MN - Les racines philosophiques de la société libérale : les sceptiques

Mauvaise Nouvelle - Les racines philosophiques de la société libérale : les sceptiques
Les racines philosophiques de la société
libérale : les sceptiques
Par Jean-Marie Keroas
Épisode 1 : les anciens sceptiques grecs sont nos maîtres
« Ouvrez-vous ! C’est un ordre ! »
Nous allons continuer notre brève exploration des auteurs qui font autorité dans l’idéologie libérale. J’ai hésité à
intituler cette suite d’articles « les prémisses philosophiques de la société ouverte », en référence à un ouvrage
connu de Karl Popper, un des « philosophes » anglo-saxons jugés respectables en Occident et qui a beaucoup fait
pour diaboliser toute définition d’une loi naturelle1 universelle, nécessaire, maturante. Le positivisme qu’il partage
avec ses camarades empiristes ferme la porte à toute direction véritablement libérante qui nous indique l’altruisme
comme finalité naturelle de cette vie.
Continuons de proposer des clés de décryptage de la société française actuelle, sachant que l’idéologie libérale
est maintenant le background des élites occidentales qui se font élire. Nous allons le voir, le refus de l’induction
garantit la société ouverte alors que l’acceptation de l’induction favoriserait une société fermée, voire dictatoriale :
la tyrannie des définitions. Nous verrons au fil des analyses que c’est exactement le contraire qui se produit : la
plasticité totale des concepts a ouvert les voies de la tyrannie des désirs, particulièrement ceux des « élites ».
Le libéralisme et le libertarisme vont dans la même direction : l’incapacité de juger et l’impossibilité de dire non est
accompagnée par une authentique dictature de l’ordre établi par ses décideurs. « Ouvrez-vous ! » devient la
maxime de la doxa dominante. Il s’agit d’accueillir toutes les possibilités humaines même si elles sont contraires à
ces orientations de la nature humaine qui garantissent son vrai bien. Cette idéologie libérale-libertaire2 exalte une
liberté affranchie de ces orientations universelles et nécessaires.
Le chaos actuel qui en résulte a des racines spéculatives qui s’enracinent dans des options philosophiques
entérinées sans discernement. Quand on considère l’histoire des idées, on constate que les mêmes causes
produisent les mêmes effets : les analyses spéculatives engendrent des options pratiques en cohérence. Toute
éthique et toute politique se fondent sur ces options spéculatives. On peut le vérifier chez tous les auteurs. Un
enseignement philosophique sérieux doit manifester ces liens et les redondances évidentes dans l’histoire de la
philosophie.
Un auteur emblématique : Pyrrhon
Prenons le cas de Pyrrhon (360-275 avJC), un grec du nord du Péloponnèse (Elis) qui vivait au temps d’Aristote.
Bien entendu, de ces auteurs nous ne savons pas grand-chose mais nous disposons tout de même de quelques
indications sûres. On pourrait résumer son interrogation fondamentale ainsi : Peut-on affirmer quelque chose ?
Pyrrhon n’est pas vraiment le fondateur d’une école de pensée qui s’appellerait le scepticisme. Car le scepticisme
n’est pas une école qui aurait eu une assise historique définie comme l’épicurisme, le stoïcisme, le platonisme ou
le réalisme aristotélicien.
Le scepticisme est une inclination de l’homme déçu. Déçu par les argumentaires des uns et des autres. Face à la
multitude des réponses qui ne nous convainc pas, on finit par penser qu’on ne peut plus rien affirmer de façon
universelle et nécessaire. Cette attitude intellectuelle a certes été formalisée par certains grecs.
Héraclite (545-480) mettait en avant la diversité des choses en suggérant la difficulté de les rassembler dans
l’unité d’une vérité commune. Xénophane (570-475) disait également : « la vérité, aucun homme ne la connaît et
aucun ne la connaîtra ». 80 ans avant la naissance de Pyrrhon, Protagoras (490-420), le plus admiré des
Sophistes, est peut-être le premier relativiste. Il disait ainsi que certains frissonnent à tel moment alors que d’autres
non. Un autre sophiste connu, Gorgias (480-380) affirme que l’homme ne peut rien connaître de façon sûre. Ces
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thèses sont dites sceptiques. Nous retrouverons plus tard ces deux personnages. Mais les premiers sceptiques
ayant eu un poids conséquent dans la pensée humaine sont sans doute les Sophistes : ils constataient que la lutte
des thèses des différentes écoles de leur temps (Milésiens, Héraclitéens, Eléates) n’aboutissait à aucune
conclusion stable sur la définition de la nature des choses.
Malgré ces précurseurs, on a pris l’habitude de considérer Pyrrhon d’Elis comme le premier formulateur de la
pensée sceptique. Et pourtant il n’a rien écrit… Mais son disciple, Timon de Phlionte (325-235), va formuler une
doctrine alors que son maître n’avait fait que tenter de la vivre en cohérence. Pourtant, ce sont les successeurs de
Platon, dit « académiciens », qui vont répandre les arguments sceptiques… Arcésilas de Pitane (315-241), 5ème
chef de l’Académie après Platon, va ainsi proposer la suspension du jugement 3 : comme nous ne sommes sûrs
de rien, n’affirmons rien ! Mais le représentant le plus connu, avec Pyrrhon, du scepticisme dans l’antiquité, est
Aenésidème. Mais ce que nous savons de lui nous vient de Sextus Empiricus (150 ap. JC), médecin qui a
beaucoup écrit, notamment Esquisses Pyrrhoniennes.
Mais revenons à Pyrrhon. Il suit Alexandre jusqu’en Inde où il rencontre des « gymnosophistes ». Ceux-ci sont des
sages indiens qui n’hésitaient pas à se suicider par le feu (Calanus, Zarménochégas). Selon l’historien Diogène
Laërce, ces sages auraient convaincu Pyrrhon qu’on ne peut connaître aucune vérité (Vie, 286). Les sophistes
sont incontestablement les premiers sceptiques. Les philosophes sceptiques vont s’appuyer sur leurs intuitions
pour systématiser leur refus d’affirmer quoi que ce soit. Pyrrhon sera ainsi influencé par les sophistes, les
mégariques et les démocritéens.
Essence du scepticisme
L’idée fondamentale du scepticisme est que l’homme ne peut connaître les causes. Les sceptiques s’isolent d’un
monde dont ils n’attendent plus rien : devant la décadence et la corruption des hommes, on choisit de se replier sur
soi. Comme un stoïcien, le sceptique ne compte finalement plus que sur lui-même. Mais au lieu de persévérer
dans la recherche de la vérité suivant le bon sens, il se sert de son intelligence pour essayer de prouver son
impuissance. La rationalité est ici synonyme de relativisme quant aux finalités de la nature : la perte de la matière
des choses4 va conduire à la définition de la raison comme seul exercice a priori hypothético-déductif5. Pyrrhon
suggère donc l’incapacité de l’intelligence à définir de façon correcte. Il précise tout de même : « Quand nous
disons ne rien définir, nous ne faisons pas, en cela même, une définition » (Diogène Laërce, L. IX, 306).
Il veut donc signer l’abdication de la raison. Il fait du doute le sommet de la culture ! Socrate faisait du doute un
point de départ ; Pyrrhon fait du doute le point d’arrivée : on ne peut pas définir, ni donc juger, ni donc raisonner
correctement, en vérité.
L’historien Diogène Laërce rapporte de Pyrrhon : « Il soutenait qu’il n’y avait ni beau, ni laid, ni juste, ni injuste, que
rien n’existe réellement et d’une façon vraie, mais qu’en toute chose les hommes se gouvernent selon la coutume
et la loi » (Vies). Il voulait en disant cela signifier qu’on ne peut s’entendre sur une définition universelle et
nécessaire du beau, du bien, du juste et qu’aucune définition adéquate n’existe6. Epicure aimait bien Pyrrhon et
demandait souvent de ses nouvelles.
Pyrrhon eut de nombreux disciples appelés pyrrhoniens dont une des caractéristiques est qu’ils « observaient tout,
sans jamais rien trouver de sûr » (DL, Vies). Ils voulaient ainsi insister sur « l’impossibilité d’atteindre la vérité »
(DL, Vies). Dans l’antiquité, on pourra noter parmi les plus connus : Homère selon certains, les Sept Sages,
Archiloque, Euripide, Xénophane, Zénon d’Elée, Empédocle, Héraclite, Démocrite qui affirmait ainsi : « C’est
l’usage qui fait dire d’une chose qu’elle est froide ou qu’elle est chaude ; en réalité, il n’y a que l’atome et le vide ».
L’usage : l’ordre établi, l’état de fait. Diogène Laërce rapporte ainsi qu’ « ils soutiennent que rien n’est bien ou mal
en soi. Car, s’il y avait une chose telle, elle serait bien ou mal également pour tous comme la neige est froide pour
tout le monde. Or, il n’y a rien qui soit également pour tous bien ou mal, il n’y a donc pas de bien ou de mal en
soi ». Les sceptiques reconnaissent que, finalement, « nous ne connaissons que nos affections », autrement dit
nos émotions personnelles, qui sont subjectives, individuelles. Par conséquent, qu’est-ce qui fait loi ? La coutume,
la loi établie, positive, l’ordre social factuel : le rapport de force.
L’historien Diogène Laërce souligne qu’ils « ne définissaient rien eux-mêmes ». « Nous ne définissons rien » : car
toute définition est abstraite et donc générale. Cette universalité est l’ennemi des sceptiques : le bien en général, le
beau en général, le juste en général, etc. Et par conséquent le but du discours humain n’est plus d’énoncer des
vérités mais des opinions subjectives. Après Pyrrhon, d’autres sceptiques feront parler d’eux : Arcésilas (315-241)
et Carnéade (219-128 : 10ème successeur de Platon à l’Académie).
Pas de vérité certaine : chacun pense ce qu’il veut
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Serait-ce finalement une porte ouverte à la liberté d’expression ? Si l’on veut faire le bilan de cette voie spéculative
qui conclut à la stérilité de nos analyses, on doit souligner cette conviction : il n'y a pas de critère de la vérité, car il
n'y a pas de représentation vraie. La thèse est dirigée particulièrement contre le stoïcisme, qui admet l'existence de
représentations manifestant intrinsèquement leur vérité. Cicéron (Acad., II, XIII, 41) résume en quatre propositions
cette thèse de Carnéade et de l'Académie :
il y a des représentations fausses ;
ces représentations ne permettent pas une connaissance certaine ;
si des représentations n'ont entre elles aucune différence, on ne peut distinguer leur degré de certitude ;
il n'y a pas de représentation vraie distincte d'une représentation fausse.
Cette argumentation, qui date du 2ème siècle avant Jésus-Christ, est encore le point de départ de la théorie de la
connaissance de l’anglais Bertrand Russell (1872-1970), considéré par l’université occidentale comme un
philosophe-maître, dans Problèmes de Philosophie : les variations de nos représentations ne nous permettent pas
d'affirmer avec certitude qu'un objet a telle couleur, telle forme et tel mouvement. La vérité ne se manifeste pas
avec évidence dans le témoignage de nos sens ; la représentation mentale issue de la connaissance sensible
externe n'est donc pas un point de départ pour atteindre la vérité. C’est la critique de l’induction de Socrate et
d’Aristote.
Donc, pour Carnéade, comme pour l'ensemble des philosophes sceptiques, la raison n'a pas non plus la
faculté de nous faire connaître les choses telles qu'elles sont en elles-mêmes, en soi. Carnéade, comme
avant lui Protagoras, allait également jusqu'à remettre en question la certitude des mathématiques. Mais si rien
n’est vrai, ce n’est pas pour autant la voie royale vers la liberté de pensée car les pensées de certains valent plus
que celles des autres.
Si rien n’est certain : je dois faire ce que je désire
Cette critique de la certitude conduit à l'état constant d'incompréhension7, état psychologique dans lequel on
suspend son jugement et on ne croit en rien. Voilà pour la philosophie spéculative. Mais alors, dans l’action,
où va-t-on ?
Les options ne se bousculent pas : la philosophie spéculative fonde et légitime la philosophie pratique (la pensée
oriente le faire et l’agir). La pensée fonde l’agir. Carnéade tient le droit pour une simple convention, sans assise
naturelle commune. Autrement dit le droit positif n’est pas fondé sur un droit naturel universel et nécessaire. Bien
mieux, avant Freud, il pense que la moralité se développe contre les tendances naturelles…
Il soutient, comme Hobbes plus tard (1588-1679), que "tous les vivants, humains et animaux, n'ont d'autre règle de
conduite que leur intérêt" (Cicéron, De la République, III). Les sceptiques partent d’un constat sur ce qui arrive la
plupart du temps : les individus et les sociétés sont habités par une volonté de puissance qui s'exerce contre les
autres. Autrement dit nous ne sommes pas faits pour vivre ensemble par nature, selon Carnéade et son disciple
moderne Thomas Hobbes. Les chefs ne sont pas chefs par nature mais par ruse. "Carnéade offrait cet argument :
tous les peuples ayant un empire, et notamment les Romains qui sont maîtres du monde, s'ils voulaient être justes
et restituer ce qui appartient aux autres, devraient retourner dans leurs petites maisons mener une vie misérable"
Cicéron. De la République, II.
Nous essaierons de nous souvenir de cette phrase de Cicéron en lisant la Fable des Abeilles de Bernard
Mandeville. Or, les stoïciens, ces dogmatiques sans doute un peu insupportables, fondaient encore leurs certitudes
sur la perception sensible (nous sommes avant Descartes) : Carnéade va donc proposer des arguments pour faire
douter de la fiabilité de la connaissance sensible. Il va ainsi insister sur la variabilité des impressions des objets
extérieurs en fonction : du moment, l’état de l’observateur, etc. Carnéade veut souligner aussi l’existence des
fausses apparences (le bâton trompé dans l’eau) et tente de persuader qu’aucune images mentales ne peut
montrer adéquatement les objets extérieurs. Il faut donc suspendre notre jugement : ne rien affirmer.
Dans l’action, Carnéade propose le probabilisme : nos choix dans l’agir ne peuvent s’appuyer que sur
« ce qui repose sur de bonnes raisons et mérite notre confiance ». Il veut donc rester raisonnable
mais, sans convictions de fonds, selon quels critères ? On aboutit rapidement au pragmatisme : autrement
dit à l’utilitarisme.
Après Carnéade, les scolarques (chefs) de l’Académie reviennent au platonisme orthodoxe. Plus tard, Aenésidème
reprend le flambeau du scepticisme en définissant le bonheur humain comme conscience de l’incertitude…
Aenésidème reprend tout de même à Platon le concept de noumène (Cf Kant) mais utilise le terme pour désigner
les concepts abstraits et absolus, appellations péjoratives pour lui. Il s’oppose ainsi à toute pensée abstraite,
autrement dit essentialiste, jugée intellectualiste, sans référence au réel : inutile. Il conclut donc que seul le silence
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de l’âme conduit à l’ataraxie, terme qu’il reprend de l’épicurisme, qui qualifie l’âme heureuse sans trouble. Il ne
peut pas être plus éloigné de Platon et d’Aristote. Pour ces philosophes disciples de Socrate, il faut définir le vrai,
le bien, le juste, avant d’essayer d’incarner ces valeurs dans nos vies personnelles et sociales.
Afin de fonder « rationnellement » le scepticisme, Aenésidème a rédigé 8 arguments (dits «tropes») contre la
possibilité de conclure de façon nécessaire en exposant des causes. Il en proposera 10 autres contre la fiabilité de
la connaissance sensible : il s’agit toujours d’empêcher de définir l’intelligence humaine en partant de
l’induction8.
L’intelligence coupée de l’induction : la mentalité positiviste
Plus tard, la plupart des philosophes modernes et contemporains, majoritairement non-inductifs, adhéreront à ces
arguments ; par exemple, s’ajoutent à Hobbes et Russell déjà cités plus haut : Montaigne9 (1533-1592) surtout en
philosophie spéculative, moins en éthique, Gassendi (1592-1655), Bayle (1647-1706), Comte (1798-1857) et tous
les positivistes qui nient la possibilité de connaître la nature des choses. Soit 80 % des auteurs du programme
officiel de philosophie en terminale, dans le public comme dans le privé sous contrat.
Si je ne peux rien définir objectivement, alors ce sont mes impressions subjectives 10 ici et maintenant qui
deviennent les référents de mon agir : mon égo, mes désirs, mes intérêts personnels ou de mon groupe, de ma
tribu.
Le fruit ultime du scepticisme est un type anthropologique : destruction de l’induction11, de l’esprit critique, de tout
jugement de valeur, des freins moraux de l’humanité commune, immaturité, égocentrisme, individualisme, et enfin
soumission à l’ordre établi, c’est-à-dire aux autorités institutionnelles, influentes… Car le sceptique n’a aucun
combat à mener : il gère les choses matérielles : ses choses. L’organisationnel devient le seul horizon de sa vie, la
seule activité sérieuse et réaliste, en dehors de tout intérêt pour la culture en général. Il ne s’agit pas bien-sûr de
négliger cette dimension bonne de la vie humaine, mais cette amputation de la raison produit des gens incapables
de se concentrer très longtemps sur un objet culturel extérieur à eux. Cela favorise l’émergence de profils
psychologiques pour lesquels toute recherche intellectuelle est vécue comme un catalogue d’opinion jugé sans
intérêt.
Ce scepticisme (je ne sais rien de certain) fonde le relativisme éthique et artistique (tout se vaut) et contribue
efficacement à maintenir les individus sous la domination des décideurs du moment12, puisqu’aucune objection de
conscience n’est raisonnable. Car si la vérité objective n’est plus le projet des discussions, c’est l’arrogant sans
vergogne qui prend la parole pour imposer ses vues. Transposer en politique, cela donne ces sophistes très
souriants qui dissimulent leur rapacité à travers des lois positives domesticatoires.
Nous sommes ici dans la même logique que la pensée libérale-libertaire actuellement dominante. Ces auteurs
réputés « sérieux » dans l’univers intellectuel occidental sont des promoteurs du relativisme, matrice du libéralisme
déracinant, déstructurant, dissolvant, violant la dignité des personnes. Ce relativisme invalide la recherche de la
vérité et favorise le règne de Narcisse, du « Moi Je » qui méprise le bien commun. Autrement dit l’individualisme
dépolitisé13, auto-référentiel.
C’est encore la possibilité de l’instrumentalisation des institutions publiques au profit d’intérêts privés. Dans cet
univers célébré par les disciples de Pyrrhon, ce sont les faibles, les petits, les vulnérables, les sans-noms, les
sans-grades qui sont opprimés par les personnalités dominatrices et sûres d’elles-mêmes, sans conscience issue
de la morale commune.
Le programme de philosophie de terminale14 (dans le public comme dans le privé sous contrat) tout comme les
réseaux de validation intellectuelle du supérieur ont pour but de formater l’esprit des jeunes à l’habitus de
scepticisme quant à la capacité de l’intelligence humaine à définir la nature des choses (leur finalité). Ce processus
cognitif de soumission maintient l’autorité des structures de domination qui organisent le grand avilissement que
nous constatons.
Le storytelling15 libéral de « la petite maison dans la prairie » a du plomb dans l’aile. Mais ce ne sont pas les
disciples de Pyrrhon qui la remettront en cause.
1. Qui est le socle de la « décence commune » évoquée autrefois par Georges Orwell et maintenant par
Jean-Claude Michéa.
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2. Je renvoie ici aux livres de Michel Clouscard (1928-2009) malgré leur formulation trop hermétique. Mais il faut
rendre justice à Clouscard d’avoir analysé les liens entre le libertarisme « de gauche » et le libéralisme « de
droite », notamment dans « La Bête Immonde ».
3. Il s’en prend surtout au dogmatisme des stoïciens. On appelle ce scepticisme Moyenne Académie. Après cet
intermède sceptique, l’Académie revient au platonisme historique et à la doctrine des Idées (essences
universelles).
4. Définie par induction.
5. Nous verrons cela avec Descartes.
6. Evidemment contre Platon et Aristote, qui indiquent, selon des voies différentes, les essences universelles,
nécessaires, sources de science. Platon et Aristote sont des chercheurs ouverts. Les épicuriens et les
stoïciens, par contre, à l’époque de Pyrrhon, s’étaient enfermés dans leurs systèmes. Les stoïciens surtout
exerçaient d’ailleurs un impérialisme intellectuel étouffant. Certains sceptiques ont voulu s’affranchir par
hygiène mentale de ces deux écoles triomphantes qui proposaient toutes deux un matérialisme dogmatique et
moral.
7. Acatalepsie.
8. Formation non-inductive qui induit des habitus de même nature : raisonnement précipité exclusivement
hypothético-déductif, formalisme intellectuel et morale, rhétorique envahissante. Au bon souvenir des lecteurs
d’Alvin Toffler : Le Choc du Futur.
9. Immense écrivain, authentique humaniste, d’une sincérité incontestable, Montaigne reste sceptique en
théorie.
10. Ces blocages émotionnels paralysant toute résistance rationnelle.
11. Et donc de l’intelligence. Nous sommes convaincus que le tribalisme résurgent dans la vie sociale provient
d’une incapacité spéculative à atteindre l’universel.
12. Qui cherchent la disparition de cet « angle alpha » cher à Frédéric Lordon (Capitalisme, désir et servitude. La
Fabrique, 2010).
13. « L'individualisme est un sentiment réfléchi qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse de ses
semblables de telle sorte que, après s'être créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la
grande société à elle-même ». Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t.II., deuxième partie,
chap. II, Gallimard, Folio-Histoire, Paris, 1999, p.143.
14. Comme les programmes de formation de l’université française, des « Grandes Ecoles », ENA, Science-Po,
Mines, Polytechnique, CNRS, etc.
15. Sur le storytelling : voir le prologue.
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