129
ROMAIN GUILLOUX - PSYCHOLOGUE
UN CERVEAU, COMMENT ÇA MARCHE ? (XIV)
OUI, JECOUTE
Beaucoup d'entre vous, qui connaissent le site de Coridys surtout pour son
implication dans le traitement de la dyslexie doivent se demander "mais quand est -
ce qu'il va en parler ?" Eh bien, on y arrive. On va aborder le monde de l'audition,
qui est tout à fait crucial dans l'apprentissage du langage. Et une fois de plus, ce
n'est pas simple. Désolé.
Les sons que nous entendons, quelle que soit leur origine (bruit, musique, parole)
sont des vibrations mécaniques du milieu ambiant, c'est à dire en temps normal
pour nous, l'eau. En plus, ce sont des vibrations extrêmement complexes.
Comment notre cerveau fait-il pour tirer des informations de ces vibrations ?
D'abord, il faut transformer ces vibrations mécaniques en signaux capables d'être
"compris" par notre cerveau, donc des signaux électriques et chimiques. C'est le
boulot de nos oreilles, et tout particulièrement de l'oreille interne.
Prenons un exemple, vous êtes au restaurant, il y a un bruit de fond à base de
fourchettes, de conversations mélangées, de musique d'ambiance, avec les bruits de
la rue quand quelqu'un ouvre la porte, etc… Question vibrations mécaniques, vos
oreilles sont servies. Pourtant, dans ce mélange de vibrations complexes, vous allez
entendre votre voisine vous chuchoter un mot tendre - ou une critique de
l'accoutrement de telle ou telle autre convive, c'est selon. Si quelqu'un, dans la
conversation de la table à côté, prononce le nom d'une de vos connaissances, vous
allez tout de suite être en alerte. Si la musique d'ambiance reprend une chanson qui
vous rappelle vos jeunes années, vous allez sélectionner cette chanson et effacer les
bruits ambiants… Ça n'a l'air de rien, mais c'est une sacrée performance.
Alors, tous ces sons mélangés arrivent à vos oreilles. Ils sont captés par une
membrane un peu comparable à celle du microphone, votre tympan. Derrière ce
tympan, une chaîne de trois petits os (appelés marteau, étrier et enclume)
transmettent ces sons à une espèce de colimaçon appelé la "cochlée". Dans ce
colimaçon, une membrane tapissée de petits cils baigne dans un liquide. Les sons
captés par le tympan et transmis par les osselets mettent cette colonne liquide en
vibration. Et cela fait vibrer les petits cils qui tapissent le colimaçon - je veux dire la
cochlée ! Chacun de ces petits cils est branché sur un neurone qui envoie vers le
cerveau un train d'impulsion correspondant aux vibrations qu'il a détectées, et le
tour est joué.
130
Mais, me direz-vous, si tous les cils sont mis en vibration pareil, comment le
cerveau va-t-il reconnaître un quatuor de Beethoven, le dernier tube à la mode, ou
une porte qui grince ?
Eh bien, précisément, chaque cil ne réagit pas à tous les sons. Vous êtes-vous
amusé(e) à faire vibrer sur le bord d'une table une lime à ongle, une lame de scie, ou
n'importe quelle lame métallique ? Vous avez remarqué que plus la portion de lame
vibrante est courte, plus la lame est rigide, et plus le son produit est aigu. Eh bien,
la membrane qui porte les cils est plus ou moins raide selon les endroits, et les cils
qu'elle porte seront plus sensibles à une sorte de vibration précise. La membrane
est en quelque sorte "accordée" pour recevoir à des endroits précis tel type de
fréquence sonore. Et par conséquent, le cil concerné va apporter au cerveau les
informations sur la présence ou l'absence de telle fréquence, et sur son intensité.
Quand le cerveau aura le résultat de tous les cils, il a en quelque sorte la carte
sonore de l'environnement, et il va pouvoir faire son marché.
Sons graves
Sons aigus Voix parlée
Le "la" du diapason
(tonalité du téléphone)
Sur ce dessin sommaire de la Cochlée (le
"colimaçon"), j'ai porté les domaines sonores
auxquels la portion indiquée est plus sensible.
Figure 39
Mais voilà, pour différentes raisons, les sons graves ont tendance à "envahir" tout
l'espace de la cochlée, et donc à brouiller un peu les cartes. Là encore, la nature a
inventé un truc génial pour régler ce problème. Deux tout petits muscles, attachés
l'un au tympan et l'autre aux osselets de l'oreille (marteau, enclume et étrier),
"tendent" plus ou moins le système de réception, ce qui permet de réguler la
proportion de graves et d'aigus, en même temps que l'intensité globale du son. Ils
ont en quelque sorte à la fois la fonction du bouton de volume, et du bouton
"graves - aigus" de votre poste de radio. De cette manière, la sélection de ce qu'il
"faut écouter" dans la gamme des sons entendus peut se faire, et vous êtes capable
de prêter attention à ce que vous dit votre vis-à-vis au restaurant, malgré les bruits
de fourchettes, le brouhaha et la musique d'ambiance. En fait, ces petits muscles se
contractent de façon réflexe lorsqu'il y a un bruit violent (avec un tout petit temps
de retard, malgré tout, ce qui fait que ça ne marche pas en cas d'explosion
inattendue par exemple). Mais ils se contractent aussi lorsqu'on s'apprête à parler -
ou encore plus à crier! -. Je pense que pour la "Castafiore", et plus généralement les
chanteurs dont la voix est particulièrement puissante, il y a intérêt à ce que ces
muscles protègent les oreilles contre la voix même de la personne, car la puissance
sonore émise peut être assez considérable !
131
Si un "grain de sable" vient s'immiscer dans le fonctionnement de ces mécanismes
délicats, vous allez avoir du mal à faire le tri, et à "choisir" ce que vous devez
écouter dans l'ensemble des sons ambiants. Ces grains de sable peuvent provenir
d'un défaut de fonctionnement de ces petits muscles. Soit parce qu'avec l'âge, le
mécanisme se "grippe" un peu, ou parce que la fréquentation assidue des baladeurs
"plein pot" et des tonitruantes enceintes de la musique techno, des raves, ou des
boites, a fini par léser ces petits muscles régulateurs, et raidir les micro-tendons qui
relient les minuscules os de l'oreille moyenne. Ça peut être aussi lié à un défaut inné
dans le contrôle musculaire, ou une maladie dégénérative. Toujours est-il que dans
ce cas, votre "attention auditive" sera perturbée, puisque vous ne pourrez pas
aisément faire le tri.
Bon, donc de chaque cil de la cochlée, un nerf part porter sa part d'information au
cerveau. Mais comme d'habitude, il ne va pas directement au cortex, il porte la
bonne parole d'abord dans la partie la plus ancienne de notre cerveau, le "tronc
cérébral".
Une question de cours, maintenant. Vous souvenez-vous de ce qu'on avait évoqué,
voici quelques temps (dans le chapitre 2 plus exactement), à propos de cette
structure particulière qu'on appelle la "formation réticulée" ? Bon, c'était pour voir
si tout le monde suit. Je vous rappelle les faits: c'est un ensemble de neurones très
particuliers, assez diffus, qui joue un peu le rôle d'espion. Tant qu'il ne passe rien
elle laisse nos hémisphères cérébraux dormir du sommeil du juste, mais quand une
information se présente, elle "réveille" en quelque sorte ces hémisphères cérébraux
pour avertir qu'il va y avoir du boulot. Cette formation joue un rôle
particulièrement important en ce qui concerne l'audition. En effet, si vous voulez
dormir, par exemple, vous fermez les yeux, pas de problème, votre système visuel
n'est pas sollicité, sauf lueur vraiment extraordinaire. Mais allez donc fermer vos
oreilles ! Nos oreilles n'ont pas de paupières ! Pourtant, tout le monde ne peut pas
s'offrir le luxe d'une maison en pleine campagne, où aucun bruit ne vient troubler le
silence (quoique… les paysans n'ont plus d'heure depuis que leurs tracteurs sont
équipés et à la saison de l'ensilage ou des moissons… mais enfin, passons). Et, nous
parvenons très bien à dormir avec un certain bruit de fond. Et même, dans
certaines villes, avec un bruit de fond certain !!!
Par contre, si ce bruit change de façon inopinée, ou dépasse un certain seuil, même
le rêve le plus érotique n'y résiste pas, votre réticulée envoie illico un message
impérieux comme quoi ils se passe quelque chose, et qu'il faut se réveiller vite fait.
Par contre, un bruit nouveau qui se répète, la première fois vous réveille, la seconde
vous réveille à moitié, et au bout de quelques expériences, ne vous fait plus rien.
Prenons un exemple: vous arrivez dans une nouvelle maison. Vous ne connaissez
pas les bruits ordinaires de l'entourage. Ces bruits vous réveillent au début, puis,
132
vous finissez par vous y habituer. Mais, si le vent se lève, alors même que le vent ne
résonne pas du tout dans cette nouvelle maison comme dans la votre, il ne vous
réveillera pas forcément. Il y a donc dans votre cerveau un système de
reconnaissance élémentaire qui "fait taire" l'espion pour qu'il ne vous alerte pas
inutilement. Pourtant, les systèmes de traitement élaboré qui se situent dans vos
hémisphères cérébraux, plus précisément cette "écorce" qu'on appelle le "cortex"
n'ont pas eu besoin d'intervenir. Cela veut dire que d'autres systèmes de traitement,
plus primitifs, ont permis une analyse certes assez grossière, mais suffisante pour
vous permettre de vous reposer. Oh ! ces systèmes sont bien incapables de vous
préciser s'il s'agit du mistral, de la tramontane ou du vent d'autan, mais ils sont
capables de "savoir" s'il s'agit d'un vent "normal", ou d'une tempête qui mérite
d'être prise en considération.
Nous connaissons déjà ces systèmes de reconnaissance automatiques. Nous les
avons rencontrés lors de l'étude du système visuel. Ils interviennent avant le
traitement cognitif lui-même, et le conditionnent. Nous allons y revenir bientôt.
Donc, les informations données par nos oreilles arrivent, dans un premier temps,
dans les structures les plus anciennes de notre cerveau, où elles font relais. C'est-à-
dire qu'elles échangent leurs informations par l'intermédiaire de synapses, comme
d'habitude, avec d'autres neurones qui continuent à porter l'information "plus
haut".
Mais attention, les informations qui arrivent à ce niveau sont de deux sortes:
Des informations sur la hauteur des sons (la "note" des sons entendus). Chaque
cil nous l'avons vu est plus sensible à une fréquence donnée, c'est-à-dire à une
"note" donnée, et il n'envoie d'informations que sur cette note. Et les neurones
qui le relaient vont continuer tout au long de la chaîne à porter ces informations
vers les structures les plus élaborées de notre cerveau. Bien sûr, c'est important
pour la perception de la musique. Mais les bruits et le langage parlé sont
composés d'une multitude de "notes" mélangées. Avec des dominantes
différentes, par exemple, plus aiguës lorsque c'est une femme qui parle, que
lorsque d'est un homme, mais également plus aigües dans certaines langues que
dans d'autres (l'anglais, par exemple).
Des informations sur la durée de chaque élément du son perçu. Ces
informations jouent un rôle considérable dans un tas de domaines, dont la
perception de la parole. Il semble bien que, très tôt dans le traitement de
l'information (bien avant que notre cortex n'intervienne, les informations
portées par différents neurones, porteurs donc de différentes fréquences, se
combinent. En particulier, le décalage entre les arrivées sur une même zone des
sons perçus par chaque oreille va permettre de localiser la source des sons. Mais,
lorsque nous parlons, il y a des sortes de ruptures sonores entre les différents
sons de la langue, et ces ruptures sont très importantes à percevoir pour
reconnaître certaines consonnes (les d, les p, les t…).
Bon, n'allons pas trop vite.
133
Nous avons vu, concernant le système visuel, que chaque moitié de rétine envoyait
ses informations sur le cortex de l'hémisphère cérébral du même côté. Et que les
informations données par l'œil droit et celles données par l'œil gauche se retrouvent
côte à côte. C'est ainsi de la comparaison entre les informations données ainsi par
les deux yeux sur un même point de la scène visuelle que la sensation de relief se
construit. (voir chapitre 8, Voir, regarder). La position des choses dans l'espace
apparaît donc seulement après traitement par les fonctions supérieures.
Pour le système auditif, c'est très différent. Résumons l'ensemble du processus:
D'abord, chaque oreille envoie ses information sur des "noyaux" (noyaux
cochléaires) situés dans le tronc cérébral, vous savez, cette partie profonde de
notre cerveau, à l'endroit où il n'est encore qu'une espèce de renflement de la
moelle. Du même côté que l'oreille considérée.
Puis, au sortir de ces noyaux, les neurones qui ont pris le relais traversent le
tronc cérébral, et vont faire un second relais dans un autre noyau, le noyau
olivaire.
Puis, l'information va aller vers le colliculus inférieur, une partie des tubercules
quadrijumeaux. Vous vous souvenez que dans le système visuel une partie des
informations était envoyée vers cette même région, mais vers le colliculus
supérieur cette fois. Mais il y a une particularité pour le système auditif: les
informations se divisent en deux, selon un processus qui est, à ma connaissance,
encore assez mal compris. Une partie des voies nerveuses à partir du noyau
olivaire se dirige vers l'hémisphère droit, et une autre partie vers l'hémisphère
gauche.
De là, l'information se dirige vers le Thalamus (le corps genouillé du Thalamus
exactement). Je vous rappelle que c'est une structure sous-corticale (puisqu'elle
se situe à l'intérieur des hémisphères, sous le cortex) qui est en relation étroite
avec le système limbique. Or vous savez maintenant que cette partie centrale de
notre cerveau joue un rôle important dans les émotions. On peut supposer que
parmi les différentes connections synaptiques qui se produisent à ce niveau, un
certain nombre va activer des systèmes émotionnels.
Puis, notre système auditif achemine les informations vers notre cortex où elles
vont être analysées plus finement, et où toutes les opérations dont nous avons
conscience concernant les sons en général et la parole en particulier s'effectuent.
Les grandes lignes ainsi tracées, nous allons pouvoir nous intéresser d'un peu plus
près à tous les processus qui prennent place le long de ce trajet (enfin, ceux qu'on
connaît, du moins que je connais!)
La figure suivante donne une idée de la façon dont cela s'organise.
Ces premières étapes sous-corticales semblent particulièrement importantes pour
1 / 15 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans l'interface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer l'interface utilisateur de StudyLib ? N'hésitez pas à envoyer vos suggestions. C'est très important pour nous!