Économie, sociologie et histoire du monde contemporain, 2e édition © Armand Colin, 2016.
Fiche concours : Existe-t-il une théorie marxiste de l’échange
international ? (Chapitre 7-II)
Il n’existe probablement pas d’orthodoxie marxiste à propos de l’analyse de l’échange car si Marx reprend partiellement
l’analyse de Ricardo, les travaux de Lénine et de Rosa Luxemburg complètent son analyse, alors que ceux d’A. Emmanuel
sont plus hétérodoxes.
I. Le commerce international chez Marx
La théorie ricardienne a trouvé grâce auprès de Marx (1818-1883) : il admet que le commerce international trouve sa
source dans les différences des coûts comparatifs. Mais pour Marx le niveau des coûts n’est pas immuable, il reflète les
différences de niveaux de développement des pays et plus précisément les écarts dans leurs niveaux d’industrialisation.
Marx n’accepte pas l’apologie du libre-échange de l’économiste classique. Il considère que le libre-échange accroît les
inégalités entre les nations et qu’il est un instrument d’asservissement :
« C’est ainsi que l’Inde a été contrainte de produire du coton, de la laine, de l’indigo, etc. pour la Grande-Bretagne […]. Une
nouvelle spécialisation, imposée par les sièges principaux de la grande industrie, convertit de cette façon une partie du
globe en champ de production agricole pour l’autre partie qui devient, par excellence, le champ de production
industrielle » (
Le Capit
al, livre 1, tome II).
Le libre-échange et le protectionnisme selon Marx
« Dans l’état actuel de la société, qu’est-ce donc que le libre-échange ? C’est la liberté du capital. C’est la liberté qu’a le
capital d’écraser le travailleur. Tous les phénomènes destructeurs que la libre concurrence fait naître dans l’intérieur
d’un pays se reproduisent dans des proportions plus gigantesques sur le marché de l’univers […]. Si les libre-échangistes
ne peuvent pas comprendre comment un pays peut s’enrichir aux dépens de l’autre, nous ne devons pas en être étonnés,
puisque ces mêmes messieurs ne veulent pas non plus comprendre comment, dans l’intérieur d’un pays, une classe peut
s’enrichir aux dépens d’une autre classe. Ne croyez pas, Messieurs, qu’en faisant la critique de la liberté commerciale
nous ayons l’intention de défendre le système protectionniste. D’ailleurs, le système protectionniste n’est qu’un moyen
d’établir chez un peuple la grande industrie, c’est-à-dire de le faire dépendre du marché de l’univers et [donc] déjà plus
ou moins du libre-échange […]. Mais en général, de nos jours, le système protecteur est conservateur, tandis que le
système du libre-échange est destructeur. Il dissout les anciennes nationalités et pousse à l’extrême l’antagonisme entre
la bourgeoisie et le prolétariat. En un mot, le système de la liberté commerciale hâte la révolution sociale. C’est seulement
dans ce sens révolutionnaire que je vote en faveur du libre-échange. »
Extraits du Discours sur la question du libre-échange, 1848.
II. Une conception marxiste-léniniste
La thèse de Lénine (1870-1924), telle qu’elle est formulée dans son petit livre
L’impérialisme, stade suprême du
capitalisme
, rédigé en 1916, peut être résumé en une proposition : l’impérialisme serait la réponse à la principale entrave
au développement du capitalisme, constituée par la baisse tendancielle du taux de profit. Pour faire face à cette loi, les
entreprises capitalistes se délocalisent et vont chercher dans les colonies de la main-d’œuvre bon marché qui leur
permet de maintenir leur taux de profit. Le recours au marché extérieur par le commerce international et surtout par
l’exportation du capital hors de sa sphère d’influence devient, pour le capitalisme, une nécessité vitale. L’importation de
biens salariaux à une moindre valeur que s’il fallait les produire sur place permet de réduire la valeur de la force de
travail (baisse de la valeur des biens de subsistance nécessaires à l’entretien de la force de travail). De même,
l’acquisition à l’extérieur de biens capitaux (matières premières, énergie…) à bon marché réduit la composition
organique du capital grâce à la baisse de la valeur du capital constant.
Pour Rosa Luxemburg (1871-1919), le cœur du problème se situe dans la recherche de débouchés. En effet, pour chaque
entrepreneur particulier, les salaires représentent un coût limitant les profits. Il importe donc d’en limiter
l’augmentation. Au niveau macroéconomique, l’insuffisante progression de la consommation ouvrière limite les
débouchés du secteur des biens de consommation, ce qui dissuade les investissements et engendre, tôt ou tard, la crise.
Le capitalisme ne pouvant se développer durablement est condamné à conquérir hors de son territoire originel les
débouchés qui lui sont nécessaires, soit parmi les couches sociales du pays non encore intégrées à la sphère des rapports
capitalistes (exemple : paysannerie, artisanat…), soit à l’extérieur, dans les pays non capitalistes (colonies, PED).
III. Une analyse plus hétérodoxe
Plus récemment (
L’Échange inégal
, Maspero, 1969), l’analyse marxiste s’est étoffée d’une conception hétérodoxe.
A. Emmanuel (1911-2001) précise l’argumentation de Marx en transposant sur le plan international le principe de
formation des prix que ce dernier avait décrit à l’intérieur d’une économie. Mais la thèse qu’il développe est aussi un
« Essai sur les antagonismes dans les rapports économiques internationaux », comme l’indique le sous-titre de son
ouvrage.
Pour Emmanuel, les capitalistes vont effectivement chercher à l’extérieur les conditions d’accroissement de leur profit.
Grâce à l’ouverture économique, la mobilité internationale du capital existe et les activités les plus capitalistiques sont
concentrées dans les pays développés. Dès lors, ceux-ci bénéficient, grâce au mécanisme des prix, d’un transfert de
surplus en provenance des activités moins capitalistiques localisées dans les pays moins développés.
Ainsi, la première source possible d’inégalité de l’échange international résiderait dans les différences, d’un pays à