Voix plurielles 3.1, mai 2006 4
Rachel van Deventer La subjugation des femmes musulmanes et la sororité
dans Loin de Médine par Assia Djebar
veuves, jeunes et âgées pour s’assurer que les hadiths soient transmis avec maturité (17). En dehors
des épouses, les hadiths ont été transmis pas d’autres membres de sa famille, notamment sa lle
Fatima et l’époux de cette dernière, Ali (18). Citons plusieurs exemples du texte, en commençant
par les délibérations qui traitent de la succession après la mort de Mohammed. Abou Bekr décidé
lui-même de la succession et a proclamé que l’autorité irait au Quraish et non à Fatima, la lle du
prophète, comme il était logique, car il s’agit d’une lle (20). Il décide également que dorénavant,
c’est à des hommes que reviendra la responsabilité de nommer les guides spirituels. Djebar consacre
deux chapitres à cette première déformation de l’Islam. Le deuxième passage des Voix féminines
critique d’un ton ironique les actions de Fatima après la mort de son père :
Quand, quand se taira-t-elle, la lle du Messager, la lle aimée ?
Maintenant qu’Il est mort, pourquoi ne pleure-t-elle pas en silence,
abandonnée à la volonté de Dieu, comme les autres, comme les
épouses, comme les Compagnons, comme… (Djebar 62)
La Voix qui pourrait être celle d’une rawiya[4] évoque comment Fatima se comporte pendant le
deuil de Mohammed. Elle reproche à Fatima de ne pas se taire et de ne pas pleurer en silence : voici
un exemple de la façon dont le pouvoir d’une voix féminine est condamné et mal vu. La voix est
en train de nous expliquer comment les comportements ouverts de Fatima la placent en dehors de
son rôle traditionnel et provoquent les évènements qui auront lieu dans le chapitre suivant, à savoir
l’éviction des femmes de la sphère publique et politique. A cause de son rejet du silence dans le
deuil, son rôle de femme et plus précisément l’image de femme musulmane qu’elle projette sont
remis en question.
Les paroles de Fatima, « celle qui dit ‘non’ » (66), menacent le patriarcat déjà instauré dans le
pays. En principe, Fatima aurait dû être l’héritière de Mohammed si nous tenons compte du fait que
Mohammed était très proche de sa lle aimée (73), qu’elle était très dèle à l’Islam, tout comme
son père, et sa seule lle vivante. La déformation du message se produit quand un homme prétend
connaître les désirs du Prophète : « Nous les prophètes, aurait dit Mohammed un jour, on n’hérite
pas de nous ! » (79 c’est moi qui souligne). Il ignore la vérité des sentiments de Mohammed envers
l’élection de sa lle à sa place, et on comprend qu’il a peur d’une femme en situation de pouvoir.
Dès le jour où Fatima est dépouillée de ses droits, commence la déformation de l’Islam et par
conséquent la souffrance des Musulmanes, ceci d’après Djebar.
La mort du Prophète marque le début de l’inuence profonde des hadiths et de la proximité du
Prophète par rapport à la personne qui les raconte et les commente. Djebar souligne dans son récit
le rôle des rawiyates, communicatrices de la vie du Prophète et sources des hadiths, à travers trois
histoires intercalées. Tout d’abord, Djebar nous parle d’Oum Fadl, la première rawiya. Ce passage
nous révèle dès les premières lignes que les « plus nobles dames . . . vivent à Médine » (50) ; ce qui
renvoie au titre du roman. Djebar valorise la présence féminine à Médine, et souligne ainsi l’idée
que les hommes musulmans sont loin de ce que représente cette ville. La vérité des paroles d’Oum
Fadl est mise en valeur grâce au fait que sa sœur, Maïmouna, est une épouse du Prophète. Son
importance est aussi soulignée dans le passage qui suit : « Oum Fadl dont le premier ls, Fadl, s’est
occupé de l’ensevelissement du Prophète avec Ali et Abbas, dont le second Abdallah, deviendra
plus tard un des plus célèbres commentateurs du Coran, Oum Fadl se sent peu à peu comme une