Mauvaise Nouvelle - Les racines philosophiques de la société libérale : les sceptiques
thèses sont dites sceptiques. Nous retrouverons plus tard ces deux personnages. Mais les premiers sceptiques
ayant eu un poids conséquent dans la pensée humaine sont sans doute les Sophistes : ils constataient que la lutte
des thèses des différentes écoles de leur temps (Milésiens, Héraclitéens, Eléates) n’aboutissait à aucune
conclusion stable sur la définition de la nature des choses.
Malgré ces précurseurs, on a pris l’habitude de considérer Pyrrhon d’Elis comme le premier formulateur de la
pensée sceptique. Et pourtant il n’a rien écrit… Mais son disciple, Timon de Phlionte (325-235), va formuler une
doctrine alors que son maître n’avait fait que tenter de la vivre en cohérence. Pourtant, ce sont les successeurs de
Platon, dit « académiciens », qui vont répandre les arguments sceptiques… Arcésilas de Pitane (315-241), 5ème
chef de l’Académie après Platon, va ainsi proposer la suspension du jugement 3 : comme nous ne sommes sûrs
de rien, n’affirmons rien ! Mais le représentant le plus connu, avec Pyrrhon, du scepticisme dans l’antiquité, est
Aenésidème. Mais ce que nous savons de lui nous vient de Sextus Empiricus (150 ap. JC), médecin qui a
beaucoup écrit, notamment Esquisses Pyrrhoniennes.
Mais revenons à Pyrrhon. Il suit Alexandre jusqu’en Inde où il rencontre des « gymnosophistes ». Ceux-ci sont des
sages indiens qui n’hésitaient pas à se suicider par le feu (Calanus, Zarménochégas). Selon l’historien Diogène
Laërce, ces sages auraient convaincu Pyrrhon qu’on ne peut connaître aucune vérité (Vie, 286). Les sophistes
sont incontestablement les premiers sceptiques. Les philosophes sceptiques vont s’appuyer sur leurs intuitions
pour systématiser leur refus d’affirmer quoi que ce soit. Pyrrhon sera ainsi influencé par les sophistes, les
mégariques et les démocritéens.
Essence du scepticisme
L’idée fondamentale du scepticisme est que l’homme ne peut connaître les causes. Les sceptiques s’isolent d’un
monde dont ils n’attendent plus rien : devant la décadence et la corruption des hommes, on choisit de se replier sur
soi. Comme un stoïcien, le sceptique ne compte finalement plus que sur lui-même. Mais au lieu de persévérer
dans la recherche de la vérité suivant le bon sens, il se sert de son intelligence pour essayer de prouver son
impuissance. La rationalité est ici synonyme de relativisme quant aux finalités de la nature : la perte de la matière
des choses4 va conduire à la définition de la raison comme seul exercice a priori hypothético-déductif5. Pyrrhon
suggère donc l’incapacité de l’intelligence à définir de façon correcte. Il précise tout de même : « Quand nous
disons ne rien définir, nous ne faisons pas, en cela même, une définition » (Diogène Laërce, L. IX, 306).
Il veut donc signer l’abdication de la raison. Il fait du doute le sommet de la culture ! Socrate faisait du doute un
point de départ ; Pyrrhon fait du doute le point d’arrivée : on ne peut pas définir, ni donc juger, ni donc raisonner
correctement, en vérité.
L’historien Diogène Laërce rapporte de Pyrrhon : « Il soutenait qu’il n’y avait ni beau, ni laid, ni juste, ni injuste, que
rien n’existe réellement et d’une façon vraie, mais qu’en toute chose les hommes se gouvernent selon la coutume
et la loi » (Vies). Il voulait en disant cela signifier qu’on ne peut s’entendre sur une définition universelle et
nécessaire du beau, du bien, du juste et qu’aucune définition adéquate n’existe6. Epicure aimait bien Pyrrhon et
demandait souvent de ses nouvelles.
Pyrrhon eut de nombreux disciples appelés pyrrhoniens dont une des caractéristiques est qu’ils « observaient tout,
sans jamais rien trouver de sûr » (DL, Vies). Ils voulaient ainsi insister sur « l’impossibilité d’atteindre la vérité »
(DL, Vies). Dans l’antiquité, on pourra noter parmi les plus connus : Homère selon certains, les Sept Sages,
Archiloque, Euripide, Xénophane, Zénon d’Elée, Empédocle, Héraclite, Démocrite qui affirmait ainsi : « C’est
l’usage qui fait dire d’une chose qu’elle est froide ou qu’elle est chaude ; en réalité, il n’y a que l’atome et le vide ».
L’usage : l’ordre établi, l’état de fait. Diogène Laërce rapporte ainsi qu’ « ils soutiennent que rien n’est bien ou mal
en soi. Car, s’il y avait une chose telle, elle serait bien ou mal également pour tous comme la neige est froide pour
tout le monde. Or, il n’y a rien qui soit également pour tous bien ou mal, il n’y a donc pas de bien ou de mal en
soi ». Les sceptiques reconnaissent que, finalement, « nous ne connaissons que nos affections », autrement dit
nos émotions personnelles, qui sont subjectives, individuelles. Par conséquent, qu’est-ce qui fait loi ? La coutume,
la loi établie, positive, l’ordre social factuel : le rapport de force.
L’historien Diogène Laërce souligne qu’ils « ne définissaient rien eux-mêmes ». « Nous ne définissons rien » : car
toute définition est abstraite et donc générale. Cette universalité est l’ennemi des sceptiques : le bien en général, le
beau en général, le juste en général, etc. Et par conséquent le but du discours humain n’est plus d’énoncer des
vérités mais des opinions subjectives. Après Pyrrhon, d’autres sceptiques feront parler d’eux : Arcésilas (315-241)
et Carnéade (219-128 : 10ème successeur de Platon à l’Académie).
Pas de vérité certaine : chacun pense ce qu’il veut