FÊTES ET PLAISIRS
DANS LES CAPRICES DE MARIANNE,
Alfred de Musset
INTRODUCTION :
« La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement
et c’est pourtant la plus grande de nos misères. » de Blaise Pascal dans les
Pensées.
Ce propos est applicable aux CM, pièce écrite en 1833 par Musset, en effet, cette comédie pose son
décor à Naples, en Italie. Naples est connu pour son carnaval et l'intrigue des Caprices, va en partie
se passer lors de ce carnaval. De plus, il semblerait que Musset place son œuvre et ses personnages
dans un cadre festif, divertissant, voire léger au regard de personnage comme Octave, ou encore le
bourbon qu'incarne Claudio, vieux mari ridicule.
Cependant, le divertissement comme écrit Pascal, est un moyen d'échapper au quotidien misérable
des hommes, mais il est à la fois vecteur de malheur, d'angoisse. Cette ambivalence explicite, est
tout à fait appropriée aux Caprices.
On a effectivement cette ambivalence constante entre fêtes et plaisirs ET l'angoisse, la mélancolie
tragique.
Pour commencer, définissons ces deux termes :
Fêtes :
*d'après Le Littré, sont des réjouissances faites à des époques mémorables, à l'occasion d'un
événement quel qu’il soit.
*dans Le Petit Robert: la fête se définit comme des solennités, temps de réjouissances avec un
caractère commémoratif mais aussi des réjouissances en l’honneur d’une chose qui contribue au
bien ou au plaisir de l’homme.
Plaisirs : au pluriel :
*d'après Le trésor de la langue française : les plaisirs prennent le sens d'amusements, de
distractions.
*d'après Le Littré, il s’agit de diverses voluptés sensuelles. Tout ce qui plaît dans la vie : les
jouissances, les divertissements de toute espèce.
Or, la conjonction de coordination ''et'' sous entend que les deux termes sont étroitement liés, vont-
ils pour autant de pair dans les CM?les plaisirs sont-ils représentatifs de la fête ? Les deux sont-ils
nécessairement liés dans l'œuvre ? La fête engendre-t-elle toujours le plaisir ? Tant de questions se
posent quant à la relation qui les relie.
PROBLEMATIQUE: si on prend, les fêtes et les plaisirs comme synonyme de divertissements,
peut-on affirmer qu'ils pré-dominent dans les Caprices ou bien ne sont-ils pas qu'un
artifice/masque pour laisser entrevoir un fond tragique?
Dans un 1er temps, nous verrons les différentes occurrences aux fêtes et plaisirs au sein des CM.
Dans un second temps, les fêtes et plaisirs, sont plus que synonymes de divertissements mais
1/11
symbolisent l'aspect carnavalesque de la pièce.
Enfin, cette notion de carnaval laisse sous entendre le désenchantement et un fond tragique, qui
semblent être les vrais thématiques.
I. Les notions de fêtes et plaisirs: comme structure comique
Pour comprendre quelle signification ont les fêtes et les plaisirs dans l'œuvre et pouvoir affirmer
qu'ils sont synonymes de divertissements; il nous faut relever les occurrences à ces deux thèmes.
A- Occurrences de fêtes et de plaisirs dans la pièce:
*Lieux
La pièce se passe lors du carnaval de Naples.
L’ambiance paraît donc propice à la fête et aux plaisirs.
A l’acte I, scène 1, Octave dialogue avec Coelio et nous précise que l’on est en période de carnaval :
« O Coelio ! fou que tu es ! tu as un pied de blanc sur les joues ! – D’où te vient ce large habit noir ?
N’as-tu pas honte en plein carnaval ? A cette période, les gens se laissent aller ; ils peuvent faire ce
qu’ils ne se permettraient pas dans la vie quotidienne. »
* Habits
Attitude d'Octave est d'emblée mise en contraste avec celle de Coelio, de par les habits: Coelio
est déjà vêtu de noir.
De plus, dans cette même tirade, Coelio fait une remarque sur l’accoutrement d’Octave car il
est déguisé: «D’où te vient cet accoutrement !». // Deux mondes semblent déjà loins l'un de l'autre.
On remarque qu'Octave est d'emblée désigné comme un fou, un extravagant, qui incarne dès
lors LE personnage en marge.
D'ailleurs, Octave dit plus loin qu’il est déguisé en Arlequin grâce à l’allusion de la batte
Arlequin : personnage le plus remuant de la Commedia dell'Arte: originaire de Bergame, il porte
un masque noir en cuir et un chapeau sur son crâne rasé. Son costume est composé de formes
géométriques: des triangles, de couleurs vives sur fond jaune/ il est vif et léger et exerce des
acrobaties en tout genre: verbales ou physiques: marque son goût pour les plaisanteries. Il aime le
vin et les plaisirs Il portait une batte et une petite bourse.
*Atmosphère
- Il y a donc l’atmosphère d’une vie légère avec le carnaval mais aussi les tavernes.
//synonymes cabarets,....
En effet, ceux-ci sont présents au sein de la pièce.
Au XIXs, ces endroits étaient accusés de favoriser l’ivrognerie, la violence et la prostitution. Ils
étaient dénoncés comme des lieux de débauches pour se divertir. Ils étaient cependant très
fréquentés.
EX: Marianne, la femme mariée et vertueuse, se retrouve sous la tonnelle d’un de ces cabarets à
parler avec Octave, le débauché. Elle n’a rien à faire dans un tel lieu. L’écart entre Marianne et ce
lieu accentue l’aspect de débauche puisqu’elle n’a rien à y faire mais aussi le fait qu'elle est
condamnée à suivre une vie ''stable'', sans écarts avec Claudio: le divertissement instaure déjà cette
ambivalence, divertissements laissent nécessairement sous entendre son revers plus noir.
Dans l’acte II, scène3, Claudio lui fait même le reproche d’avoir été aperçu dans un tel lieu car il a
2/11
une réputation à tenir : « Claudio : c’est croyez-vous que je trouve convenable de vous voir
converser librement avec lui sous une tonnelle, lorsque le soleil est couché ?
Marianne : Vous m’avez vu sous une tonnelle ?
Claudio : Oui, oui, de ces yeux que voilà, sous la tonnelle d’un cabaret ! La tonnelle d’un
cabaret n’est point un lieu de conversation pour la femme d’un magistrat ».
Sentiment d'excitation que provoque le divertissement:
EX: Hermia, la mère de Coelio apparaît à l’acte I, scène 2. Le début de cette scène nous montre
l’effet que peut avoir l’organisation d’une fête : « Disposez ces fleurs comme je vous l’ai ordonné ;
a-t-on dit aux musiciens de venir ? […] Ces jalousies sont trop sombres ; qu’on laisse entrer le
soleil. Plus de fleurs autour de ce lit ; le souper est-il bon ? Aurons-nous notre belle voisine, la
comtesse Pergoli ? » La suite de phrases interrogatives et exclamatives montre qu’Hermia donne de
l’importance à l’organisation. Il y a le plaisir de diriger afin que tout soit parfait. Cela renvoie à la
définition de la fête puisqu’il s’agit de quelque chose que l’on commémore. Ainsi, la fête
engendrerait le plaisir en vu de cet exemple.
TRANSITION: Si la fête est au premier abord, bien présente dans les CM, et qu'elle peut
engendrer le plaisir, le topoï de l'ivresse semble malgré tout dépasser les simples occurrences aux
fetes et plaisirs.
B- « Moi mon caractère est d'être ivre » :
L’ivresse peut être rattachée aux fêtes et aux plaisirs. Du moins, elle en fait partie.
L’ivresse est présente dans de nombreuses fêtes et cela entraîne un état de plaisir
Elle se définit comme un état d’excitation physique et d’incoordination motrice à l’ingestion
excessive d’alcool. On entre dans un état second. Quelqu’un qui est ivre a l’esprit troublé. //
Opposition : être ivre c'est enivrant (+) mais dérègle les sens (-). On voit ici qu'il y a encore un jeu
de contraste, les fêtes et plaisirs ne sont pas dissociables de leurs conséquences.
Dans l’œuvre, l’ivresse définit en majeure partie le personnage Octave. A l’acte I, scène 1 la
didascalie montre qu’Octave fait un entrée bruyante, sûrement parce qu’il est soul : « On entend un
bruit d’instruments ». Ensuite il dit clairement qu’il est soul : « Veux-tu des conseils ? Je suis
ivre ».
L'ironie présente ici, est une composante de cette comédie, du genre comique. L'ivresse porte à rire
et décrédibilise en quelque sorte Octave.
Le comique est incarné dans Octave, mais suggère bien plus, c'est ce qu'on verra par la suite
dans notre réflexion partie II.
Octave fréquente des lieux de débauches et il n’y commande que de l’alcool, ici du lacrima-
christi : (acte II, scène1).« Octave : Apportez-moi ici, sous cette tonnelle, une bouteille de quelque
chose
Le Garçon : Ce qui vous plaira, Excellence. Voulez-vous du lacryma-christi ? »
C’est un vin provenant des vignes cultivées au pied du Vésuve et en latin il désigne les larmes du
Christ. Octave peut être vu comme un alcoolique qui s’enivre tout seul pour ne pas s’ennuyer
puisque la femme qu’il avait commandé n’a pas pu venir.
Il s’agit de Rosalinde qu’Octave a l’habitude de commander, en effet il n’aime pas donc il
commande : « vous m’apporterez une certaine Rosalinde qui est rousse et qui est toujours à sa
fenêtre ». On sait que c’est une prostituée car elle est à sa fenêtre.
3/11
De plus, Marianne pique Octave lorsqu’elle le voit boire tout seul. Cette petite réflexion
montre qu’Octave aime être enivré.
Il se dit amoureux de l’ivresse. « L'ivresse et moi, mon cher Coelio, nous sommes trop
chers l'un à l'autre pour nous jamais disputer ; elle fait mes volontés comme je fais les siennes […]
c'est le fait d'un étudiant en vacances, qui se grise un jour de grand dîner, de perdre la tête et de
lutter avec le vin ; moi, mon caractère est d'être ivre » (acte I, scène 1). // Tout comme Arlequin.
Octave cherche sans cesse l’ivresse dans l’œuvre comme pour trouver un plaisir qu’il ne peut
atteindre dans la sobriété.// OU fuite du réel? Le fait d’être dans un état d’ivresse lui permet
d’effectuer des choses qu’il n’aurait pas osé autrement.
*Octave = Dionysos
Ici, on peut voir une ressemblance entre Octave et Dionysos. En effet, dans la mythologie
grecque, il est le dieu de la vigne, du vin et de ses excès, tout comme Octave dans Les CM. C’est
aussi un Dieu errant tout comme Octave qui n’est pas rentré dans sa maison depuis une semaine et
qui erre entre le cabaret et la maison de Rosalinde. // Errance marque encore le contraste permanent
entre ivresse comme enivrement agréable et ivresse comme symbole de l'errance, de la perte de soi.
*La symbolique de la coupe
- Beaucoup d'occurrences dans la pièce, il peut prendre le sens métaphorisé ou bien littéral.
Dans la scène de la tonnelle; II,1,Octave voudrait pouvoir « communiquer » du « le vide » qu'il
éprouve dans cette « large coupe » qu'il tient à la main, l'objet qu'il désigne renvoie donc plus à
l'ivresse.
>>La coupe contient le vin dans lequel il compte puiser l'oubli et la tristesse.
Par opposition elle est « joyeuse » quand elle contient par métaphore les plaisirs de l'existence, I,1. -
Elle est « salutaire » quand ces plaisirs sont présentés par Octave, dans sa première entrevue avec
Marianne I,1 comme un antidote à l'amour-poison (l'amour de Claudio envers Marianne)
la coupe est donc reliée au thème libertin !!! tous les plaisirs de la vie, femme compris,
doivent être constamment renouvelés. Aucun de vaut la peine qu'on s'y attache, telle est
la leçon de la coupe.
// La coupe et les lèvres de Musset, 1832, poème dramatique en 5 actes. Musset associe la
« coupe » au thème du bonheur de Frank quand il s'apprête à se marier avec Deidamia, sa fiancée.
Mais il est aussi poignardé: et là, la « coupe » se brise.
Ce poème illustre un ancien proverbe applicable aux CM: « entre la coupe et les lèvres, il reste
encore de la place pour un malheur »
C- Octave, unique personnage qui se divertit ?
Octave est un jeune homme qui profite des fêtes et des plaisirs. Il vit le carnaval en se déguisant
en Arlequin. Arlequin est celui qui aime boire, manger et les femmes. A travers, il incarne son goût
des plaisirs.
Le fait d’incarner ce personnage dans Les CM montre que c'est un personnage fou,dévergondé..
Exubérance le caractérise, il est au centre de la mascarade qu'il dirige allègrement (issue tragique)
C'est aussi comme on l'a dit précédemment celui qui incarne Arlequin, on pourrait me le
nommer l'Arlequin-Funambule // I,1 : « Funambule suspendu entre le Ciel et la Terre »
4/11
Octave se compare à un funambule pour montrer que sa vie n’est pas stable, qu'il est suspendu et ne
sait pas trop où il va, dans quel endroit retomber/atterrir.
- Pourtant, il semble privilégier, je cite la « fièvre des instants culminants » et la « frénésie
exaltante ».
Il réfute par ailleurs l'ordre bourgeois -ce qui l'oppose à Claudio-
- Il dit même l’effet qu’a le carnaval sur lui.
Il est soul en cette période de fête, mais en plus de cela, il n’a plus d’argent et est déguisé :
« Parle, Coelio, mon cher enfant. Veux-tu de l’argent ? Je n’en ai plus. Veux-tu des conseils ? Je suis
ivre. Veux-tu mon épée, voilà une batte d’Arlequin » (acte I, scène1). //!!! Masque : « sombre » :
côté noir, alcool comme enivrement ultime et la dernière solution.
-Il fait même une longue tirade pour décrire sa façon d’être lors du carnaval. Pour cela, il se
compare à un saltimbanque, personnage que l’on retrouve dans les lieux de fêtes (acte I, scène 1 :
« Figure-toi un danseur de corde, en brodequins d’argent, le balancier au poing, suspendu entre le
ciel et la terre ; à droite et à gauche, de vieilles petites figures racornies, de maigres et les
fantômes, des créanciers agiles, des parents et des courtisanes, toute une légion de monstres, se
suspendent à son manteau et le tiraillent de tous côtés pour lui faire perdre l’équilibre ; des phrases
redondantes, de grands mots enchâssés cavalcadent autour de lui ; une nuée de prédictions sinistres
l’aveugle de ses ailes noires. Il continue sa course légère de l’orient à l’occident. S’il regarde ne bas,
la tête lui tourne ; s’il regarde en haut, le pied lui manque. Il va plus vite que le vent, et toutes les
mains tendues autour de lui ne lui feront pas renverser une goutte de la coupe joyeuse qu’il porte à
la sienne. Voilà ma vie mon cher ami ; c’est ma fidèle image que tu vois » (acte I, scène 1).
TRANSITION: La figure emblématique du fou ou du bouffon (Ici l'Arlequin-Octave) annonce
l’écart, la marge, par rapport à la norme, à la loi. Figure paradoxale, le bouffon ou le fou, est
l’incarnation même du renversement des valeurs, règnent la transgression, le désordre, la
confusion et l’interdit, c’est-à-dire le symbole même de la liberté et du rire jouissif qu’elle
provoque. // Le carnaval
II. Aspect carnavalesque des CM
1. Comédie, carnaval et mythe du Printemps
- La comédie selon Northrop Frye Anatomie de la critique exprime le mythe du printemps,
par opposition à la tragédie, associée au mythe d'hiver.
Le printemps voit la régénération du monde et de la nature. La comédie, à travers le rire renverse un
état existant, figé et fait advenir un ordre nouveau.
Il y a donc des affinités entre la fête carnavalesque et l'univers comique.
- Le carnaval est le temps de divertissement et de réjouissances qui précède le carême,
- C'est une importante célébration d’origine populaire, une sorte de «temps hors du temps», durant
lequel la population s’adonnait, en Europe, à des jeux parodiant les rituels sacrés du culte chrétien.
Bakhtine en est le principal théoricien: il dit que le carnaval est l’image du « peuple riant sur la
place publique »
Ce temps carnavalesque supplante la monotonie et les dures contraintes de la vie
quotidienne.
C'était essentiellement une période joyeuse de liberté festive au cours de laquelle les codes
sociaux de bienséance étaient momentanément abandonnés, renversés, subvertis,
transgressés.
5/11
1 / 11 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !