Comprendre pour mieux gérer

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Comprendre
pour mieux gérer
Par claude robin et michel lardy
Les volcans fascinent
et inquiètent.
Face à leur puissance destructrice,
le seul moyen de se
défendre est encore
de prévoir le jour
de leur réveil. Pour
cela, les scientifiques
épient sans cesse les
moindres mouvements des plus dangereux. En sachant
que rien n’est jamais
gagné : l’éruption
surprise du mont
Saint Helens, en
1980, rappelle, s’il en
était besoin, qu’entre Vulcain et l’homme c’est encore le
bras de fer...
TDC n° 802
Les risques volcaniques
15/10/2000
Quarante à cinquante éruptions volcaniques se produisent chaque année dans le
monde. Si l’on compare ces chiffres au nombre total de volcans, cela paraît peu.
Mais l’inactivité de la plupart d’entre eux est trompeuse. Pendant leurs longues
périodes de sommeil, souvent de plusieurs siècles, des échanges complexes de
matière ont lieu en profondeur, préparant inéluctablement la prochaine éruption.
Un volcan est considéré comme potentiellement actif s’il est entré au moins une
fois en éruption au cours des dix derniers millénaires. Environ 630 volcans (volcanisme sous-marin exclu) répondent avec certitude à ce critère, mais les spécialistes estiment à plus de 1 500 le nombre de ceux qui entrent dans cette catégorie. Beaucoup sont proches de zones habitées et, par là même, doivent être
considérés comme dangereux.
À ce jour, 420 éruptions ayant occasionné des pertes humaines ont été répertoriées. Voici les principales. Il y a 3 600 ans, l’île grecque de Santorin était affectée
par une gigantesque éruption, responsable de la disparition de la civilisation minoenne. L’Antiquité a été marquée par la destruction de Pompéi, en 79 apr. J.-C.
Décrite par Pline le Jeune, cette éruption du Vésuve est devenue la référence d’un
type de mécanisme éruptif auquel on a donné le nom de dynamisme plinien.
Depuis le début du XVIIe siècle, 30 éruptions ont causé la mort d’environ 350 000
personnes. Les plus meurtrières ont été celles des volcans Tambora en 1815
(Indonésie, 92 000 victimes), du Krakatau en 1883 (Indonésie, 36 500 victimes),
de la montagne Pelée en 1902 (Martinique, 29 000 victimes) et du Nevado del
Ruiz en 1985 (Colombie, 24 000 victimes).
Enfin, la décennie écoulée a connu d’importantes éruptions, comme celles du
Pinatubo (Philippines, 800 victimes), de l’Unzen, au Japon, et de la Soufrière de
Montserrat, aux Antilles.
La Montagne Pelée en Martinique
© IRD - Favier, Marie-Noëlle
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Sommes-nous démunis face aux risques ?
Dans beaucoup de pays, notamment ceux en voie de développement, la croissance anarchique d’agglomérations à proximité de volcans en activité augmente considérablement les risques. La question de savoir
ce que l’on peut faire face aux menaces volcaniques est donc posée. À titre d’exemples, le Popocatépetl,
proche de la ville de Puebla au Mexique, le Misti au Pérou, qui domine Arequipa (800 000 habitants),
le Mérapi sur l’île de Java, le Cotopaxi en Équateur, le Vésuve en Italie, qui menace plus de 700 000 personnes, le Sakurajima et divers autres volcans au Japon sont particulièrement dangereux, car ils sont
situés près des zones urbanisées. Pour permettre aux autorités civiles de prendre les décisions qui s’imposent, il est nécessaire de détecter le plus rapidement possible les signes avant-coureurs d’une éruption volcanique, surtout si elle implique des dynamismes explosifs. La chose est loin d’être aisée, car de
nombreux paramètres entrent en jeu.
Tout d’abord, un volcan possède un « caractère », paisible ou violent ; il connaît des « sautes d’humeur »,
marquées par des phases d’activité intense, parfois explosive, ainsi que des périodes de repos de durée
variable. Ensuite, du fait de leur développement en profondeur, les processus magmatiques ne peuvent
être observés ou mesurés directement. Enfin, lorsqu’une éruption se produit, des facteurs externes, les
eaux superficielles par exemple, peuvent intervenir et modifier son intensité ou son déroulement.
Il faut savoir également qu’une éruption volcanique, aboutissement de processus extrêmement complexes, ne se reproduit jamais à l’identique. Les grands types d’éruption sont eux-mêmes variés, mettant
sur le devant de la scène des aléas, donc des risques différents. Excepté les coulées de lave faciles à
éviter (Hawaii, piton de la Fournaise, Etna), les conséquences de l’activité volcanique sont fortement
meurtrières.
Les sept risques majeurs se rencontrent dans les volcans des zones de subduction, là où les plaques
océaniques disparaissent dans le manteau terrestre. Aussi est-ce vers ces appareils volcaniques que se
tournent les spécialistes.
Évaluer la dangerosité d’un volcan revient d’abord à étudier la dynamique de ses éruptions, ainsi que
leur fréquence.
L’étape suivante consiste à connaître les processus qui en sont à l’origine, le fonctionnement interne du
volcan et son degré d’évolution. Une telle démarche, fondée sur des méthodes géologiques, géochimiques et géophysiques, permet d’établir des scénarios apportant des informations sur la nature d’une
éventuelle éruption, sur son déroulement et sur la répartition des produits volcaniques qu’elle est susceptible d’engendrer. Déterminer le moment où cette éruption se produira est le plus difficile. Or c’est le
point crucial pour décider de l’évacuation des populations, seule disposition à prendre en cas d’éruption
majeure. Pour mener à bien cette prévention, les scientifiques disposent de nombreux outils.
Piton de la Fournaise en éruption
© IRD - Borgel, A. et Caillé, F.
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Consulter les archives de la Terre et des hommes
La volcanologie s’est affranchie peu à peu des mythes et des croyances, que l’on retrouvait d’un continent à l’autre, avec des rites et des symboles souvent proches. Dans toutes les civilisations, les cratères
des volcans ont été considérés comme des lieux surnaturels où l’esprit des morts était censé se réfugier.
L’analyse de documents anciens permet parfois de dater les manifestations volcaniques et d’en reconstituer le déroulement. Ainsi, les sociétés de l’écrit ont consigné les traces des événements exceptionnels
causés par les volcans, permettant de reconstituer une partie de leur histoire. Mais les traditions orales
ont pu également contribuer à la connaissance d’une région et guider le travail des volcanologues. C’est
ainsi que s’est transmise depuis plus de 500 ans, de génération en génération, l’histoire du cataclysme
de Kuwae. Recueillis par des missionnaires, puis rapportés par des anthropologues, ces récits ont guidé
les archéologues qui ont découvert les preuves et réalisé les premières datations. Des géologues, enfin,
ont situé, estimé et daté avec précision (1452) cette gigantesque explosion.
Pour les volcans menaçants, il est primordial de connaître leurs phénomènes éruptifs, au long des siècles et même des millénaires, par l’analyse des dépôts qu’ils ont laissés. Lorsqu’ils sont récents et peu
érodés, leur étude à l’aide de méthodes comme celle de la datation au carbone 14 permet de définir
des cycles éruptifs. La morphoscopie et la granulométrie (classements selon l’aspect physique et la
taille des grains) rendent compte des caractéristiques et de l’évolution des dynamismes. Par exemple,
les retombées aériennes constituent de bons repères lorsqu’elles renferment des bois carbonisés ou
lorsqu’elles s’intercalent dans des sols. Cette première étape conduit à la connaissance géographique
des risques. Il est alors possible de cartographier les menaces, en incluant l’environnement anthropique.
Établies à partir d’observations de terrain (la répartition des types de produits, par exemple), ces cartes peuvent être affinées en laboratoire à l’aide de modèles numériques prenant en compte certaines
données, comme une topographie détaillée, pour définir le parcours des écoulements.
Prendre le pouls des volcans
Les études géologiques conduisent à élaborer des modèles montrant l’évolution des appareils volcaniques dans le temps.
Ainsi a-t-on pu constater qu’après une longue période d’inactivité, lorsque le magma atteint un stade
avancé de cristallisation, sa pression gazeuse devient suffisante pour ouvrir les conduits vers le haut.
La décompression brutale provoque l’émission d’un grand volume de cendres et de ponces. Une large
dépression (caldeira) se forme alors en surface par effondrement, à la suite du vide créé dans la chambre magmatique. Le glissement d’un secteur entier du volcan, consécutif à la lente montée du magma
visqueux (éruption du mont Saint Helens, en 1980), peut représenter une variante à ce scénario, ou bien
se produire plus tard, lorsque l’édifice est à nouveau reconstruit. Dans les deux cas, le volume de matériel déplacé est gigantesque : plusieurs kilomètres cubes, parfois plusieurs dizaines de kilomètres cubes.
Pourtant, de telles éruptions marquent très rarement la fin de l’activité volcanique. En règle générale,
du magma nouveau monte épisodiquement depuis des zones profondes et prolonge l’activité. Selon la
composition plus ou moins acide des laves nouvellement émises et leur viscosité plus ou moins grande,
l’un ou l’autre des deux appareils volcaniques suivants se forme.
Si les laves sont riches en silice, très cristallines et visqueuses, elles ne s’écoulent pas ou seulement
sur de très faibles distances (c’est le cas des volcans explosifs). En se refroidissant, les laves forment
des dômes dont l’intérieur et les racines restent chauds. À quelques kilomètres de profondeur, du fait
du refroidissement et de la poursuite de la cristallisation, la pression des gaz augmente de nouveau.
Après une longue période de repos apparent, cette pression peut provoquer la déformation, puis la
déstabilisation des dômes, leur effondrement et/ou l’ouverture brutale de la partie haute des conduits.
En Équateur, le volcan Cayambe, dont le sommet est composé d’une série de dômes sans activité
visible, est l’exemple parfait d’un volcan en état de « mise sous pression » et au sommeil trompeur (voir
l’encadré en fin d’article)
Deux sortes de produits caractérisent les éruptions de ce type de volcan : les écoulements pyroclastiques, ou nuées ardentes, et les retombées pliniennes, à partir de panaches qui s’élèvent à haute altitude,
formés de cendres, de fragments vésiculés de magma (ponces) et de petits blocs rocheux provenant de
la pulvérisation du bouchon.
Si les laves sont plus basiques et fluides, un nouveau cône se forme, prolongeant l’ancien. Ce cône est
souvent le siège d’une activité complexe, comprenant des cycles éruptifs qui alternent l’émission de
coulées et de brefs épisodes explosifs pliniens. Ainsi, tous les 100 à 150 ans, de grandes éruptions reproduisent un scénario souvent propre au volcan. Au cours des périodes de repos, l’évolution magmati-
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que dans la chambre se poursuit en système fermé. Une reprise d’activité comprend souvent l’émission
verticale d’une colonne éruptive dense. En retombant, cette colonne donne naissance à des écoulements canalisés par les vallées, menaçant alors tous les flancs du volcan. La partie la moins épaisse de
la colonne éruptive, quant à elle, est à l’origine de retombées de ponces et de cendres dont l’extension
peut être régionale. Au cours des semaines ou des mois qui suivent ces explosions, les produits meubles
sont remaniés en coulées boueuses, ou lahars, alors que des coulées de lave suivent, accompagnées
d’explosions moins importantes au sommet.
Conséquences de l’éruption du volcan Tungurahua, Équateur
© IRD - Le Pennec, Jean-Luc
Observer leurs sautes d’humeur
Les dynamismes éruptifs sont essentiellement liés à la viscosité des magmas et à leur teneur en gaz,
deux paramètres qui dépendent notamment de la composition chimique, du degré de cristallisation
et de la température d’émission des laves.
Par l’étude de leurs propriétés physico-chimiques (pétrographie, géochimie…), il s’agit de définir les
conditions prééruptives et de découvrir les mécanismes pouvant déclencher ces dynamismes. Des
associations minéralogiques complexes, des déséquilibres ou des changements de la vitesse de croissance des cristaux, observés dans les laves émises successivement, donnent des informations capitales
sur la vitesse de remontée du magma, l’état de la chambre magmatique, les temps de résidence du
magma dans celle-ci, etc.
L’étude et la surveillance d’un volcan dépendent de la menace qu’il exerce : la proximité d’agglomérations, le souvenir d’une crise récente, voire d’une éruption aux conséquences dramatiques, sont des facteurs qui justifient la mise en place d’un observatoire. Les volcans isolés peuvent également être l’objet
d’une attention particulière lorsqu’ils menacent la circulation aérienne. C’est pourquoi l’Organisation
de l’aviation civile internationale coordonne un système d’alerte auquel contribuent des observatoires
volcanologiques de différentes régions du monde. Cependant, si les pays riches disposent d’infrastructures performantes, il n’en va pas de même pour les pays en voie de développement. Ces derniers sont
soumis aux aides extérieures, apportées dans le cadre de la coopération pour la formation de personnels et la mise en œuvre d’équipements. Actuellement, environ 160 volcans aériens sur les quelque
600 en activité sont équipés d’observatoires de proximité avec lesquels on pratique en permanence
ou de manière récurrente de nombreuses mesures.
L’étude sismologique, basée sur l’analyse des vibrations du sol dues aux mouvements du magma ou au
dégazage dans les conduits et réservoirs supérieurs, est la méthode de surveillance la plus classique.
Des mouvements internes du magma ou un nouvel apport de magma profond à la chambre entraînant
un gonflement de l’édifice volcanique, celui-ci peut être suivi grâce à un réseau d’inclinomètres capables de détecter en surface de très faibles écarts angulaires. Des appareils, comme les distance-mètres,
calculent les variations de la durée du trajet d’un rayon laser sur des réflecteurs disposés à la surface
du volcan pour en contrôler les déformations. Grâce à la réception de données satellitaires, le système
GPS (Global Positioning System) permet d’obtenir également des mesures sur les mouvements du sol
avec une précision millimétrique. D’autres observations sont menées conjointement, apportant leur lot
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de précieuses informations. Les perturbations occasionnées par les transferts de magma et de produits
volatils en profondeur entraînent des variations sur les mesures du champ magnétique terrestre et du
champ de pesanteur, mesures enregistrées depuis la surface à l’aide de magnétomètres et de gravimètres. Les mesures des changements de température des gaz (fumerolles), des eaux (lacs de cratère) et
des laves, ainsi que l’analyse sur le terrain ou en laboratoire des modifications chimiques, renseignent
également sur le comportement des magmas. L’observation permanente de la Terre par des satellites
permet de repérer les volcans en activité, de surveiller les zones menacées, de suivre les panaches de
poussières et de gaz projetés dans l’atmosphère. Les données ainsi recueillies permettent aussi d’établir
des cartes détaillées, appelées modèles numériques de terrain (MNT), pour suivre les déformations des
édifices. Les techniques modernes offrent également la possibilité de repérer les anomalies des sources
de chaleur à partir d’images prises en infrarouge, de réaliser la collecte automatique des données des
stations de terrain et de les redistribuer en temps réel aux laboratoires pour analyse, au travers des
réseaux de messagerie électronique.
Étude du volcan Tungurahua en Equateur
© IRD - Eissen, Jean-Philippe
Reproduire les phénomènes en laboratoire
Le développement de la modélisation dans les laboratoires de volcanologie complète les observations
sur le terrain en période de crise. Elle est souvent fondée sur l’analyse d’images (une séquence vidéo
reproduisant l’évolution d’un panache, par exemple) et sur la comparaison entre les phénomènes naturels observés et les résultats d’expérimentations obtenus sur modèles réduits. Ainsi, pour évaluer le
danger que représentent les panaches de cendres pour la navigation aérienne, on reproduit numériquement les propriétés dynamiques et thermodynamiques d’une colonne éruptive, en tenant compte
de paramètres tels que l’évolution de la température, la pression atmosphérique, l’altitude ou le régime des vents. Les mesures effectuées sur le terrain (épaisseur des dépôts, dimension des clastes),
couplées à ces modèles théoriques, permettent d’estimer les caractéristiques des éruptions : volume des
panaches, vitesse d’émission, débit, etc. Des progrès considérables sur la compréhension du comportement des écoulements pyroclastiques sont actuellement accomplis en modélisation analogique (fondée
sur des rapports de similitude), grâce à l’utilisation de matériaux de densité différente. Avec l’utilisation
du silicone, l’étude des déformations des flancs des volcans enregistre les mêmes progrès.
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Sensibiliser les populations
Les cycles de forte activité des volcans explosifs peuvent être espacés de quelques décennies à quelques
siècles ; cette échelle de temps ne dispose pas les êtres humains à une bonne perception du risque volcanique, et la maintenance d’observatoires permanents peut paraître inutile. C’est pourquoi les volcanologues se donnent pour tâche d’informer les populations, ce qui s’avère souvent ardu. Deux exemples récents illustrent le bien-fondé de cette démarche. En 1990, l’Unzen (Japon), après un peu moins de deux
siècles de sommeil, se réveille ; le volcan est sous surveillance et le souvenir de la catastrophe de 1792,
qui avait fait 15 000 victimes, est toujours vivace. Convaincre les habitants de la nécessité d’évacuer la
zone dangereuse n’a pas été trop difficile. En 1991, le Pinatubo (Philippines) se réveille après plus de
50 ans d’accalmie ; 15 000 personnes vivent au pied du volcan, et quelque 500 000 autres sont menacées. Un film sur les risques volcaniques majeurs, réalisé par Maurice Krafft à la demande de l’Association
internationale de volcanologie (IAVCEI), sera diffusé dans les villes et les villages concernés.
Cette projection fera prendre conscience du danger et permettra l’évacuation des habitants sans
rencontrer trop de résistance. À la connaissance historique et à la démonstration par l’exemple s’ajoute,
en France, l’information préventive, devenue un droit depuis 1987. L’État se doit de fournir des dossiers
synthétiques, regroupés sous l’appellation générale de « cartes des risques ». Ces documents comprennent les zones menacées, des informations sur les éventuels dommages matériels et leurs conséquences
économiques, les plans d’évacuation des populations, etc. À partir de ces dossiers, villes et communes
ont le devoir d’informer les habitants. De la bonne connaissance du risque résulteront des comportements adaptés en cas de nécessité.
L’art délicat de gérer une crise
Si les tristes records en nombre de victimes du volcanisme au XXe siècle peuvent être attribués aux
éruptions de la montagne Pelée et du Nevado del Ruiz (qui ont causé la disparition de, respectivement,
29 000 et 24 000 personnes), on peut souligner qu’ils ne sont pas tant dus à l’importance des paroxysmes volcaniques de 1902 et de 1985 qu’à des raisons politiciennes (élections pour la Martinique, négligence dans le cas de la Colombie). Bon nombre de catastrophes récentes (Chichon, Unzen,
Pinatubo, Rabaul…) montrent la difficulté de prendre des décisions adaptées pour assurer la sécurité,
quels que soient le pays, son développement et son organisation sociale. Dans tous les cas, la mise en
relation des experts, des autorités civiles, des médias et de la population est souhaitable, afin de limiter les
risques.
Pour éviter les conflits d’interprétation, les scientifiques doivent confronter en toute sérénité les
différentes hypothèses qui résultent des scénarios préalablement établis, des modèles théoriques, des
observations passées et des mesures en cours. La crise récente de la Soufrière de Montserrat (petite île
des Caraïbes sous administration britannique), qui débuta en juillet 1995, est l’exemple d’une collaboration scientifique internationale réussie. Ainsi, une charte règle l’accueil et l’intégration des chercheurs
étrangers à l’équipe du MVO (Montserrat Volcano Observatory), et la diffusion d’informations vers
la presse est soumise à l’accord préalable du directeur scientifique de l’observatoire. L’ensemble des
données, des rapports quotidiens ou hebdomadaires destinés aux scientifiques et aux autorités gouvernementales, est édité, archivé sur un site web, puis un bulletin destiné à la population est publié par le
service de presse du gouvernement de l’île, en relation avec le MVO. Seuls une telle organisation et les
rapports de confiance entre experts et autorités civiles auxquelles revient la décision de faire évacuer
une zone menacée sont susceptibles d’aboutir à la bonne gestion d’une crise. La diffusion d’une information fiable et compréhensible par les médias peut atténuer les inquiétudes des populations, limiter la
circulation des rumeurs et/ou favoriser une prise de conscience du danger. Au regard des autres risques
naturels (cyclones, inondations, tremblements de terre…), les éruptions volcaniques ne sont pas les plus
meurtrières. Cependant, de grandes étendues peuvent être totalement dévastées, la circulation aérienne
compromise, le climat perturbé pour plusieurs années lors de violents paroxysmes, tel celui du Pinatubo
en 1991. L’objectif de la volcanologie actuelle passe par la mise au point de méthodes sur le terrain et
en laboratoire pour mieux comprendre et prévoir les processus chaotiques qui se déroulent à l’intérieur
d’un volcan, et par le développement des mesures de prévention. Ces actions ne devraient pas être
entravées par des intérêts politiques et économiques. Dans tous les cas, la concertation entre les experts,
les autorités civiles, les médias et les populations concernés est souhaitable afin de limiter les risques.
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La caldeira de Kuwae
Une caldeira est une dépression généralement circulaire, formée par l’effondrement du toit d’une chambre magmatique à la suite de l’émission rapide d’un grand volume de magma.
Dans l’archipel des Nouvelles-Hébrides, la tradition orale relate la disparition, au cours d’une catastrophe
volcanique, d’une terre nommée Kuwae, qui englobait les îles actuelles d’Épi et de Tongoa. Celles-ci sont
en effet recouvertes d’épais dépôts de cendres et de ponces, caractéristiques d’éruptions explosives
de grande amplitude. La découpe concave et les pentes abruptes des côtes se faisant face soulignent
également la présence d’une large caldeira sous-marine entre les deux îles. Des relevés bathymétriques ont
précisé la profondeur et les limites de cet édifice dont la formation datée au carbone 14 sur bois carbonisés, remonte avec certitude au milieu du XVe siècle. C’est probablement le plus important que l’homme
moderne ait connu, par les dimensions mêmes de la structure (12 x 6 km), l’amplitude de l’effondrement
(entre 800 et 1 100 m) et le volume de magma éjecté (32 à 39 km³). L’intensité éruptive de Kuwae a été
comparable à celle des éruptions de Santorin (Grèce), il y a 3 600 ans, et de Tambora (Indonésie) en
1815.
Une violente crise sismique, accompagnée de larges glissements en mer, a précédé l’éruption. Alertée
par ces phénomènes précurseurs, une partie des habitants eut le temps de se réfugier
sur les îles voisines. Ces phénomènes sont enregistrés dans les glaces du Groenland sous forme d’un pic
d’acidité correspondant aux années 1452-1453. Les perturbations atmosphériques que cette éruption
a provoquées ont été perceptibles à l’échelle planétaire durant plusieurs années, comme l’attestent de
nombreux écrits relatant un climat anormalement froid en Asie et en Europe.
Un volcan un peu trop sage
En Équateur, le Cayambe est considéré par les habitants qui vivent aux alentours de cette montagne
comme un volcan éteint. L’étude des retombées de cendres et de ponces dans une tourbière ainsi que
les datations au carbone 14 effectuées à différents niveaux des dépôts ont révélé qu’au cours des quatre derniers millénaires le volcan a connu trois périodes éruptives de 700 ans environ, séparées par des
phases de repos de l’ordre de 500 à 600 ans.
Le volcan Cayambe, Equateur
© IRD - Monzier, Michel
Au-delà de 4 000 ans, celui-ci est demeuré très longtemps inactif. Les styles éruptifs qui caractérisent les trois périodes d’activité sont ceux d’un appareil volcanique à dômes sommitaux. Au moins
23 éruptions ont été dénombrées, engendrant des coulées pyroclastiques et des retombées pliniennes.
Ce nombre équivaut à un peu plus d’une éruption par siècle, en moyenne. Le temps qui nous sépare
de la dernière explosion (deux siècles) n’est donc pas suffisant pour affirmer que la dernière période
d’activité est terminée.
Pour vérifier ce résultat, un réseau de stations sismologiques a été mis en place au sommet du volcan
par l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et maintenu opérationnel plus de deux mois.
Contre toute attente, l’activité sismique y est apparue intense. Elle est au moins égale à celle d’appareils
volcaniques considérés comme très actifs, tel le Cotopaxi, voisin du Cayambe, pour lequel de très nombreuses éruptions historiques et préhistoriques ont été répertoriées.
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Le Cayambe étant recouvert par une épaisse calotte de glace, l’émission de puissants lahars, ou coulées de
boue, représenterait un réel danger lors d’une reprise d’activité, comme ce fut le cas pour la ville colombienne d’Armero, au pied du Nevado del Ruiz, en 1985.
Une difficile prévision
Les appareils géophysiques sont capables aujourd’hui de déceler les prémices d’un réveil et de suivre avec plus ou moins de réussite l’évolution interne sur une période relativement courte. Les informations sont transmises par voie hertzienne, terrestre ou satellitaire (Argos, Inmarsat) aux laboratoires et centres d’observation concernés. Mais il existe encore beaucoup d’appareils volcaniques peu
ou pas instrumentés. Toutefois, un volcan n’étant pas un métronome, il est bien difficile de connaître
avec précision l’alternance possible de ses accalmies et de ses reprises d’activité. Par exemple, dans la
région du Vésuve, les champs Phlégréens (de l’italien Campi Flegrei, « les champs qui brûlent ») ont
subi en 1983-1984 de violents tremblements de terre, associés à d’importants soulèvements du sol, qui
ont conduit à l’évacuation provisoire de la ville de Pouzolles.
Depuis, la région est redevenue calme. Aux environs de Rabaul (Papouasie-Nouvelle-Guinée), on a enregistré en 1983-1985 une crise sismique, accompagnée de grandes déformations. Il a fallu attendre 1994
pour qu’une forte éruption, précédée de plusieurs séismes, se produise, entraînant le déplacement de
quelque 50 000 habitants. L’amélioration des prévisions, en complément d’une meilleure connaissance des conditions éruptives, passera donc par le perfectionnement des appareils utilisés sur le terrain
(miniaturisation et extension des nouveaux capteurs, accroissement de la fiabilité, automatisation des
réseaux de mesures) et par le développement des observations satellitaires.
Surveillance des volcans du Vanuatu
© IRD - Lardy, Michel
L’Onu se mobilise
Beaucoup de volcans explosifs des zones tropicales se situent dans les pays en voie de développement
ou émergents ; ils complètent la panoplie des risques majeurs tels que les cyclones et les tremblements
de terre, auxquels ces pays sont déjà très exposés. La vulnérabilité aux risques naturels s’accroît dans
un contexte socioéconomique défavorable, qui combine démographie, pauvreté et urbanisation soutenue. La faiblesse d’une réelle politique de prévention, où le fatalisme n’est pas toujours absent, fragilise
encore davantage les habitants des régions menacées. Décrétée par l’Organisation des Nations unies
de 1990 à 2000, la Décennie internationale pour la réduction des catastrophes naturelles a orienté
ses objectifs vers la prévention, incitant les gouvernements à préparer des plans d’urgence, à fournir
des efforts durables d’organisation et à sensibiliser les populations menacées. Le Secrétaire général
concluait, en juillet 1999 : « Les catastrophes dites naturelles ne sont pas si naturelles que cela. Ce qu’il
faut faire, nous le savons. Il reste maintenant à mobiliser la volonté politique. » Les pays riches ont été
sollicités pour exporter leur savoir-faire vers les pays du Sud. Sous l’impulsion de l’Association volcanologique internationale (IAVCEI) et de l’Organisation mondiale des observatoires (WOVO), des réunions
d’information et la création d’un réseau mobile d’intervention, particulièrement pour les pays en voie de
développement, sont en cours.
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Plus imprévisible que le temps
Qu’est-ce qu’un risque volcanique ?
D’une façon générale, c’est tout ce qui peut affecter une population : blessures, décès, pertes et biens,
etc. D’un point de vue plus technique, le risque apparaît comme le produit des conséquences et de la
probabilité d’occurrence du phénomène volcanique. Il s’appréhende donc à deux niveaux. D’abord, au
plan de la surveillance, avec comme objectifs de prévoir le réveil du volcan, déterminer le scénario éruptif imminent le plus probable, puis suivre le déroulement de l’éruption. C’est la prévision à court terme.
Ensuite, au plan général, c’est-à-dire en période de calme éruptif, il s’agit de monter les futurs scénarios
éruptifs possibles et de prévoir la répartition des produits émis ainsi que leurs effets sur l’environnement. On parle alors de prévision générale : l’approche géologique du risque s’y inscrit totalement.
Le principe de base qui la régit partout dans le monde est simple : « Le passé est la clé du futur ».
Il traduit le fait que chaque volcan a un comportement propre, fait qui ressort clairement de l’étude
des différents édifices actifs d’une même structure volcanique (chaîne ou arc, par exemple), autant
que de celle des volcans qui se sont superposés en un même lieu au cours du temps.
Denis Westercamp, © La Recherche, n° 174, février 1986.
Un danger méconnu
Un Boeing 747 de British Airways survole Java, en Indonésie. Soudain, à 12 300 mètres d’altitude, les
quatre réacteurs tombent en panne. C’est la nuit, l’avion chute, de la poussière envahit la cabine. Après
treize minutes interminables, les réacteurs redémarrent partiellement, l’avion se pose en urgence à
Jakarta. Cet incident a eu lieu dans la nuit du 23 juin 1982. Le 13 juillet de la même année, un autre Boeing
747 échappe au crash au même endroit, dans les mêmes circonstances. En démontant les avions en
cause, les techniciens découvrent une étrange couche de verre sur les turbines des réacteurs. Le fautif ?
Un volcan, le Galungung. Entré en éruption en juin, il a projeté dans l’atmosphère des tonnes de cendres
volcaniques qui ont été piégées dans les moteurs des Boeing. Elles ont fondu dans les réacteurs, déclenchant leur arrêt automatique. […] Un cauchemar pour les pilotes : plus de 80 avions de ligne ont ainsi été
mis en difficulté par des volcans ces quinze dernières années !
Les radars embarqués sur les avions ne savent pas différencier nuages d’eau ou de cendres. C’est pourquoi l’Organisation météorologique mondiale a décrété récemment une veille volcanique internationale
des routes aériennes. Neuf centres de surveillance ont été désignés, dont Météo France. Leur mission ?
Prévoir, à l’aide d’un logiciel de simulation conçu pour suivre les retombées de la catastrophe de Tchernobyl, les déplacements des panaches éruptifs.
Elena Sender-Dumoulin, © Sciences et Avenir, n° 614, avril 1998.
Comment jouer les Cassandre
On observe depuis longtemps que de nombreux séismes sont immédiatement suivis d’éruptions volcaniques. Cela est dû au magma qui, lors de son ascension, ouvre de nouvelles failles et fissures, et qui, lors
de son expulsion hors de la cheminée, frotte contre la riche à l’état solide. C’est ce qui fait trembler le sol
aux environs de la montagne. L’étude de 71 séries de secousses qui ont précédé les éruptions volcaniques a cependant montré qu’il ne s’agissait pas d’un critère de prédiction valable à 100 %. On a, en effet,
constaté une augmentation de l’activité tellurique juste avant l’éruption dans 58 % des cas seulement.
Dans 38 % des cas, en revanche, le renforcement du séisme ne fut pas suivi d’une éruption, car le volcan
s’est calmé. Dans 4 % des cas, enfin, l’éruption ne fut précédée d’aucun tremblement de terre. […]
Outre les tremblements de terre que les volcanologues suivent à l’aide des sismographes, toute modification de la forme du cône volcanique est elle aussi enregistrée. Le magma ascendant peut en effet
provoquer d’autres phénomènes : il est courant que les flancs de la montagne gonflent, comme dans le
cas du mont Saint Helens. On connaît ces variations au millimètre près grâce aux appareils sensibles qui
mesurent la déclivité et aux nivellements qui, à l’aide de rayons laser, permettent de prendre des mesures en différents points sur les flancs du volcan. […]
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Il existe une méthode encore récente consistant à analyser les images prises aux infrarouges par des satellites, qui indiquent la répartition de la température sur un volcan. Il est ainsi possible de constater très
rapidement qu’un volcan se réchauffe soudain. Cela peut signifier une montée du magma. Un réchauffement à l’intérieur de l’édifice entraîne aussi une modification de la température et de la composition
chimique des gaz et des eaux qui sortent du volcan. Néanmoins, une élévation marquée de la température n’est pas nécessairement suivie d’une éruption.
L’étude à long terme de l’histoire et des habitudes éruptives d’un volcan est absolument indispensable
pour établir les pronostics les plus fiables possibles. Chaque édifice volcanique a, en effet, ses propres
particularités et les événements qui se déroulent avant chacune de ses éruptions ont tendance à se
répéter.
Bernhard Edmaier et Angelika Jung-Hüttl, traduits par Ghislaine Tamisier-Roux, et Philippe Bouysse, Volcans, © Nathan,
1998.
Risques et profits
Les intérêts économiques et politiques peuvent aller à l’encontre des mesures de prévention qui s’imposent parfois. En 1997, par exemple, la Soufrière, le volcan de l’île de la Guadeloupe, menaçait d’entrer en
éruption. Plus de 70 000 personnes ont alors été évacuées. Trois mois plus tard, elles sont rentrées chez
elle. Rien ne s’était passé. De telles mesures paralysent des régions entières pendant un certain temps et
coûtent beaucoup d’argent. Il suffit qu’elles aient été prises inutilement une fois pour qu’à la prochaine
menace du volcan les autorités politiques se montrent réticentes. Par ailleurs, un pronostic défavorable
à long terme effraie les investisseurs, dont les régions volcaniques, qui sont souvent faiblement développées sur le plan économique, ont pourtant un besoin urgent.
Toute tentative de prévision précise fait prendre aux hommes davantage conscience de leur impuissance face aux forces de la nature. Certes, on en sait aujourd’hui bien plus sur l’origine du volcanisme
que lors des siècles passés, époque où les cracheurs de cendres et de feu comptaient encore parmi
les grands mystères de la Terre. De nombreux volcans représentent néanmoins un risque incalculable.
Ils nous montrent à quel point notre planète est inscrite dans un gigantesque cycle du devenir et du
temps qui passe.
Ibid. (Nathan)
Suggestions d’activités
Niveau : à partir de la 4e.
Objectif : aborder la notion de risque géologique.
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Qu’entend-on par prévision à court terme et prévision générale ?
Pour quelles raisons est-il primordial de suivre les déplacements des panaches éruptifs ?
De quelle manière les risques sont-ils estimés ?
Que signifie une mesure de prévention ? Quelles difficultés de mise en œuvre rencontre-t-on ?
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