leur distribuant des droits de propriété échangeables sur des ressources naturelles. C'est ce que l'on désigne comme le principe du pollueurpayeur, prôné par l'OCDE depuis le début des années 1970. En résumé, c'est par le renforcement de la logique économique dominante que les problèmes de pauvreté, de pollution et d'épuisement des ressources naturelles se résoudront. • Le développement soutenable grâce à une économie écologique ? Croissance ne signifie pas développement. La croissance correspond à un accroissement quantitatif des biens et services disponibles, mesuré en termes monétaires ou physiques. Le développement, lui, traduit une amélioration qualitative des conditions de vie. Définition de Perroux (1961) : « Le développement est la combinaison des changements mentaux et sociaux d'une population qui la rendent apte à faire croître, cumulativement et durablement, son produit réel global ». Sans négliger une action sur les prix, l'option instrumentale privilégiée par les économistes écologiques consiste à établir des limites quantitatives quant aux ressources exploitées et aux rejets effectués dans les milieux naturels. Ce faisant, ils affichent leur scepticisme vis-à-vis de l'analyse néoclassique en termes d'internalisation des externalités. Rompant avec cette idée qui vise à faire entrer à l'intérieur de la sphère économique ce qui, au départ, lui est extérieur. Les économistes écologiques conçoivent l'économie comme un sous-système d'un système englobant, constitué par l'ensemble des activités humaines, lui-même compris dans le système plus vaste formé par la Biosphère, le problème étant alors de mettre en place des relations d'insertion – ou d'encastrement pour reprendre Polanyi – entre ces différents systèmes : insertion de l'économique dans la sphère des activités sociales, elle-même devant s'insérer dans la Biosphère. L'écologie industrielle va proposer une autre voie pour concilier économie et écologie et œuvrer à l’événement d'un développement soutenable. Il faut engager le système industriel dans une réforme profonde de ses pratiques environnementales. Quatre objectifs sont assignés : 1. L'optimisation de l'usage de l'énergie et des matières premières 2. La minimisation des émissions de polluants et le bouclage des flux qui circulent à l'intérieur des systèmes productifs 3. La dématérialisation des activités économiques 4. La réduction de la dépendance vis-à-vis des sources énergétiques non renouvelables (des énergies fossiles, en particulier, dans le souci de lutter contre le changement climatique). A l'image des décomposeurs qui, dans les écosystèmes, se nourrissent des déchets et dépouilles des autres espèces, les sous-produits et déchets des entreprises doivent servir de matière première pour la production d'autres firmes. Plutôt que de mettre en œuvre une approche en bout de chaîne, qui traite après coup les pollutions et les déchets, il s'agit d'éviter d'en produire et d'en émettre à la source. Les firmes entendent gagner sur les deux tableaux en réduisant l'impact environnemental de leurs processus de production tout en gagnant de l'argent. La problématique du développement soutenable en vient à être traduite dans le monde de l'entreprise par celle de la responsabilité sociale des entreprises, voire de manière plus restrictive encore par l'investissement socialement responsable qui vise à réconcilier les activités de l'entreprise avec les valeurs de l'ensemble de la société en répondant aux attentes de partenaires qui ne limitent pas aux actionnaires et aux clients de l'entreprise. L’auto-réglementation est jugée bien plus efficace que la contrainte publique puisqu'elle suppose l'adhésion volontaire des entreprises et est censée assurer la transparence des procédés mis en œuvre. On l'aura compris, ce qui est recherché avant tout, c'est la mise en œuvre de nouvelles politiques d'environnement qui prendraient enfin en compte les intérêts d'entreprises « responsables ». L'empreinte écologique, un indicateur de développement soutenable controversé : Élaborée il y a une dizaine d'années par Rees et Wackernagel (1996). Il vise à évaluer la capacité de certains écosystèmes à servir de support aux activités humaines. Seulement, il ne porte que sur certains flux de certaines ressources renouvelables. Mis à part la problématique de l'effet de serre (appréhendée par le nombre d'hectares de forêt nécessaires pour absorber le CO2), les pollutions ne sont pas considérées. • Le développement développement ? soutenable : un autre développement ou l'après- Un troisième ensemble de travaux économiques met résolument l'accent sur les questions sociales soulevées par la problématique du développement soutenable. Rompant avec la vision économique dominante, qui fait de l'avènement du développement le déroulement normal de l'histoire des sociétés, ces analyses s'interrogent sur la spécificité du non-développement que connaissent certaines régions et sur les possibilités d'un autre développement que celui empruntant la voie tracée des pays occidentaux. L'écodéveloppement : il préfigure et apparaît comme une expression concurrente de celle de développement soutenable. Cette notion a été proposé par Strong en 1972. La croissance économique, même si elle est forte et accompagnée d'une modernisation des structures de production, ne conduit pas au développement. Au contraire, elle débouche généralement sur un accroissement des inégalités sociales, qui dont responsables d'une bonne part de la dégradation de l'environnement. Il y a un gaspillage quand la richesse des uns amène à la consommation de produits superflus et quand la misère des autres provoque une surexploitation des rares ressources disponibles. Le « mal-développement » est donc un problème général. D'où la nécessité de mettre en œuvre un programme global de réformes dans la manière de prendre les décisions économiques, avec des recommandations différenciées selon les types de pays, les responsabilités du Nord dans la modification des relations internationales étant plus lourdes. L'accent est mis alors sur les changements institutionnels et politiques nécessaires pour permettre ces évolutions, qui doivent intervenir sur une période de trois ou quatre générations. Il n'y a pas de remise en cause de la croissance mais plutôt des buts inégalitaires et dispendieux qu'elle nourrit. Il convient donc d'agir sur son orientation en mettant le surplus économique et le temps disponible au-delà du travail qu'elle procure au service du progrès social et le gestion raisonnable des milieux naturels. Si la croissance se fait dans l'égalité – via une redistribution de revenus, l'instauration de réformes foncières, etc. –, les populations accepteront plus volontiers de se restreindre dans la satisfaction de leurs besoins matériels, mais aussi dans leur démographie. Si le développement soutenable apparaît comme une question générale qui se pose à tous les pays, celle-ci doit se décliner différemment selon les lieux et circonstances. La diversité culturelle est reconnue d'emblée : tous les groupes humains ont le droit de poursuivre leurs objectifs dans le cadre de leur culture spécifique et de leur rapport à la nature. Le courant de la « répartition environnementale » : Il est une tradition de pensée en économie du développement qui entend montrer que développement et non-développement sont les deux faces de la dynamique du capitalisme qui prospère en établissant des relations de dépendance entre un centre et une périphérie. Ce sont des théories du sous-développement que proposent ainsi les écoles structuralistes marxistes (Samir Amin et Emmanuel Arghiri). Si ces théories ne prennent pas en compte la problématique environnementale, c'est en revanche ce que font Joan Martinez-Alier et Cabeza-Gutés avec le concept « d'échange écologiquement inégal ». Ce concept décrit le fait que des produits sont exportés par des pays pauvres à des prix qui ne couvrent pas les coûts sociaux et environnementaux induits par leurs productions. On connaît ainsi nombre de pays du Sud qui sont contraints de pratiquer une sorte de dumping environnemental et social en exportant à bas prix des ressources naturelles ou des produits de base vers les pays du Nord. On peut citer les activités d'extraction de pétrole, de minerais, de transformation de forêts en pâturage ou pour la production de café. Plus largement, ces deux auteurs mettent l'accent sur un problème qu'il qualifie, avec d'autres de « répartition écologique ». Il réinscrit ainsi la question de la pauvreté au cœur de l'enjeu de la soutenabilité. En d'autres termes il existe un « écologisme des pauvres » qui luttent pour une meilleure reconnaissance de leurs droits, y compris sur le plan environnemental. La décroissance : Radicalisant plus encore le débat qui entoure la notion de développement soutenable, certains économistes proposent de prendre le contre-pied de l'objectif de croissance et d'instaurer à sa place celui d'une décroissance. Certains d'entre eux en appellent à rejeter l'idée même de développement, accusée d'être le masque derrière lequel avancent l'occidentalisation du monde et la marchandisation des rapports sociaux. C'est la position de Serge Latouche dont tout l’œuvre a visé à « refuser le développement » et à déconstruire cette notion qui, par essence, a un contenu normatif. Le développement soutenable lui apparaît comme un « concept alibi », le « dernier gadget idéologique de l'Occident ». Latouche et les tenants de l'après-développement proposent que l'on remplace cet objectif par celui d'une décroissance durable et conviviale (« consommer moins, répartir mieux »). A l'inverse, d'autres acteurs, comme Jean-Marie Harribey et les membres du comité scientifique de ATTAC entendent se saisir de la notion de développement soutenable pour redonner du sens et un nouveau contenu à la notion très galvaudée de développement. Avant d'instaurer une décélération de la croissance, les rapports de production capitalistes doivent êtres changés et les inégalités de richesse doivent être combattues, une période de rattrapage devant être aménagée pour que les populations qui sont dans le besoin puissent voir le niveau de vie augmenter. Dans ces deux camps, au-delà des oppositions qui touchent en particulier à l'analyse du capitalisme, il s'agit à terme de réinventer un imaginaire de changement social. Il faut redéfinir les frontières de la rationalisation économique et des rapports marchands, lesquels doivent être mis au service d'autres choses qu'eux-mêmes, et d’œuvrer, ni plus ni moins, à un après-capitalisme.