Introduction 1. À la recherche de l’objet du cours Le premier problème quand l’on cherche à définir, ce sont les oppositions et les classifications universitaires. En particulier la distinction droit public droit privé structure l’apprentissage du droit, la recherche en droit. Or, elle est moribonde en dehors des murs de l’Université. La façon dont est fabriquée et construit le droit de l’Union ne se base pas sur une distinction public privé. Le droit de l’Union est ainsi indifférent à cette distinction, il s’est construit sans en tenir compte. Ensuite les arbitrages politiques et la coopération propre au droit communautaire préfère ignorer cette distinction. C’est particulièrement vrai dans le domaine de la réglementation de l’économie, le droit de l’UE est très largement indifférent au régime de propriété applicable aux acteurs économiques, la seule chose qui compte est cette dernière qualité. Alors pourquoi parlons nous de droit public économique ? Nulle part dans les programmes, nulle dans les bibliothèque on ne peut trouver du droit privé économique. Est ce à dire que seul le droit public s’intéresse à l’économie ? Non bien sur, le droit public peut éventuellement s’intéresser à l’économie du point de vue du droit, mais le droit privé peut le faire aussi, simplement la façon de s’exprimer n’est pas la même manière. Par exemple en droit privé on parle plus facilement de droit des affaires. La qualification de privé n’est pas utilisée en tout état de cause. Alors quelle est la différence ? En réalité la différence est assez difficile à expliquer. Le droit des affaires est l’ensemble des règles juridiques qui organisent les rapports de commerce. Et alors ? N’est ce pas du droit de l’économie ? Et en quoi est ce spécifiquement du droit privé ? Parce que cela organise les rapports entre personnes privés, mais hors les cas contractuels ou contentieux, les rapports sont réglementaires ou législatifs, donc public. Le droit des affaires pourrait perdre une partie de sa spécificité. Le droit public économique pourrait en effet être l’ensemble des règles juridiques qui visent à organiser l’activité économique de l’ensemble des acteurs économiques. Mais cela pourrait être le droit des seules personnes publiques. La fonction première des personnes publiques n’est pas l’activité économique. Le rôle de l’État et des collectivités locales, le rôle des établissements publics, n’est pas premièrement, prioritairement de développer une activité économique. Non, leur rôle est avant tout de développer des activités de services publics. Mais le droit des services publics n’est pas le droit public économique. Donc le droit public économique ne peut pas être seulement le droit qui organise les services publics, non plus leurs seules activités économiques. Le cœur du service public, matériellement, c’est le service public administratif, hors des activités industrielles et commerciales, donc hors du champ du droit public économique. Or, le droit administratif croise les préoccupations économiques à plusieurs reprises, d’abord dans ce que l’on appelle le droit administratif général, quand par exemple on traite de la police administrative, techniques juridiques permettant de gérer l’équilibre entre ordre public et libertés individuelles et collectives, on trouve parmi les outils les « autorisations ». L’autorité administrative peut donner dans le cadre de ses pouvoirs de police des autorisations, cela concerne assez souvent des autorisations, dans le cadre des activités économiques réglementées. Peut être approchons nous le droit public économique, mais il n’y a pas de spécificité par rapport au droit administratif général. Autre exemple, celui des casinos, des pharmacies, etc. La théorie des services publics est elle aussi mobilisée lorsque l’on parle d’activité économique avec la notion de service public industriel et commercial. Certains SPIC sont des acteurs économiques majeurs dans notre système économique, prenons la SNCF par exemple, ou aéroport de Paris. On peut aussi parler de la DSP, mode de gestion de service public, contrat par lequel une personne publique confie le plus souvent à un opérateur privé une mission de service public, l’opérateur étant rémunéré par les usagers, exemple de Transpole, et du service d’eau. Il n’y a encore une fois rien de spécifique, ce ne sont que des « morceaux » de droit administratif général. Par rapport au droit administratif spécial, notamment le droit des propriétés publiques. Aujourd’hui on ne peut plus affirmer le principe d’inaliénabilité, en effet ce droit s’est transformé. Il s’agit de faire en sorte que les personnes publiques propriétaires d’un domaine public puissent valoriser leur domaine financièrement comme pourrait le faire un propriétaire privé. Il s’agit de faire passer le domaine public des charges aux ressources. Mais valoriser une propriété inaliénable est complexe, comment faire pour louer ou vendre ? Des « acrobaties » juridiques ont été trouvées, notamment les PPP, ou les BEA, catégories mal construites mais impératives dans cette volonté de valorisation économique. Ce n’est toujours pas stricto sensu du droit public économique, mais bien une part de droit de la propriété publique. On peut aussi parler du droit de la commande publique, c’est à dire les règles applicables aux outils juridiques que sont les marchés publics, les délégations de service public, etc. Ce n’est pas rien, le poids économique est fort, c’est tout ce que les personnes morales de droit public achètent pour satisfaire leurs besoins : biens, services, ouvrages, prestations, etc. Ce sont des règles juridiques assez compliquées, le droit des marchés publics est compliqué, la mécanique est assez précise. Le droit des finances publiques enfin, au travers de ce que les économistes appellent les politiques budgétaires. Si l’État décide de dépenser beaucoup d’argents, cette dépense va créer de la richesse puisqu’elle va être distribuée sous forme de salaire à des fonctionnaires qui vont eux-mêmes consommer, mais aussi sous forme de commande publique. Le problème c’est évidemment que l’État finance ces dépenses. Il faut donc des ressources que l’État va chercher dans l’économie, à travers notamment les prélèvements obligatoires, le droit fiscal. On ne parle toujours pas de droit public économique. La question reste entière, qu’est ce que le droit public économique ? Certains auteurs ont choisi de ne plus utiliser cette expression, précisément parce que l’on ne sait pas à quoi cela renvoie. Il y a alors deux possibilités, ou bien ils parlent de droit de l’économie, voir de droit économique, ou bien ils parlent de droit public des affaires. Donc, à travers ces deux intitulés, ils prétendent parler des outils juridiques que la puissance publique va créer, et le cas échéant utiliser, pour intervenir directement ou indirectement dans l’économie. Cela veut dire que quelque soit le nom, le champ juridique que l’on prétend mettre en évidence, investiguer, est assez large, et probablement il contient tout ce dont on a parlé. Il contient potentiellement le droit des affaires, mais aussi le droit de la commande publique, de la propriété publique. Mais il contient aussi plus que cela, notamment des outils juridiques qui signalent l’intervention de la puissance publique, le plus souvent de l’État, dans l’économie. Cette question de l’intervention de l’État dans l’économie est abordée dans certaines disciplines de manière frontale et essentielle, notamment en sciences économiques. Pour les économistes, la question de l’intervention de l’État dans l’économie est centrale : l’État doit il intervenir ? En simplifiant beaucoup les choses, on sait qu’à cette question la science économique fournit deux grands types de réponses. Il y a d’un côté ceux qui pensent qu’a priori l’État n’a pas à intervenir en raison de l’autorégulation de l’économie sur le marché, l’outil de la régulation étant le prix : à chaque activité économique correspond un prix. Pour que le marché fonctionne de façon pertinente, c’est à dire au mieux des intérêts de ceux qui sont présents (offreurs et demandeurs), il faut s’accorder un prix. Et ce prix va être trouvé spontanément, il n’y a pas d’alternative : celui qui offre doit vendre, et celui qui demande doit pouvoir acheter. Cette école de penser est l’école néo-classique qui a produit au XIXème siècle une théorie de l’équilibre général de l’économie au travers de ces mécanismes de micro arbitrage sur des marchés successifs, appelé Pareto. Il explique en substance qu’à un moment donné sur un marché, l’équilibre se fait de telle façon qu’à un moment donné plus personne n’a intérêt à le modifier, le marché s’auto-équilibre. Il ne faut donc aucune intervention extérieure, cela ne pouvant qu’empêcher l’équilibre, voir le détruire. Une autre école considère que le postulat de l’école néo-classique est faux : jamais dans l’histoire le marché s’est équilibré seul. Or, bien entendu, dans une économie de marché, les acteurs ont intérêt à ce que le marché s’équilibre, c’est à dire que le prix ne soit pas déterminé de manière trop arbitraire pour pouvoir réaliser la vente. Cet équilibre ne peut donc pas se trouver spontanément, quelques fois il est trouvé puis se dérègle, en raison notamment des variations de l’offre et la demande. La possibilité pour l’offre et la demande de se régler spontanément est une vue de l’esprit, notamment en raison de l’irrationalité des acteurs économiques. La grande figure de cette école est Keynes. Il dit tout au long de sa pensée que l’État doit intervenir dans l’économie au nom de l’intérêt général pour rétablir les déséquilibres du marché et pour le pousser même à l’équilibre. Il plaide donc pour des « politiques budgétaires », en cas de dépression il faut que l’État relance la machine avec par exemple des grands travaux pour réactiver la consommation, donc la demande et l’offre. Ou bien encore l’État doit intervenir lorsque les prix sont fixés de manières trop arbitraires par des trop rares offreurs ayant des comportements irrationnels sur la longue période, l’État doit alors imposé un prix maximum, cela peut passer par techniques fiscales. Pendant longtemps il y a eu un troisième modèle économique, ou plus exactement un second puisque ne postulant pas l’économie de marché. L’alternative était celle du plan, l’organisation de l’activité économique par l’État, ou en réalité le parti politique unique. C’est le modèle de l’Union soviétique et de ses pays satellites, de même que la République Populaire de Chine avant son passage dans un système mixte. Ce modèle n’existe aujourd’hui plus, il n’y a plus de modèle alternatif au marché. Et donc il faut en revenir à cette opposition à l’intérieur de l’économie de marché entre autorégulation et intervention de l’État. Dans la théorie néo-classique, le droit public économique n’a pas de substance. Au contraire, si c’est la théorie keynésienne qui nourrit la pensée des autorités politiques, le droit public économique risque d’être assez substantielle. Ce débat sur la place de l’État dans le fonctionnement économique est aujourd’hui très vif. Les temps que nous vivons posent avec acuité la question des relations entre les Etats, le pouvoir politique et les outils juridiques dont ils disposent pour agir, et les marchés, et notamment les marchés financiers. De ce point de vue, s’interroger sur ce qu’est le droit public économique aujourd’hui est assez intéressant vue la situation de crise économique, politique peut être demain. Cette situation pose la question de la capacité de l’État à intervenir, et du coup celle des outils juridiques qui permettent d’intervenir. La question de l’intervention de l’État peut donc faire l’objet d’un débat théorique, mais d’autres éléments interviennent : l’État doit il ou peut il intervenir pour réglementer ou réguler les activités économiques ? Il y a tout d’abord un paramètre propre à chaque État : son histoire collective. S’interroger sur le rôle de l’État dans l’économie ne peut se faire sans regarder l’histoire, la culture, de l’État. Or la culture française est assez largement dominée par l’idée que l’État est légitime à intervenir dans la vie économique, et qu’il peut intervenir de différentes façons : en créant des emplois par le développement de la fonction publique, ou en aidant financièrement à la création d’emploi, les emplois aidés ; en subventionnant des activités économiques par la distribution d’aides financières, fiscales, en nature, etc. ; en nationalisant des entreprises, la France a connu trois vagues de nationalisations en 1936, en 1945 et en 1981 (seul exemple d’Europe occidentale), c’est d’une certaine façon la forme ultime de l’intervention de l’État dans la vie économique. Il peut aussi intervenir en créant des services publics, et là encore, hors de l’ex bloc soviétique, il y a peu d’États qui ont autant développé ce mode. C’est dire que le poids de l’État dans l’économie française est fort. Nous avons même un mot pour cela, c’est le colbertisme. Donc notre culture collective en France est une culture qui fait place à la fois au fonctionnement du marché, car nous n’avons jamais été autre chose qu’une économie de marché, avec une forte intervention de l’État. Pourtant, Lionel Jospin, alors Premier Ministre, a déclaré que « l’État ne pouvait pas tout ». De la même manière, dans les années 1970, le marché des magnétoscopes a explosé, et des entreprises françaises comme japonaises se sont lancés dans la production. Et les entrepreneurs françaises ont demandé à l’État de protéger la France de cette « invasion ». Donc, les acteurs économiques, salariés comme dirigeants, ont à l’esprit que l’État doit protéger. Aujourd’hui, on parle plus volontiers de néoprotectionnisme avec les problématiques de la TVA sociale, de la fermeture des frontières, du made in France. Il y a un dernier paramètre, l’aire du jeu du marché c’est aujourd’hui le monde. Le marché est aujourd’hui mondial - en réalité le marché là où se trouve une demande solvable. Réglementer ces activités, marchés financiers comme marchés d’économie réelle, ne relève pas du mondial, pas même du régional, cette capacité est nationale. Donc comment faire pour que l’intervention économique de la puissance publique soit véritablement efficace. C’est la problématique actuelle de l’émergence d’une gouvernance économique européenne. Cela est difficile, par exemple le gouvernement de J. Cameron a refusé. Un nouveau traité devra donc sans les Anglais. Or il est aujourd’hui clair que le marché ne se régule pas seul. Certes le marché a des qualités, mais les crises sont nombreuses. L’autorité publique nationale n’apparaît cependant plus en phase avec les marchés transnationaux. C’est ce contexte qui va servir de base à notre droit public économique. Ce cours pourrait d’ailleurs s’appeler de manière un peu caricaturale « marché et droit ». Mais y a t’il place pour l’hypothèse d’un non droit public économique ? La réponse est non, l’histoire n’offre pas d’exemple d’un marché qui ne nécessiterait pas d’intervention économique. Les Etats-Unis, dans la dernière partie du XIXème, s’est développé de manière sauvage, notamment à travers le chemin de fer. Le chemin de fer est alors vital, il permet le développement économique, là où il s’installe, l’économie émerge. Problème cependant, les entreprises qui vont développer ce chemin de fer sont peu nombreuses, deux en réalité, qui vont finir par fusionner et créer un monopole, c’est-à-dire avoir la main sur le développement économique. Le pouvoir politique est intervenu pour dire que cette situation là n’était pas tenable, elle était pourtant le produit du fonctionnement normal du marché. La Cour Suprême des Etats-Unis va construire une théorie juridique toujours valable, c’est la théorie dite des « facilités essentielles » : lorsqu’un opérateur économique détient en position de monopole une infrastructure, ici un chemin de fer, il doit (obligation juridique) ouvrir son infrastructure aux autres opérateurs économiques. Cette décision rendue en 1878 sera suivie par une loi fédérale de 1890, dite « Sherman Act », fondement de la législation anti-trust. La Cour de justice utilise cette théorie en 1974 dans une décision sur les terminaux pétroliers. Et même le Conseil d’État français en 2005, dans une décision Union fédérale des consommateurs, il écrit que l’existence de la concurrence dans le système économique est une condition de la réalisation de l’intérêt général, elle est d’intérêt public. Donc on voit bien à travers l’émergence et la pérennité de cette notion de facilités essentielles que même dans les systèmes où l’idéologie dominante ne remet jamais en cause la pertinence du marché, l’hypothèse du non droit, de la non intervention de la puissance publique, n’existe pas. La puissance publique amène le marché à se rééquilibrer à se réorganiser dans l’intérêt général. Contrairement à ce que pensent les néo-classiques, le marché se rééquilibre toujours de manière instable, en protégeant toujours mieux certains intérêts. Autre exemple, dans certains pays ont lieu des émeutes de la faim à cause de prix ayant trop augmentés, à ce moment là, le constat est un peu le même : le marché a conduit a une trop grande augmentation, telle qu’une partie de la population ne peut plus accéder à des ressources de bases. A qui ces émeutes vont elles s’adresser ? Elles ne s’adressent pas aux entreprises qui augmentent les prix mais bien à l’État qui est sommé de trouvé une technique juridique pour régler la situation en bloquant les prix, ou en les régulant. On peut faire raisonnablement l’hypothèse que le droit public économique, ce sont les méthodes juridiques que l’État va utiliser pour rendre le fonctionnement du marché politiquement et socialement acceptable. Si l’on essaye d’appliquer cette proposition à notre histoire, sans remonter trop loin, en restant dans la période de l’après seconde guerre mondiale, on constate que l’État, en France, n’a jamais été absent du fonctionnement de l’économie, mais que sa présence a varié au fil du temps en intensité. A certains moments, l’État est intervenu de façon très dense, très prégnante dans l’économie, tandis qu’à d’autres il a pris ses distances. La période d’intervention forte et massive c’est l’immédiat après seconde guerre mondiale, la période de la reconstruction, il s’agit de reconstruire ce qui a été détruit par la guerre : l’infrastructure ferroviaire, électrique, la voirie, le logement, etc. Cette période est marquée par plusieurs difficultés, notamment des pénuries, les tickets de rationnements servant jusqu’en 1947. Les pénuries ont aussi débouché sur une augmentation des prix empêchant une grande partie de la population de consommer. L’un des symboles de cette période c’est l’encadrement des prix, en particulier le prix des céréales. C’est l’époque où on crée des institutions publiques, offices professionnels, administrant tel ou tel segment du marché. C’est aussi l’époque de la deuxième vague de nationalisation. On les présente souvent comme des actes punitifs, c’est en partie vrai, il s’agissait aussi pour l’État de prendre le contrôle de secteurs économiques nécessaires à la reconstruction, notamment le secteur bancaire. Incontestablement la période de la reconstruction est le moment historique de la plus forte intervention étatique. Cela va créer le socle permettant l’éclosion des trente glorieuses, avec une forte croissance, ininterrompue. L’État interviendra à la marge, pour régler le détail. A la fin de ce cycle d’ailleurs, au moment du premier choc pétrolier - augmentation brutale du prix du pétrole -, la mode est plutôt au désengagement des Etats. Il y a alors des forces politiques aux Etats-Unis avec Reagan, aux Royaume-Uni avec Thatcher, qui théorisent le « moins » d’intervention étatique (« élisez moi je gouvernerai le moins possible »). Aux Etats-Unis puis en Europe on va parler de dérégulation, l’idée est que l’État régule trop et que le cout est trop important par rapports aux bénéfices. On notera que la régulation signifie en français la réglementation. C’est l’époque où en France le Gouvernement de J. Chirac va engager un mouvement de privatisation, c’est particulièrement symétrique avec la période précédente. Ce concept de dérégulation, de déréglementation, se développe. Le droit public économique est alors mis au service de cet objectif, la loi sert à libérer les prix, et réorganiser les services publics, notamment le passage d’un statut de SPIC à un statut de société commerciale, c’est l’exemple de la Poste. Nouvelle fin d’un cycle, la bulle financière explose, et les boussoles se dérèglent. L’alternative assez simple, voir simpliste, de l’intervention ou de la non intervention ne suffit plus. Si l’on prend l’exemple français, N. Sarkozy a été contraint de faire le contraire de ce pour quoi il avait été élu. Il est aujourd’hui confronté à l’intransigeance du Gouvernement allemand, et est face à un challenger qui considère que le problème est la finance. Le cadre est difficile à trouver. La question des outils juridiques dont dispose l’État pour régler la crise est importante, particulièrement. La signature des Etats a longtemps été considéré comme sure, or aujourd’hui on considère qu’un État peut faire défaut, et pas n’importe quel État, pas ceux en état de développement, mais les Etats de la vieille Europe, pourtant longtemps centre du monde économique. La question du droit public économique doit être regardée à la lumière de ce concept. Dans la boite à outil juridique dont l’État dispose en théorie pour réparer l’équilibre économique et préserver l’équilibre social, il y a deux grandes catégories : ou l’État intervient par la régulation, ou réglementation en français, ou bien il intervient en tant qu’acteur économique. Dans la première partie, l’État régulateur, on va examiner les deux grandes méthodes qui sont disponibles pour réguler l’économie : la méthode de la réglementation au sens le plus classique du terme, et puis la méthode de la régulation au sens anglo-saxon du terme. La réglementation c’est la méthode qui consiste à, unilatéralement, imposer des règles juridiques aux acteurs économiques, on prendra alors deux illustrations : le régime de propriété des entreprises (actionnariat), la liberté des échanges et des prix. On verra ensuite la régulation à l’anglo-saxonne, idée selon laquelle le bon encadrement de l’activité économique n’est pas la voie unilatérale, parce que la puissance publique n’est pas compétente au sens technique du terme, la seule bonne organisation est celle réalisée par les acteurs eux-mêmes, mais ils ne peuvent pas non plus agir seuls, il faut donc faire asseoir autour d’une même table État et acteurs économiques pour chercher et trouver des points d’accords pour réguler le fonctionnement de l’économie. Pour que cela fonctionne, la puissance publique va organiser les règles du jeu, c’est à dire les modalités de cette régulation. Cela prendra la forme d’autorités expertes, qualifiées le plus souvent en droit d’autorités administratives indépendantes. Elles vont être détachées de l’État et auront pour tâche de surveiller un secteur de l’économie ayant pour tâche de trouver les ajustements à faire avec les acteurs économiques. Dans la seconde partie on va voir l’alternative, ou le complément, c’est à dire l’État opérateur. Là, l’État entre dans le marché. L’État peut alors être entrepreneur, soit à travers le service public, soit à travers les entreprises publiques (catégorie incertaine). Son deuxième visage, c’est l’État consommateur, l’État qui distribue de la richesse. Si l’État dépense plusieurs milliards, cela pèse sur la vie économique. Des entreprises vivent d’ailleurs parfois presque exclusivement des commandes de l’État. Le troisième et dernier visage, c’est l’État financeur de l’économie, là l’État ne se fait pas entrepreneur, mais il subventionne (droit français), il donne des aides (droit communautaire). Quand l’État aide un opérateur économique, par définition il lui procure un avantage que les autres n’auront pas, et c’est problématique. La question des aides d’État doit être regardée du point de vue du droit de la concurrence : interdit par principe, mais souffrant de nombreuses exceptions. 2. Les sources du droit public économique Vient ensuite au stade de l’introduction la question des sources. Pour examiner ces sources, il existe une méthode traditionnelle qui est celle de leur étude à travers la hiérarchie des normes. On va donc regarder sous cet angle les sources, mais en droit public économique, dire qu’il existe des sources internes et internationales, cela tombe sur le sens, avec même plus de sources internationales ; et dire que la Constitution, la loi et le règlement en sont des sources, cela est vrai, mais cela n’apporte pas grand chose en terme de connaissances. Il est donc ici plus intéressant de voir les sources à travers les grands principes qui structurent l’intervention publique dans l’économie. La question pourrait être alors quelles sont les sources juridiques qui fondent le principe de la libre entreprise ? Donc s’intéresser aux sources, c’est non seulement les sources formelles, mais aussi les sources matérielles du droit, donc les principes. Une des principales faiblesses de la théorie de Kelsen, c’est qu’elle n’a soit pas de base, soit pas de sommet. Elle repose sur un axiome qui est sans fin : chaque catégorie de norme tire sa force obligatoire de la catégorie de norme qui lui est supérieure. Donc, les règlements tirent leur force de la loi, elle-même de la Constitution, et quid de la Constitution ? Elle tire sa force de l’idée que l’on s’en fait. Mais bien sur le débat n’est pas si simple. Kelsen considérait que la Constitution tirait sa force de la nécessité, on est obligé de la supposer obligatoire. On peut aussi penser que la Constitution tire sa force de l’attachement collectif de ceux qui ont rédigé cette Constitution à un certain nombre de principes fondamentaux. C’est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel dans sa décision liberté d’association a estimé que le préambule de la Constitution a valeur constitutionnelle. En tous cas, la question de la force obligatoire de la Constitution ne peut pas s’appliquer par une norme supérieure puisqu’il n’y en a pas, l’explication ne peut être qu’extra juridique. La nouveauté depuis que Kelsen a produit cette théorie, c’est qu’il y a non seulement un ordre juridique interne, mais il y a aussi un ordre juridique international. Et plus particulièrement, un ordre juridique européen, ce n’est pas tout à fait l’ordre juridique international, pas non plus l’ordre juridique interne. Du point de vue matériel, l’essentiel des sources du droit public de l’économie vient de l’extérieur de l’ordre juridique interne, les sources se situent au niveau de l’ordre juridique international et de l’ordre juridique communautaire et européen. Cette part est très importante, elle croie régulièrement, et va continuer. Du point de vue matériel, et c’est là le plus important, le droit public économique trouve l’essentiel de ses sources à l’extérieur de l’ordre juridique interne, dans le droit international pour une part, et dans le droit européen pour une autre part. La division formelle se fera donc entre sources externes et internes. Les sources internationales d’abord donc. Il y a un droit international, un droit international public et un droit international privé. Le droit international public c’est une branche du droit international censée organiser juridiquement les relations entre les Etats qui sont souverains et, le cas échéant, entre ces Etats souverains et des organisations internationales, elles-mêmes produites, fabriquées et organisées par le droit international public, avec évidemment l’ONU. La principale fragilité du droit international public c’est son effectivité, ou son applicabilité. En effet, pour que les règles de droit international public naissent, et plus encore pour qu’elles s’appliquent, il faut que les Etats consentent. Et comme ils sont souverains, personne ne peut juridiquement les contraindre. Les exemples sont nombreux, probablement le plus spectaculaire est celui de l’attitude des Etats-Unis à l’égard du protocole de Kyoto. Cet accord se donne comme objectif de limiter la pollution, notamment par le rejet des gaz à effet de serre, et donc il crée un système relativement complexe de ce que les commentateurs ont appelé un « droit à polluer » qui lorsqu’il est dépassé conduit à des pénalités. Les Etats-Unis, comme d’autres Etats, qui ont signé ce protocole, ont changé d’attitude, ont renié leur engagement dès lors qu’ils se sont rendus compte que les dispositions étaient contraires à leurs intérêts économiques. Et là, le monde est impuissant à contraindre juridiquement un État qui se retranche derrière sa souveraineté. En France, il y a précisément une disposition dans la Constitution, l’article 55, qui règle en principe cette question de la force juridique des traités dans l’ordre juridique interne, mais aussi, de la force juridique de l’engagement de la France sur la scène internationale. L’article 55 prévoit que les traités régulièrement ratifiés ou approuvés ont dès leur publication une force supérieure à celle des lois. Les traités dans notre ordre juridique interne sont situés quelque part entre la Constitution et les lois. Donc la principale fragilité, faiblesse, du droit international public, c’est la souveraineté des Etats c’est-à-dire le fait qu’il n’y a de règles juridiques que si les Etats y consentent. En droit public économique, ou en est la question ? Elle est d’autant plus importante, la question, que l’économie est mondialisée. Finalement, face à ce marché mondial, y a t’il des règles juridiques mondiales ? Y a t’il des institutions ayant autorité, au sens juridique du terme, ayant compétence même, pour organiser ce marché mondial ? D’autant plus que, comme on l’a vu, le marché ne s’équilibre pas. La réponse est non, mais… Non parce que s’il y avait une autorité mondiale dotée de la compétence pour organiser ce marché mondial, il faudrait la réformer d’urgence, elle ne ferait pas son travail. Par exemple, un groupe peut décider d’une stratégie d’implantation sur un continent avec une prévision de domination du marché à cinq ans, comment est ce possible ? Grâce au travail à bas prix, à très bas prix, dans certaines parties du monde. Donc si une autorité était capable de réglementer au niveau mondial, elle créerait d’autres conditions. Les déséquilibres qui sont exploités par des entrepreneurs pour vendre à des consommateurs des biens que ceux qui produisent n’auront jamais les moyens de s’acheter. On peut prendre un autre exemple, les industriels nord-américains ont une volonté d’investir les marchés « émergents », le problème n’est pas celui de la langue, pas celui de l’argent, le problème est celui du droit. La Chine par exemple dispose de règles de droits, mais soit elles ne sont pas appliquées (corruption), soit elles empêchent les investissements (protectionnisme). Ces problématiques ne sont d’ailleurs pas réservées à la Chine, l’année dernière s’est terminé le feuilleton relatif à l’achat d’avions ravitailleurs en vol. Il y avait deux candidats, deux seulement : EADS, l’Européen, par le biais d’Airbus ; Boeing, société américaine. Ce feuilleton a donné lieu à de multiples procédures, le marché étant arrêté puis repris, on est quelque part entre le soupçon et la certitude du favoritisme de la part du Ministère de la Défense américain. Aucune autorité mondiale ne dispose aujourd’hui du pouvoir d’interpeller le gouvernement américain ou le gouvernement chinois pour des règles juridiques qu’ils ne respectent pas, mais les règles juridiques elles-mêmes n’existent pas vraiment. Il n’existe donc pas de droit international de l’économie, obligatoire, et dont l’inobservation donnerait lieu à des sanctions. Mais cela n’est pas tout à fait vrai. Il y a sur la scène internationale une organisation, l’OMC, héritière du GATT, lui-même créé au lendemain de la seconde guerre mondiale. Le GATT a été transformé en OMC au milieu des années 1990, à la fin d’un cycle de négociation entre les Etats membres, que dans la pratique on appelle l’Uruguay ground. L’idée de l’OMC était de dépasser le seul objectif du GATT, à savoir la libéralisation du commerce international. En effet, à la fin de la seconde guerre mondiale, les pays occidentaux sont de vigoureux défenseurs de l’économie de marché. Le GATT c’est aussi une volonté de se donner sur la scène internationale un lieu pour affirmer hautement sa préférence pour le libre échange, plutôt que pour l’économie planifié, c’est donc aussi une conception idéologique. Et donc le premier objectif c’est favoriser les échanges et le commerce international en limitant la tentation protectionniste et en abaissant les droits de douane. Cet objectif est parfaitement pertinent dans le monde de l’après seconde guerre mondiale où les échanges et le commerce international porte sur les matières premières et les produits manufacturés, c’est-à-dire les produits issus de l’industrie. Aujourd’hui, les échanges portent encore sur les matières premières et les produits manufacturés, mais ils portent aussi pour une part croissante sur des biens immatériels et des services. Par exemple, pour faire circuler des biens, on les met soit sur un bateau, soit sur un bateau, d’un pays à un autre, c’est un processus physique. En revanche, quand l’on souhaite envoyer des données, les frontières sont beaucoup moins présentes. Certes, des modalités techniques peuvent restreindre les accès. Donc, la dématérialisation des échanges pose de manière tout à fait différente la question de la réglementation. Donc en 1994-1995 décident de transformer le GATT en OMC en lui donnant pour mission de s’intéresser à tous les échanges économiques, c’est-à-dire non seulement les échanges matériels, mais aussi les services, les données, et les échanges de « savoir-faire », autrement dit le droit de la propriété intellectuelle. Et l’OMC produit en effet dans le cadre de négociations multilatérales des règles de droit. La question est celle de l’effectivité et de l’applicabilité de ces règles, et en particulier de leurs sanctions. On va voir qu’il y a au sein de l’OMC une instance qui s’appelle l’organisme de règlement des différends - ORD, une instance qui est en principe chargée de sanctionner les Etats qui ne respectent pas les engagements pris dans le cadre de l’OMC. Ici le vocabulaire est intéressant, on ne parle pas de tribunal, pas de cour. Il s’agit d’un organe de conciliation, de médiation, en aucun ce n’est un juge. Il s’agit d’examiner les réclamations émanant d’un État membre et dirigées contre un ou plusieurs autres Etats membres au motif que ceux-ci n’auraient pas tenu les engagements pris dans le cadre de l’OMC. Pour que l’ORD puisse être saisi, il faut que l’État accepte de se soumettre, le plus souvent il l’accepte parce que le refuser ce serait se mettre en ban de l’OMC. La procédure est ainsi faite qu’elle recherche d’un accord entre les Etats en cause, la procédure commençant précisément par une phase de conciliation, ça n’est que l’échec de cette phase qui va faire entrer la procédure dans un phase un peu plus contentieuse avec la constitution d’un groupe spécial, c’est-à-dire une instance qui va spécifiquement prendre en charge ce dossier, l’instruire, et se donner comme objectif de dire, en droit, si la réclamation est fondée ou pas, et de dire, toujours en droit, quel doit être le comportement de l’État ou des Etats mis en cause pour réparer ce manquement aux engagements pris dans le cadre de l’OMC. Lorsque l’OMC a été créée en 1994-1995, l’une des décisions qui avait été prise à l’époque, et qui avait fait l’objet d’un mémorandum entérinant un point de vue commun, sans valeur juridique, était de réformer cette procédure pour la rendre plus contentieuse, il y avait même un calendrier attaché. L’objectif était que la réforme aboutisse au 1 er janvier 1999. En 2012, la réforme n’a pas eu lieu. Non pas qu’il n’y ait pas eu un important travail de fait, il y a eu de nombreuses conférences avec des communications ministérielles. La raison est que les Etats membres n’arrivent pas à se mettre d’accord sur le degré de contrainte qu’il est pertinent de produire dans cette procédure. Les praticiens et les commentateurs ont du mal à considérer que, contrairement à ce que dit l’OMC, il existe un droit de l’OMC, ou plus exactement que ce droit puisse être véritablement comparé au droit de l’UE par exemple, et a fortiori au droit des Etats membres. Les anglo-saxons ont fabriqué un qualificatif pour ce droit, soft law, qu’on peut traduire par droit mou, reposant sur le consensus, alors que la règle juridique doit dans certains cas s’imposer unilatéralement, indépendamment de la volonté de ses destinataires. Et d’ailleurs, la Cour de justice de l’UE, qui a eu à plusieurs reprises à trancher cette question, refuse de considérer que le droit de l’OMC s’applique directement dans l’ordre juridique européen. Cela montre bien que ces règles ne fonctionnent que dans les rapports consensuels entre Etats membres de l’OMC. On remarquera également que les sanctions qui pourraient affecter un État ne respectant pas les engagements pris dans le cadre de l’OMC, ces sanctions sont soit difficiles à imaginer, soit difficiles à mettre en œuvre. Peut on imaginer la condamnation d’un État à payer des dommages et intérêts, mais comment oblige t’on un État à payer ses dettes ? En droit interne, un débiteur qui ne paye pas sa dette s’expose à d’autres sanctions plus coercitives, et notamment les voies d’exécution. Or, la contrainte n’existe pas en droit international, mis à part la guerre (mais est ce juridique ?), ou la réprobation internationale. Existe cependant une sorte de « loi du talion » appliquée au jeu économique, on parle dans le jargon de l’OMC de sanctions commerciales. Mais c’est d’abord faire le contraire de ce pourquoi l’OMC a été créé, ensuite les relations commerciales ne sont pas des relations interétatiques, mais des relations entre sociétés. Ce protectionnisme, ou néoprotectionnisme paraît en outre difficile à mettre en œuvre. Cette possibilité de hard law est donc pour le moment assez loin de nous. Admettre l’existence d’un véritable ordre juridique international, et créer des institutions législatives et juridictionnelles, est la seule solution. Ces fragilités ne se retrouvent pas au niveau de l’ordre juridique européen. La grande différence entre le droit de l’UE et le droit international, c’est qu’il y a un véritable ordre juridique communautaire, avec des institutions dotées d’un pouvoir législatif et/ou réglementaire, et des juridictions qui sont chargées de dire le droit et donc de sanctionner les Etats qui ne respectent pas les règles contenues dans les traités, ou le droit dérivé. La difficulté ici elle n’est donc pas dans l’organisation du niveau européen. La difficulté vue de l’ordre juridique interne et du droit public de l’économie, elle est matérielle, elle tient au fait qu’en matière de droit de l’économie, l’ordre juridique communautaire est fondé sur des principes (paradigmes) qui ne sont pas, en tous cas vu de France, forcément les principes sur lesquels est construit notre ordre juridique. La doctrine, quand elle commente les relations entre droit communautaire et droit interne en droit public de l’économie, est partagée entre deux constats : d’une part le droit de l’Union européenne enrichit, alimente, de façon très intense, le droit public de l’économie. Ainsi, les règles de concurrence sont largement, presque exclusivement, d’origine européenne. Autre exemple, les dispositions du code monétaire et financier, qui organise pour une large part l’activité des banques et des compagnies d’assurance, sont d’origine communautaire. Dernier exemple, le droit des marchés publics est aujourd’hui, dans sa partie codifiée, est à 100% d’origine communautaire, dans une transcription assez littérale des directives. Ensuite, deuxième constat de la doctrine, ce droit de l’UE perturbe notre droit public de l’économie, pourquoi ? Parce qu’il est fondé sur des principes qui ne sont pas exactement les nôtres. Par exemple, notre droit public de l’économie est très structuré par la distinction droit public/droit privé. Or, l’ordre juridique communautaire n’ignore pas cette distinction, il y est indifférent. De telle sorte que la notion de service public, qui même si elle s’est beaucoup transformée dans l’ordre juridique interne ces 30 dernières années, continue d’exister et à produire des effets. Elle est pourtant assez largement assez remise en cause, perturbée, par les conceptions en la matière qui nous viennent de l’ordre juridique communautaire. Du coup, deuxième exemple de perturbation, les règles de concurrence, dont on pourrait se dire qu’au fond elles sont partagées par les Etats, sont envisagées différemment par l’ordre juridique communautaire et par notre ordre juridique interne. Et quand on regarde de prêt, l’ordre juridique interne a été contraint, de façon relativement accélérée, de revoir son droit de la concurrence pour faire droit aux exigences de l’UE. Car, bien entendu, ce qui caractérise matériellement le droit de l’UE, du point de vue du droit de l’économie, c’est qu’il est tout entier orienté vers la construction d’un territoire économique commun, du marché intérieur, sur lequel doivent prévaloir les principes fondamentaux qui sont énoncés dans les traités fondant l’UE : libre circulation des marchandises, des capitaux, mais aussi des services, de libre établissement, et de libre concurrence. Ces principes ne sont pas des principes absolus, ils peuvent voir leur application limitée par d’autres principes fondamentaux. L’exemple le plus connu et le plus simple est celui de la jurisprudence Cassis de Dijon, décision dans laquelle la Cour de justice en 1979 décide que les Etats peuvent restreindre l’application des principes fondamentaux lorsque ces restrictions sont justifiées par la nécessité de protéger, en l’occurrence la santé humaine, mais cela peut être aussi l’environnement, ces question relevant de la compétence des États et justifiant, de leur part et sous le contrôle du juge, des limitation et des restrictions. Et donc, le droit de l’UE, qui est organisé comme un ordre juridique, produit une grande partie de la substance du droit public économique, mais en même temps perturbe notre droit public économique, et en particulier nos traditions d’interventionnisme économique. La tradition française, en effet, est colbertiste, ensemble de comportement consistant à intervenir massivement dans l’économie, soit directement en se faisant entrepreneur, soit indirectement en soutenant l’activité économique. L’intervention du droit de l’Union est d’une certaine façon anti-colbertiste, elle vise et réussit à faire reculer l’interventionnisme de la puissance publique dans l’économie. Ainsi, les 30 dernières années ont été mises à profit pour réformer le système juridique de l’intervention publique dans l’économie. Il s’agit ainsi du droit de la commande publique, le droit des aides publiques, le droit de la concurrence, le droit monétaire et financier, etc. L’ensemble de ce secteur du droit est remis en cause et réformé du fait de la pénétration du droit de l’UE. L’autre élément constitutif du droit européen de l’économie, c’est le droit de la convention européenne des droits de l’homme. On peut s’étonner de son rapport avec le droit public de l’économie. Il y a néanmoins un principe fort de la Convention qui trouve à s’appliquer, notamment à travers la jurisprudence, c’est le principe du droit à un procès équitable. Il a été avec succès invoqué avec succès par les opérateurs économiques pour faire condamner la France au motif que le contentieux des décisions à caractère économique, en matière fiscale par exemple, en matière de droit de la concurrence, de droit des aides publiques, ne garantissait pas nécessairement un procès équitable, et parce que par exemple le principe du contradictoire n’était pas nécessairement respecté, de même que les droits de la défense. Et pour une part, par forcément la principale, non négligeable cependant, les condamnation prononcées par la France dans le cadre de la CEDH, ont favorisé et accéléré le développement des organes de régulation, c’est-à-dire des instances qui peuvent être, ou ne pas être, dotées de pouvoirs juridictionnels, et qui ont chargés de dire le droit et sanctionner les manquements au droit dans certains secteurs de l’économie, par exemple l’autorité de la concurrence, l’autorité des marchés financiers, le CSA, etc. Ces autorités ont par exemple permis de concilier le temps de l’entreprise et le temps du juge. Quant à l’ordre juridique interne, bien entendu, on peut égrainer des exemples qui montrent que la Constitution, la loi, le règlement, et puis évidemment des catégories d’outils juridiques infrarèglementaire, sont des sources du droit public économique. Il est cependant sans doute préférable de regarder ces sources du point de vue de leur contenu, il faut voir ce que chaque niveau apport substantiellement. Ce faisant, on va croiser des principes qui sont souvent formulés comme des droits, certains appartenant au droit général. On peut croiser cette approche substantielle avec l’approche formelle. Le niveau constitutionnel donc pour commencer, d’abord il existe un bloc de constitutionnalité. Et donc toutes les dispositions de ce bloc ont valeur constitutionnelle. Elles sont évidemment au sommet de l’ordre juridique interne, c’est-à-dire qu’en droit interne il n’y a pas de norme supérieure aux normes constitutionnelles. En particulier les traités restent à la place que leur assigne la Constitution malgré les évolutions de la jurisprudence en ce qui concerne le cas particulier du droit de l’Union européenne. En droit public, l’arrêt de référence est l’arrêt CE 1998, Sarran et Levacher, à cette occasion le Conseil a indiqué que les traités n’avaient jamais de valeur supraconstitutionnelle dans l’ordre juridique interne. La Cour de cassation en juin 2000 l’a dit de façon très explicite à son tour, arrêt d’assemblée plénière Mademoiselle Fraisse. Cette place ne se discute donc pas du point de vue de la jurisprudence. Concernant le bloc de constitutionnalité, que le Conseil constitutionnel souhaite ne pas créer de hiérarchie au sein de ce bloc c’est une chose, pour autant, matériellement, toutes les normes du bloc peuvent elles s’appliquer ? Quand on regarde la jurisprudence du Conseil, on est tenté de se dire que oui, chaque norme a vocation à permettre la censure du législateur. Dans une décision de 2008, le Conseil a expliqué que toutes les dispositions, « l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement ont valeur constitutionnelle ». Evidemment, l’instauration en 2008-2009, par deux lois successives, de la QPC est de nature à renforcer l’effectivité constitutionnelle du bloc de constitutionnalité. En effet, à travers la QPC, le Conseil est de plus en plus fréquemment interrogé, et sur des points qui n’avaient pas été examinés au moment de l’adoption des lois concernées. Pour autant, il y a dans le bloc de constitutionnalité des dispositions très générales dont on peut douter que le Conseil dise un jour qu’elles ont effectivement valeur constitutionnelle. En effet, potentiellement, celles-ci pourraient révolutionner notre ordre juridique. Pour la déclaration des droits de 1789, elle contient des dispositions qui sont des sources du droit public économique. On sait que la déclaration des droits est fondée sur une conception individualiste de l’ordre social, et qu’il s’agit d’énumérer et de protéger les droits naturels de l’individu, pour lui permettre essentiellement d’être maitre de son destin et d’intervenir dans le processus des décisions collectives. Mais au delà de cette volonté de conférer des droits politiques aux individus, la déclaration des droits vise aussi à protéger les situations économiques acquises par les talents des individus. Elle considère donc que le droit de propriété est un droit aussi fondamental que la liberté, la sureté, et la résistance à l’oppression. En effet, à l’article II de la déclaration on peut lire que le but de toute association politique et la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme dont fait partie la propriété. L’article XVII précise que le droit de propriété est inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnisation. Cette disposition a aujourd’hui valeur constitutionnelle et influence grandement le droit public général, elle a donné naissance à la théorie et la pratique de l’expropriation pour cause de l’utilité publique. En droit public de l’économie, cette conception constitutionnalisée du droit de propriété a servi à apprécier la constitutionnalité des nationalisations. En 1982, le Conseil constitutionnel, saisi par l’opposition parlementaire, a eu à se prononcer sur les nationalisations, il s’est alors appuyé sur les dispositions de l’article XVII de la déclarations des droits de 1789. Il a d’abord vérifié le bien fondé des nationalisations, avec le risque de se substituer au Parlement, il a considéré que le législateur pouvait traiter de manière différente des banques situées dans des catégories différentes, qu’il n’était pas évident qu’il fallait nationaliser toutes les banques ; deuxième étape du contrôle, le Conseil a vérifié si la loi prévoyait une juste et préalable indemnisation, préalable elle l’était par définition puisque prévue par la loi, juste elle ne l’était pas puisque trop éloignée de la valeur réelle des banques. On est donc face à une norme du bloc de constitutionnalité disposant d’une portée juridique certaine et importante. Autre exemple tiré de la déclaration des droits, le fondement des prélèvements obligatoires. L’article XIII dispose que pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable, elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés. Le débat sur l’équité des prélèvements fiscaux est incessant. Est ce que conformément à ce que dispose l’article XIII, les prélèvements obligatoires sont également répartis entre les citoyens à raison de leurs facultés. Ainsi, la TVA est elle conforme à cet article ? Jusqu’ici le Conseil constitutionnel ne s’est jamais servi de cette disposition, sauf à la marge. Il n’a jamais censuré une réforme fiscale entreprise, quelque soit la majorité. La jurisprudence concerne des taxes particulières. A la différence des dispositions relatives au droit de propriété, le Conseil évite le débat en se retranchant sur l’utilisation du principe d’égalité qui permet les traitements différenciés. Le préambule de 1946 est l’autre grand texte du bloc de constitutionnalité. Il contient des principes économiques, politiques, sociaux, particulièrement nécessaires à notre temps. A l’époque la sensibilité politique du corps électoral est assez éloignée à l’économie de marché, plutôt sensible au modèle de l’économie socialiste. Et donc le préambule de 1946 est assez largement irrigué par des conceptions de l’État protecteur des populations, en particulier des populations jugées comme nécessitant le plus de protection. Toutes les dispositions du préambule de 1946 ne concernent pas le droit public économique, on en trouve certaine cependant. L’alinéa 7 dispose que le droit de grève s’exerce librement dans le cadre des lois qui le réglementent. La grève c’est la possibilité pour des salariés d’empêcher le fonctionnement de l’entreprise pour faire aboutir des revendications, on peut la considérer d’un point de vue social comme un droit des salariés dans l’entreprise. On peut aussi la regarder du point de vue de l’entrepreneur, et donc du point de vue de l’économie, comme un risque, lorsqu’elle advient et lorsqu’elle dure, pour l’équilibre financier de l’entreprise. Ici, personne ne soutient sérieusement aujourd’hui qu’il faut légalement bannir le droit de grève. En revanche, le droit est assez permanent sur le fait qu’il faut l’encadrer, la question est jusqu’à quel point sans risquer de le remettre en cause ? C’est le débat par exemple sur le service minimum, c’est aussi toutes les règles qui en droit social obligent au dépôt d’un préavis, obligent à la négociation. En tout état de cause, seul le législateur peut limiter l’exercice du droit de grève, sous le contrôle du juge constitutionnel. L’alinéa 8 dispose que tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. Là aussi, vaste débat potentiel, la participation cela débouche en droit du travail aux institutions représentatives du personnels, et les obligations de l’employeur de les consulter. Quoi qu’il en soit, le code du travail a mis en place cette disposition. La participation à la gestion des entreprises c’est autre chose, c’est la question de la présence des organes salariés dans les instances de l’entreprise, au conseil d’administration le cas échéant. Certes ces organisations disposent d’un droit d’information, d’un droit d’alerte, mais ce n’est pas de la participation. Là aussi le législateur est intervenu pour faire une place aux représentants des salariés dans les organes de gestion des entreprises. Cela pose le débat de la cogestion entre le capital et le travail. Là on voit bien que cette disposition, sauf à changer l’ordre social, n’a pas vocation à produire des effets majeurs. L’alinéa 9 précise que tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert le caractère d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. Cela crée ce que les juristes appellent une compétence liée, et donc le Parlement constatant l’existence de ces monopoles de fait, devrait les nationaliser. Ainsi on devrait nationaliser Microsoft France, tout comme Monsanto France. On est à la limite, si l’on devait admettre la pleine effectivité de cette disposition, on pourrait même aller jusqu’à invoquer l’incompétence négative. En réalité cette disposition ne peut pas être interpréter comme créant une compétence liée. Le Parlement doit pouvoir apprécier s’il est nécessaire ou pas de nationaliser. L’alinéa 10 dispose que la nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement, et l’alinéa 11 précise que la nation garantit à tous notamment à l’enfant, la mère et au vieux travailleur, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs, tout être humain qui en raison de son âge, de son état physique ou mentale, de sa situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. Dans le contexte de 1946 d’après guerre, et dans le contexte politique de l’époque, de telles dispositions se justifient parfaitement. Mais quelle effectivité ? Quelle traduction en droit ? Il y a des éléments dans notre droit qui sont rattachables, par exemple l’institution de la CMU qui déconnecte le principe bismarckien (sécurité sociale basée sur les cotisations sociales, liées au travail, et bénéficiant aux travailleurs) au profit d’une solidarité nationale. Il faut se méfier des apparences cependant, sur le terrain l’effectivité de la CMU est contrastée. Une effectivité globale de ces alinéas demeure impossible, sauf à changer globalement notre système. Aucun individu ne peut à ce jour intenter un recours contre la puissance publique parce que celle-ci ne lui garantit pas des moyens convenables d’existence. Dans la Constitution elle-même on trouve des dispositions relatives au droit public économique, notamment à l’article 34 qui trace le domaine de la loi. Dans l’énumération, il y a donc des dispositions : la compétence pour fixer les règles relatives à l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; la compétence pour fixer les catégories d’établissement public ; la compétence pour nationaliser et transférer les entreprise du secteur public vers le secteur privé ; la loi détermine ensuite un certain nombre de principes fondamentaux, notamment les principes qui gouvernent le régime de la propriété des droits réels et des obligations civiles et commerciales, mais aussi les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et du droit de la sécurité sociale. Ensuite, l’article 34 évoque la question des lois de finances qui déterminent les ressources et les charges de l’État, il évoque également l’existence des lois de financement de la sécurité sociale, et dans sa rédaction la plus récente, les lois de programmation et la programmation pluriannuelle des finances publiques. L’une des questions qui se pose aujourd’hui est de savoir s’il convient d’inscrire dans la Constitution le principe d’équilibre des comptes publics, la fameuse règle d’or, visant à empêcher la pérennisation des déficits publics, de la dette publique, qui sont aujourd’hui désignés comme les principales causes de la crise financière et économique que nous traversons. Le dernier élément c’est la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Elle sera citée tout le long du cours. Mais comme exemple, on peut trouver deux types de décisions. Celles tout d’abord, spectaculaires, qui ont intéressé en 1982 et 1986 les nationalisations et les privatisations. Dans les deux cas, le Conseil constitutionnel n’a pas refusé de se prononcer. La décision de nationaliser ou de privatiser est une décision cependant de pure opportunité donc il ne lui appartient pas de discuter la nécessité. En revanche, il lui appartient d’examiner les modalités selon lesquelles les nationalisations d’un part et les privatisations d’autre part sont conduites. Dans sa décision de 1986, le Conseil constitutionnel censure le législateur parce qu’il estime que la valeur à laquelle les entreprises ont été transmises au secteur privé est inférieure au prix réel. Symétriquement, en 1982, au moment des nationalisations, le Conseil censure le législateur au motif que l’indemnisation qu’il propose est bien préalable, mais elle n’est pas juste, car pas au niveau de la valeur des actions. Donc le Conseil constitutionnel contribue à la construction du droit public économique, sans entrer sur le terrain de l’opportunité des décisions prises par le Parlement, sans concurrencer sur le terrain de la souveraineté nationale. Ensuite, on retrouver les décisions qui intéressent la réglementation, ou la déréglementation, de certaines activités économiques. Nous verrons que, sous la pression notamment du droit de l’UE, les pays membres sont amenés à réfléchir à la bonne application, à l’application effective même, des règles de concurrence dans différents secteurs d’activité. Et du coup, à réfléchir aux conséquences de l’existence d’entreprises publiques dans tel ou tel secteur d’activités, qui sont parfois dotées d’un monopole sur tout ou partie d’une activité (courrier, gaz, électricité, etc.). Et donc à l’instar de tous les pays européens, la France réévalue la place de ses entreprises publiques et leurs statuts juridiques, ouvrant à la concurrence ces activités. Ainsi, depuis 1980, le législateur est intervenu par vagues successives pour ouvrir ces secteurs, et cela n’est toujours pas terminé. Il s’agit de réévaluer la place de « l’opérateur historique ». Evidemment, cette politique rendue nécessaire par la mise en œuvre des directives et règlements européens, cette politique suscite des débats. En effet, cela marque la fin d’un cycle historique, la fin du service public dominant certains secteurs de production. Et ce débat qui a lieu entre les syndicats, les dirigeants, les personnels politiques, les citoyens, etc. a lieu aussi devant le Conseil constitutionnel. Il a ainsi été amené à plusieurs reprises à se prononcer sur la constitutionnalité de lois qui restreignent le champ d’action de l’opérateur historique. Par exemple, en 2006, le Conseil a rendu une décision sur l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité, et concomitamment sur l’ouverture du capital de l’opérateur historique à des capitaux privés. Dans cette décision, le Conseil a pour l’essentiel validé des dispositions de la loi qui ont permis la constitution du groupe EDF-Suez. Ce faisant, le Conseil constitutionnel mobilise dans sa jurisprudence un certain nombre de principes que l’on peut regarder comme au fond les principes fondamentaux du droit public économique et qui d’ailleurs ne sont pas manipulés par lui seul, on trouve bien sur le juge administratif, éventuellement le juge judiciaire. Ces principes fondamentaux, on peut considérer qu’ils sont au nombre de trois. Il y a tout d’abord le droit de propriété comme principe fondamental condition première du fonctionnement d’une économie ouverte, d’une économie de marché, principe structurant du droit public économique. Il y a ensuite, même s’il ne concerne pas que le droit public économique, le principe d’égalité, car l’égalité s’accorde mal avec le fonctionnement d’une économie de marché (créateur d’inégalité de revenue, de consommation, de capacité à épargner, etc. ; acteur de l’inégalité avec la segmentation du marché) et ils doivent constamment s’agencer. Enfin, la liberté du commerce et de l’industrie, qui recouvre la liberté d’entreprendre et le principe de la libre concurrence. Le droit de propriété occupe dans notre société une place centrale, l’article II en fait un droit naturel, imprescriptible, le plaçant sur le même plan que la liberté, la sureté et la résistance à l’oppression, c’est donc un droit tout à fait fondamental. Le code civil ne dit pas autre chose en précisant qu’il est inviolable et sacré, le droit de jouir de la manière la plus absolue du bien dont on est propriétaire, la seule limite tenant à l’ordre public, c’est-à-dire l’usage prohibé par la loi. Le Conseil constitutionnel, à travers les décisions sur les nationalisations et privatisations, s’est placé dans cette continuité, droit de propriété des personnes privées (nationalisation) comme des personnes publiques (privatisation). Le Conseil se place sans discuter dans la filiation des principes énoncés en 1789. Ensuite, le Conseil va admettre, avec le législateur, que le droit de propriété ne concerne pas seulement des biens immobiliers, mais qu’il concerne aussi les biens mobiliers et les biens immatériels. Le Conseil va entériner en quelque sorte, en les plaçant sous le sceau du droit de propriété, les droits de propriété intellectuel dans une décision du 27 juillet 2006, déclarant alors que les principes applicables au droit de propriété industrielle sont identiques à ceux s’appliquant à la propriété matérielle. Toutefois, le Conseil constitutionnel va, à l’encontre du législateur, faire une exception à cette dématérialisation, cela concerne les autorisations administratives : est ce qu’une autorisation donnée par l’administration d’exercer une activité économique entre dans le patrimoine de son destinataire ? Pourrait il alors être échangé, vendu, valorisé ? C’est une question juridique qui continue d’être très débattue, continuant à recevoir des réponses incertaines. Le Conseil considère dans une décision de 1982, relatives aux autorisations d’exploiter des lignes de transport ferroviaire, que les autorisations administratives ne peuvent pas être patrimonialisées, ne peuvent pas faire l’objet d’un droit de propriété. On verra qu’il y a un nombre important d’activités économiques qui ne peuvent être entreprises qu’après une telle autorisation (pharmacie d’officine, débits de boisson, eaux minérales, courses de chevaux, etc.). Le Conseil constitutionnel considère donc que ces autorisations ne peuvent pas faire l’objet d’un droit de propriété puisque pour des raisons d’ordres publics d’une certaine manière, l’autorité administrative doit pouvoir reprendre ou abroger une telle autorisation, or si l’on admet qu’une autorisation administrative entre dans le patrimoine, mettre fin à l’autorisation c’est exproprier, et donc indemniser. Du point de vue du droit public, cette position est parfaitement défendable. Du point de vue du droit privé c’est moins sur, celui qui se voit privé de son autorisation est contraint de cesser son activité, il est alors privé des éventuelles sources de revenus, on n’est pas loin alors de l’expropriation. On verra que tant le juge administratif et le juge judiciaire ont des positions beaucoup moins claires et tranchées. Pour autant, il admet, là encore à la suite du législateur, que ce droit de propriété peut se voir imposer des limites, mais d’abord seul le législateur peut imposer de telles limites, en vertu d’un intérêt public légalement justifié. En 1991, le Conseil se prononce sur ce qui va devenir la « loi Evin », loi qui visait pour des raisons de santé publique à interdire la publicité pour le tabac et pour l’alcool. On imagine bien qu’une telle volonté législative, gouvernementale même surtout, d’interdire une telle publicité heurte un certain nombre d’intérêt économique, celui des publicitaires, des agents économiques du secteur, mais aussi les intérêts de certain groupe de pression, en particulier le sport automobile. Les parlementaires ont donc demandé au Conseil de vérifier si cette interdiction n’est pas contraire au caractère inviolable du droit de propriété. En effet, les entreprises de publicités sont propriétaires des espaces de publicités, et elles les louent. Le Conseil constitutionnel a repoussé ce raisonnement en estimant que le législateur pouvait apporter des limites au droit de propriété, notamment lorsque ces limites sont justifiées par des préoccupations d’ordre public (nécessité légalement constaté de 1789). En quoi l’ordre public est il présent ? A travers la notion de santé publique : interdire la publicité pour le tabac et l’alcool c’est faire l’hypothèse que si on ne fait pas une telle publicité, la consommation va baisser. Le Conseil entend le raisonnement et repousse donc la saisine. En 1998, le Conseil est à nouveau confronté à cela à travers le droit opposable au logement. Est ce que ce droit qui permet à l’autorité publique de réquisitionner un bien non occupé depuis un certain temps porte atteinte au droit de propriété ? La réponse est bien entendu oui. Est ce justifié par des motifs d’ordre public ? Autant le Conseil avait été ferme dans la décision précédente, autant la présente formule sera plus ambiguë. Le Conseil parlera alors d’un objectif de valeur constitutionnelle qui serait la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent. Le Conseil ajoute que l’intervention du législateur se fait « à la condition que les limitations (…) n’aient pas un caractère de gravité tel que le sens et la portée de ce droit en soient dénaturés ». A l’évidence, le Conseil est plus mal à l’aise dans ce dernier cas, il n’a pourtant pas de mal à considérer qu’une action de santé publique est d’ordre public, il est beaucoup plus réticent à considérer que la lutte contre l’exclusion sociale est un élément de l’ordre public devant lequel le droit de propriété doit s’incliner. Bien entend l’idéologie transpire ces décisions, on le voit bien dans cette lecture variable du droit de propriété. Le principe d’égalité. Il figure dans le bloc de constitutionnalité, et notamment dans la déclaration des droits de 1789, « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », en outre l’article VI dispose que « la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse, tous les citoyens sont égaux à ses yeux ». Dès lors, il n’est pas surprenant que le Conseil constitutionnel ait produit une assez abondante jurisprudence sur ce principe d’égalité, en ce qui concerne par exemple la législation fiscale, ou encore les emplois publics. Le droit communautaire lui aussi connaît le principe d’égalité. La Cour de justice estime que toutes les discriminations exercées à raison de la nationalité sont contraires aux traités. Quant au juge administratif, on sait qu’il a fait depuis longtemps du principe d’égalité un principe général du droit. C’est en particulier la célèbre décision de 1951, Société des concerts du conservatoire, donnée comme l’arrêt de référence. Pour autant, le principe d’égalité ne constitue pas véritablement un obstacle au fonctionnement d’une économie de marché productrice par nature d’inégalités. Il faut pour cela se rappeler sa signification réelle. Le principe d’égalité ne signifie pas que tout le monde doit être traité de la même manière, ce que laisse pourtant penser la lettre de la déclaration des droits. En pratique, dans la jurisprudence, le principe d’égalité signifie que les personnes placées dans la même situation juridique doivent être traités de la même façon. Cela veut dire que des différences de situations peuvent être prises en compte par le législateur, et que donc la loi peut traiter différemment des situations différentes. La question est alors la suivante : comment le juge va t’il apprécier, et le cas échéant censurer, la prise en compte de ces différences de situation ? Tant la jurisprudence constitutionnelle que la jurisprudence administrative vont regarder si la différence de situation que prétend traiter le rédacteur de l’acte est justifiée par des motifs d’intérêt général. L’expression utilisée par les juges est alors que la différence de situation doit être en rapport avec les objectifs d’intérêt public portés par la loi, le règlement ou le service public lui-même. Exemple en matière fiscale, quand on regarde le CGI, un grand nombre de situations différentes semble traitées, le principe d’égalité devant l’impôt semble donc fortement tordu par le législateur. Le Conseil constitutionnel a été très souvent saisi de ce principe, il regarde si les différences créées devant la loi sont conformes à l’intérêt général. Ainsi, dans une décision de 1989, il admet des fiscalités différentes entre les sièges sociaux d’entreprises installés à Paris et ceux installés en province. Il considère donc que cette différence est justifiée au regard de l’intérêt général. Ce n’est donc pas seulement la possibilité de créer des situations différentes, mais aussi la constitutionnalité de ces différences vis à vis de l’intérêt général qui est vérifiée. Le juge administratif utilise la même grille d’analyse pour développer sa jurisprudence relative à la tarification des services publics. Ainsi, lorsqu’un service public est financé en tout ou partie par des redevances payées par les usagers (crèche, école de musique, etc.), à chaque fois l’usager paye une redevance censée être une contrepartie du service rendu, cela n’est cependant pas toujours égal avec le cout de production. Les tarifs de ces services publics peuvent varier, par exemple en fonction des ressources de l’usager. Un Conseil municipal peut ainsi par exemple décider que le tarif des repas sera modulé selon les ressources de la famille de l’enfant. Le juge administratif admet cette modulation au motif qu’elle est en relation, en rapport, avec la vocation sociale de ces services publics. Mais, traditionnellement, le juge administratif apporte une limite d’ordre économique, mais aussi un peu morale, il exige que le tarif le plus élevé ne soit pas supérieur au prix de revient du service (« contrepartie effective »). Il aurait aussi pu dire que les plus pauvres ne paieraient pas et que les plus riches paieraient doubles, il ne le fait pas, l’impôt, la solidarité nationale doit intervenir. Le juge administratif examine avec beaucoup de rigueur ces discriminations positives. Lorsque le juge concerne que la discrimination fondée sur les ressources n’est pas en accord avec l’intérêt social du service, elle n’est pas légale ; cela marche ainsi pour une cantine ou une crèche, cela ne marche pas pour la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. Une loi de juillet 1998 permet aujourd’hui aux collectivités locales de fixer le tarif des services publics en fonction des niveaux de revenus vivant dans le foyer. Le juge communautaire a une vision plus restrictive à ce sujet, plus mécanique. Il considère ainsi que le prix des services publics doit de manière générale être le même pour tout le monde. Il n’entre donc pas dans le même raisonnement que les juges français. La Cour de justice a ainsi considéré en 2006, relativement aux musées italiens, que la différence de tarif entre habitants de la Commune et les autres était contraire aux traités puisque conduisant à une discrimination entre résidents italiens et non italiens. La position est donc beaucoup plus restrictive. Le juge administratif dans sa décision Dénoyez et Chorques regarde dans le détail jusqu’à quel point des tarifs différents peuvent être appliqués pour le franchissement du pont entre le continent et l’île de Ré. Ainsi, un tarif différent pourrait être fondé pour les résident relatif à l’usage qu’ils sont amenés à en faire (ils sont amenés à l’utiliser beaucoup plus) ; quant aux résidents du Département, le juge a considéré que la situation n’était pas la même, et qu’ils ne pouvaient pas bénéficier de tarifs réduits. On déborde de jurisprudence casuistiques. La liberté du commerce et de l’industrie. On ne sait pas très bien la portée exacte de ce principe. En droit administratif, les choses sont relativement claires, le juge considère que c’est un principe général du droit, voir CE 1951 Daudignac. Il l’avait fait bien avant dans sa décision Chambre syndicale du commerce en détail de la ville de Nevers, il traite alors de la concurrence entre activité publique et activité privée. Le Conseil d’État affirme que la liberté du commerce et de l’industrie conduit à réserver, en principe, aux personnes privées ces activités, les personnes publiques pouvant y participer en cas de carence de l’initiative privée par exemple. Dès les années 30, le juge administratif érige le principe de liberté du commerce et de l’industrie. Le référé liberté peut être utilisé quand une décision porte atteinte à cette liberté. Cette liberté a t’elle valeur constitutionnelle ? Dans la décision de 1982 relative aux nationalisations, le Conseil constitutionnel a déclaré que « la liberté ne saurait être elle-même préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à liberté d’entreprendre ». Certains ont considéré que cette déclaration faisait de la liberté du commerce et de l’industrie un principe constitutionnel, cela est discutable. Il y a donc une certitude, la liberté du commerce et de l’industrie est un principe général du droit au minimum, et il y a une incertitude quant à son caractère constitutionnel. Les juges considèrent en outre que cette liberté est formée de la liberté d’entreprendre et de la libre concurrence. La liberté d’entreprendre c’est la liberté de s’installer dans une activité économique et la liberté de contracter. La liberté de s’installer en droit de l’UE s’appelle la liberté d’établissement, elle pose de multiples problèmes, matériels et juridiques. Le juge français, qu’il soit constitutionnel ou administratif, admet que pour des motifs d’intérêt général, cette liberté d’établissement soit limitée par la loi. Il y a ainsi beaucoup d’activités économiques qui sont réglementées.L’UE a elle une conception plus restrictive quant aux limitations du libre établissement. Il y a beaucoup de décisions, par exemple en 1996 la Cour de justice a condamné la France, l’Italie et d’autres, au motif que ces Etats entendent interdire aux banques installées sur leur territoire de rémunérer les comptes courants, en considérant que cette rémunération est contraire au rôle de quasi service public que les banques doivent rendre aux particuliers en gérant leurs comptes courants, cela revenant à augmenter les services bancaires. La Cour a considéré que rien ne permettant dans le droit de l’UE aux Etats membres de limiter cet intéressement. Autre exemple classique, un État qui invente un régime juridique réglementant une activité en la soumettant à autorisation, une carte professionnelle par exemple, peut se voir condamné, ce fut le cas de la France en 2002 quand elle a tenté de soumettre la profession de guide touristique à la possession d’une carte professionnelle. En 2009, un rapport de la Commission Attali a fait l’inventaire des rigidités de notre économie, de ce qu’il fallait réformer pour donner plus de souplesse. Parmi les recommandations, il y avait précisément cette idée que notre droit comportait trop de limitations au principe de libre établissement, l’exemple sujet de toutes les polémiques fut celui des licences de taxi. Celles-ci sont délivrées par les autorités locales, les mairies, sauf à Paris par la préfecture de police. Il est difficile d’obtenir une telle licence, il s’agit en effet de protéger ceux qui sont en place. Or une réglementation n’a de sens que si elle permet de protéger un objectif d’intérêt général. Il faut donc constamment se questionner sur la légitimité et même la légalité de la réglementation sur les taxis qui visent aujourd’hui à protéger les intérêts privés. La liberté contractuelle des personnes privées est proclamée par l’article 1123 du code civil, avec pour seule limite l’ordre public et les bonnes mœurs. Pour les personnes publiques il n’y a pas de dispositions symétriques. Depuis longtemps la jurisprudence administrative proclame la liberté contractuelle des personnes publiques. La jurisprudence administrative considère qu’une personne publique est toujours libre de choisir le mode de gestion d’un service public dont elle a la responsabilité, elle peut décider de le gérer elle même ou de le déléguer. Elle est aussi relativement libre de choisir son cocontractant. Donc, il existe dans notre droit, tant pour les personnes privées, que pour les personnes publiques, une liberté contractuelle effective, de nature à garantir l’effectivité de la liberté d’entreprendre. La libre concurrence n’a pas aujourd’hui de valeur constitutionnelle. Le principe est donc de valeur législative, il peut donc être aménagé à loisir par le législateur, là encore pour des motifs d’intérêt général. Il s’applique sans aucun doute aux opérateurs économiques. Il suffit pour s’en assurer de se référer aux dispositions du droit de l’UE puisque le traité, dans ses articles 101 et 102 prohibent les ententes entre entreprises d’une part, et les abus de positions dominantes qui pourraient en résulter. En droit interne, il y a une très importante jurisprudence judiciaire qui prouve l’effectivité de ce principe. Il y a même un organe dédié à la surveillance des acteurs économiques, c’est le Conseil de la concurrence, autorité de régulation. Il est chargé de faire en sorte que les principes de droit communautaire s’appliquent. D’ailleurs, le code de commerce en son article L. 410-1 dispose que « les règles relatives à la liberté des prix et de la concurrence s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de service, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de services publics ». Et donc la notion d’opérateur économique, sous l’influence du droit de l’UE, ne doit pas être utilisée au travers du régime juridique de l’opérateur en question, il peut indifféremment être privé ou public. Le Conseil d’État le disait déjà dans les années 30, une personne publique peut se comporter comme une personne privée, le critère n’est pas organique mais matériel. Toute activité économique est soumise au critère de la libre concurrence. En revanche la question se pose pour ce que l’on appelle dans le vocabulaire national les institutions sociales. La jurisprudence a même voulu pendant un temps créer une telle catégorie, les services publics sociaux, vite abandonnée. Il n’en reste pas moins qu’il existe dans tous les Etats membres de l’UE des institutions dont on peut, sans considération de leur régime juridique, se demander si leur activité peut être regarder comme une activité économique : ce sont les institutions de protection sociale. Est ce que les caisses de sécurité sociale peuvent être regardées comme des acteurs économiques ? Donc, encaisser les cotisations, payer des prestations de remboursement, cela est il une opération économique ? Si oui, des structures privées peuvent concurrencer les organismes de sécurité sociale, et le cotisant doit être rendu libre de choisir l’organisme vers lequel il va porter ses cotisations. Le droit positif répond aujourd’hui, à travers la jurisprudence européenne et nationale, que cette activité n’est pas économique lorsqu’elle consiste à gérer ce que l’on appelle les régimes de base, c’est-à-dire ceux rendus obligatoires par la loi. En revanche, la gestion des régimes complémentaires, on parle de « mutuelles » (impropre), repose sur le principe du libre choix car cette activité est économique, elle vise à procurer un avantage supplémentaire moyennant un avantage supplémentaire aux assurés qui ne sont plus obligés de s’assurer. C’est ce qui explique le développement de l’initiative privée en matière d’assurances maladies et d’assurances retraites (« assurances complémentaires »). Ce qui fait aujourd’hui débat, c’est le risque, voir la réalité, de transfert des régimes obligatoires vers les régimes complémentaires. Par exemple, quand pour des raisons de santé publique, la décision est prise de dérembourser partiellement ou totalement un médicament, si ce médicament est concurrencé par beaucoup d’autres remboursés, il n’y a pas de problèmes. En revanche, si plus aucun médicament n’est remboursé, les régimes complémentaires peuvent intervenir et remplacer le régime de base. Il y a cependant une énorme différence, les régimes complémentaires il faut les acheter, et leur prix augmente, et tout le monde n’y a pas accès. On se retrouve aujourd’hui devant un régime de base qui rembourse de moins en moins bien, avec des régimes complémentaires élevés, hors d’accès des ménages défavorisés. Donc, en soustrayant à la concurrence la sécurité sociale, la Cour de justice préserve le service public des assurances sociales. Mais lorsqu’une personne publique exerce une activité de réglementation (un pouvoir de police), doivent elles respecter des règles de concurrence ? Sous la pression du droit européen, le principe de libre concurrence a vu sa place réévaluer sa place au sein de notre ordre juridique. Le CE en 1997, dans son arrêt Million et marré traite de cette question, lorsqu’une personne publique organise par une décision une activité économique, en l’occurrence l’activité de pompes funèbres, elle doit veiller à ce que cette décision ne porte pas atteinte au droit de la concurrence, a fortiori lorsque cette organisation de l’activité conduira à une DSP. Il y a en effet dans la jurisprudence relativement récente du Conseil d’État plusieurs décisions qui trahissent cette adaptation du droit administratif à la pression du droit de l’UE, propre à instaurer une pression rigoureuse relative à l’effectivité du droit de la concurrence. Par exemple, les Maires sont compétents pour réglementer sur le territoire de la Commune l’affichage, et ils sont en général partagés entre deux considérations : une considération économique qui est que l’affichage cela rapporte de l’argent ; une considération qualitative relative au paysage urbain. Le point d’équilibre est dans le principe de libre concurrence, le juge déclare en effet que les restrictions apportées au droit de l’affichage ne doivent pas fausser le droit de la concurrence. En plus, là aussi il y a des opérateurs historiques. Souvent en effet une régie publicitaire domine le marché municipal et dispose de tous les bons emplacements, donc attention à la libre concurrence là encore, le juge administratif y veille. Un autre exemple concerne une activité qui se développe beaucoup, celle des casinos. Pendant très longtemps en France, pour des raisons de morale collective, la possibilité d’ouvrir un casino était restreinte, seules les villes d’eau pouvaient ouvrir un casino. Là aussi le droit de l’UE est intervenu, les jeux d’argents sont une activité économique comme les autres. La loi a donc permis aux municipalités d’ouvrir un casino. La décision de refus de la municipalité pour ouvrir un second casino par exemple pourra être déférée au juge administratif qui appliquera le droit de la concurrence, le refus pouvant se fonder sur le seul motif de sécurité publique. C’est au moment où l’État est rendu impuissant par la crise que la nécessité d’une organisation économique juridicisée se fait le plus sentir. C’est à ce moment, dans le contexte économique actuel, que l’hypothèse du marché autorégulateur se fait fausse. Il faut que les Etats interviennent. Et ils sont confrontés à une économie mondialisée. Traditionnellement en France, l’intervention de l’État dans l’économie a toujours été dense, forte. L’exemple le plus massif de cette intervention c’est le poids du service public. Mais au delà du poids du service public, il y a le poids des réglementations économiques qui était lui aussi dense. Il faut se rappeler que cette histoire singulière de la France en matière d’intervention, cette tradition, rend les adaptations au monde nouveau plus difficiles que pour des sociétés ou des Etats dans lesquels l’intervention publique est traditionnellement plus faible. C’est donc avec ces éléments de contexte que nous allons aborder les techniques juridiques de l’intervention du droit public dans l’économie en distinguant les interventions indirectes (État régulateur) des interventions directes (État opérateur). PARTIE I - L’ETAT REGULATEUR Dans le vocabulaire du droit, on ne parle pas de régulation. Le mot régulation, il vient d’ailleurs. Il a été introduit assez récemment, à partir de l’anglais d’ailleurs. Cette introduction a, au plus, 35 ans. Dans le vocabulaire classique on associe plutôt à l’État la réglementation. Le mot régulation, dans la langue française, il vient de l’univers des sciences de l’ingénieur, la régulation c’est l’ensemble des techniques qui permettent de maintenir l’efficience d’un système, c’est-à-dire faire en sorte de produire le maximum d’énergie en en consommant le moins possible. Il est évidemment assez tentant d’appliquer cela à l’économie, puisque c’est un système, il y a un ensemble d’éléments qui se combinent pour produire un résultat distinct desdits éléments. Et incontestablement, nous avons intérêt à ce que l’économie produise des richesses et de l’emploi. Et du coup, il faut s’interroger sur l’intérêt de parler de régulation de l’économie. S’il s’agit de trouver des techniques qui permettent de maintenir la rentabilité de l’économie, cela est tentant du point de vue sémantique. Mais du point de vue juridique, traditionnellement le mot régulation est donc inconnu, les techniques juridiques qui permettent d’intervenir dans l’économie sont des techniques de réglementation. Dès lors on peut se demander si la réglementation et la régulation se sont la même chose ou bien s’il y a des différences. On ajoutera que dans l’histoire récente, la déréglementation est arrivée comme une méthode des pays anglo-saxons vers l’Europe continentale. Comme souvent, on s’aperçoit que les décisions juridiques et politiques qui sont prises sont inspirées par des analyses théoriques, des travaux scientifiques, et en l’occurrence on sait où trouver les influences : Ronald Reagan aux Etats-Unis, Margaret Thatcher au Royaume-Uni. Il s’agissait de montrer que l’État, lorsqu’il réglemente l’économie, finalement, produit pus d’effets négatifs que d’effets positifs. En conséquence, moins il intervient plus il laisse respirer en quelques sortes l’économie, plus il laisse le marché fonctionner librement, et plus le marché produit de richesses. Cela repose sur trois constats : Une réglementation publique de l’économie bride l’initiative individuelle, or la richesse principale des nations ce sont les hommes. Cela produit donc essentiellement négatifs. Mais l’État peut hésiter, en raison des risques fiscaux, sociaux, etc. La réglementation génère de la bureaucratie, et celle-ci constitue elle aussi une entrave au fonctionnement Parce qu’elle permet de s’autolégitimer et de devenir indifférences aux exigences économiques. Et tout cela a un cout, au delà du cout de production, et il est assumé par les entrepreneurs, qui en contrepartie ne reçoivent rien. Un mouvement politique est né dans les années 70 puis s’est prolongé dans les années 80 en faveur d’un déréglementation de l’intervention de l’État. Il y a dans les années 70 un mouvement dit des « libertariens », mouvement philosophique né notamment dans l’Université de Chicago, et qui partagent au moins l’idée que l’intervention de l’État dans l’économie est nocive. Friedrich Hayek est un de ces penseurs, il part d’une proposition : le marché est une construction humaine. (petit manque Pierre-Yves R.) Pour déréglementer il faut réglementer. Dans le voyage aérien, le risque est de voir arriver des acteurs sans compétence technique, des acteurs vont donc venir puis faire faillite. Un risque sur la sécurité est bien évidemment présent. Dans la période 1975-1990, la sécurité a été moins bonne dans les transports aériens. Ce mouvement s’est étendu sur l’ensemble des économies de marché et en France, malgré sa tradition, au milieu des années 1980, cette idée de la déréglementation produit des effets. D’autant qu’à cette période, c’est la première cohabitation et c’est le retour de la droite aux affaires, c’est donc d’une certaine façon un laboratoire pour cette mode. Le Gouvernement va d’une certaine façon céder à cette mode avec par exemple les privatisation ou l’abrogation des textes qui encadraient les prix. Cette mode de la déréglementation est encore présente aujourd’hui, on trouve par exemple le fait que le MEDEF demande la baisse des charges patronales, mais aussi le fait que le droit de l’environnement soit vu comme un frein au développement. Sur la déréglementation, le Conseil d’État a rendu en juin 2011 une décision qui concerne la profession d’expert comptable, après renvoi devant la Cour de justice. Il y avait avant cette décision une disposition réglementaire interdisant aux experts comptables de procéder à du démarchage. Les représentants de la profession ont considéré que cela allait à l’encontre de la liberté d’entreprendre. Ils ont obtenu gain de cause. La Cour de justice a estimé en effet qu’une réglementation nationale ne pouvait pas interdire purement et simplement le démarchage. Et donc, depuis juin 2011, les cabinets d’expertise comptable peuvent librement démarcher et faire de la publicité. Il n’est pas exclu qu’une telle déréglementation conduise à une concentration dans le secteur, les gros cabinets risquant de gagner des parts de marché. La contradiction est que la commission Attali a dressé une liste des rigidités réglementaires qu’il convenait d’alléger. Notamment, les experts comptables étaient sommés de laisser une partie de leurs compétences à d’autres professions, comme les avocats d’affaire par exemple. Cette problématique ne fait donc pas l’unanimité. Parfois l’encadrement réglementaire protège des situations de monopole, de quasi monopole, ou en tous cas fige les parts de marché. La Cour de justice a rendu en 2006 et en 2011 des décisions relatives à la pharmacie ou à la biologie médicale, leur réservant le monopole de la propriété des officines et des laboratoires. Alors même que le Gouvernement souhaitait déréglementer. Finalement, cela a fait évoluer la déréglementation vers la régulation. En effet, même si on allège considérablement le nombre d’actes qui encadrent l’activité économique, la technique même de la déréglementation n’est pas forcément adaptée aux exigences de la vie économique. La technique de l’acte impersonnel ou à portée générale, n’est pas forcément adaptée à la vie économique. D’abord parce que la vie économique est faite de situations singulières. Ainsi, l’administration fiscale a eu des relations avec ses assujettis particulièrement asymétriques, le fisc bénéficiant dans ses relations de nombreuses prérogatives de puissance publique. L’usage de ces prérogatives se justifiant par le fait que l’impôt est démocratiquement votée et qu’il sert à financer l’intérêt général, et que donc rien ne doit s’opposer à son recouvrement. C’est l’archétype de la réglementation générale et impersonnelle. Le mouvement de déréglementation n’a pas produit beaucoup d’effets en matière fiscale. En revanche, l’administration fiscale ces dix dernières années s’est efforcée de modifier ses relations avec les usagers, de les rendre plus souples, plus compréhensives des situations individuelles. Et donc, sans véritablement déréglementer, le fisc a modifié les modalités de ses rapports avec les usagers. Cela se traduit par l’existence d’une charte du contribuable, des modes d’emplois, des délais de paiements assouplis, des permanences, etc. Ce mouvement c’est peut être la traduction de la régulation. C’est l’idée que les normes générales et impersonnelles ne suffisent plus, qu’il faut personnaliser d’avantage, adapter à la réalité économique les normes juridiques. La deuxième raison c’est le constat que la vie économique et le système économique sont des choses complexes, et que l’État, contrairement à ce que l’on pourrait être tenté de penser, n’est pas un expert dans tous les domaines. Surtout dans une société postindustrielle marquée par un développement des techniques extrêmement rapide et qui complexifie encore d’avantage la vie économique. En effet, par exemple, comment penser la réglementation et la protection de la propriété industrielle à l’époque d’internet. Autre exemple, comment penser l’évolution des chemins de fer quand les cadres souhaitent utiliser le train au niveau européen. Sauf que, il y a encore 10 ans, les réseaux européens n’étaient pas interconnectables, pour des raisons militaires. Il a fallu des règles juridiques pour uniformiser les systèmes ferroviaires. Là encore, les outils juridiques traditionnels ne sont pas forcément adaptés à la technicité des problèmes économiques. Le référentiel classique des juristes, la loi ou le règlement, avec un débat sur la dose de déréglementation, la boite à outil n’est pas adaptée aux exigences de la vie économique. On a vu apparaître en conséquence des techniques juridiques nouvelles permettant à la puissance publique d’encadrer des secteurs publics marqués par une forte technicité. C’est l’émergence d’abord en Grande-Bretagne de ce qu’en France on va appeler les autorités administratives indépendantes. On pense à la CNIL puis à ce qui deviendra des agences de sécurité sanitaire. L’idée est la suivante : des secteurs techniques nécessitent une expertise particulière. Et en plus, ces secteurs mobilisent des intérêts qui pèsent sur les décisions publiques. Il faut donc trouver des techniques juridiques qui permettent de garantir la qualité des normes juridiques que l’on va promulguer et donner une certaine indépendance aux autorités chargées d’émettre ces règles juridiques par rapport aux intérêts qui s’expriment dans un secteur donné. Les AAI sont alors des autorités collégiales créées par la loi, composées d’experts issus des milieux économiques, administratifs et parlementaires. La loi va leur conférer, c’est ce qui est nouveau, un pouvoir réglementaire et un pouvoir quasi voir juridictionnel (cf. Conseil de la concurrence). L’intervention de la puissance publique va donc être démultipliée, découpée, pour être calquée sur l’organisation de la vie économique. Les grands secteurs de la vie économique ne devront plus être destinataires d’une législation propre, ils vont se voir doté d’un organe expert dans lesquels ils seront représentés. Aujourd’hui, ces institutions que l’on appelle « autorité de régulation » sont trop nombreuses. Force est donc de constater qu’à la déréglementation a succédé une nouvelle forme de réglementation, plus proche et individuelle, qu’est la régulation. On espère que cette spécialisation des outils va permettre d’encadrer de façon plus efficace l’activité économique. Que cela signifie t’il ? Cela veut dire qu’il va s’agir de mieux trouver l’équilibre entre l’intérêt privé des entrepreneurs et l’intérêt général. Pour autant la doctrine juridique reste assez prudente devant ce concept de régulation. Dans les manuels de droit public économique, on verra que tous évoquent cette émergence de la régulation, et que même s’ils s’interrogent, les auteurs considèrent que cela fait partie du corpus juridique. En revanche, en dehors de ces manuels, en théorie du droit ou en droit administratif, le jugement est plus prudent. Il faut en effet bien reconnaître que si la réglementation est bien installée, le concept de régulation est assez fuyant. On assiste donc à des efforts conceptuels pour donner un sens juridique à ce mot. Ce n’est pas facile parce que pour une part, la régulation c’est de la réglementation, et paradoxalement une autorité de régulation densifie la réglementation. Deuxième constat, la régulation se traduit par l’existence des autorités de régulation qui n’existaient pas auparavant. Et donc la régulation crée une strate nouvelle. Autrement dit la régulation ajoute à la bureaucratie. Mais c’est une bureaucratie experte et indépendante. La régulation ne forme donc pas vraiment un nouveau référentiel, c’est une adaptation à la vie économique de l’intervention publique. Fondamentalement, sauf AAI, les techniques juridiques de la régulation ne sont en rien innovantes. L’action publique, placée sous la bannière de la régulation, ne constitue pas une rupture, mais plutôt une adaptation destinée à personnaliser les règles juridiques et à les confier à des institutions expertes, et plus indépendantes des milieux économiques. § 1. La réglementation A. Le régime de propriété des entreprises Dans un marché économique, il est logique de prétendre que les entreprises doivent être soumises à un régime de droit privé et doivent être naturellement la propriété de personnes privées. Au fond, la jurisprudence ne dit pas autre chose depuis l’arrêt Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers, toujours d’actualité, et réaffirmé dans un arrêt du 31 mai 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris, « les personnes publiques sont chargées d’assurer les activités nécessaires à la réalisation des missions de service public (…) pour se faire elles sont dotées de prérogatives publiques ; si elles entendent en outre, indépendamment de ces missions, prendre en charge une activité économique, elles ne peuvent légalement le faire que dans le respect tant de la liberté du commerce et de l’industrie que du droit de la concurrence ; à cet égard, pour intervenir sur un marché, elles doivent justifier d’un intérêt public lequel peut résulter notamment de la carence de l’initiative privée ; une fois admise dans son principe, une telle intervention ne doit pas se réaliser de telle façon que la situation particulière dans laquelle se trouverait cette personne publique par rapport aux autres opérateurs fausserait le libre jeu de la concurrence sur celuici ». Donc, la position du juge s’est modernisée en terme de vocabulaire, mais sur le fond rien n’a changé. Sur ces marchés, les opérateurs économiques ont vocation à intervenir dans un régime de libre concurrence et de la libre entreprise. La puissance publique n’a pas, a priori, à y intervenir. Si elle décidait de l e faire au nom d’un intérêt public, elle ne pourrait pas sans se mettre en infraction avec le droit de la concurrence, utiliser ses prérogatives de puissance publique, mais elle devrait se comporter comme un opérateur économique de droit commun. On sent dans cette décision le poids du droit de l’UE. En ce qui concerne le régime des entreprises, le droit de l’UE est fondé sur un principe de neutralité, c’est-à-dire qu’il est indifférent qu’une entreprise soit publique ou privée. Indifférente parce que d’abord l’UE n’a pas compétence pour se prononcer réglementairement sur le régime de la propriété dans les Etats membres. Ensuite parce que la réglementation européenne ne se préoccupe au fond que de concurrence et estime que sur un marché, quel qu’il soit, tous les opérateurs économique. Les traités de l’UE stipulent ainsi que « le présent traité ne préjuge en rien du régime de propriété dans les Etats membres », précisant dans un autre article, « les Etats membres en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraires aux règles du présent traité, notamment les règles de concurrence ». Et la législation française a tiré les conséquences de ces dispositions en provenance du droit originaire, mais aussi du droit dérivé. C’est l’article L. 410-1 du code de commerce qui dispose que « les règles définies au présent livre s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de service, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public ». Le régime de propriété des entreprises ne peut pas déterminer la nature et le contenu des règles applicables à ces entreprises dès lors qu’elles se comportent comme des opérateurs économiques. Et donc, peu importe qu’elles soient publiques ou privés, elles doivent respecter les règles de la concurrence. Cette exigence a évidemment des conséquences, d’autant plus fortes qu’en France on trouve une tradition historique d’existence de nombreuses entreprises publiques qui interviennent dans des secteurs d’activités qui sont des secteurs concurrentiels, qui sont des marchés au sens du droit de la concurrence. La question qui se pose est celle de l’adaptation du statut aux exigences du droit de la concurrence. Ce n’est pas la seule conséquence, la notion de service public qui était en France conçue de manière extensive va voir son champ d’application se réduire. En même temps que les règles relatives à l’entreprise publique vont être modifiées, le service public va se réduire. Concrètement, on trouve les privatisations avec d’ailleurs un débat juridique devant le Conseil : est il possible de privatiser une entreprise qui a le caractère d’un service public national, sans porter atteinte aux dispositions du préambule de la Constitution de 1946 prévoyant qu’une entreprise disposent d’un service public national doit devenir la propriété de la nation ? Y a t’il donc obligation de maintient dans le secteur public les services publics nationaux ? A cette question, le Conseil constitutionnel va répondre que tout dépend de l’origine de la qualification de service public national, il va réitérer cette analyse en 2006 à propos de la loi privatisant gaz de France. Le Conseil déclare alors qu’il y a des services publics nationaux dont l’existence découle de principes à valeur constitutionnelle (service public de la défense, de la législation, etc.). Et puis d’autres services publics ont été créés par la loi avec la nationalisation d’après guerre, dans certains cas, le législateur a qualifié juridiquement les entreprises publiques ainsi créées de service public national. Le Conseil va faire application de la théorie du parallélisme des formes, donc si le législateur peut qualifier une entreprise de service public national, le législateur peut aussi faire l’inverse. Le législateur est souverain pour procéder à la qualification et la déqualification. Cette problématique a été illustrée plus récemment au moment de la privatisation des sociétés d’autoroute, lorsque le Gouvernement de Villepin a décidé en 2005 de vendre au secteur privé les autoroutes. Les sociétés d’autoroutes avaient déjà un statut plus tout à fait public puisqu’elles étaient des SEM, l’État restait cependant très largement majoritaire. La question était de mesurer la légalité, et même la constitutionnalité de la décision de vente des parts de l’État, acte administratif réglementaire. Le juge administratif a été saisi par un requérant, François Bayrou. Le Conseil a rejeté, F. Bayrou soutenait qu’existait une interdiction de privatiser complètement des sociétés disposant d’un monopole de fait ou d’un service public national. Le juge a dit que la loi n’avait pas qualifié les sociétés de service public national, et que la situation régionale des entreprises ne pouvait pas qualifier un monopole de fait. Le problème est que dans un avis antérieur, la Conseil de la concurrence avait estimé que les sociétés d’autoroute exploitaient la majeure partie du réseau autoroutier en France, soit 7 000 km sur 8 000, étant de ce fait en situation de monopole sur les trajets dont elles ont la propriété exclusive. On voit donc là qu’entre le juge qui fait une application classique du référentiel juridique et le Conseil de la concurrence, les appréciations de fait portées sur une même situation peuvent être différentes. On constate que la notion juridique de monopole ne rejoint pas la notion économique de monopole. Les pharmaciens ont ainsi un monopole juridique pour la distribution des médicaments, ils sont pourtant une pluralité ; la Poste en revanche disposait du monopole de la distribution du courrier et était seul. Pour les économistes, il y a monopole quand un opérateur économique, ou un oligopole, a fait des investissements nécessaires pour développer une activité, et l’a développé de telle façon que plus aucun concurrent n’est en mesure de faire les mêmes investissements parce que tout simplement il ne réussirait jamais à les rentabiliser. Microsoft dispose ainsi d’un monopole économique parce qu’à un moment il a fait des investissements techniques pour conquérir les systèmes d’exploitation des PC. Aujourd’hui si un concurrent voulait se développer dans les systèmes d’exploitation, il faudrait qu’il fasse un investissement considérable pour prendre des parts de marchés. C’est juridiquement possible, économiquement très peu probables. Il existe des outils juridiques qui permettent de contester ces monopoles, mais cela n’empêche généralement pas ceux-ci de continuer. Et pour le secteur public, des règles juridiques existent pour obliger la puissance publique à ouvrir à la concurrence ses entreprises publiques, les banaliser et en faire des opérateurs économiques ordinaires respectant les règles de la concurrence. Il y a ainsi eu des privatisations spectaculaires. Le droit de l’UE est indifférent au régime de propriété des entreprises. Le monopole conféré aux entreprises publiques, parfois conféré par la loi, portent gravement atteinte aux règles de la concurrence. Et donc, il n’est pas suprenant que pour permettre la mise en œuvre des règles de droit de la concurrence, l’UE ait progressivement exigé est Etats membres qu’ils modifient la situation juridiques des entreprises publiques placées en situation de monopole. Dès lors, un mouvement législatif puis réglementaire s’est engagé, visant à ouvrir progressivement à la concurrence un certain nombre de secteurs d’activité dans lesquels des entreprises publiques se trouvaient placés par la loi en situation de monopole. C’est ce mouvement qui a été largement interprété par la presse et la doctrine comme incarnant une sorte de déréglementation. En effet, ce mouvement n’a pas seulement consisté à ouvrir la concurrence, mais ce mouvement s’est accompagné également d’un changement de statut juridique de l’opérateur historique, dans le sens le plus souvent d’une banalisation du statut puis d’une privatisation. De plus, ce mouvement législatif et réglementaire s’est traduit par la création dans chacun des secteurs d’une autorité de régulation, c’est-à-dire d’une instance experte chargée de dire le droit organisant tel ou tel secteur d’activité. En réalité, il s’agit, plus que d’un mouvement de déréglementation, d’un changement de réglementation. Nous ne sommes pas passés d’une pluralité de réglementations à strictement rien. L’ancienne réglementation va être remplacée par une nouvelle réglementation. Peut être que l’on passe en effet d’une réglementation à une régulation, mais ce n’est qu’un autre moyen de réglementation. Les entreprises ont en outre un autre point commun, elles interviennent dans les activités de réseau : distribution d’énergie (électricité, gaz), transport (aérien, ferré, etc.), poste et télécommunications. Il y a d’autres activités de réseau comme la distribution de l’eau potable, mais cela n’a jamais été pris en charge historiquement par une entreprise publique placée juridiquement en situation de monopole. Le gaz et l’électricité ont été organisés à la fin de la deuxième guerre mondiale en forme de monopole public, confié à EDF et GDF. Dans les deux cas l’expression « monopole » mériterait d’être précisée, en effet le monopole ne porte pas sur la totalité de l’activité. La production de l’électricité n’a jamais été complètement un monopole d’EDF, il y a toujours eu historiquement d’autres producteurs produisant en petite quantité. Simplement, la loi organisation le monopole d’EDF obligeait les producteurs d’électricité à vendre leur électricité, au delà de leurs besoins propres, à EDF, et obligeait l’opérateur public à acheter, celui-ci disposant du monopole de la distribution. La même observation vaut pour le gaz, la production n’était pas un monopole, en revanche l’était la distribution. A la fin des années 90, l’UE s’est préoccupé de l’organisation d’un marché intérieur de l’énergie et donc a appelé à une ouverture à la concurrence du marché du gaz, mais aussi du marché de l’électricité. L’UE a donc procédé à un démantèlement juridique du monopole de la loi de 1946. En ce qui concerne le gaz, depuis le 1er juillet 2004, la loi française, prise en application des directives, permet en principe au client final de choisir librement son fournisseur de gaz. En matière d’électricité, la loi a également ouvert la possibilité, depuis le 1er juillet 2007, pour le client final, de choisir son opérateur. Deux conditions doivent être remplies pour que le consommateur puisse librement choisir : Le réseau physique de l’opérateur historique doit être mis à disposition des opérateurs. C’est là une application de la théorie des facilités essentielles. Cette condition qui a pu donner lieu en matière d’électricité à quelques controverses, y compris juridictionnelles, cette condition est maintenant satisfaite. Les prix doivent être libres, c’est-à-dire que les prix relèvent de la rencontre entre une offre et une demande. Cette deuxième condition n’est pas aujourd’hui satisfaite. En effet, parce que malgré les annulations successives prononcées par les juridictions administratives, malgré les injonctions de la Commission, la France continue d’appliquer des tarifs réglementés inférieurs au coût réel du kW/h dont tous les opérateurs dénoncent le fait que cela soit anticoncurrentiel. En effet, les concurrents de l’opérateur historique doivent s’aligner. En revanche la loi commence à régler l’accès des concurrents d’EDF à toutes les sources de production d’électricité. De fait, actuellement, les concurrents sont surtout des courtiers en électricité : ils achètent de grosses quantités à EDF pour revendre. MANQUE La loi de 1996 oblige l’opérateur historique à mettre son réseau à disposition de ses concurrents (facilités essentielles) au travers de ce que la loi appelle le dégroupage de la boucle finale du réseau (téléphonie et réseau). Cela permet à des concurrents de France Telecom de « brancher » leurs installations sur le réseau public, construit et entretenu par l’opérateur. La transformation des technologies avec le déferlement de la téléphonie mobile a modifié les conditions d’ouverture à la concurrence, on en a eu un exemple récent avec l’arrivée de Free. Pour le moment, ce qui nous intéresse c’est de constater que la loi de 1996, et d’autres, modifie le régime juridique de l’opérateur historique, qui cesse d’être un EPIC pour devenir une société privée. Au fond, à travers ces exemples, il faut retenir pour illustrer ce thème de la déréglementation que sous la pression du droit de l’UE, les monopoles publics historiques sont, sinon démantelés, du moins ouverts à la concurrence. Au passage, alors que ce n’était pas une obligation juridique, la loi modifie le régime juridique. Pourquoi le législateur a « profité » de ces lois pour transformer le régime juridique ? C’est la volonté de leur permettre de faire face à la concurrence, d’être des opérateurs économiques parmi d’autres, et de pouvoir se diversifier, mais aussi à terme de passer des alliances financières, industrielles, commerciales, avec d’autres opérateurs. Ce qu’un statut de droit public ne permet pas de faire, un statut de droit privé le permet. Parler là de déréglementation n’est pas totalement adapté, il vaut mieux parler d’ouverture à la concurrence qui donne lieu à la transformation du régime de propriété des entreprises pour leur permettre d’assurer ladite ouverture. B. La libéralisation des prix Dans la théorie économique générale néo-classique, le prix est à la fois le signe qu’un marché fonctionne, et un point d’équilibre de ce marché, entre l’offre et la demande. Il y a une autre manière de fixer les prix, c’est la méthode du prix administré, du prix réglementé ; la puissance publique fixe alors de manière unilatérale (ce qui n’exclut les discussions préalables) les prix. En France, à l’instar de ce qui s’est passé à la suite de la seconde guerre mondiale, a mis en place des prix administrés pendant une période plus ou moins longue. Il y a deux explications à cela. D’abord à la suite de la seconde guerre mondiale, est subie une période de pénurie, le secteur industriel et agricole est physiquement détruit. Les biens industriels et agricoles sont donc très rares, et donc les prix élevés ; le risque alors dans une économie de pénurie et qu’une grande partie de la population ne puisse pas accéder aux biens. Donc au nom de l’ordre public, la puissance publique intervient pour réglementer une partie des prix (bien de consommation de base) ou la totalité. En France, le CNR, dès 1945, prend la décision par une ordonnance législative de conférer à la puissance publique la compétence pour réglementer l’ensemble des prix à la production. Le choix est donc fait compte tenu de la pénurie de donner à la puissance publique la compétence pour administrer l’ensemble de prix. Cet état de nécessité va durer un certain de temps, les tickets de rationnement pour accéder à des biens contingentés, vont durer jusqu’en 1947. La disparition des tickets a t’elle pour autant entrainer la disparition de l’administration des prix ? On aurait pu le croire, mais cela n’a pas été le cas. L’encadrement des prix a continué, non pas tant pour des raisons de nécessité, la croissance était très forte, mais plutôt pour des raisons de risque inflationniste. Les trente glorieuses se sont accompagnées d’une tendance inflationniste, l’inflation étant ce mécanisme économique qui se caractérise par une « course poursuite » entre les prix à la consommation et les salaires : les prix augmentent et le consommateur demande une augmentation, il l’obtient et les prix réaugmentent, entrant dans un mouvement inflationniste. Au milieu des années 80, pendant que la gauche était au pouvoir, l’encadrement des prix va être supprimée par une ordonnance de 1986 portant libéralisation des prix. Cette rupture n’exclut pas qu’il y ait des exceptions, aujourd’hui encore existe celui du gaz, du livre aussi. Il illustre le rapprochement des règles juridiques du fonctionnement du marché, d’abandonner le modèle de l’intervention publique pour se rapprocher d’une régulation par le marché sur la base du modèle concurrentiel. Mais comme il reste malgré tout des exceptions, on voit bien que parler de déréglementation est exagéré, il s’agit de mettre en œuvre un nouveau modèle. La notion de prix est une notion économique et juridique. Pour les économistes, un prix, c’est une rémunération (« prix du travail ») et peu importe la nature juridique de cette rémunération. Les juristes eux font la différence entre les prix et les salaires. Pour un économiste, tout produit ou service échangé sur un marché donne lieu à une rétribution monétaire, le niveau de cette rétribution s’appelle le prix. Pour les juristes, il importe de distinguer les prix des impositions de toutes natures. Et donc le juge administratif a eu à plusieurs reprises à se prononcer sur ce qu’on appelle par prudence on appelle les redevances qui payent les usagers en contrepartie des services rendus par le service public. Il y a une jurisprudence abondante, mais par exemple, les tarifs d’une cantine scolaire sont ils des prix ? Le juge administratif a toujours répondu par la positive, cela ne peut pas être autre chose puisque la redevance est la contrepartie du service rendu, c’est d’ailleurs ce qui permet au juge d’admettre que des tarifs différents puissent être pratiqués en fonction du niveau de revenu des familles. Il en va de même des tarifs des pompes funèbres. On peut parler aussi du tarif des autoroutes, cela a t’il un prix ? Le juge administratif a considéré que le péage des autoroutes devait être considéré comme une taxe parafiscale, un droit d’occupation temporaire du domaine public, ce n’est donc pas un prix. Ce raisonnement continue à s’appliquer pour les droits de place dans les marchés, c’est une taxe et donc pas un prix. Pour en revenir aux autoroutes, la jurisprudence a évolué dans les années 90. Le statut des autoroutes ayant évolué, la jurisprudence a évolué jusqu’à considérer que le péage de l’autoroute devait être considéré comme un prix, en contrepartie d’un service rendu par le gestionnaire (qualité, surveillance, secours, etc.). La jurisprudence est fixée, les tarifs d’autoroute sont des prix. L’enjeu du débat c’est de considérer que, contrairement à ce qu’expliquent les économistes, les prix peuvent être fixés de manière unilatérale. Donc, en droit, le prix n’est pas nécessairement le résultat d’une offre et d’une demande, il peut s’imposer à l’usager comme au consommateur. En 1945, la puissance publique prend la décision de réglementer les prix, c’est l’ordonnance du 30 juin 1945, il y en a une autre en réalité. Une première « bloque » les prix, et l’autre, du même jour, organise la compétence administrative pour constater et réprimer les infractions à la réglementation des prix. Cette ordonnance s’applique à tous les prix, tous sont bloqués, qu’il s’agisse des prix à la production aux prix à la consommation. Ces dispositions sont en outre d’ordre public. Cela signifie que la liberté contractuelle ne permet pas d’y déroger. Pour le prix des carburants, aujourd’hui les prix sont libres, ils ne l’étaient pas en 1945, mais la part des taxes est tellement importante qu’elle fixe presque les prix. Dès 1977, le Gouvernement Barre va commencer à libéraliser les prix, sous la forme en pratique d’une politique contractuelle entre l’État et un certain nombre d’opérateurs économiques. Ceci traduit une approche néoclassique du fonctionnement de l’économie. Ce mouvement va se poursuivre, l’arrivée de la gauche en 1981 va marquer un temps d’arrêt, mais en réalité, à partir de 1983, la gauche va poursuivre le mouvement de libéralisation des prix, de telle sorte que quand l’ordonnance de 1986, elle constitue moins une rupture qu’une constatation de l’évolution vers la libération des prix. L’ordonnance du 1er décembre 1986, constate que la plupart des prix ont été libérés et qu’il convient de prendre acte. Pour autant le texte même de l’ordonnance mérite d’être observé, puisqu’il est le reflet de la conception que se font ses rédacteurs de ce que doit être la fixation des prix dans l’économie française. Finalement, l’ordonnance de 1986 laisse entre les mains de l’État des prérogatives très importantes, ce qui signale une fois de plus le poids de notre culture de l’intervention publique. Si on regarde ce que dit l’ordonnance codifiée dans le code de commerce, on peut lire ceci : « Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement mode dérogatoire, les prix des biens, produits et services relevant de l’ordonnance de 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence. Toutefois, dans les secteurs où les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopoles, ou de difficultés durables d’approvisionnement, soit en raison de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d’État peut réglementer les prix, après consultation de l’autorité de la concurrence. la puissance publique se réserve dans ces cas limitatives énumérés la possibilité d’intervenir pour réglementer, c’est la base de la réglementation des prix de l’énergie Les dispositions des deux premiers alinéas ne font pas obstacle à ce que le Gouvernement arrête par décret en Conseil d’État, contre des hausses ou des baisses excessives de prix, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique, ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé. Le décret ne peut avoir une durée de validité supérieure à six mois. il est en effet très fréquent que des opérateurs économiques demandent à l’État d’intervenir, notamment en matière agricole » De nombreux prix sont ainsi encore protégés, et cela en accord avec la grande sensibilité de l’opinion publique à l’évolution des prix. En matière d’énergie c’est une décision de pure opportunité politique. Mais il y a des décisions qui sont prises par la loi et conformes à droit européen de la concurrence, il y a deux exemples, d’abord sur le livre, ensuite sur le médicament. Le prix du livre est réglementé par la loi du 10 aout 1981, dite loi « Lang », celle-ci prévoit la fixation d’un prix unique de vente au consommateur des livres. Toute personne physique ou morale qui édite ou importe des livres est tenue de fixer un prix unique du livre. Ce n’est donc pas le détaillant qui fixe le prix, c’est l’éditeur ou l’importateur. Quelle est la raison de cet encadrement ? La raison invoquée c’est la protection des libraires indépendants. En effet, l’application des règles de la concurrence conduit à des effets mécaniques bien identifiés : plus on accroit le volume des ventes, plus on peut se permettre de vendre chaque unité à un prix bas, surtout si en faisant cela j’attire plus de consommateurs et que je tue mes concurrents. Lorsqu’un revendeur ne respecte le prix du livre, il peut se voir infligé une amende puisqu’un décret de 1985 est venu préciser que l’infraction était passible d’une amende contraventionnelle. La dernière question qu’il faut se poser est celle de la compatibilité de cette règle avec les règles de la concurrence. La Cour de justice a toujours considéré que ce régime du prix du livre n’était pas incompatible compte tenu des objectifs d’intérêt général que représente la préservation d’un réseau de distribution de ces produits que sont les livres. Concernant les prix en matière de santé, la règle est que ces tarifs sont fixés par voie contractuelle, dans le cadre d’une convention passée entre l’assurance maladie et les institutions représentatives des professionnels de santé (médecins en exercice libéral). Que se passe t’il lorsque les parties n’arrivent pas à se mettre d’accord ? Dans ce cas, c’est l’État qui intervient par le biais d’un arrêté du Ministre de la Santé et de la Sécurité Sociale qui intervient pour fixer le prix. C’est le cas depuis 5 ans. En matière de prix des médicaments, c’est le code de la santé publique et le code de la sécurité sociale qui prévoient qu’un arrêté conjoint du Ministre chargé de la Santé, et du Ministre chargé de l’Economie et des Finances, fixe le tarif pharmaceutique national. Il y a en outre des dispositions spéciales concernant telle ou telle activité comme le transport médicalisé, ou l’hospitalisation privée. Au delà de ces exceptions ponctuelles, l’ordonnance de 1986 permet aussi au Gouvernement d’intervenir ponctuellement pour réglementer les prix s’il estime que des circonstances justifient une telle intervention. C’est ainsi qu’en 1990, le Gouvernement a, pendant quelques mois, encadré le prix des produits pétroliers pour faire face à l’augmentation du brut sur les marchés internationaux. Il y a eu aussi un encadrement des prix lorsqu’il y a eu des grèves de longue durée dans les DOM, Guadeloupe et Réunion, susceptible de provoquer des pénuries, l’objectif étant donc d’éviter les flambées. Le Parlement a en outre été saisi d’une proposition de loi émanant des parlementaires socialistes et communistes visant à encadrer les prix, à la fois de certains produits alimentaires, et des loyers ; l’idée étant que dans cette période de crise, les plus modestes voient leur revenu intégralement mobilisé par la consommation des produits de base et les charges de logement, et que les salaires n’augmentant pas, ceux-ci risquent de ne plus pouvoir faire face. Cette proposition de loi a été rejetée, mais cela montre que la question de l’encadrement des prix n’est pas qu’historique. § 2. La régulation La frontière entre la réglementation et la régulation n’est pas clairement tracée. Si dans le vocabulaire juridique on sait clairement ce qu’est la réglementation (norme de portée générale et impersonnelle prise par l’autorité administrative), la régulation serait une autre forme d’intervention qui serait utilisée là ou la réglementation ne serait pas adaptée ou ne serait pas suffisante, voir efficiente. La régulation est destinée à protéger le fonctionnement concurrentiel du marché là ou spontanément le marché ne préserverait pas cette concurrence. Autrement dit la régulation verrait à empêcher l’émergence des monopoles naturels. La régulation est au fond l’aveu de l’incapacité du marché à s’autoéquilibrer. En pratique, si l’on cherche à distinguer, on pourra proposer deux hypothèses. La première, les fonctions de régulation ne sont pas assumées ni prises en charge par les pouvoirs publics traditionnels que sont le Parlement et le Gouvernement, organes de réglementation classique à travers la loi et le règlement. Ensuite, les actes de régulation sont plutôt des décisions individuelles, en ce sens que les destinataires sont nommément désignés. Il faut aussi dire que la régulation est à la mode. Aujourd’hui, dans le contexte de crise économique et financière, les autorités politiques au niveau national, européen ou international, ne parlent que de régulation. La préoccupation de la régulation est, sinon mondiale, certainement européenne. L’Europe est préoccupée de régulation, elle a ainsi mis en place dans les années 2000 des outils institutionnels, juridiques, de régulation. La première vague de préoccupation régulatrice a consisté à mettre en place et créer des organes de régulation sectoriels. Par exemple, l’Europe s’est dotée en 2006 d’une agence de régulation des activités ferroviaires. Elle est essentiellement chargée d’organiser pas tant la concurrence au niveau européen entre opérateurs mais l’interopérabilité, c’est-à-dire la possibilité pour les trains de circuler en Europe sans barrières techniques. L’agence est aussi chargée de sécurité. Il y a également une agence européenne des produits de santé, chargée de veiller à la sécurité des produits de santé en Europe, et de délivrer des autorisations de mise sur le marché. Il y a donc place pour une régulation en Europe, par type de marché. Mais la crise financière a poussé les dirigeants européens à réfléchir à une régulation plus générale, qui porte d’ailleurs un autre nom, celui de « gouvernement économique européen ». Est ce que les difficultés de la Grèce, et derrière elle toute l’Europe, à affronter les échéances financières ne devraient pas pousser à un pilotage européen de l’ensemble de l’activité économique, c’est-à-dire un fédéralisme européen. A partir de 2009-2010, l’UE s’interroge très fortement sur la nécessité de mettre en place une véritable politique économique. Un rapport Larosière a été déposé, c’est un grand économiste, il a rendu son rapport en 2009 et dès 2010, l’UE s’es MANQUE A. Les autorités de régulation Le fait de créer des organes distincts du Parlement et du Gouvernement est il conforme à la Constitution ? Le Conseil constitutionnel a répondu de façon claire à cette question en 1986, dans une décision qui concernait la création par le législateur du CSA. Il estimait alors qu’aucune disposition constitutionnelle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle n’empêchait le législateur de confier à une autorité de l’État, autre que le Premier Ministre, le soin de fixer, dans un domaine déterminé, et dans le cadre défini par les lois et les règlements, des normes permettant de mettre en œuvre une loi. Il a réitéré cette position jurisprudentielle en 1989 à propos d’une autre autorité, disparue, le Conseil des bourses et valeurs. Depuis, c’est la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel qui admet que le législateur puisse ériger une autorité administrative indépendante en autorité productrice de normes, à condition que sa compétence soit clairement définie et encadrée par le législateur. Donc la constitutionnalité des AAI n’est plus aujourd’hui un problème. Selon les dénombrements opérés par le Conseil d’État, il y a 45 autorités administratives indépendantes. En outre, elles interviennent dans de nombreux domaines. Est ce que les 45 AAI peuvent être considérées du point de vue droit public économique comme des autorités de régulation ? La réponse est assez compliquée à formuler. Il y a probablement deux façons de répondre à cette question. D’abord, toutes ces AAI n’ont pas pour objet une activité économique, par exemple l’agence française de lutte contre le dopage, ce n’est pas une autorité de régulation, autre exemple, la commission des sondages est une autorité administrative indépendante, ce n’est pas non plus spécifiquement une autorité de régulation. Ensuite, même lorsqu’elles ne se préoccupent pas à titre principal d’économie, les AAI régulent, c’est-à-dire qu’elles utilisent des techniques de réglementation. Par exemple, le comité consultatif national d’éthique, qui intervient dans le domaine des sciences du vivant, et qui est chargé de documenter, d’éclairer le point de vue des pouvoirs publics, mais aussi le point de vue des professionnels et des usagers du service de santé, sur les questions de philosophie morale, ce comité donc n’a aucun pouvoir : il ne peut contraindre personne, il n’a ni pouvoir réglementaire, ni pouvoir de décision individuelle, sa seule fonction est d’émettre des recommandations. Pourtant, on s’aperçoit que les recommandations du comité consultatif ont produit des effets normatifs. Et donc, pour qualifier ce type de relation, entre une autorité qui n’a qu’un pouvoir d’influence, mais qui réussit à faire évoluer les règles de droit, on ne peut pas parler de réglementation, on parle alors parfois de régulation pour désigner cette forme de magistrature d’influence. Mais il n’est pas non plus tourné vers l’économie. On s’aperçoit ainsi qu’au sein de la liste, certaines peuvent incontestablement être rangées dans la catégorie des autorités de régulation au sens du droit public économique, on en compte une douzaine environ, les classements peuvent varier. L’autorité de contrôle prudentielle, créée par une loi de janvier 2010, chargée de faire des recommandations et de suivre l’application du droit en matière prudentiel, c’est-àdire en matière de capitalisation des opérateurs financiers que sont les banques et les compagnies d’assurance. Il s’agit de veiller à la solvabilité des intermédiaires financiers. Il y a dans le cadre européen des normes à respecter, et cette autorité est chargée d’y veiller, et de faire des recommandations pour renforcer la solvabilité. Elle dispose en outre d’un pouvoir de sanction. L’autorité des marchés financiers, créée en 2003 par une fusion de trois précédents organismes. Comme son nom l’indique, elle est chargée de veiller à l’application des réglementations concernant le fonctionnement des marchés financiers, de veiller au respect des règles de concurrence, de transparence, d’éviter que des comportements puissent être qualifiés pénalement de délits d’initié. L’autorité de la concurrence, créée en 2008 par une loi réformant l’ancien Conseil de la concurrence. C’est le « gendarme » de la concurrence, elle est chargée de veiller au respect du droit de la concurrence par les opérateurs économiques, avec un pouvoir d’investigation, de sanction et de recommandation. L’autorité de régulation des activités ferroviaires (infra) et l’autorité de régulation des communications électroniques, créée par une loi de 2005, toutes deux liées au domaine des activité de réseau. L’autorité de régulation des jeux en ligne, c’est un bon exemple de l’inadaptation du cadre juridique national avec la surface de jeu des activités économiques. En effet, en France, en dehors des casions, les jeux, les loteries, sont le monopole d’une société publique qui est la française des jeux. Et personne d’autre ne peut légalement organiser au niveau national des jeux d’argent. A ceci près qu’avec internet cette interdiction vole en éclat. Une directive européenne est donc intervenue. La commission nationale d’aménagement commerciale, née d’une loi de 1973, soumettant à une autorisation préalable l’ouverture des supermarchés, pour protéger le petit commerce. Ce dispositif a été rénové depuis pour être compatible avec les règles européennes de la concurrence. Le développement des grandes surfaces ne doit donc pas trop se faire au détriment des petits commerces. La commission des participations et des transferts, créée en 1986 au moment des privatisations. Elle est chargée d’examiner les conditions dans lesquelles l’État gère son portefeuille de participation dans les entreprises. Lorsque l’État entend se séparer d’une partie de son portefeuille, s’opère une privatisation (de la propriété publique vers la propriété privée), cette commission veille alors au respect de la transparence et de la concurrence. La commission de régulation de l’énergie, créée en 2003, liée elle aussi aux réseaux. La commission de la sécurité des consommateurs, créée en 2001, à l’initiative des associations de consommateur. L’idée est de disposer d’une AAI, chargée de faire les recommandations, de conduire des investigations, mais aussi de produire des alertes lorsqu’un produit paraît présenter un danger pour la sécurité ou la santé des consommateurs. Le conseil supérieur de l’audiovisuel, créée en 1986, remplaçant la haute autorité de l’audiovisuel, dispose de la possibilité de délivrer des recommandations, d’émettre des autorisations, également de surveiller. La haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, HADOPI, est une autorité de régulation créée en 2009. Elle dispose d’une compétence large pour investiguer et sanctionner. Ce qui frappe à la lecture de cette énumération c’est le peu de point commun. D’ailleurs, en 2004, dans son rapport, le Conseil d’État avait déjà souligné cette diversité, et du coup la difficulté de trouver une définition de ces autorités de régulation : « Ces autorités ont en commun d’agir au nom de l’État, sans être subordonnées au Gouvernement, et de bénéficier pour le bon exercice de leurs missions, de garanties qui leur permettent d’agir en plein autonomie, sans que leur action puisse être censurée ni même orientée si ce n’est par le juge. (…) Elles disposent de pouvoirs plus ou moins étendues qui dans certains cas combinent à la fois un pouvoir de réglementation, d’autorisation individuelle, de contrôle, d’injonction, de sanction, voir même de nomination, mais peuvent se limiter dans d’autres cas à un simple pouvoir d’influence, il est vrai, entouré dès lors d’une certaine solennité et donc emprunt d’une réelle autorité morale. » On sent bien les incertitudes sur les points communs. Mais ce qui fait le point commun et la force juridique de ces institutions, c’est incontestablement le fait qu’elles ne reçoivent d’ordres de personne, et que seul le juge peut intervenir a posteriori pour contrôler la façon dont elles exercent leur pouvoir. L’indépendance n’est donc bornée que par l’intervention du juge, le Conseil l’a d’ailleurs précisé dès 1986 dans sa décision relative au CSA : « dans l’exercice de ses compétences, le CSA sera, à l’instar de toute autorité administrative, soumis à un contrôle de légalité qui pourra être mis en œuvre tant par les Gouvernements que par toute personne qui y aura intérêt ». En écho à cette prise de position, le Conseil d’État estime dans son rapport en 2001 que, bien entendu, les AAI ne saurait bénéficier d’aucune immunité juridictionnelle. Dans les secteurs ou des directives européennes imposent aux Etats membres de créer des autorités, elles prennent soin de préciser que les autorités doivent être soumise à un contrôle juridictionnel. D’un point de vue juridique il est indispensable d’examiner les compétences des juges. Du point de vue de la compétence, le principe est que le juge administratif est en charge du contentieux né de l’action des AAI, plus particulièrement le Conseil d’État en premier et dernier ressort. Ensuite du point de vue matériel, le contrôle est à la fois un contrôle de légalité et un contrôle de pleine juridiction, soit parce que les décisions prises ont causé des dommages, soit parce que certaines autorités de régulation infligent des sanctions financières. Le juge administratif s’est reconnu compétent en l’absence de dispositions textuelles, cette appropriation date d’une décision du Conseil d’État de 1982, concernant une délibération de la CNIL. Ensuite le Conseil constitutionnel est venu préciser les choses dans une décision de janvier 1987, concernant une loi relative au conseil de la concurrence, et qui précisément entendait déroger à ce principe de la concurrence du juge administratif. En effet, la loi entendait confier à la Cour d’appel de Paris le contentieux des décisions et des sanctions prises par le conseil de concurrence. Et donc, saisi par l’opposition parlementaire, le Conseil va déclarer que « conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, le principe selon lequel à l’exception des matières réservées à l’autorité judiciaire, relève de la compétence de la juridiction administrative l’annulation des décisions prises dans l’exercice des prérogatives de puissance publique par les autorités exerçant le pouvoir exécutif ». Bien entendu donc il y a des matières réservées constitutionnellement au juge judiciaire, notamment les libertés individuelles et la propriété privé ; mais symétriquement, on trouve un PFRLF établissant la compétence exclusive de la juridiction administrative pour connaître de la légalité des décisions administratives. On peut donc établir que les décisions des AAI relèvent du juge administratif, par principe. Le législateur peut cependant, « dans le souci d’une bonne administration de la justice, et pour la mise en œuvre d’une réglementation spécifique », unifier des règles de compétence juridictionnelle au sein de l’ordre juridictionnel principalement intéressé. Une limite existe à la compétence en premier et dernier ressort du CE, c’est l’organisation interne des autorités, relevant alors du TA de Paris. Ce décret de février 2010 codifié au sein du CJA, article R. 311-1, conforme la jurisprudence du Conseil. Le contrôle peut être un contrôle de légalité, ou alors un contrôle de pleine juridiction. En ce qui concerne le contrôle de légalité, il ne fait aucun doute que ce contrôle concerne aussi bien les décisions à caractère réglementaire que les décisions à caractère individuel. La difficulté qui existe c’est de savoir si l’on est bien en présence d’une décision, c’est-à-dire d’un acte qui fait grief. Cela se pose vis à vis des recommandations : jusqu’à quel point ces recommandations peuvent être considérées comme des décisions faisant grief ? Le recommandations du conseil national d’éthique ne font pas grief c’est évident. En revanche, les recommandations du CSA portant sur la répartition du temps de parole entre les candidats à la présidentielle, cela a été considéré par le juge comme faisant grief, CE 2005, Mme Lepage. De la même manière, le refus d’agir d’une AAI est un acte qui fait grief, c’est-àdire un acte dont la légalité doit pouvoir être observée par le juge. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel avait précisé qu’une AAI confronté à des circonstances de fait et de droit entrant dans son champ de compétence doit agir. Le Conseil est aussi compétent pour connaître du contentieux de la responsabilité qui peut naitre d’une décision irrégulière qui cause un dommage. De plus, le pouvoir de sanction peut être déféré au juge administratif, c’est alors du plein contentieux. Il faut rappeler que le Conseil a eu à trancher le point de savoir si le fait pour le législateur de doter les autorités de régulation d’un pouvoir de sanction était conforme à la Constitution. Et dans une décision de janvier 1989, il a estimé que le législateur pouvait, sans enfreindre le principe de séparation des pouvoirs, confier à une autorité de régulation des pouvoirs de sanction, dans un domaine limité à l’accomplissement de sa mission, décision de 1989 décision commission des opérations de bourse. Pour autant, cette compétence de sanction doit être assortie de garanties destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement protégées. C’est ainsi qu’en 1989 le Conseil exclut explicitement en 1989 la possibilité que ce pouvoir de sanction puisse aller jusqu’à la privation de liberté. Le débat a ressurgi au moment de l’HADOPI, est ce que la possibilité reconnue à la haute autorité de priver une personne de l’accès à internet au motif que cette personne a enfreint les règles protégeant les intérêts moraux et financiers des auteurs, n’est ce pas aller au delà de cette limite ? Le Conseil a alors rappelé que devait être respecté le principe de légalité des délits et des peines, ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d’une punition, estimant que si ces principes sont respectés, alors une AAI pouvait sanctionner par la privation de liberté (lecture extensive). Dans le cadre du contentieux de pleine juridiction, le juge administratif apprécie la régularité des sanctions, leur conformité au texte, leur proportionnalité, et s’il estime que ces sanctions sont irrégulières, il a le pouvoir de les réformer. La jurisprudence est particulièrement dense concernant les autorités intervenant des les activités de réseau, et même les jeux en ligne. § 2. Les modalités de régulation Les compétences des autorités de régulation, c’est sans doute là que l’on aperçoit la spécificité de la régulation vis à vis de la réglementation. Ces compétences sont diverses et pas forcément aisées à ordonner, on peut néanmoins dégager deux catégories. Il y aurait dans une première catégorie des compétences administratives assez classiques, que l’on peut assimiler aux compétences dont disposent toutes les autorités administratives pour prendre des décisions, de caractère réglementaire ou individuel. Dans une seconde catégorie, on peut ranger d’autres compétences qui ont un point commun, c’est d’abord de ne pas être ordinaires ou classiques du point de vue du droit administratif, et ensuite elles disposent de compétences quasi juridictionnelles et se démarquent des autres autorités administratives. Ce sont des compétence en matière d’investigation, de sanction, de règlement des différends, de saisine de la justice. A. Les compétences administratives Ce sont les compétences classiques reconnues à l’État, aux collectivités, aux établissements publics, etc. Les autorités de régulation disposent, lorsque le texte qui les institue le prévoit, et seulement à cette condition, d’un pouvoir réglementaire, c’est-à-dire d’un pouvoir d’édicter des normes à caractère général et impersonnel. Le Conseil constitutionnel a validé ce dispositif, à condition que cela soit strictement nécessaire à la mise en œuvre du domaine de l’autorité. On peut en donner des exemples. La CNIL peut émettre des normes concernant des catégories de traitement automatisés susceptibles d’être mis en œuvre, mais aussi des règlements types concernant la sécurité des systèmes d’information. La commission des sondages est compétente pour élaborer des clauses types qui doivent obligatoirement figurer dans les contrats que passent les instituts de sondage avec leurs clients. L’autorité de régulation des communications électroniques a elle aussi un pouvoir réglementaire, notamment en matière tarifaire, elle ne fixe pas les prix mais les règles selon lesquelles ils doivent être déterminés. L’autorité de régulation des jeux en ligne a des compétences réglementaires qui lui permettent de fixer les caractéristiques techniques des plateformes et des logiciels des jeux et de paris en ligne. L’agrément étant conditionné au respect de ces normes. C’est ainsi une forme classique de pouvoir réglementaire, avec une habilitation législative, limité au domaine d’intervention, et sous le contrôle du juge administratif. Des décisions individuelles peuvent aussi être prises. C’est encore plus classique. Toutes les autorités administratives disposent de ce pouvoir. Il n’en va pas de même du pouvoir réglementaire. Le CSA par exemple prend des décisions individuelles lorsqu’il attribue du temps de parole à un candidat pour compenser un déséquilibre, ou lorsqu’il délivre des autorisations d’émettre, que ce soit en matière de TNT ou de radio numérique. Autre exemple, l’AMF prend des décisions individuelles lorsqu’elle donne ou refuse son agrément. B. Les compétences quasi juridictionnelles Les autorités administratives et judiciaires sont clairement séparées, le meilleur exemple est celui du Conseil d’État. Cette compétence quasi juridictionnelle peut être découpé en quatre catégories : investigation, sanction, règlement des différends et saisine de la justice. 1. Les pouvoirs d’investigation et d’enquête Ce sont des pouvoirs d’enquête, les autorités de régulation ne peuvent en effet intervenir pour redresser le comportement de tel ou tel opérateur qui seraient contraire aux règles de concurrence qu’à condition non seulement d’être informé, mais suppose qu’elles puissent elles mêmes recueillir des informations, et qu’elles soient ainsi dotées de pouvoir d’enquête et de contrôle. Ce pouvoir doit être prévu par la loi qui les crée, et en plus être circonscrit et limité à la mise en œuvre des compétences de l’autorité. Il y a deux manières de conférer ces pouvoirs d’investigation. Soit il organise des remontées d’informations obligatoires, c’est à dire qu’il va créer à l’encontre des opérateurs l’obligation de transmettre systématiquement des informations, pour l’exercice d’un pouvoir de contrôle. La loi peut aussi permettre à l’autorité de se rendre sur place, de convoquer des représentants, de se procurer des documents, etc. Ce pouvoir de contrôle est similaire à certains pouvoirs d’autres administrations d’État. Là aussi on peut donner des exemples, d’abord la commission des sondages est destinataire de notices informatives qui doivent être déposées obligatoirement avant de lancer un sondage, notices qui doivent contenir un certain nombre d’informations qui portent notamment sur la méthodologie mise en œuvre pour le sondage. Autre exemple, la CNIL est destinataire des déclarations préalables que les personnes privées qui veulent mettre en œuvre un traitement automatisé, doivent lui adresser. La plupart des autorités de régulation ont ensuite des pouvoirs d’enquête. Dans ce cas le législateur préciser que telle autorité peut se faire communiquer touts les renseignements nécessaires à l’exercice de ses missions. Et donc la quasi totalisé des autorités de régulation disposent de ce dispositif assez général, visant un but : obtenir touts les éléments de fait ou de droit nécessaires. Dans beaucoup de cas, ce pouvoir de se faire communiquer ces informations peut être assorti d’un pouvoir de convocation ou d’audition, et là on se rapproche des procédures juridictionnelles. En effet, convoquer quelqu’un c’est porter fortement atteinte aux libertés. Symétriquement, les personnes concernées par une procédure peuvent demander à être auditionnées. 2. Les pouvoirs de sanction Le Conseil a admis que rien ne s’opposait à ce que les autorités de régulation soient dotées d’un pouvoir de sanction. Mais des limites existent, au nom du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. Les facultés de prononcer des sanctions doit être prévue et limitée par la loi, ce qui nécessaire à l’accomplissement d’une mission. Ces sanctions ne peuvent porter sur des peines privatives de liberté. Enfin, des garanties ont été prise pour protéger la vie privée et les droits de la défense. Un certain nombre d’autorités de régulation, au moment de leur création, n’étaient pas dotées de pouvoir de sanction. Et puis, au fil du temps, la loi a été modifiée et certaines de ces sociétés se sont trouvées très bien dotée. La CNIL, créée en 1998 n’a pas eu de pouvoir de sanction, il a fallu attendre 2004. Pour l’ARJEL. Quant à la nature des sanctions, ce sont des sanctions administratives prenant la forme d’acte administratif individuel, relevant du juge de l’excès de pouvoir. Le juge va porter son examen sur la légalité externe et la légalité interne. 3. Le pouvoir de régler des différends C’est éminemment une fonction juridictionnelle, sauf à envisager la médiation ou l’arbitrage. Il est plus rare qu’une autorité administrative dispose par la volonté du législateur de la compétence pour se comporter non pas comme un juge, mais pour se comporter comme une instance de règlement non juridictionnel des différends, concurrençant ainsi d’une certain façon le juge civil. Là encore cette compétence n’existe que si la loi le prévoit expressément. Seules trois disposent de cette compétence : la commission de régulation de l’énergie, l’autorité de régulation des activités ferroviaires, l’autorité de régulation des communications électroniques. Le Conseil a du se prononcer. Il considère que cela s’impose aux parties, que ces décisions sont exécutoires, prise dans l’exercice de prérogatives de puissance publique. Alors bien entendu cette compétence n’est que facultative, c’est-à-dire que c’est une possibilité, pour par exemple l’AMF, de proposer aux parties de se comporter comme un médiateur. Les parties, pas plus que l’autorité, ne sont tenues d’accepter, le Conseil d’État l’a ainsi jugé, l’acte ne fait pas grief (compétence facultative qui ne prive pas de voie de recours). Le juge compétent est alors le juge judiciaire, le législateur a fait ce choix pour les recours portant sur les règlements des différends. 4. Le pouvoir d’agir en justice Les autorités de régulation disposent de cette faculté de saisir le juge lorsqu’elles estiment que l’un de leurs intérêts propres a été mis en jeu. Elles peuvent aussi intervenir dans des actions pendantes devant telle ou telle juridiction dès lors qu’elles ont un intérêt à agir. Et dans le cadre de leurs pouvoirs d’investigation, lorsqu’elles relèvent des éléments caractérisant des manquements à la législation ou à la réglementation, soit l’organe collégial de l’autorité, soit plus rarement le Président, ont compétence pour transmettre le dossier à l’ordre juridique compétent, ou au parquet qui décidera des poursuites éventuelles. Cela se rattache à la fonction de surveillance. Cette compétence quasi juridictionnelle témoigne de la volonté du législateur de confier une dynamique de surveillance de tel ou tel type d’activité à des autorités expertes. La fixation des règles n’est ainsi pas la seule fonction, la régulation consiste à entretenir un dialogue (information, investigation, etc.) quasi permanent avec les acteurs pouvant aller jusqu’à la sanction, et qui se situe dans l’intervalle entre la réglementation et l’intervention du juge. PARTIE II - L’ETAT OPERATEUR L’État est perçu comme un acteur économique, non plus comme un producteur de normes. Les interventions sont directes ou indirectes, mais cela est difficile à distinguer. Mieux vaut envisager globalement l’interventionnisme. L’État est à la fois entrepreneur, consommateur et financeur. MANQUE Très tôt, le droit positif a porté des coups sévères à la proposition doctrinale de Léon Duguit. Dès les années 30, la jurisprudence fait voler en éclat la théorie du service public. Quand le Conseil d’État admet dans son arrêt Terrier qu’une personne privée qui chasse les vipères pour le compte d’une collectivité est chargée d’un service public, le juge porte un coup sévère à la théorie de Duguit. Cela sera très vite confirmé avec les jurisprudences relatives à l’organisation sociale. Cela ne s’est jamais démenti, les personnes privées peuvent gérer un service public. Mais la même jurisprudence a développé une conception extensive de l’intérêt général.