La stratégie de communication des entreprises en matière de

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La stratégie de communication des entreprises en matière de
développement durable comme co-construction
entre experts, ONG et chercheurs - Phase I
Les cahiers de la Chaire – collection recherche
No 02-2007
Par Marie-Andrée Caron et Corinne Gendron
ISBN 2-923324-54-4
Dépôt Légal – Bibliothèque nationale du Québec, 2007
La stratégie de communication des entreprises en matière de
développement durable comme co-construction
entre experts, ONG et chercheurs - Phase I
Les cahiers de la Chaire – collection recherche
No 02-2007
Par Marie-Andrée Caron* et Corinne Gendron**
*
Marie-Andrée Caron est professeure au Département des sciences comptables de l’École des sciences de la
gestion de l’UQÀM. Elle est également chercheure à la Chaire de responsabilité sociale et de développement
durable.
**
Corinne Gendron est professeure au Département d’organisation et ressources humaines de l’École des
sciences de la gestion de l’UQÀM. Elle est également titulaire de la Chaire de responsabilité sociale et de
développement durable.
Table des matières
1. Introduction – Problématique ____________________________________________ 1
2. La stratégie de RSEDD, un one best way ou une construction sociale ______________ 3
2.1. Le gestionnaire du RSEDD, un expert malléable _______________________ 3
2.2. Le marché du RSEDD comme forum hybride__________________________ 5
3. Méthodologie _________________________________________________________ 6
3.1. Les représentations sociales_________________________________________ 8
4. Résultats_____________________________________________________________ 8
Le dilemme entourant le «pourquoi» de la communication __________________ 11
Le dilemme entourant «qui» est concerné par la communication _______________ 12
Le dilemme entourant le «quoi» communiquer _____________________________ 15
Le dilemme entourant l'utilisation d'outils de divulgation (le comment) __________ 17
Le dilemme entourant le «quand» communiquer ____________________________ 19
5. Analyse et discussion des résultats ________________________________________ 19
6. Conclusion __________________________________________________________ 20
Références bibliographiques _______________________________________________ 22
Liste des tableaux
Tableau 1: Données sur les entreprises représentées par les experts / gestionnaires du
RSEDD ___________________________________________________________ 7
Tableau 2 : Représentations tirées de l’analyse du discours des experts du RSEDD et du
contenu des rapports de développement durable __________________________ 10
Résumé
La comptabilité a depuis longtemps été interpellée pour jouer un rôle de régulateur
macroéconomique. Avec le reporting en matière de développement durable, le dernier né
de son rapprochement avec la société, la recherche comptable est appelée à renouer avec
le milieu de la pratique où se construisent les concepts de développement durable et de
responsabilité sociale, encore flous et malléables, façonnés par de multiples acteurs. Cette
communication s'interroge sur les représentations de ces acteurs et sur leur apport dans la
formation de la stratégie de communication de l'entreprise en matière de développement
durable.
Mots clés : développement durable, reporting, forum hybride, expert
Abstract
Accounting has been challenged to play a macroeconomic regulating role for a long time.
With the emergence of sustainable development reporting, accounting research is now
being called upon to merge with sustainable development and corporate social
responsibility practice which remains vague and open to influence by various actors. This
communication questions the representations of these actors and their contribution in the
formulation of a sustainable development communication strategy.
Key words : sustainability, reporting, hybrid forum, expert
1. Introduction – Problématique
Depuis longtemps, la comptabilité est interpellée pour résoudre des questions d’équité
sociale. Ce volet national de la comptabilité avait été envisagé notamment, à l'aube du
19ième siècle, par un chercheur comptable japonais, Kurosawa, qui proposait l’imposition
par l’État d’un prix de revient équitable aux entreprises, de manière à inverser le rapport
de force entre ces deux institutions (Fujita et Garcia, 2005). Plus tard, Rimailho, un
entrepreneur conférencier émérite devenu comptable pour se doter d’un instrument de
mesure indispensable au projet social auquel il adhérait, s’interrogeant en 19471 sur –
Comment rationaliser une profession? Comment donner à chacun sa part? Comment
dépasser les antagonismes patrons et salariés? – proposait une coopération confiante bâtie
sur la mesure des apports de chacun à partir d’un système de facturations internes
appuyés sur une comptabilité irréprochable (Bouquin et Lemarchand, 2005). L'idée que
l’information comptable puisse être un bien public capable de jouer un rôle dans la
régulation macroéconomique était alors omniprésente. Cette idée s’est grandement
émoussée par la suite, sous l’influence des pratiques comptables américaines et par la
crainte du totalitarisme. Les recherches comptables ont en effet été rapidement dominées
par la logique du libre marché, abandonnant le rôle de régulateur macroéconomique de la
comptabilité.
Mais avec la résurgence du discours et des pratiques associées à la responsabilité sociale
et environnementale de l’entreprise (Arquier et Gond, 2006), le libre marché ne peut plus
ignorer ses débordements : d’une part, trop d’éléments ne sont pas pris en compte dans le
« calcul comptable » de la performance financière de l’entreprise, et, d’autre part, des
acteurs sociaux investissent de plus en plus la sphère économique pour faire valoir leurs
revendications et mettre en œuvre de nouvelles manières de faire (Gendron, 2004). C’est
le cas notamment des investisseurs éthiques qui incitent les entreprises à s’engager dans
le reporting « volontaire »2 d’information environnementale, sociale et de développement
durable (RSEDD), interpellant ainsi le rôle de régulateur macroéconomique de la
comptabilité.
1
. Rimailho, E. (1947), Chacun sa part, Paris, Delmas.
. Le RSEDD ne peut être totalement «volontaire» dans la mesure où ces pratiques s'inscrivent dans un
cadre de dialogue social et répondent ainsi à une certaine «nécessité».
2
1
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Or, si les ordres professionnels s’y investissent de manière grandissante (e.g. l’ACCA, la FEE,
l’ICCA), les praticiens comptables hésitent toujours à s’y engager (Caron et al., 2006;
Wilmshurst et Frost, 2001; Bebbington et al., 2000). Un des facteurs explicatif de cette réticence
est le caractère largement ambigu et indéfini de ce type de reporting, alors que le comptable est
habitué à un cadre formel de reddition de compte qui définit les qualités fondamentales de
l’information par la pertinence, la fiabilité et la comparabilité, en mettant l’accent sur sa
vérifiabilité comme élément principal de sa fiabilité. Les concepts de responsabilité sociale et de
développement durable sur lesquels prend appui cette forme de reporting sont définitivement des
concepts souples et malléables qui sont en cours de construction, façonnés par de multiples
acteurs (Gond, 2006), i.e. le comptable, mais surtout le gestionnaire responsable du RSEDD, le
consultant et l'entrepreneur institutionnel (e.g. la Global Reporting Initiative)3 et des ONG.
Autrement dit, à l’instar de beaucoup de nouveaux champs de connaissances, une portion
importante du savoir en matière de responsabilité sociale se développe hors du milieu
universitaire, complexifiant la définition de la pertinence de l’information produite et exacerbant
la responsabilité du gestionnaire du RSEDD à cet égard.
À l’inverse, bien qu’il existe une littérature universitaire abondante sur le sujet, elle ne transparaît
pas à sa juste mesure dans les programmes de formation des candidats à la profession comptable.
Les liens entre la pratique et la recherche comptables sont donc très ténus et ces deux sphères
sont souvent qualifiées de « parallèles » (Waddock, 2004 in Acquiert et Gond, 2006), pour
décrire l’absence de relation entre la sphère de gestion dédiée à la responsabilité sociale et
environnementale de l’entreprise et la sphère universitaire théorisant ce concept. La démarche de
recherche comptable est elle-même responsable d’une partie de cette rupture avec le praticien,
incarné dans les multiples acteurs du RSEDD.
En effet, même si la recherche comptable en matière de RSEDD est relativement récente4, elle
emprunte la trilogie traditionnelle de ce champ divisé en trois principaux courants, soit : 1. la
théorie positive, 2. le courant interprétatif et 3. le courant critique (Antheaume et Teller, 2001).
Or, la théorie positive a pour effet d’isoler, non seulement le chercheur et le praticien (Arquier et
Gond, 2006), mais aussi les praticiens entre eux. En revanche, les deux autres courants
renferment des occasions « latentes » de rapprochement, que nous matérialisons, dans cette
communication, par la tenue d’un forum hybride dans une logique de recherche-action.
L’objectif de cette communication est donc d’étudier la structuration de la stratégie de RSEDD
de l'entreprise, à partir des représentations du gestionnaire qui en est responsable en interaction
avec les co-constructeurs de ce savoir. Elle se divise de la façon suivante. Nous verrons dans un
premier temps le positionnement théorique du RSEDD dans les recherches comptables. Ceci nous
amènera à conceptualiser le gestionnaire responsable du RSEDD comme un acteur social et son
espace d'action comme un forum hydride. Les résultats de cette recherche-action seront ensuite
3
. Le GRI (Global reporting initiative) est un organisme multipartite, formé par le CERES en association avec le
PNUE et constitué d'organismes comptables, d'organismes d'affaires et d'ONG, dont le but est d'établir des lignes
directrices pour l'évaluation de la durabilité (www.globalreporting.org).
4
. Les années 1980 sont reconnues pour leur abondance en recherches comptables environnementales et les années
2000 le sont pour celles sur le développement durable.
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présentés et analysés, pour finalement conclure sur ses limites et des avenues de recherche à
explorer.
2. La stratégie de RSEDD, un one best way ou une construction
sociale
Ainsi, pour les chercheurs de la théorie positive, un rapprochement entre ces deux sphères est
difficilement envisageable, puisqu’ils se placent dans une perspective individualiste
méthodologique (Colasse et al., 2001), conceptualisant la stratégie de RSEDD comme un
optimum, i.e. un one best way (Synnestwedt, 2001) résultant de l’analyse coûts/bénéfices réalisée
par le gestionnaire environnemental responsable du RSEDD, à partir de la perception qu’il se fait
des valeurs des parties prenantes de son entreprise. Ces chercheurs ont donc bien montré le rôle
crucial de cet acteur dans l’établissement de la stratégie de communication de l’entreprise
(Cormier et al., 2004; Henriques et Sadorsky, 1999; Lerner et Fryxell, 1994; Roberts, 1992), mais
leur action se résume à une gestion des parties prenantes (par opposition à une éthique des parties
prenantes) qui se fait de manière largement isolée, i.e. sans le concours de gestionnaires
d’entreprises concurrentes ou simplement productrices de ce même type d’information. Le
gestionnaire y apparaît obnubilé par la crainte du vol d’information confidentielle, attentif au
contrôle de ses coûts exclusifs5.
En revanche, avec les courants interprétatif et critique, la stratégie de communication de
l’entreprise s’inscrit dans une perspective holiste méthodologique (Colasse et al., 2001). Cette
perspective place les choix du gestionnaire du RSEDD dans leur contexte politique, social et
institutionnel. Ces deux courants ne distinguent toutefois par la place accordée respectivement au
consensus ou aux rapports de pouvoir, mais tous deux reconnaissent la pluralité du RSEDD,
contrairement à l’optimum recherché par la théorie positive.
2.1. Le gestionnaire du RSEDD, un expert malléable
Ce qui nous amène à voir le gestionnaire du RSEDD comme un acteur socialement situé qui
interagit à travers un réseau de contraintes [du type homo ludens] et non pas, comme le sousentend le paradigme de l’économie de l’information, un sujet marchand homogène [du type homo
economicus]. L'existence de telles contraintes modèle leur logique d'action (Gendron, 2006), qui
ne peut être réduite à une rationalité aussi simple que celle sur laquelle est fondé le paradigme de
l'économie de l'information comptable.
Ainsi, décider de sa stratégie en matière de communication ne consisterait pas uniquement, pour
le gestionnaire du RSEDD, à optimiser une relation coûts (coûts d’information et coûts exclusifs)
5
Les recherches issues de la théorie positive s’inscrivent dans le paradigme de l’économie de l’information (Cormier
et Magnan, 2005) et soutiennent que la stratégie de communication de l'entreprise en matière d'information de
développement durable (information environnementale et sociale) est le fruit d'un compromis entre les coûts
d'information (ceux liés à la valorisation de l'entreprise par l'investisseur – impact positif) et les coûts exclusifs (ceux
liés à la dévalorisation de l'entreprise par les groupes de pression suite à l'obtention de cette information ou par
l’accès des concurrents à de l’information confidentielle – impact négatif).
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/ bénéfices, mais reposerait plutôt sur son interaction avec les autres acteurs de sa coconstruction. Le gestionnaire du RSEDD est en interaction croissante avec les parties prenantes
(utilisateurs potentiels de l’information produite) (Perrini, 2005), mais aussi avec d’autres
entreprises intéressées par la communication de ce type d’information (Jenkins and Yakovleva,
2006; Rowley, 1997) et les experts qui occupent ce nouveau marché du savoir en matière de
RSEDD (Acquiert et Gond, 2006).
Ce qui suggère d'étudier la stratégie de communication d'information de l'entreprise sous l'angle
des pratiques innovantes et des expérimentations menées par les acteurs (Gond, 2006) du
RSEDD, i.e. par les experts locaux (le gestionnaire du RSEDD) et les experts globaux (des
agences de notation [e.g. STRATOS], des entrepreneurs institutionnels [e.g. GRI], des ONG) qui
participent à la co-construction de sa stratégie de communication, pour analyser les
apprentissages générés et la manière dont ces apprentissages sont ensuite articulés avec la
conception de sa stratégie de RSEDD et, dans une perspective plus macro, dans les normes de
divulgation. Nous avons créé, pour ce faire, un forum hybride qui nous a permis de recueillir les
représentations des acteurs en présence, à propos du RSEDD. Ce forum hybride se veut à l’image
du marché qui est en train de se constituer en matière d’expertise de RSEDD, i.e. composé de
gestionnaires du RSEDD, d’un consultant en matière de RSEDD (STRATOS6), d’un
entrepreneur institutionnel (GRI) et de chercheurs.
Le gestionnaire du RSEDD est donc lui-même un expert de la communication en matière de
responsabilité sociale (i.e. un concept flou et en cours de construction), qui tente de se tailler une
place au sein de ce marché. Mais il est tiraillé entre la représentation «idéelle» du RSEDD, qui se
crée dans les échanges discursifs entre experts réunis dans ce forum, et la pratique concrète du
RSEDD, qui consiste à gérer des ressources et des contraintes, comme le montre Vergès au sujet
des représentations sociales de l’économie (Vergès, 1989). Afin de ne pas perdre de vue les
difficultés du rapport entre théorie (le cognitif) et pratique (le social), nous avons orienté les
échanges entre les participants du forum hybride sur leur perception des dilemmes propres à leur
stratégie de RSEDD.
6
. STRATOS est un des plus importants consultants canadiens à offrir des services d'aide à la production de rapports
de développement durable (www.stratos-sts.com).
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2.2. Le marché du RSEDD comme forum hybride
Un marché est pourtant en train de se créer autour de l'expertise en matière de RSEDD, largement
en marge du comptable praticien qui s’y intéresse peu, mais au cœur de la pratique du
gestionnaire du RSEDD. Ce marché vise à permettre à ce concept, flou et malléable, de pénétrer
le champ de la gestion et de le rendre mesurable et auditable (Acquier et Gond, 2006). Nous
distinguons deux types d’experts, que nous ferons intervenir dans un forum hydride, soit des
experts locaux (gestionnaires du RSEDD) et des experts globaux (entrepreneurs institutionnels
comme la GRI, les agences de notation et les ONG), soit ceux issus d'agences de notation et des
chercheurs intéressés par la question du développement durable en gestion. À l'instar de Gond
(2006), nous considérons le marché de l'information du RSEDD comme un véritable forum
hybride, dont le sens est emprunté à Callon et al. (2001), c'est-à-dire comme un espace d'action
au sein duquel on prend des mesures en vertu du principe de précaution (Caron, 2004), de
manière à : «clarifier le flou définitionnel, (…) surmonter la difficulté de la mesure (…) et pallier
l'absence de méthodes claires pour son déploiement et son contrôle» (Gond, 2006; p. 85). Ces
mesures consistent à déterminer notamment à qui s’adressera le RSEDD, de quelles informations
il sera composé et dans quelle mesure il s’appuiera sur les lignes directrices de la GRI.
Un important bagage de connaissances scientifiques, sociales, économiques et de gestion
s’articule autour de la résolution des dilemmes propres à ces mesures. Gendron (2006) a bien mis
en évidence la nature particulière de la problématique environnementale en gestion, i.e. l'énoncé
du problème décisionnel archétypique en matière d'environnement, qui se caractérise par une
carence en «certitude scientifique ni sur la qualité des phénomènes, ni sur les causes, ni sur leurs
conséquences, mais sans pouvoir reporter les décisions jusqu’à l’éventuelle date future où des
certitudes scientifiques seraient acquises sur ces différents points» (Godard et Salles, 1991 in
Gendron, 2006, p. 79).
Par conséquent, la notion de forum hybride se prête bien à l’expérimentation et à l’analyse de la
stratégie de RSEDD, dans un contexte, caractérisé par «(…) une interpénétration entre la
construction scientifique et la construction sociale des problèmes environnementaux» (Gendron,
2006; p. 79). Ainsi, en situation d’incertitude scientifique, il ne s’agit surtout pas de ne rien faire,
mais de s’engager dans une démarche d’évaluation du danger et de recherche de moyens de le
maîtriser (Callon et al., 2001). Il s'agit donc essentiellement, pour les experts réunis dans ce type
de forum, de prendre les mesures nécessaires pour maximiser la pertinence de l’information
produite par le RSEDD, voire, pour certains, de manière à réduire le nombre de lecteurs
insatisfaits.
Ce forum constitue, par la même occasion, un lieu capable d’endiguer la pluralité des stratégies
de RSEDD des entreprises, de manière à parvenir à les comparer et à accroître le potentiel
régulateur de ce mode de divulgation. Gendron (2006) a bien montré que «la communauté d’un
système de valeurs ou de représentations constitue un principe d’action, c’est-à-dire une forme
institutionnelle capable de canaliser les comportements dans les cas où une routine ou une
convention tacite de comportement vient se substituer à la diversité potentielle des initiatives
individuelles» (Gendron, 2006; p. 59). Toutefois, le lien entre représentations et pratiques
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sociales (Vergès, 1999) dépasse largement la présente communication, qui se veut davantage une
étude descriptive des représentations des experts à propos des dilemmes du RSEDD. Notre
démarche est encore trop jeune pour nous permettre de porter une conclusion sur l’impact des
échanges articulés dans ce forum sur les pratiques concrètes en matière de RSEDD.
3. Méthodologie
Pour mener cette recherche, nous nous sommes engagés dans une démarche de recherche-action
(Mesnier et Massicotte, 2003) et nous avons créé un espace d'action dialogique (un forum
hybride) d'une journée, réunissant 9 experts / gestionnaires du RSEDD d'entreprises, un expert /
consultant (Stratos), un expert / entrepreneur institutionnel (GRI) et 6 experts / chercheurs. La
journée s’est déroulée de la manière suivante : elle a débuté avec la présentation par les experts /
chercheurs des résultats d’analyse de rapports de développement durable, suivie des présentations
par les experts / gestionnaires de la stratégie de communication de leur entreprises, pour se
terminer par une discussion en plénière animée par un expert / chercheur, spécialiste de la
communication en matière de développement durable. Des entretiens préalables ont été réalisés
avec les experts / gestionnaires du RSEDD, de manière à favoriser la convergence du débat et de
la réflexion sur les contraintes et objectifs de la stratégie de communication d'information en
matière de développement durable. Nous avons invité les experts / gestionnaires à répondre aux
questions suivantes: 1. démarche (historique et engagement), 2. le comment et le pourquoi de la
divulgation «volontaire», 3. le comment et le pourquoi des lignes directrices GRI. Les entreprises
représentées par les experts de ce forum sont décrites dans le tableau 1.
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Tableau 1: Données sur les entreprises représentées par les experts / gestionnaires du RSEDD
Experts
Secteur
d'activités
Données générales sur
l’entreprise
Mission sociale;
O/N
#1
Finances
Solidarité et
justice; O
#2
Finances
Institution financière
d’économie solidaire
Actifs : $ 400 M; 80
employés
3 centres de services
Fonds de travailleurs créé
en 1996
#3
Finances
#4
Ressources
naturelles
#5
Service public
#6
Ressources
naturelles
#7
Ressources
naturelles
#8
Finances
#9
Services
Historique de
communication en matière
de DD
Intègre social et économie
dans ses rapports depuis ses
débuts
Créer et préserver
S’intéresse au DD depuis 3
des emplois de
ans
qualité; O
Fonds de retraite au
Sécuriser les
Travaille sur son 2ième rapport
bénéfice des travailleurs
revenus à LT des
de DD
participants; O
Entreprise du secteur de
N; mais
35 ans d’engagement en
l’énergie en majorité
reconnaissance de
environnement
renouvelable
l’impact de ses
4ième rapport de DD
activités sur
l’économie de
certaines régions
Une entreprise en exercice
Un service
depuis 125 ans
susceptible d’aider
Vise la production d’un
la société à croître;
rapport aux 2 ans.
N
En affaire au Québec depuis N; mais soucieux
Des décennies d'engagement
1950, dans le domaine des
de favoriser
social et environnemental
ressources naturelles
l'autonomie des
régions exploitées
Secteur de l'extraction et de
N
Produit ce type d’information
la transformation des
depuis plus de 10 ans, sous
matières premières
forme d’articles de journaux et
suite aux discussions avec le
comité consultatif
Groupe financier intégré de
Contribuer au
Bilan social depuis 40 ans
nature coopérative, existe
mieux être
depuis 108 ans
économique et
Un premier rapport de DD
social des
prévu pour 2009
collectivités et des
individus; O
12 000 employés à travers
N
Se préoccupe de
le monde
l'environnement en 1994, 1ière
Une trentaine de pays
politique en 1997.
Admet un certain retard en
matière de DD
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Les six chercheurs ont été sélectionnés pour leur intérêt pour les stratégies de RSEDD, ayant
étudié, pour certains, les rapports de développement durable publiés en 2004 de dix entreprises,
dont la moitié provient d'entreprises dont les activités sont à fort impact environnemental (secteur
primaire), pour d'autres, les rapports publiés par quatre banques canadiennes et étrangères, chefs
de file en matière de divulgation et, pour un autre, les rapports sociaux et environnementaux en
France.
3.1. Les représentations sociales
Les représentations constituent le principal médium utilisé pour rendre compte des échanges qui
ont eu lieu dans ce forum. L'intérêt du concept de représentations sociales pour notre objectif de
recherche est double. D’abord, elles sont perceptibles, puisqu’elles «circulent dans les discours,
sont portées par les mots, véhiculées dans les messages et images médiatiques, cristallisées dans
les conduites et les agencements matériels ou spatiaux» (Jodelet, 1999; p. 48). Ensuite, elles
permettent de tenir compte de la place ou la position sociale qu’occupe l’expert, puisque les
fonctions qu’il remplit, détermine les contenus représentationnels et leur organisation, à partir du
rapport idéologique qu’il entretient avec le monde extérieur. C’est pourquoi les représentations
sociales sont traitées à la fois comme champ structuré et comme noyau structurant. Ils agissent
comme un noyau structurant car la «naturalisation» des notions «leur donne valeur de réalités
concrètes directement lisibles et utilisables dans l’action sur le monde et les autres» (Jodelet,
1999; p. 72). Les représentations servent d’ancrage à l’instrumentalisation du savoir en lui
conférant une valeur fonctionnelle pour l’interprétation et la gestion de l’environnement. Ce qui
nous amène à nous intéresser à ces représentations, considérant leur potentiel régulatoire, i.e. de
leur capacité à rendre comparables les pratiques des entreprises en matière de RSEDD, par la
voie des experts qui échangent leurs représentations au moment de mener leur expérimentation et
d’innover pour se tailler une place sur le marché de cette expertise.
4. Résultats
Soulignons d'abord la diversité des entreprises représentées par les experts / gestionnaires du
RSEDD réunis dans ce forum. Cette diversité provient du rapport au social, tel que défini par la
mission de certaines entreprises, et le rapport à l’environnement, induit par les activités de
certaines autres, entraîne un positionnement de départ différencié quant à la contribution de
l’organisation au développement durable.
Ainsi, entreprises d’économie sociale, producteurs d’hydroélectricité, firmes de
télécommunication ou entreprises du secteur primaire ne partent pas sur un pied d’égalité
relativement à leur performance en matière de développement durable. Un autre facteur de
différentiation des experts de ce forum provient du fait que plusieurs proviennent d'entreprises
qui avaient déjà un long historique de production de rapports en matière environnementale ou
sociale, et d’autres non. Le défi a donc consisté pour elles à développer de nouveaux volets dans
leur rapport pour restructurer celui-ci dans une perspective de développement durable. Un autre
groupe d’entreprises en était à ses débuts en matière RSEDD.
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Nous avons recueilli les représentations des experts (en entreprise, consultants et chercheurs) à
propos des questionnements suivants, qui ont dominé leur discours et qui, dans une large mesure,
ont fait l'objet de dilemmes : 1. pourquoi produire un tel rapport, 2. qui impliquer dans son
élaboration et quel est l'auditoire visé, 3. quoi communiquer, les bons coups seulement ou aussi
les mauvais coups, 4. comment le faire, impliquant l'adoption (voire l'adaptation) de lignes
directrices de divulgation, et 5. quand produire un tel rapport, en fin d’année avec le rapport
annuel ou tout au long de l’année (voir le tableau 2). Il va de soi que ces éléments sont inter
reliés, par exemple, les personnes impliquées dans la production du rapport auront un effet sur ce
qui sera priorisé en terme de contenu et sur le positionnement de l'entreprise à l'égard des lignes
directrices de divulgation.
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Tableau 2 : Représentations tirées de l’analyse du discours des experts du RSEDD et du contenu
des rapports de développement durable
Experts – Représentations des dilemmes du RSEDD
Catégories
d’analyse
Le pourquoi
Experts –
gestionnaires
environnementaux
Pressions /
Opportunités
d’affaires
Haute direction /
Employés de la base
Le qui
Un processus
largement consultatif
Sensibiliser et former
le lecteur
Reddition de comptes
/ Exercice de
promotion
Le quoi
Simplicité /
Exhaustivité
Bons coups / Mauvais
coups
Experts –
Consultants et
entrepreneurs
institutionnels
Les leaders intègrent
le reporting à la
gestion des risques et
du rendement
Chercheurs
Doute quant à la
capacité des
externalités à
engendrer de la valeur
pour l'entreprise
Les grandes
Déficience en matière
entreprises utilisent de de consultation des
plus en plus les
ONG et des agences
groupes d'intérêt
de notation
Accroissement du
reporting dans les
secteurs où il fait
l'objet d'une
réglementation
Risque de marketing
éthique
Rapports de DD –
analyse de contenu
Signes de résistance et
signes
d’accommodement
Accroître la valeur de
l'entreprise comme
motivation première
Peu d'indicateurs du
GRI sont mesurés
Logique intégrative et
sous divulgation des
mauvais coups
Des volets du DD sont
non exploités
Résultats / Moyens
Le comment
Le quand
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Couverture des
indicateurs de la GRI /
Indicateurs maisons
Lignes directrices
Les entreprises qui se
Mise en cause de la
universelles /
réfèrent à la GRI
pertinence des lignes Adaptation du concept
Spécifiques
obtiennent un meilleur directrices de la GRI
de développement
classement au
pour répondre aux
durable et des
Structures et système
pointage de Stratos
besoins des NMSE
indicateurs du GRI
d’information
Communication
Vise un reporting en
Propose d'ajuster la
Très grande variation
annuelle ou biennale
ligne, de manière
fréquence en fonction
dans les
continue
des besoins des
fréquence de
utilisateurs de
divulgation
l'information
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entre experts, ONG et chercheurs - Phase I
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Le dilemme entourant le «pourquoi» de la communication
S'interrogeant sur les motifs de la communication en matière de développement durable, deux
principaux dilemmes transcendent le discours des experts. Le premier dilemme s'articule de la
manière suivante: est-ce qu’un tel rapport vise à satisfaire les besoins de l'entreprise, suite aux
pressions des agences de notation, des clients, etc., pour réduire les risques financiers et de
réputation et pour lui donner une «vitrine» pour faire la promotion de ses actions «durables» ou,
au contraire, est-il davantage orienté vers les besoins des parties prenantes en vue d’entreprendre
ou de consolider avec elles un dialogue? Le second dilemme s'énonce comme suit: est-il plus
important de divulguer de l'information comparable, à l'aide d'indicateurs universels, ou au
contraire de mettre en évidence son caractère distinctif, son originalité, à partir d'indicateurs
spécifiques?
Le premier dilemme a été soulevé par les chercheurs de ce forum, mais il ne pose pas pour les
autres experts pour qui le développement durable est profitable à la fois pour l'entreprise et pour
la société, témoignant ainsi du déploiement de la logique intégrative (Hoffman, 1999 in Caron et
Turcotte, 2006) (par opposition à la logique distributive selon laquelle ce qui est gagné d'un côté
doit nécessairement être perdu de l'autre), dominante dans le discours des experts, qui se reflète
dans la mise en évidence d'une possible réconciliation des dimensions environnementale, sociale
et économique (Chercheurs 2 et 3). Mais, la situation gagnante-gagnante sera beaucoup moins
évidente pour certains experts réunis dans ce forum, le type de secteur jouant un rôle important.
En effet, certains secteurs sont plus en mesure de «profiter» des nouvelles contraintes
écologiques posées aux entreprises, comme par exemple les entreprises de télécommunication qui
peuvent se faire une belle image à moins de frais que des entreprises comme Alcan. Ceci dit, pour
traduire l’importance pour l’entreprise d’y voir un moyen d’accroître sa valeur, les experts
invoquent les recherches qui ont montré qu’il y avait une corrélation positive entre la rentabilité
financière à long terme et la gestion de risques extra financiers, soit les risques
environnementaux, sociaux et de gouvernance. Par exemple, selon une étude du Global
Environmental Management Initiative (GEMI), la valeur réelle d’une entreprise est associée à la
valeur des actifs à laquelle on ajoute une valeur intangible qui comprend ce qui est fait pour
protéger l’environnement, la santé et la sécurité de nos employés (Expert 5).
Pour eux, développement durable et entreprise durable sont synonymes, comme le souligne
l'expert 5: Notre entreprise est en activité depuis 125 ans, pour que la société soit durable, il faut
des entreprises durables et c’est en prenant nos responsabilités qu’on devient durable.
Ainsi, plusieurs experts ont évoqué comment, tout en les sensibilisant au défi du développement
durable, le rapport contribue à la fierté des employés en mettant en exergue les résultats obtenus
et les efforts consentis à la performance sociale et environnementale de l’entreprise. Du côté de la
haute direction, ce sont les bénéfices d’une gestion des dimensions sociales et environnementales
(rétention et fierté des employés, réduction des coûts, mise en marché des produits) que les
experts cherchent à démontrer. Un expert expliquait notamment comment la présentation des
efforts faits par l’entreprise en matière environnementale et sociale peut contribuer à révéler sa
« valeur intrinsèque », c’est-à-dire sa valeur sur les marchés boursiers: Il y a une différence entre
la valeur réelle de l’entreprise et la valeur que lui accorde le marché boursier et cette différence
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est due au manque d’information. Ainsi, si on fait de bons rapports, si on communique bien les
programmes ça peut faire augmenter la valeur de notre compagnie sur le marché (Expert 5).
Pour plusieurs experts, la réduction des coûts constitue le principal motif pour s'engager dans une
démarche de communication, comme c'est le cas pour celui-ci : Suivre des processus avec un œil
environnement nous permet de réduire les coûts. Cela a été reconnu par la direction et c’est pour
cette raison qu’ils nous ont accordé le mandat l’année dernière de coordonner l’ensemble des
questions de responsabilité d’entreprise et de développer la vision et la stratégie de la compagnie
(Expert 5). Dans un contexte de filiales, le rapport fait même partie des arguments de vente pour
obtenir du capital auprès de la société mère.
Pour certains, la rentabilité financière de l'entreprise serait même pré-requis au développement
durable: si on n'est pas profitable ou viable, on n'a aucune chance de participer au
développement durable (Expert 5). Pour eux, l'actionnaire est le premier acteur à satisfaire,
viennent ensuite les communautés où on est présent pour augmenter les standards d'emplois
(Expert 6). Un expert a toutefois mis en évidence la difficulté de réconcilier les objectifs à court
terme des projets réalisés dans les pays en voie de développement, avec les objectifs à long terme
du développement durable (Expert 9).
En réponse au deuxième dilemme, les indicateurs comparatifs occupent une place importante
dans les représentations des experts. En effet, plusieurs ont montré que le rapport de
développement durable est envisagé comme un des outils permettant à l'entreprise de se
positionner avantageusement, en obtenant des reconnaissances telles que figurer dans les index de
développement durable et de responsabilité sociale et être choisie par des investisseurs éthiques,
voire d’assurer son leadership par rapport à l’ensemble de son secteur. En retour, ces
reconnaissances posent des défis supplémentaires, parce qu'il nous faudra rendre davantage
compte de nos actions, mais nous sommes optimistes quant à la réalisation de nos objectifs, s'ils
sont suivis de manière continue (Expert 1). Nous reviendrons plus loin sur la propension de la
communication de cette information à engendrer des pratiques durables (son potentiel
exécutoire).
En terminant, si pour plusieurs experts, il s'agit de se doter d'une vitrine de développement
durable pour démontrer sa capacité à exploiter les ressources de façon responsable (Expert 5),
les chercheurs soulignent le danger du marketing éthique (Chercheur 1).
Le dilemme entourant «qui» est concerné par la communication
Ce dilemme met en scène deux groupes d’acteurs, d’abord ceux qui participent à la production du
rapport et ensuite ceux à qui il est destiné. Concernant les producteurs du rapport les questions
qui se posent sont les suivantes: Est-ce que les gens de la base doivent être impliqués dans la
production de ce rapport ou seulement la haute direction? Est-ce que les partenaires sont
impliqués dans la démarche de production d’un rapport de développement durable, à quel
moment et jusqu’à quel point?
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En réponse à ces interrogations, des experts soulignent que la production d’un rapport de
développement durable peut faire suite à une demande de la haute direction, ou être impulsée au
contraire par la base. Mais même dans le second cas, la haute direction prend le relais de manière
à ce que soit mis en place un système d’information et soient injectées les ressources nécessaires
à la production d’un tel rapport.
La consultation des partenaires peut toutefois rallonger de manière importante le processus de
divulgation, comme le souligne un expert: Après trois ans de travail, nous avons adopté notre
politique, objet d'une consultation menée démocratiquement auprès des conseils de
représentants, pour finalement déposer notre bilan de responsabilité cette année (Expert 8).
Dans un premier cas, c’est en raison de son expérience antérieure que l'expert a décidé de
produire un rapport de développement durable. Dans un autre, l'expert responsable comptait sur
l’ambition de leadership de sa direction pour s’engager dans une telle démarche. Les personnes
susceptibles d’être impliquées, par la suite, dans le processus ont aussi une importance
déterminante. L’un des défis demeure de traiter des « bons » sujets, et les experts ont évoqué
plusieurs mécanismes visant à garantir la pertinence des champs couverts par le rapport : mise en
place de comités, recours à des experts conseils externes, consultation des parties prenantes
internes et externes.
Pour l'expert 8, il a fallu monter un forum de consultation réunissant 70 personnes, soit des
gestionnaires d'entreprise, de nos membres et des experts externes. Ce forum (…) permettra, à
partir des travaux préalables que nous avons faits, de répondre aux attentes du plus grand
nombre et de prioriser nos indicateurs en fonction des différents domaines auxquels touche notre
entreprise (Expert 8).
Pour un autre expert, une refonte du système de gestion a été nécessaire pour assurer une gestion
intégrée du développement durable: Nous sommes en train de casser les silos pour avoir un
système de gestion intégrée. Cette année, nous avons commencé ce processus avec l’équipe de
direction pour la responsabilité d’entreprise qui regroupe des intervenants de santé et sécurité,
d’environnement, des communications, des achats, du système d’approvisionnement, relations
industrielles, ressources humaines. Les gens qui sont assis autour de la table sont des
représentants qui touchent l’ensemble des activités au niveau de la gouvernance, de l’économie,
de l’environnement et du social. Ainsi, nous sommes capables d’établir pour l’ensemble de la
compagnie une série d’objectifs clés (Expert 5).
Plusieurs experts cherchent donc à associer des partenaires à la production du rapport. L’un d’eux
est à mettre sur pied un comité consultatif sur le développement durable pour la région qui serait
consultée quant au contenu du rapport (sujets d’intérêt et indicateurs). Les consultations
permettent de ne pas réduire le rapport à des informations qui semblent pertinentes à
l’organisation, en omettant des domaines qui intéressent pourtant certaines parties prenantes. La
consultation de partenaires externes permet notamment de savoir si l’information est accessible,
quels sont les sujets relatifs au développement durable qui importent aux Québécois, et de
construire le rapport à partir de ces informations. Certains experts disent aussi se référer à la
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norme AA 1000 dans le cadre de la participation des parties prenantes à la production du rapport:
Les normes proposées par AA1000 correspondent aux valeurs de gestion participative de notre
entreprise et sont en continuité avec sa planification stratégique, c'est-à-dire l'identification de
ses parties prenantes et l'importance de leurs attentes par rapport à ses actions (Expert 2).
On a pu distinguer chez les experts deux stratégies pour ce faire : certains responsables jugent des
indicateurs et les choisissent de façon relativement autonome, tandis que d’autres, tout
spécialement les entreprises financière d’économie sociale, se prêtent à des opérations de
consultation à l’intérieur de l’entreprise de manière à choisir, mais aussi éventuellement à
construire des indicateurs, ce qui se traduit par une opération d’envergure pour les grandes
entreprises. Plusieurs experts se sont donc lancés dans une opération de création d’indicateurs qui
bénéficiera d’une consultation élargie de telle manière à ce que le rapport propose non seulement
des indicateurs de la GRI, mais aussi des « indicateurs maison ». Ces experts envisagent un
important travail quant à la structure du rapport et à la contribution des personnes concernées par
sa production.
Les comités mis sur pied par les experts pour mettre en œuvre la stratégie de communication de
l'entreprise peuvent être vastes: Nous travaillons (…) à mettre en place un comité consultatif sur
le développement durable pour notre région avec des partenaires de différents horizons, ce qui
nous permettrait d'avoir des avis supplémentaires quant à la pertinence de notre rapport et
surtout sur nos activités, et d'être en constante amélioration (Expert 7).
Le processus de collecte de données peut être fastidieux; pour les grandes entreprises, le
processus au chapitre de la production de l’information est très lourd. Plusieurs experts
mentionnent que le système de collecte de données et de contrôle implique jusqu’à 200
intervenants dans l’entreprise, et correspond au travail à temps plein par année de trois à quatre
personnes. Plusieurs experts disent collaborer avec leur département de communication pour
produire leur rapport, et certains mentionnent aussi que leur département juridique révise et
approuve le rapport. Dans une entreprise en particulier, la réalisation du rapport est assurée par un
comité de pilotage impliquant le président directeur général, les responsables des affaires
juridiques, de la planification et de la recherche.
Concernant les destinataires du rapport de développement durable, plusieurs experts ont insisté
sur la volonté que le rapport soit lu. Ce qui implique une démarche de consultation préalable :
Avant même de divulguer, il faut penser au système de gestion et comprendre nos enjeux,
comprendre nos partenaires et ce qu’ils veulent savoir. Ce qu’ils veulent savoir, c’est
principalement comment on prend nos responsabilités (Expert 5). Ce qui montre bien la
dimension co-construction du rapport, le contenu n’étant pas décidé totalement unilatéralement,
mais bien dans le cadre d’un dialogue social où les demandes des autres acteurs sont interprétées
et traitées en fonction des impératifs communicationnels. L’un des experts s’est attardé sur le défi
particulier que pose un rapport de développement durable destiné à un public qui n’est pas
nécessairement au fait de ce qu’est le développement durable; il est par conséquent nécessaire
selon lui que le gouvernement mène un travail de sensibilisation auquel les entreprises pourraient
contribuer. L’expert soulignait que les rapports de développement durable ne peuvent être
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porteurs qu’en autant que la population comprend en quoi consiste le développement durable, et
que la divulgation participe d’un mouvement général de la société dans son ensemble vers cet
objectif du développement durable. Faire connaître le développement durable et la contribution
de l’entreprise au grand public est donc l’un des objectifs visés par les experts qui produisent un
rapport de développement durable; mais on vise également une sensibilisation à l’intérieur de
l’entreprise, auprès des employés comme de la haute direction.
Pour un expert qui souhaite mettre en évidence la spécificité des actions de son entreprise en
matière de DD, l’adaptation du rapport à un public cible (en fonction de sa maîtrise de la
question) est essentielle. Le rapport de DD auquel a participé un expert a été additionné d'un
feuillet synthèse permettant à un public plus large de connaître sa politique environnementale
(Expert, 4). Il a également créé un site Internet sur le développement durable afin de ne pas
limiter l'accès des informations qu'elle produit à un public spécialisé (Expert, 4).
Le dilemme entourant le «quoi» communiquer
Est-ce qu’on produit un rapport long ou court? Est-ce qu’on divulgue seulement les bons coups,
ou aussi les mauvais coups? Est-ce qu’on communique à propos des résultats ou à propos des
moyens? Est-ce qu’on communique de l’information universelle et comparable ou de
l’information spécifique?
Les décisions quant au contenu des rapports opposent la reddition de compte à un exercice de
promotion de la part de l’entreprise. La divulgation des mauvais coups constitue l’élément qui
distingue ces deux alternatives. Or, l’expert voit dans la divulgation des mauvais coups, la
possibilité de contextualiser, d’expliquer une information qui est rendue publique de toute façon.
Enfin, les experts se sont interrogés sur la divulgation de mauvaises performances et la
publication d’informations négatives. Bien que tous les experts s’entendent sur la nécessité de ne
pas taire « les mauvais coups », les échanges sur la question laissent penser qu’il s’agit surtout de
les contextualiser plutôt que de tout simplement rendre compte d’une mauvaise performance ;
ainsi, les participants s’accordaient sur le fait qu’il vaut mieux traiter des moins bons coups dans
un esprit de transparence, que de les passer sous silence dans la mesure où ceux-ci seront de toute
façon repris et diffusés dans d’autres cadres et que certains d’entre eux peuvent même avoir des
impacts financiers7.
Un expert souligne que même si nos résultats ne sont pas les meilleurs, ils seront tout de même
publiés, et nous chercherons à y remédier (Expert 7). Par contre, pour un autre expert : Notre
rapport s’appelle un rapport de responsabilité d’entreprise. Dans celui-ci, on rend des comptes
sur les mesures que l’on a prises pour bien faire les choses en environnement et du côté social
(Expert 5).
7
On peut se demander par ailleurs comment serait traité une performance négative dont il est peu probable qu’elle
puisse être connue du public.
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On s’est donc interrogé sur la compatibilité de ces deux objectifs : est-il possible de concilier la
reddition de comptes qui suppose un format permettant notamment la comparabilité dans le
temps et dans l’espace, et la communication sur les programmes mis en œuvre et les succès qui
varient d’année en année?
Est posé ici toute la question de l’objet de la reddition : résultats, ou moyens utilisés pour les
atteindre? Si les experts évoquent la nécessité de rendre des comptes, ils ont surtout insisté sur
l’importance de faire connaître au public et à leurs parties prenantes, et même à la haute
direction, leurs efforts en matière de développement durable. Ainsi un expert préfère les
indicateurs proactifs qui permettent de mettre en place des mesures pour prévenir des
déversements, les pénalités, les infractions. L'indicateur proactif serait: combien d'employés
formés? Quel pourcentage d'unités d'affaires certifiées ISO 14000? (Expert 9).
Ainsi, l’une experts publie une sorte de magasine, constitué d’articles rédigés par des employés
ainsi que des partenaires, mais contenant aussi les indicateurs jugés les plus pertinents. Les sujets
traités sont ici choisis sur une base « ad hoc », en fonction des initiatives promues par chacune
des usines au cours de l’année. Un tel document se distingue du rapport de développement
durable d’une autre des entreprises participantes qui atteint pas moins de 700 pages. Mais on
s’interroge toujours sur la façon de réaliser un rapport à la fois simple et complet.
On s’est interrogé lors du débat sur la compatibilité d’une telle stratégie permettant de faire valoir
les particularités d’un secteur ou d’une entreprise avec l’ambition de comparabilité de la reddition
de comptes. Un expert, notamment, utilise les normes de la GRI avec le [supplément sectoriel]
comme outils de référence et des outils d’amélioration comme l’évaluation par la firme Stratos
(Expert 5).
Si pour certains, l’application des lignes directrices de la GRI (la mesure des indicateurs de la
GRI) est un problème de ressources (souvent largement insuffisantes), pour celles qui en ont
suffisamment et qui ont développé une expertise de longue date en matière d’information nonfinancière, l’enjeu principal est la traduction de sa spécificité à travers ces indicateurs universels.
Ainsi, un expert qui a à son actif un historique de communication en matière d’environnement
qui date de plus de 35 ans et qui dispose à cette fin d’un large bassin de ressources, un équilibre
est à trouver entre les points intéressants issus de nos réalisations annuelles et le discours à tenir
afin de justifier notre prose en matière de responsabilité par rapport aux différents volets du
développement durable (Expert 4). Dans ce cas, un souci d’adaptation du rapport de DD à
différents publics cibles.
Pour un expert dont la formation est en comptabilité financière, un exercice de reddition de
comptes en bonne et due forme est indispensable : Je suis issue du secteur financier traditionnel,
pour moi l’idéal serait qu’on ait des états financiers, environnementaux et sociaux, qu’on puisse
construire et calculer des ratios, et puis qu’on puisse facilement comparer les entreprises. Même
si tous les travaux dans la GRI tendent à permettre une certaine comparabilité, on n’en est pas
encore là (Expert 3). Un autre souligne l’importance de se rapprocher d’un exercice de reddition
de comptes : Nous voulons établir une continuité entre le rapport financier et le rapport de
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responsabilité d’entreprise, en particulier en ce qui a trait à la façon dont l’information est
présentée (Expert 5). Cet expert s’est placé dans la peau de l’utilisateur de l’information, et non
dans celle du fournisseur de l’information. Le fait qu’il ait tenu à le préciser est révélateur d’une
certaine rupture entre ces deux entités, quant au contenu et à la forme de l’information à
présenter, rupture qui est connue intuitivement par les experts.
Le dilemme entourant l'utilisation d'outils de divulgation (le comment)
L’utilisation des critères de la GRI soulève des dilemmes particuliers : 1. celui de l’universalité
ou de la spécificité des indicateurs, 2. la forme à donner à ce rapport. L’exigence d’exhaustivité
des champs couverts par les indicateurs du GRI et les choix éditoriaux en fonction du plan et des
initiatives annuels que l’on souhaite présenter se posent comme un véritable dilemme pour les
entreprises. La question qui s’est posée le plus à travers les débats concernant les lignes
directrices tournait autour de la capacité des indicateurs de la GRI à bien faire ressortir la
performance des entreprises dans les domaines sociaux et environnementaux, surtout lorsque
celle-ci est jugée exceptionnelle compte tenu des caractéristiques intrinsèques de l’organisation.
Pour certains, des indicateurs reconnus et universels permettent de faire ressortir les
caractéristiques distinctives de l’entreprise, alors que pour d’autres il est nécessaire de développer
d’autres indicateurs que ceux proposés par la GRI pour ce faire. On s’est interrogé lors du débat
sur la compatibilité d’une telle stratégie permettant de faire valoir les particularités d’un secteur
ou d’une entreprise avec l’ambition de comparabilité de la reddition de comptes. Un expert dit
avoir beaucoup travaillé grâce au supplément sectoriel (Expert 3), pour concevoir son premier
rapport de développement durable.
Le choix des indicateurs doit permettre de faire ressortir le caractère distinctif de l’organisation et
il n’est pas certain que les lignes directrices permettent vraiment de mettre en valeur la rentabilité
sociale des organisations.
Les lignes directrices sont connues et utilisées par la quasi totalité des experts pour qui elles
servent minimalement de référence, et souvent de base à l’élaboration du rapport. L’intérêt des
lignes directrices de la GRI réside dans le fait qu’il s’agit d’un cadre de référence reconnu au
niveau international et adapté au monde des affaires. Pour plusieurs l’objectif est de Produire un
rapport de développement durable qui traduise une excellente, sinon la meilleure utilisation des
lignes directrices de la GRI, afin d'acquérir davantage de légitimité en dépassant la simple
production de rapport (Expert 2).
Le deuxième intérêt réside dans sa souplesse, comme le souligne notamment un expert : En tant
que reporteur, la souplesse est aussi un avantage. Étant une petite structure, il est plus difficile
d’avoir les ressources nécessaires pour être conforme dès le départ (Expert 3).
Pour un autre : nous ne cherchons pas à créer de nouveaux indicateurs, mais plutôt à redéfinir
ceux qui sont les plus importants dans des grilles comme celles de la GRI (Expert 7). Pour un
autre dont l'entreprise a toujours cherchée à être première en tout, leur position face à la GRI est
de s'en inspirer comme on l'a fait avec ISO, pour un jour éventuellement, arriver avec quelque
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chose de conforme, mais j'ai l'impression qu'on va aller plus loin que la GRI. (…) Le défi est de
trouver des indicateurs proactifs (Expert 9).
La production du rapport, tout spécialement en conformité avec les lignes directrices de la GRI
suscite néanmoins chez les experts un commentaire universel : le processus est lourd et
fastidieux, de même que le rapport susceptible d’en résulter. Les lignes directrices touchent à peu
près tous les domaines de l’organisation. Pour les petites structures notamment, les indicateurs
proposés par le GRI ne semblent pas pertinents et de larges sections s’avèrent sans objet ou
nécessitent une information difficile à trouver.
Par ailleurs, certaines informations sont plus difficiles à retracer que d’autres selon le système de
gestion en place; la production d’un rapport de développement durable qui couvre autant
l’économique que le social et l’environnemental suppose un système de gestion intégrée qui n’est
souvent pas encore en place. Pour une entreprise mère existe aussi le défi de la performance de
ses filiales, surtout lorsque l’organisation est très décentralisée mais aussi très diversifiée au
chapitre des activités.
Par exemple, pour l’un d’eux le défi de la reddition de comptes tient à notre structure très
décentralisée. (…) Il est difficile d'aller chercher l'information. De plus, il n'y pas de système en
place. Une seule unité est certifiée ISO 14001, alors que 35 sont déjà certifiées ISO 9001 (Expert
9).
Certains experts soulignent le processus d’amélioration continue à travers lequel les lignes
directrices ont évolué depuis leur première publication. Ils apprécient aussi la souplesse qu’elles
permettent, bien que comme le fait remarquer l’expert utilisateur de rapports, cette souplesse peut
ouvrir la voie à un marketing de l’éthique, c’est-à-dire à un processus de reddition qui correspond
surtout à un exercice de promotion.
Des indicateurs universels nous permettent de nous comparer aux autres entreprises et donnent de
la crédibilité à la démarche (évite le greenwashing), alors que des critères spécifiques permettent
à l’entreprise de rendre compte de ses actions propres. Pour les experts qui entament une
démarche de divulgation, la complétude du rapport sera progressive, et certains indicateurs seront
priorisés. Plusieurs experts se sont lancés dans une opération de création d’indicateurs qui
bénéficiera d’une consultation élargie de telle manière à ce que le rapport propose non seulement
des indicateurs de la GRI, mais aussi des « indicateurs maison ». De façon plus générale, bien
que bon nombre de rapports incluent un tableau synthèse des indicateurs de la GRI, plusieurs
d’entre eux jugent que ces indicateurs ne sont pas toujours pertinents et qu’il est par conséquent
nécessaire d’opérer une sélection. Dans ce cadre, les indicateurs de la GRI peuvent servir de base
à une réflexion permettant de construire de nouveaux indicateurs.
Pour certains la procédure suivie cette année a été de présenter une première ébauche
d'indicateurs au comité de coordination générale de l’institution et d'en discuter dans toute
l'entreprise afin d'obtenir un consensus à terme, de faire valider les indicateurs présentés au
conseil d'admission et de mettre à jour les systèmes d'information (Expert 1).
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Il n’en reste pas moins que selon un autre expert, en proposant des indicateurs universels et en
offrant un cadre garantissant une certaine complétude du rapport, les lignes directrices GRI
permettent de faire du benchmarking et de comparer les entreprises entre elles. Cela incite toutes
les organisations à améliorer leurs programmes environnementaux, et se traduit même par une
véritable obligation de reddition. Les lignes directrices ont ainsi un véritable effet d’entraînement
et contribuent à l’amélioration continue de la performance sociale et environnementale de
l’entreprise. Comme l’indique un des experts Ça nous permet d’avoir une certaine uniformité
dans le genre d’indicateurs qui est utilisé. Ça nous permet de faire de l’étalonnage (du
benchmarking) en comparant les entreprises entre elles. Ça nous permet d’améliorer tous les
programmes environnementaux de l’entreprise. Ça favorise l’établissement de programmes
(Expert 5).
Par ailleurs, pour la quasi totalité des experts, il semble bien que la référence aux indicateurs de la
GRI demeure partielle. Enfin, un expert a fait une réflexion relativement à la valeur des
indicateurs. Selon lui, les indicateurs présentés dans les rapports peuvent être de qualité variable,
c’est-à-dire que certains indicateurs sont faciles à publier sans toutefois être garants d’une
performance exceptionnelle ; les rapports qui utilisent ce procédé s’apparentent à du
« greenwashing » et ne font pas preuve d’un véritable engagement. On souhaite se démarquer de
tels rapports pour atteindre ce qui se fait de mieux dans le secteur.
En tous les cas, le rapport de développement durable fait déjà souvent partie d’un ensemble plus
large d’outils de communication parmi lesquels on compte le site Web ainsi que des publications
plus ou moins régulières de l’entreprise destinées à ses différents publics (employés, dirigeants,
clients, communautés). Une des avenues qui semblait se dessiner est la production de deux outils
distincts, l’un plus exhaustif accessible sur la toile ou dans un document potentiellement
volumineux, et l’autre plus sommaire dont la facture vise à intéresser le plus de lecteurs
possibles.
Le dilemme entourant le «quand» communiquer
Compte tenu de la lourdeur du processus, certains experts songent à une publication biennale du
rapport, moins lourde qu’une production annuelle. Par ailleurs, alors qu’une organisation souhaite
établir une continuité entre le rapport financier et le rapport de développement durable au niveau
de la présentation des informations, plusieurs experts intègrent ou songent à intégrer le rapport de
développement durable à leur bilan annuel.
5. Analyse et discussion des résultats
Ces résultats montrent que la démarche de RSEDD est bien ancrée dans les grandes entreprises,
bien qu'elle soit, pour plusieurs, relativement embryonnaire. La principale motivation des
entreprises à s'engager dans une telle démarche est la valeur qu'elle en espère, à tout le moins en
matière de réduction des coûts. Ce à quoi rétorquent les chercheurs en mettant en évidence le
danger de marketing éthique ou de greenwashing des entreprises. Au chapitre des partenaires
consultés, d'importants efforts sont orientés vers la consultation interne plutôt que vers la
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consultation externe. Ceci s'explique par les difficultés liées à la gestion d'un processus novateurs
pour lequel les gestionnaires ont un apprentissage à acquérir et à transmettre aux parties
concernées. De plus, la structure de l'entreprise (surtout la structure en silo) ne se prête pas
toujours très bien à la logique transversale de cette forme de divulgation. Ce qui est susceptible
de ralentir le processus de cueillette et de compilation nécessaire à la satisfaction des critères du
GRI, notamment. Ce qui laisse, somme toute, peu de place pour une consultation externe
exhaustive.
En revanche, pour les gestionnaires qui ne sentent pas véritablement de pression de l'externe pour
produire ce type d'information, une consultation externe prend pour eux la forme d'une démarche
de sensibilisation et d'éducation des utilisateurs de l'information (le public en général), au
développement durable. Ils s'attribuent en quelque sorte un mandat éducatif et se donnent du
coup l'occasion de transmettre leur vision du développement durable. Les gestionnaires ont
finalement mis l'accent sur l'importance de l'apprentissage de leur propre entreprise à l'égard du
RSEDD. Ils priorisent les indicateurs proactifs et ceux qui leur permettent de montrer les efforts
consentis par leur entreprise pour inscrire leurs activités dans une démarche de durabilité, plutôt
que ceux qui leur demandent de fournir des résultats ponctuels. Ce qui les amène à apprécier les
lignes directrices du GRI pour leur crédibilité et le balisage qu'elles rendent possible avec les
autres entreprises, mais surtout leur souplesse. La plupart d'entre eux complètent ces lignes
directrices par des suppléments sectoriels en la matière et adaptent, traduisent et redéfinissent les
indicateurs du GRI, pour mettre en valeur la spécificité de leur entreprise. Et enfin, la fréquence
de divulgation connaît des variations importantes, allant d'un rapport mensuel à un rapport
annuel, et elle semble dépendre davantage des contraintes internes de l'entreprise, que d'une
requête exprimée par les utilisateurs de cette information, que les experts connaissent, somme
toute, encore très peu.
6. Conclusion
Les concepts de développement durable et de responsabilité sociale sont des concepts flous et
malléables, en cours de construction. Le gestionnaire responsable de la stratégie de
communication de l’entreprise en matière d’information sociale, environnementale et de
développement durable est appelé à interagir avec les autres acteurs qui, comme lui, participent à
la co-construction de ces concepts et à mettre en œuvre une pratique innovante. La réussite de
cette pratique repose sur sa capacité à prendre en compte les besoins réels des utilisateurs de cette
information et à faire évoluer sa représentation du développement durable, autrement dit que sa
malléabilité s’exerce de façon démocratique. Il s’agit ainsi d’éviter le danger d'un verrouillage de
la pratique portée par des experts qui soient étrangers à un compromis plus social autour du rôle
de l'entreprise dans la société.
Cette recherche ne permet toutefois pas, pour l’instant, d’établir un lien direct entre les
représentations échangées dans ce forum et la stratégie communication des entreprises. Une
deuxième phase est prévue, pour la conduite de ce projet, afin d’accroître notamment la variété
des acteurs en présence et d’inclure par exemple des ONG, à la demande des entreprises ellesmêmes. Ce qui, nous l’espérons, permettra d’accroître la pertinence des informations divulguées
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dans ces rapports. Unir chercheurs et praticiens est requis non seulement pour palier au flou
décisionnel entourant la problématique de développement durable caractérisée par une carence
scientifique, mais aussi pour éviter que le dernier né des régulateurs macroéconomiques
n’échappe à l’expertise comptable et subisse le même sort que le prix de revient équitable du
début du 20ième siècle.
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