IRTESS Institut Régional Supérieur du Travail

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I.R.T.E.S.S.
Institut Régional Supérieur du Travail Educatif et Social
2, rue du Professeur Marion
21000 DIJON
Mémoire en vue de l'obtention du
Diplôme Supérieur en Travail Social
D. S. T. S.
Présenté par Marie-Noëlle BAUDRY
Directrice de mémoire
Marie-Noëlle DUCHAMP
NOVEMBRE 2006
La forêt brûlait
Les animaux fuyaient de toute part, paniqués,
Sauf un petit colibri qui allait et venait, portant
Une goutte d'eau dans son bec. La jetant sur les flammes,
Les autres bêtes lui crient :
"Mais que fais-tu colibri ? Tu es fou,
Tu n'arriveras jamais à éteindre l'incendie tout seul !"
Le colibri répond, sans cesser son manège :
"Oui, mais je fais ma part !"
( conte présenté par Pierre RAHBI lors de ses conférences)
Mes remerciements sincères
Aux enseignants qui se sont prêtés avec bienveillance à ces entretiens
A Marie-Noëlle Duchamp, directrice de ce mémoire
Aux amis et aux membres de ma famille qui ont su m'encourager dans les moments
de doute et qui ont participé par leurs apports techniques et leurs critiques
constructives à l'élaboration de ce travail
En dédiant tout particulièrement ce mémoire à ces enfants "graines de possible"…
Sommaire
INTRODUCTION
p
1
CHAPITRE 1 : à la recherche d'éléments conceptuels permettant d'analyser
notre propos.
p
5
p
6
1-1-1 – L'enfant à côté de l'élève dans le champ de la sociologie
p
6
1-1-2 – L'échec scolaire au regard de l'Education Nationale
p 10
1-1 – Posture professionnelle de l'enseignant
1-2 – Posture professionnelle du travailleur social
p 18
1-2-1 – La relation à l'autre comme programme institutionnel
p 18
1-2-2 – Comment le travail social s'est emparé du scolaire
p 20
1-2-3 – L'entraide scolaire : une collaboration inter-institutionnelle pour une
coopération socio-éducative
1-3 – Qu'entend-on par partenariat et par réseau ?
p 23
p 28
1-3-1 – Essai de définition
p 28
1-3-2 – Le partenariat institutionnel ou le partenariat "descendant"
p 29
1-3-3 – Le partenariat des acteurs ou le partenariat "ascendant"
p 31
1-3-4 – Le réseau et le travail en réseau
p 32
1-4 – Approche conceptuelle sous l'angle de la clinique sociale
p 34
1-4-1 – Le travail social sous mission et sous transfert
p 34
1-4-2 – L'abord clinique du travail – la praxis
p 42
CONCLUSION DU CHAPITRE 1
p 50
CHAPITRE
2 : cadre de la recherche et méthodologie de l'outil
d'investigation.
p 53
2-1 – Méthodologie de l'enquête
p 54
2-1-1 – Le choix de l'enquête qualitative
p 54
2-1-2 – La population cible de l'enquête
p 55
2-1-3 – Les entretiens
p 57
2-1-4 – Cadre conceptuel de l'analyse de contenu
p 61
2-2 – Analyse de contenu
p 64
2-2-1 – Recueil de données et analyse catégorielle
p 64
2-2-2 – Analyse des résultats
p 85
2-2-3 – Quel préalable au partenariat
p 89
CONCLUSION DU CHAPITRE 2 : Retour sur l'hypothèse
p 90
CHAPITRE 3 : Application professionnelle des résultats de l'enquête
p 92
3-1 – Les apports recueillis par ce travail d'investigation
p 93
3-1-1 – La rencontre avec les enseignants
p 93
3-1-2 – La rencontre avec les personnes ressources
p 94
3-2 – Applications professionnelles : établir un réseau de professionnels soucieux de
réfléchir dans la transversalité
3-2-1 – Modalités à envisager
p 98
p 98
CONCLUSION DU CHAPITRE 3
p 102
CONCLUSION GÉNÉRALE
p 104
Introduction
Nous avons titré ce travail de recherche : "contribution à une lecture clinique du
partenariat", en nous interrogeant : à quel sujet se rencontre-t-on ? Au nom de quoi /ou
de qui souhaitons nous nous rencontrer ? Pour quels enjeux ?
Notre propos s'appuie sur l'expérience empirique, celle de notre pratique
d'éducatrice spécialisée. Depuis de nombreuses années, nous travaillons dans le cadre
d’un service de prévention familiale avec des enfants pour lesquels l’école, première
instance normative, est également bien souvent le premier révélateur officiel de
nombreuses difficultés. Nous sommes témoin de ces enfants qui traversent leur scolarité
sans rien apprendre, témoin de l’écueil qui les attend dès l’anniversaire de leurs 16 ans,
échéance tant attendue pour quitter l’école, témoin du parcours de combattant que
l’éducateur mène avec ces enfants pour avancer avec eux à la rencontre d’autres possibles,
dans ce refus de voir encore plus malmené le potentiel qui est en eux, témoin du désarroi
de certains enseignants face aux difficultés de ces enfants, difficultés qu’ils se prennent
souvent de plein fouet, désarroi également face aux impasses dans lesquelles l’Education
Nationale orientera ces jeunes.
Le partenariat est de plus en plus évoqué dans les textes de lois émanant du
Ministère de l'Education Nationale et du Ministère de la Cohésion Sociale. Toutefois, un
clivage
important
existe
entre
enseignants
et
travailleurs
sociaux,
vecteur
d'incompréhensions et de décisions parfois incohérentes en référence à un même enfant,
faute d'instance de communication appropriée. "L'aller vers" l'autre professionnel est
souvent unilatéral, de l'éducateur à l'enseignant, les travailleurs sociaux restant mal
connus ou méconnus des enseignants.
1
Face à l’échec scolaire
1
rencontré par les enseignants, face à la difficulté
d’intégration scolaire à laquelle les travailleurs sociaux ont à faire auprès d’enfants de
population paupérisée, quelles sont les postures 2 professionnelles adoptées par ces deux
catégories d’agents ?
Quelles influences ont-elles sur l’articulation de travail entre
enseignement et travail social ? Quelle articulation trouver entre ces professionnels qui
ont à faire au même "Etre humain dans l’âge de l’enfance, de la petite enfance à l’adolescence" :
l’enfant 3, les uns travaillant avec l’élève supposé apprenant, les autres avec l’enfant ayant
du mal à faire avec cette commande d’avoir à apprendre, à prendre ailleurs pour,
normalement,
acquérir
les
bases
nécessaires
pour
un
"devenir
grand"
de
citoyen ?. L’articulation de travail entre enseignement et travail social, l’articulation entre
professionnels participent--elles du même paradigme, le partenariat ?
Dans le premier chapitre de cette étude, nous irons à la recherche d'éléments
conceptuels pouvant éclairer notre propos. Nous définirons tout d'abord, dans le champ
de la sociologie, les postures professionnelles adoptées par les enseignants face à l’échec
scolaire et celles adoptées par les travailleurs sociaux face à la difficulté d’intégration
scolaire. Nous nous arrêterons sur les concepts d’enfant et d’élève, dont la mise ou non
en dualité peut refléter la posture professionnelle adoptée par le corps enseignant.
L’abord des référentiels dominants sur lesquels s’appui l’Education Nationale pour
remédier à l’échec scolaire nous permettra de définir les jardins à la française 4 du soutien
assuré dans les établissements scolaires, et de situer à quel moment la notion de
partenariat est évoquée dans les textes. Après un détour par un essai de définition du
travail social, nous étudierons comment et pourquoi le travail social s’est emparé du
scolaire.
Nous questionnerons, à l’appui de l’analyse faite par le sociologue
1
Cf. l’expression échec scolaire désigne ici la difficulté de pouvoir ou avoir envie d’apprendre, de ces
enfants de milieu socioculturel peu contenant, et qui viennent mettre en échec les exigences de réussite
posée par l’Education Nationale.
2
Dans le sens de valeur, représentation mentale qui définissent un positionnement professionnel.
3
D’après la définition du Petit Robert, 2005
4
GLASMAN D. , l’école hors l’école, Paris ESF éditeur, 1992.
2
D. GLASMAN 5, dans l’école hors l’école, ce qui légitime les travailleurs sociaux à aller à la
rencontre des enfants, sur le terrain des enseignants. Nous aboutirons aux balbutiements
du partenariat, "sous haute surveillance" entre enseignants et éducateurs.
La description du dispositif dénommé entraide scolaire, mis en oeuvre dans le
service de prévention dans lequel nous travaillons, illustrera comment le service social
peut se servir de la question scolaire en complémentarité de l’école, et comment cela peut
ouvrir des espaces de possibles dans la coopération éducateur / enseignant.
Nous déclinerons ensuite la notion de partenariat et de réseau dans les textes.
Nous quitterons alors la lecture sociologique de ce travail sur autrui, pour
aborder, dans le champ de la psychanalyse et de la philosophie une lecture différente de
ces professions dans le souci d’autrui. Nous nous appuierons pour une grande part sur
les écrits de S. KARSZ, sociologue et philosophe, d’A.CORDIE, psychanalyste, de
F. IMBERT, psychanalyste et philosophe, ainsi que sur les cours d’épistémologie des
sciences sociales appliquées au travail social de J.RIGAUX, psychanalyste et sur les cours
de philosophie du travail social, de A.RANDRIAN, philosophe.
Nous quitterons
l’approche rationalisante et objectivante pour nous intéresser aux concepts de subjectivité,
d’intersubjectivité, de sujets sociaux désirants. Ceci nous conduira à évoquer d’autres
postures du professionnel, en terme de prise en compte et d’accompagnement. Ces
notions nous permettront d’aborder alors la rencontre avec l’autre dans une logique ne
pouvant faire l’impasse de : Au nom de quoi intervenons-nous ? De qui est-il question
dans cette rencontre ?
Quel est le sujet de notre discours ?
A quel sujet nous
rencontrons-nous ? Ceci nous conduira à évoquer ces postures professionnelles en terme
de praxis, sous tendant l’abord de la clinique de ces professions du travail dans le souci
d’autrui.
5
Ibid
3
Ces questions introduiront la problématique de notre recherche :
Alors que le partenariat est évoqué, posé, au titre d’injonction, ou comme allant
de soi, qu’en est-il de ce qui se joue entre partenaires pour qu’il soit, dans les faits, aussi
difficile à mettre en place, à mettre en actes, et pour quels actes ? Ne pourrait-on
regarder le partenariat sous l’angle d’approche de la rencontre entre sujets sociodésirants ?
Notre hypothèse de réponse étant :
Quand les partenaires sont en mesure de pouvoir quitter leurs a priori
professionnels et qu’ils se retrouvent entre sujets socio-désirants, un "pas de côté" peut
être fait pour sortir de l’illusion de toute puissance, ou de la désillusion dans laquelle
chacun peut-être pris. L’autre, sujet de la rencontre, peut alors se situer dans une place
de sujet désirant, en s’appropriant quelque chose de ce dont il est, de fait, déjà porteur.
A l'issue de ce développement théorique, nous proposons d'aller vérifier auprès
des enseignants, sur leur terrain, comment leur discours peut valider notre hypothèse. Le
deuxième chapitre, intitulé cadre de la recherche et méthodologie de l'outil
d'investigation rendra compte du dispositif d'investigation, du passage des entretiens et de
l'analyse du matériel recueilli.
Les apports de ce travail de recherche nous permettront de conclure dans un
troisième chapitre par quelques suggestions d'applications professionnelles.
4
PREMIER CHAPITRE
1 - A la recherche d'éléments conceptuels
permettant d'analyser notre propos
5
Pour étudier les postures professionnelles de l’enseignant et de l’éducateur, nous
ferons tout d’abord un détour par l’histoire de l’école, puis par celle du travail social,
inscrites toutes deux dans l’Histoire de notre société. Nous montrerons en quoi les
valeurs idéologiques dominantes influent sur les postures professionnelles des agents de
ces dispositifs d’Etat que sont l’enseignement public et le travail social et comme elles
déterminent les représentations de "ce qui échappe" aux normes attendues, en
l’occurrence ici, dans le cadre de cette recherche, l’échec scolaire. Ce premier travail
d’investigation à travers le temps nous permettra de situer en quoi les postures adoptées
influent sur la capacité ou non d’aller vers l’autre, professionnel ou personne aidée.
1-1 POSTURE PROFESSIONNELLE DE L’ENSEIGNANT
1-1-1 - L’enfant à côté de l’élève dans le champ de la sociologie
Notre réflexion s’articulant autour de notions polysémiques, dans ce que P.
BOURDIEU appelait le "sens commun" 6, il nous paraît important de commencer cette
partie par quelques précisions sur le répertoire conceptuel, ici utilisé par F.DUBET.
F.DUBET, dans Le déclin de l’institution 7, élabore un travail de réflexion sur les
mutations des valeurs du travail sur autrui et l’influence des mutations de ce système de
valeurs sur la vocation du professionnel et sur son action sur autrui. Il définit ainsi le
programme institutionnel : "processus social où des valeurs orientent une activité professionnelle,
vécue comme une vocation, ayant pour but de permettre la socialisation de l’individu et à l’individu
de se construire comme sujet". 8
Le terme vocation est défini comme "l’accomplissement de soi dans son activité
professionnelle". Ces activités professionnelles sont celles déterminées comme travail sur
autrui, consistant à éduquer, former, soigner.
6
Bourdieu P. , Le sens commun, Paris, Minuit, 1982
Dubet F. , Le déclin de l’institution, Paris, édition du seuil, 2002
8
Ibid
7
6
Nous retiendrons de cette étude l’analyse qu’il fait des professions d’instituteur et
de travailleur social. Nous nous arrêterons plus particulièrement sur la représentation de
cet autrui sur lequel ces professionnels travaillent et sur les effets de cette représentation
sur la relation pédagogique et éducative qui s’engage avec l’enfant.
1-1-1-1 – L’élève à l’école de la République
Les lois dites "Jules FERRY", ( 16 Juin 1881 ), instaurent les principes essentiels de
notre législation scolaire actuelle : la gratuité, la laïcité de l’enseignement public,
l’obligation d’instruction pour les enfants des deux sexes âgés de 6 à 13 ans. Institution
de la République, destinée aux enfants du peuple, l'école laïque et obligatoire devait
forger le corps de la nation. Son projet culturel et politique visait à déposséder l’Église de
son emprise sur les esprits. Elle devait instituer les sujets d’une France démocratique,
moderne et universelle.
L’instituteur avait alors la vocation d’instituer la nation par les individus. Il était
tenu d’incarner une vocation qui lui conférait une légitimité et une aura indiscutables.
Sa formation reposait sur des méthodes solides et homogènes, la stabilité des programmes
scolaires, qui perdurèrent jusqu’aux années 1960, en atteste.
Le code Soleil
9
fixa
jusqu’au début des années 1980 la déontologie et la morale sociale de ce corps
enseignant. La vocation du maître s’accomplissait par un travail réglé, discipliné : rôle
plein, pouvant se suffire à lui-même. La discipline tenait lieu de pédagogie, c’est elle qui
socialisait et éduquait. Dans ce modèle, la vocation de l’instituteur se manifestait plus par
l’engagement dans un rôle social que par l’engagement psychologique dans les relations
avec les élèves.
L’école républicaine se centrait sur l’élève : l’enfant, adulte en miniature, devenait
un autre, être de nature qu’il faut élever à la culture. Pour faire de l’enfant un adulte, il
fallait d’abord le nier en tant que sujet autonome dans l’espace de la classe. Dans ce cas
9
Le Code Soleil est un mémento administratif destiné aux instituteurs et édité par le syndicat national des
instituteurs. Il précise les décrets, circulaires, instructions éditées par le bulletin officiel de l’Education
Nationale. Désormais le Kifaitou édité par le SNUIDP
7
de figure, c’est l’élève, objet de raison et d’instruction, qui s’impose à l’enfant et le
transforme progressivement en adulte. Paradoxalement, l’enfant a disparu de l’école au
profit de l’élève afin d’être protégé des passions et de la violence des adultes : en
promouvant l’élève, la discipline républicaine préservait l’enfant et participait au déclin
des châtiments corporels impliquant des familiarités qui n’étaient plus acceptées par une
pédagogie rationnelle. La punition devenait éducative, scolaire : devoirs supplémentaires,
retenue, neutralité affective.
1-1-1-2 - L’entrée de l’enfance à l’école
"La
cause la plus longue, la plus profonde et la plus essentielle des mutations du
programme institutionnel de l’école de la République est l’entrée de l’enfance" 10. Avec A. BINET,
et l’invention de la psychologie scolaire, l’enfant n’apparaît que derrière l’élève difficile et
agité, considéré comme "anormal", et c’est lui, le premier, qui sera traité comme un enfant
grâce à une pédagogie adaptée, plus personnalisée, plus souple.
Mais c’est avec C.
FREINET, et les pédagogues s’en inspirant, que, progressivement, ces cinquante dernières
années, la pédagogie reposant sur l’autoritarisme fait place à une pédagogie promouvant
la formation de la personnalité et employant des méthodes dites actives, participatives.
L’enfant arrive à l’école à côté de l’élève. Les instituteurs abandonnent progressivement
leur rôle social et s’inspirent de la psychologie, de la pédagogie, de la didactique pour
tenter de faire avec cette double nature du "gamin".
L’entrée de l’enfance dans l’école brouille la distance entre les enfants et les
maîtres, alors que la relation pédagogique devient plus subjective puisqu’elle s’adresse à
des enfants autant qu’à des élèves. La relation entre l’épanouissement de l’enfant et ses
résultats scolaires devient une évidence : les termes de blocage affectif, de souffrance font
désormais partie des codes professionnels, au risque quelquefois de dédouaner les
instituteurs de leurs responsabilités. Les cancres bienheureux ont disparu pour être
remplacés par des élèves qui souffrent, c’est à dire par des enfants malheureux. Quand
10
. Dubet F. , Le déclin de l’institution, Paris, édition du seuil, 2002
8
l’élève est d’abord un élève, ses déficiences et ses difficultés sont perçues comme la
conséquence d’un défaut d’intelligence que le test peut mesurer de façon objective, ou
nous aurons à faire à un élève dit négligent, paresseux, non motivé. Quand l’élève est
d’abord un enfant, ses difficultés scolaires seront perçues comme symptôme d’une
difficulté psychologique et d’une souffrance dont les causes se tiennent dans l’histoire
familiale, ou plus rarement, dans les difficultés relationnelles du maître et de l’élève. Les
enseignants qui préfèreront la logique didactique soutiendront que "c’est parce que l’élève
ne réussit pas qu’il entre en souffrance", ceux qui préfèreront la logique psychologique
diront: "l’enfant qui souffre devient un élève en échec".
1-1-1-3 – L'entrée des parents à l'école
Avec l'entrée des enfants à l'école, c'est aussi celle des parents. L'emprise de l'école
est devenue telle sur les destins et les carrières professionnelles, l'échec ayant des
conséquences catastrophiques pour l'individu, que l'enfant est devenu un objet
d'investissement pédagogique croissant pour les familles.
Pour elles, l'enfant doit
s'épanouir, mais il doit aussi réussir son "métier" d'élève. Leurs exigences d'efficacité vis à
vis des enseignants vont croissantes également. Tout se passe comme si les parents
d'élèves devenaient des usagers de l'institution scolaire, au même titre que de n'importe
quelle autre institution – ceux-ci allant jusqu'à s'arroger le droit de choisir l'enseignant qui
instruira le mieux leur enfant.
La présence des parents ne va pas de soi pour les enseignants, d'autant plus que la
double nature du "gamin", élève et enfant, a du mal à se stabiliser : effectivement, soit les
parents investissent trop et mal sur l'élève, et l'enfant étouffe sous l'élève et sous la
demande de performance, soit ils investissent trop et mal sur l'enfant, auquel cas les
parents ne sont pas capables de donner un statut d'élève à l'enfant.
9
1-1-2 - L’échec scolaire au regard de l’Education Nationale
Nous nous appuierons dans cette deuxième partie sur l’ouvrage de J.DUVAL
HERAUDET, Une difficulté si ordinaire, les écouter pour qu’ils apprennent. 11
Par son existence même, l’école gratuite, laïque et obligatoire, en postulant l’idée
de réussite, a signé les débuts de l’histoire de l’échec scolaire : le présupposé des lois de
J. FERRY est fondé sur un principe humaniste optimiste qui affirme que tous les enfants
sont égaux devant l’appropriation du savoir, à partir du moment où ils y ont accès. Ce
que l’on nommera l’égalité des chances y trouvera ses origines. Une conviction d’une
identité - égalité des enfants devant le savoir et une conception linéaire et continue du
développement préparent la position d’une pédagogie qui prétendra vouloir faire
parcourir à tous les enfants le même cursus, au même rythme et avec les mêmes
méthodes. Une école instituée pour tous les enfants, sans différence, se met en place,
école qui se veut unique, toute, comblante, devant apporter l’instruction à tous les
enfants, considérés comme semblables. 12
Dans cette école nouvellement instituée, certains élèves n’arriveront pas à suivre le
même cursus que les autres élèves. Ces enfants en difficulté constitueront les éléments
déclencheurs d’une crise du système lui-même, marquant l’écart entre l’idéologie et sa
mise en œuvre, mettant du même coup en échec l’idéologie fondatrice et signant la fin de
l’illusion, confirmant la réalité de la mise en place d’un système élitiste. L’école sécrétera
désormais marginalisation et exclusion. Un mouvement de balancier entre extérieur de
l’école et intérieur, tout particulièrement entre médecine et pédagogie, par le truchement
du traitement des difficultés de l’enfant, va se mettre en branle. Un long processus de tri,
de catégorisation et d’exclusion du cursus scolaire "normal" sera enclenché pour certains
élèves qui ne vérifient pas l’équation enfant = élève.
11
DUVAL HERAUDET J. , Une difficulté si ordinaire, les écouter pour qu’ils apprennent, Paris, éditions et
applications psychologiques, 2000.
12
" Il y eut un temps où l'école primaire donnait à tous le savoir nécessaire pour toute une vie sociale et professionnelle :
des bases de lecture, le minimum nécessaire pour lire le journal ou un texte administratif, des acquis en calcul et
quelques notions générales dans les autres disciplines …" discours du ministre de l'Education Nationale du 15
février 1990, B.O. n° 9 du 1er Mars 1990, p. 601
10
1-1-2-1 - Exclure pour intégrer ? Médicalisation de l’échec scolaire
La médecine "aliéniste" de la fin du XIXème siècle sera appelée au chevet de la
pédagogie : si "l’idiot" est accueilli dans l’hospice, l’école peut-elle instruire les autres
enfants et comment ? La psychologie scientifique va prendre son essor : l’accent est mis
sur le développement de l’enfant, dans une conception toujours linéaire et continue du
développement. L’école demande à la psychologie de mesurer l’intelligence de certains
élèves : A. BINET, psychologue, vise une étude scientifique de l’enfant et de son
éducation.
La loi du 15 avril 1909 crée des classes et des écoles spéciales de perfectionnement
pour les enfants "arriérés d’école".
L’emprunt d’un terme au champ asilaire, en le
transposant dans le champ scolaire, connote médicalement, d’emblée, l’échec scolaire de
ces enfants. Les classes de perfectionnement signent les fondations de l’enseignement
spécialisé et la mise en place d’une première structure ségrégative au sein de l’école. Les
classes de perfectionnement se multiplieront à partir de 1945.
Après la seconde guerre mondiale, le rythme de la société s’accélère sur tous les
plans : démographique, scientifique, technique, législatif…
La transformation
technologique s’accompagne d’une modification notable des attentes vis à vis de l’école,
et rend encore plus cruciale la nécessité de nouvelles réponses à la difficulté scolaire de
l’enfant.
La prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à seize ans devient effective à
partir de 1967 13, augmentant l’effectif d’enfants scolarisés, et soulignant de ce fait l’échec
scolaire de certains élèves. Le constat apparaît rapidement que l'orientation en classe de
perfectionnement d’un certain nombre d’élèves ne résout pas tous les problèmes de
l’échec scolaire, puisque les enfants qui n’en relèvent pas, leur QI étant normal, sont
pourtant en échec. On va alors chercher d’autres causes, dans une quête de diagnostics
afin d’envisager des réponses de plus en plus spécialisées : c’est ainsi que dans les années
1970, on pense tenir la cause de la difficulté de l’enfant : celui-ci va se retrouver suspecté
13
Ordonnance et décret du 6 janvier 1959 et du 14 juin 1962.
11
a priori d’une maladie en forme de dys - du préfixe grec dus, préfixe péjoratif et construit
sur le modèle de troubles médicaux – C’est l’ère des dys-lexiques, dys-orthographiques,
dys-calculiques…
Cela s’accompagne, chez les enseignants, de deux effets opposés :

une déresponsabilisation, "puisque le trouble est pathologique, puisque c’est une
maladie, on n’y peut rien, ce n’est pas de notre ressort, c’est du domaine des
spécialistes". L’orthophoniste, qui voit augmenter considérablement sa clientèle,
se retrouve avec la mission d’apprendre à lire à ces enfants

d’éventuels sentiments d’infériorité et de culpabilité liés à une non maîtrise de
leur métier, au renvoi à leur incapacité à apprendre à lire à certains enfants, à ne
pas avoir rempli leur contrat ou mission, alors que des spécialistes sont censés
détenir le Savoir…
1-1-2-2 - Accueillir autrement la difficulté scolaire : naissance de la
psychopédagogie
La pédagogie sera peu à peu interpellée par l’importance des relations humaines
dans le développement de l’enfant.
S.FREUD fait de la petite enfance la clef du destin de la personne en affirmant le
rôle central du complexe d’Œdipe. L’enfant idéalisé et utopique du philosophe J.J.
ROUSSEAU manifeste une "prédisposition perverse polymorphe", en prise avec des conflits
internes. Le travail psychique de l’enfant consiste à domestiquer, canaliser, transformer
les différentes pulsions inhérentes à l’état humain, cela, dès la naissance, et tout au long
de son développement.
L’éducation lui fournit le cadre et l’occasion de ces
transformations. Certaines de ses pulsions, sublimées, fourniront l’énergie nécessaire à
son intérêt pour les activités culturelles et sociales.
Les apports de la psychanalyse
remettent en question la limite entre la normalité et la pathologie.
Une des
conséquences, capitale, est le questionnement que suscite la difficulté de l’enfant : est-ce
12
un symptôme ? Qu’est-ce que la pathologie ? Si la difficulté de l’élève peut-être une
inhibition ou un symptôme, toute la conception de l’aide à lui apporter devrait
radicalement s’en trouver transformée.
En 1945, après la Libération, naît le projet de faire bénéficier l’éducation, parents
et professeurs, des apports de la psychanalyse, en se centrant sur le problème posé par les
enfants en difficultés scolaires. En 1946 est ouvert le Centre Psychopédagogique, au lycée
Claude Bernard, à Paris. Ses fondateurs : G. MAUCO, J. BOUTONNIER, suivis bientôt
par F. DOLTO, M.MANNONI, S. LEBOVICI, R.DIATKINE, D. ANZIEU, entre autres,
mettent l’accent sur l’importance du travail psychique inconscient chez l’enfant et ses
éducateurs.
Cette psychopédagogie intègre les conceptions psychanalytiques, l’échec scolaire
pouvant être vu comme un symptôme, signe d’un conflit qui ne peut se dire autrement.
Les psychopédagogues du centre Claude Bernard veulent se situer résolument hors d’une
médicalisation abusive de la difficulté de l’enfant : l’enfant en échec scolaire n’est pas un
malade, et les réponses de la pédagogie ne sont pas adaptées pour l’aider.
1-1-2-3 - Labellisation médicale de la psychopédagogie
Une tension va s’instaurer au niveau institutionnel entre le ministère de la Santé
et le ministère de l’Education Nationale, sous la forme d’un enjeu de pouvoir, dont la
psychopédagogie nouvellement élaborée fera les frais : en 1949, la Sauvegarde de
l’enfance crée l’institut Claparède à Paris. Ce centre a une orientation médicale et
rééducative, dans le sens de réparation. De son côté, l’Education Nationale ouvre des
consultations pédagogiques et retire tous les enseignants détachés au Centre Claude
Bernard. En 1956, les organismes de Sécurité Sociale reconnaissent les consultations
psychopédagogiques ( décret du 9 mars 1956 ). En 1963 paraît au Journal Officiel
"annexe XXXII" le texte qui régit encore aujourd’hui les Centres Médico-psychopédagogiques, ou CMPP, et place ces consultations sous la seule direction médicale. En
1964, une circulaire réintroduit la direction pédagogique, sous prééminence médicale.
13
Cette lutte de territoires aboutit à la substitution, en 1973, des centres
psychopédagogiques par les consultations médico-pédagogiques, avec obligation de
direction médicale psychiatrique. Toute prise en charge, fut-elle de remédiation
pédagogique comme le pratiquent certains centres, doit désormais se faire sur
ordonnance médicale, l’enfant étant déclaré "malade mental" selon une nosographie
psychiatrique devenant de plus en plus stricte au fur et à mesure des exigences de la
Sécurité Sociale.
1-1-2-4 -- Appropriation par l’Education Nationale des instances de
remédiation
Psychologues, médecins et pédagogues rêvent de construire une pédagogie
rationnelle, scientifique. La psychologie, pensent les pédagogues, permettrait de posséder
enfin les éléments de base scientifiques pour dépasser l’empirisme et la subjectivité qui
ont toujours été le lot de l’action éducative et pédagogique et pour faire accéder la
pédagogie au statut d’une Science de l’Education. Cette science permettrait de disposer
de certitudes rassurantes, alors que l’intuition pédagogique habituelle porte la marque de
l’angoisse, du vide, du manque, de l’erreur, du sentiment de ne pas tout maîtriser, de ne
pas tout comprendre. La psychologie béhavioriste ou comportementaliste refuse toute
approche qui mettrait en jeu l’introspection, les processus inconscients, le désir
insaisissable. A. SKINNER réclame un "supplément de technique" et réfute le besoin pour la
pédagogie d’un "supplément d’âme" 14. Cette pédagogie prétend ne prendre en compte que
des comportements observables, contrôlables et planifiables, du type stimulus-réponse.
Conditionnement et renforcement positif en sont les deux méthodes de base.
A la psychopédagogie construite en 1945 dans une visée première de lutter contre
une médicalisation abusive des difficultés scolaires, succède, au cours des années 1960 1970, une nouvelle psychopédagogie, appelée en étayage de l’action pédagogique et
éducative "ordinaire". Cette nouvelle psychopédagogie va être considérée comme La
14
. SKINNER A. , Revue l’Education, n° 155, 1972.
14
Science de l’Education, et être adoptée en toute légitimité. Elle s’appuiera, de manière
dominante, sur les méthodes de la psychologie expérimentale et sur les tests.
La circulaire du 09 février 1970 met en place des classes d’adaptation et des groupes
d’aide psychopédagogique ( GAPP ) au sein de l’Education Nationale : l’Institution
scolaire crée donc pour la première fois en son sein un corps d’enseignants "qui
n’enseignent pas" : l’action de ces structures doit s’exercer prioritairement en direction de
ces élèves en échec qu’il est nécessaire de différencier des enfants "arriérés", désignés à
présent par le qualificatif de "déficients intellectuels". L’échec scolaire de l’élève est expliqué
majoritairement par un manque de capacités intellectuelles, et par un dysfonctionnement
dans le développement ou l’acquisition des apprentissages. Les termes de "maturation", de
"retard", encore très présents dans le texte de 1970, laissent penser que l’école ne s’est pas
encore dégagée d’une conception linéaire et continue du développement de l’enfant.
L’équipe du GAPP se voit confier la mission d’observation des troubles manifestes au
titre de la prévention : selon la nature des troubles de l’enfant, c’est à dire selon son
symptôme dominant, une aide à dominante corporelle ou une aide à dominante
cognitive et langagière lui sera proposée.
Dans la réalité, la nécessité de prendre en compte le symptôme de l’enfant
s’imposait souvent aux rééducateurs, au regard de ce qu’ils pressentaient du sens de la
difficulté de cet enfant. Nombreux sont ceux qui revisiteront les troubles instrumentaux
comme témoignant d’un des effets d’une atteinte de la dimension relationnelle,
constituée des composantes sociale et affective du psychisme.
Des troubles du
narcissisme, de l’agressivité sont invoqués. Les psychologues insistent sur la nécessité
d’interroger l’histoire du sujet dans la construction de ses relations au monde.
1-1-2-5 - Premières références au partenariat
Certains enfants en grand échec scolaire ne relèvent pas d’un handicap. Afin de
prévenir les causes socio-culturelles de l’échec scolaire, des Zones d’Education Prioritaire
(ZEP) sont instituées en 1981. Leur objectif est d’organiser les conditions de réussite de
15
l’instruction des enfants des populations les plus défavorisées de ce point de vue. C’est
dans le cadre des ZEP qu’apparaît pour la première fois la notion de partenariat,
institutionnellement défini au niveau national entre l'Education Nationale et la Santé
Publique, au niveau départemental, entre l'Education Nationale, le service départemental
de Protection Maternelle Infantile ( PMI ), la Protection Judiciaire de la Jeunesse ( PJJ ),
au niveau local, entre l'Education Nationale et la municipalité, l'école et le service de
pédo-psychiatrie, le collège et la Maison des Jeunes et de la Culture ( MJC ), la
bibliothèque municipale…
La loi d’Orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989
15
tente de renverser la
logique en cours depuis la naissance de l’école publique. Mettre " l’élève au centre du
système éducatif"
16
, telle est la volonté affirmée dont la formulation alimentera de
nombreux débats. Les textes soulignent que la première aide à apporter aux élèves est
celle du maître de la classe. Dans la mesure du possible, celui-ci doit gérer la difficulté
"ordinaire" des élèves. Le contrat école-famille repose sur cette fonction prioritaire de
l’école. Cette affirmation forte implique que tout enfant doit pouvoir s’y instruire et doit
pouvoir réussir. lorsque ce n’est pas le cas, l’institution scolaire doit s’interroger sur les
causes de l’échec ou de la difficulté de cet enfant, et mettre en œuvre ce qui apparaît le
plus approprié pour l’aider, dans une optique de partenariat.
La circulaire du 9 avril 1990
17
relative à la mise en place et à l'organisation des
réseaux d’aides spécialisés aux enfants en difficulté remplace le GAPP par le RASED.
Parmi les actions d’aide à l’enfant en difficulté à l’école, ce dernier offre désormais, en
principe, deux types d’aide : l’aide spécialisée à dominante pédagogique, l’aide spécialisée
à dominante rééducative, auxquelles se conjugue l’intervention du psychologue scolaire.
Cette circulaire souligne l’importance revêtue par le lieu d’intervention de ces aides :
l’école. Ce lieu les différencie de celles prodiguées par des structures extérieures. Il est
rappelé que les actions de prévention des difficultés de l’élève, comme les actions d’aide à
15
Loi d’orientation sur l’éducation, n°89 - 486 du 10 juillet 1989, Bulletin officiel du Ministère de
l’Education Nationale, n° spécial 4 du 31 août 1989
16
Ibid.
17
Circulaire n°90 - 082 du 9 avril 1990, B.O. n° 16 du 19 avril 1990
16
l’élève en difficulté, concernent, en premier lieu, le maître de la classe. Lorsque l’aide
pédagogique différenciée par le maître de la classe se sera avérée inopérante, et lorsque
l’aide pédagogique du maître spécialisé ne s’avère pas appropriée, l’aide rééducative est
indiquée soit d’emblée, soit après l’avoir proposée pendant un temps à l’enfant. Les
parents se trouvent resitués dans leur rôles et fonctions de parents, puisque l’aide
rééducative est "entreprise avec l’accord des parents, et si possible leur concours"…
Face à l’énigme posée par les difficultés de l’enfant, tous les partenaires éducatifs
doivent nécessairement joindre leurs efforts pour analyser ces difficultés, tenter d’en
comprendre quelque chose, et mettre en œuvre des activités appropriées. La nécessité de
concertation et de collaboration entre les intervenants spécialisés et les enseignants des
classes, entre équipes d’aides dans l’école et partenaires extérieurs ( assistantes sociales,
médecine scolaire, PMI, structures de soin…) est affirmée dans cette circulaire.
Nous allons aborder maintenant la question du travail social 18, en premier lieu en
référence à l’étude de F. DUBET dans son analyse du travail sur autrui, pour en extraire
ce qu’il peut en être de la relation à l’autre, usager ? client ?. Nous étudierons ensuite,
par un détour par l’histoire du soutien scolaire "hors l’école", comment le travail social s’est
progressivement emparé du scolaire. La description et l’analyse du dispositif d’Entraide
Scolaire dans lequel nous sommes impliqué professionnellement viendra illustrer ce
développement et nous permettra de conclure cette première partie sur une déclinaison
des notions de partenariat, de réseau, et de coopération issue de volontés subjectives.
18
Ce champ d’investigation nous portera à parler plus particulièrement de la profession d’Educateur
Spécialisé
17
1-2 - POSTURE PROFESSIONNELLE DU TRAVAILLEUR
SOCIAL
1-2-1 - La relation à l’autre comme programme institutionnel 19
"Comme tout programme institutionnel, le travail social en appelle à des principes
surplombant la vie sociale, à des valeurs universelles, religieuses, politiques et militantes. L’histoire
des éducateurs à été influencée par les mouvements pédagogiques de gauche, et par le militantisme
ouvrier… La vocation des travailleurs sociaux est moins fondée sur des idées générales que sur une
croyance fondamentale et qui restera longtemps indiscutée : la relation à l’autre est elle-même un
programme institutionnel… Cette relation échappe à la seule relation d’aide et de service, elle
déborde le contrôle et les désordres des passions et des affections diverses, parce que le travailleur
social incarne un ensemble de normes, une loi symbolique supposée efficace" 20.
D’emblée, l’éducateur travaille avec ceux pour lesquels ce qui est proposé ne
"marche pas". Il est hors technique, et de ce fait, son "outil" de travail essentiel est fait de
ce qui s’exprimera dans la relation à l’autre, dans ce qu’il découvrira qui peut faire écueil.
Il doit entendre, derrière les demandes qui s’expriment, ou ne s’expriment pas, ce qui
peut créer mouvement chez l’autre, ce qui peut l’entraîner à désirer pour lui. Il se
confronte aussi à la réalité de vie de cette personne, à l’inscription de cette dernière dans
son univers de vie. Il a à composer avec cet univers de vie, doit créer du lien, là où il n’y
en a apparemment pas. Ce qui d’emblée le porte à aller à la rencontre d’autres possibles,
l’existant, et ce qui est à inventer. "Ce métier se définit en creux par ce qu’il n’est pas, c’est par
une série de démasquage et de démarquage que finit par se constituer l’image d’un travail sur
autrui, dont le cœur, jamais atteint, vise à se construire soit même comme un programme
institutionnel. Le référentiel latent de ce cadre, c’est le programme institutionnel lui-même tel qu’il
est tenu par une équipe et par l’ethos professionnel faisant qu’une relation à autrui n’est jamais
naturelle et spontanée " 21.
19
Au sens définit par F.DUBET, voir p.6
DUBET F. , Le déclin de l’institution, Paris, édition du Seuil, 2002
21
Ibid, p.19
20
18
A l’inverse des enseignants, les travailleurs sociaux, inscrits dans une équipe,
travaillent rarement seuls. Ils doivent, par essence, agir et "faire avec" leur équipe. Cela
ne va pas de soi, mais, contrairement aux enseignants, ce travail d’équipe fait partie de
leur culture professionnelle, et de leur formation. Si l’équipe est le signe le plus pratique
du professionnalisme, c’est parce qu’elle institutionnalise la critique, y compris la critique
d’équipe. La critique est une manière de ne pas céder au désenchantement lié à la
professionnalisation des métiers du social. Une conséquence en est la vulgarisation et
l’officialisation de l’analyse de la pratique dans un certain nombre d’établissements. Ce
qui n’est pas le cas au sein du corps enseignant.
Les travailleurs sociaux peuvent se vivre encore comme les militants d’un
programme institutionnel alors qu’ils deviennent les agents de politiques publiques. La
critique du tout contrôle social, fût-elle au plus loin de l’expérience des acteurs, a été une
des manières de sauver l’imaginaire d’un travail dans lequel chacun est une institution
"hors les murs".
Nous quittons désormais l’approche sectorielle, catégorielle des
politiques sociales de ces dernières décennies pour entrer dans l’ère des dispositifs. Le
lien symbolique au mouvement ouvrier se détend, alors que celui qui associe le travail
social aux réformateurs sociaux et à l’ingénierie sociale se renforce avec la montée des
politiques sociales et la multitude de dispositifs, tels que les plans locaux de sécurité, les
systèmes de stages et d’emplois aidés... La grande vertu des travailleurs sociaux est moins
leur engagement que leur capacité à se couler dans des dispositifs, de travailler avec
d’autres intervenants, de s’adapter, de médiatiser des relations, de passer des contrats,
d’établir des partenariats, de monter des réseaux… On attend des travailleurs sociaux les
qualités d’adaptation et d’innovation que l’on attribue aux entrepreneurs.
Ces effets affectent la nature même du projet institutionnel. Les projets de
contrat se juxtaposent à ceux de la relation privilégiée. "L’objet" du travail devient un
usager ou un client pouvant faire valoir ses droits et auquel il convient de rappeler ses
devoirs.
19
1-2-2 - Comment le travail social s’est emparé du scolaire ?
G.GLASMAN, dans l’école hors l’école 22, fait une analyse des relations qui se tissent
entre l’école et son environnement en exploitant la question du soutien scolaire. Nous
utiliserons certains éléments de son développement pour montrer comment le travail
social s’est "engouffré" dans la brèche offerte par l’échec scolaire et comment et pourquoi
l’école s’est ouverte frileusement vers l’extérieur.
1-2-2-1 - Un intérêt nouveau pour l’école
Les travailleurs sociaux sont restés longtemps à l’écart des questions scolaires. Tel
n’était pas l’objet de leur travail. Autant était présent l’objectif d’éducation des familles
pour le personnel d’Assistance Sociale, d’éducation des enfants pour les Educateurs, ou
d’éducation populaire pour les Animateurs Socioculturels, autant cette éducation était et
se voulait étrangère à l’école. "L’entreprise éducative n’a donc rien à voir avec l’école, et
l’éducateur se définit en permanence contre elle", écrit Jeannine VERDES-LEROUX.23
Dès la seconde moitié des années soixante-dix, les travailleurs sociaux en viennent
à se préoccuper directement des problèmes scolaires. Tout semble s’être passé comme si,
la crise aidant, ces derniers s’étaient trouvés contraints d’accorder une attention nouvelle
à la scolarité de leur clientèle.
Les ingrédients de la crise débordent les seuls
ébranlements économiques des années soixante-dix, à l’origine des difficultés d’insertion
professionnelle. C’est l’ensemble des instances de socialisation des jeunes de milieu
populaire qui se lézardent : l’identité professionnelle des parents est rendue floue par
l’évolution des métiers, et l’identification des jeunes au père ou au groupe professionnel
auquel il aurait vocation à s’intégrer s’en trouve largement hypothéquée. Les quartiers
populaires ont perdu de leur cohésion sociale, professionnelle, voire politique, au point
que F. Dubet évoque "la fin des banlieues rouges".24
22
GLASMAN D. , L’école hors l’école, soutien scolaire et quartiers, Paris, ESF éditeur, 1992
VERDES – LEROUX J. , Le travail social, Paris, Ed. de Minuit, 1978, p.148
24
. DUBET F. , le déclin de l’institution, Paris, édition du Seuil,2002
23
20
Dans ce contexte, la scolarité apparaît de plus en plus clairement comme un
passage obligé vers l’insertion professionnelle et sociale, parce que il y a de moins en
moins d’emplois pour les exclus de l’école, et parce que l’école reste, en dépit de la crise
qui l’affecte, une des seules institutions solide susceptible de raccrocher les enfants en
perdition à une société qui semble les rejeter.
Enfin, les travailleurs sociaux insistent sur la place des familles et sur leur rôle
dans l’efficacité scolaire des enfants. L’idée sous-jacente semble être celle-ci : l’intérêt
porté à la scolarité, à ses rythmes, au travail pour l’école, alimente la famille, lui donne
une orientation. Il nourrit les relations parents-enfants au sein de la famille et, de ce
point de vue, il contribue à la structurer et à favoriser l’ordre social.
Les indices de cet intérêt nouveau pour l’école, et de l’investissement
professionnel dans ce domaine, sont multiples. Dès le lancement des ZEP, les travailleurs
sociaux ont été invités à s’y impliquer, et ils ont répondu à l’appel. Par ailleurs, dans les
foyers recevant des enfants ou des adolescents, un éducateur est souvent chargé de la
scolarité. Des postes d’éducateurs scolaires se créent, également en milieu ouvert. En
1982, est mise en place dans la salle des professeurs des collèges et lycées dits "sensibles"
une boîte aux lettres à destination des éducateurs de prévention…
Quels sont les enjeux d’une telle polarisation sur la question scolaire pour les
travailleurs sociaux ? C’est d’abord, face à l’école qui a en partie failli, l’affirmation par
les travailleurs sociaux d’une compétence à aider un public qu’ils connaissent bien, et que
les enseignants semblent ignorer, ou auprès duquel, à tout au moins, ils échouent. Dans
un contexte où, dès la fin des années soixante, dans l’école et dans les textes pédagogiques
officiels, l’enfant se substitue à l’élève, la conduite des apprentissages peut légitimement
être perçue non plus comme un geste de spécialiste de l’enseignement, mais comme un
geste de spécialiste de l’enfance et de la famille. S'il est plus important, pour les faire
progresser, de connaître l’enfant et ses conditions de vie que de maîtriser l’orthographe
ou sa didactique, la connaissance que les travailleurs sociaux ont des milieux populaires
les qualifie sans aucun doute à leurs propres yeux pour intervenir auprès des enfants de
ces milieux en difficulté scolaire au côté des instituteurs.
21
1-2-2-2 - Légitimation d’intervention péri-scolaire, sous "haute" surveillance
de la part de l’Education Nationale
Dès les années soixante-dix, l’école inscrit au rang de ses valeurs premières
l’épanouissement de l’enfant, à la fois comme but et comme condition de l’apprentissage
scolaire. Un tel objectif laisse place à l’intervention d’autres adultes que les enseignants,
et ne peut que renforcer leur tendance à un engagement autorisé dans les affaires
scolaires.
L’intervention de nouveaux venus procède également d’un changement de regard
et d’analyse sur les causes de l’échec scolaire. Pendant longtemps a été acceptée l’idée
méritocratique selon laquelle chacun réussit en fonction de son travail et de ses
dispositions intellectuelles. Or, les travaux de sociologie de l’éducation mettent en avant
la forte corrélation entre l’origine sociale et le destin scolaire 25. Elle permet de maintenir
en dehors de l’école les causes de l’échec scolaire et de rendre commune l’idée d’une
relation entrer les résultats scolaires et les conditions socio-économiques. La lutte contre
l’échec scolaire semble imposer logiquement de chercher à combler ces handicaps
socioculturels, en mettant en place des dispositifs de compensation.
La circulaire n° 1- 82 du 10 Juin 1982 émanant conjointement du ministère de la
Solidarité Nationale et du ministère de l’Education Nationale, précise "les modalités
pratiques de mise en place de cycles d’Activités Educatives Périscolaires – AEPS".
Les textes
régissant les AEPS indiquent que les enfants relevant de cette action seront désignés par
les instituteurs, qui remettront aux responsables de l’action une liste d’enfants.
La
fonction de la liste est beaucoup plus symbolique que pratique : cette liste est le signe que
l’école reconnaît l’intervention des acteurs extérieurs et l’intérêt qu’elle constitue pour la
scolarisation.
Cette circulaire affirme la légitimité de l’intervention d’acteurs non
enseignants, l’accent étant mis sur des activités non scolaires, sans exclure toutefois la
concession à une demande sur ce point.
25
SIROTA R. , l’école primaire au quotidien, Paris, PUF, 1988, p.130
22
L’école ne prétend plus éduquer les familles, même quand elle exige d’elles des
comportements favorisant la scolarité des enfants. Elle délègue cette tâche à d’autres : "les
familles, c’est l’affaire des travailleurs sociaux". Par ailleurs, ce qui paraît déterminant
pour les travailleurs sociaux est le respect du territoire de l’école. L’heure ne semble plus,
dans le travail social, à la critique militante de l’école, mais au souci de collaborer avec
elle, même si transpirent, ça et là, quelques propos désabusés… Il y aurait là comme une
forme d’échange : que l’école ne se sente pas menacée est la condition pour qu'elle
apporte son appui à d’autres actions que les travailleurs sociaux et leurs organismes de
tutelles essaient de promouvoir.
Nous allons maintenant illustrer, à partir de notre expérience professionnelle, sur
quelle logique le service de prévention dans lequel nous travaillons s’est emparé de la
question de la "difficulté d’intégration scolaire", et comment progressivement une
ouverture s’est faite vers les enseignants, dans une recherche de coopération active.
1-2-3
-
L’Entraide
Scolaire
:
une
collaboration
inter-
institutionnelle pour une coopération socio-éducative
1-2-3-1 - Descriptif de ce dispositif
Notre travail d’éducatrice spécialisée dans un Service de Prévention Familiale
nous a conduit à nous impliquer dans un dispositif dénommé Entraide Scolaire, dont
nous partageons la responsabilité avec une collègue depuis de nombreuses années.
Le Service de Prévention rencontre des familles inscrites depuis des générations
dans de grandes difficultés de vie, tant relationnelles qu'économiques. Leur passé est fait
de nombreuses ruptures, de placements, de violences. Nous travaillons avec elles, dans
leur actualité, en essayant de poser les jalons qui pourront, peut-être pour certaines,
restaurer quelque chose de leur histoire et enrayer cette répétition de blessures pour les
générations à venir. Nous définirons le travail de notre équipe éducative comme un
23
travail d’accompagnement familial, dans le respect de la singularité de chacun dans sa
famille. N’ayant pas d’obligations à la limitation de nos interventions dans le temps, nous
pouvons engager avec certaines familles un travail à long terme, qui "laisse le temps au
temps", c’est à dire laisse advenir "ce qui doit", au moment où «"cela doit", tant pour nous
que pour la personne aidée.
Le dispositif d’Entraide Scolaire que nous avons mis en oeuvre est né de cette
interrogation : ces enfants que nous voyons grandir dans un univers familial fait de
ruptures ( c’est à dire de séparations non dites ou trop largement criées… ), de repères
non assurés, de fusions, confusions, de manque d’accompagnement langagier, comment
pourront-ils faire avec les apprentissages scolaires et la vie sociale que l’école va leur
proposer ? Nous sommes également témoins de relations difficiles entre parents et
professeurs, l’école venant réveiller d’anciennes angoisses pour certains parents, venant
aussi pointer du doigt officiellement des difficultés décelables auparavant, mais exprimée
dans le huis-clos familial.
Ainsi, avons-nous mis en place une forme d’aide qui associe un accompagnement
scolaire individualisé pour l’enfant et un accompagnement familial, à partir de cet enfant
"là".
L’accompagnement à la scolarité consiste en un soutien individualisé et
personnalisé, auprès d’un enfant, à partir de sa scolarité. Il est assuré par un étudiant, au
domicile de l’enfant, pour une année scolaire, à raison d’une heure par semaine, hors
vacances scolaires. L’enfant fait ainsi l’expérience de la permanence, de la fiabilité de
l’adulte. Il se confronte également au manque, à la frustration, l’étudiant ne venant
qu’une heure par semaine. Il est proposé à l’étudiant de travailler avec l’enfant à partir
du travail scolaire amené par ce dernier. L’étudiant recherche avec l’enfant, à partir de la
dynamique relationnelle qui s’instaure, la manière de l’aider le plus adéquatement
possible dans sa scolarité : l’aider à partir de ce que l’enfant sait déjà, l’aider à repérer, ou
à oser aborder ce qui est difficile pour lui. C’est une aide personnalisée, faite de ce qu'est
l’étudiant et de ce qu’est l’enfant.
24
L’étudiant ne se situe pas dans une démarche éducative, mais dans une démarche
pédagogique. Il est, lui-même, jeune adulte, encore dans un processus d’apprentissage, à
l’école ou à l’université. Les deux éducatrices rencontrent régulièrement chaque étudiant,
soit individuellement, à la demande, soit au cours de trois réunions, en petits groupes,
auxquelles il s’est engagé à participer durant l’année scolaire. Ces réunions permettent
aux étudiants d’exprimer ce qui se vit avec l’enfant, quelles sont les impasses, les
lassitudes, mais aussi les surprises et les emballements qu’ils éprouvent. Ce moment
permet aux étudiants de prendre du recul et d’entendre ce que les autres étudiants
expriment.
Les éducatrices reçoivent ce qui se dit, avancent quelques hypothèses,
apportent quelques éléments de l’histoire familiale si nécessité s’en fait sentir. Un long
travail d’analyse de la pratique permet de laisser la parole se "dérouler" et de laisser se faire
les associations d’idées. IL n’est pas rare d’entendre, au cours de la réunion suivante, le
cheminement qui a pu se produire, à l’insu de l’étudiant et de l’enfant .
Les deux éducatrices se placent dans une démarche éducative : leur rôle est de
mettre en œuvre tout ce qui pourra permettre à l’enfant et à l’étudiant de travailler dans
de bonnes conditions, passant par le respect de l'espace réservé à la rencontre. Des règles
sont énoncées, contractées par contrat moral avec le service, acceptées communément par
les parents, l’enfant et l’étudiant. Pour cela, nous prenons le temps de rencontrer les
parents et l’enfant, plusieurs fois si nécessaire, de rencontrer le père de famille, autant
que faire se peut, si le couple est séparé, avant d’engager une inscription pour l’année.
Dans le souci du "un parmi d’autres", 26 nous précisons à l’enfant et à ses parents en
quoi ce dispositif mis en œuvre s’inscrit dans le travail orchestré par ailleurs par le Service
de Prévention - en tant que dispositif singulier parmi d’autres dispositifs singuliers, tous
déclinés dans un même souci de prise en compte de la dynamique intra-familiale – dans
un travail de "nouage". De même, nous expliquons, et cela est spécifié dans les contrats,
pourquoi nous souhaitons être en lien avec l’école. Nous rappelons notre possibilité
d’accompagnement vers ce qui est institué socialement, en tant que "passeur" - dans un
travail de "déliaison", pour mieux créer du lien ailleurs, hors de …
26
Nous aborderons ce principe dans l'abord clinique du travail social
25
Ce dispositif d’Entraide Scolaire a évolué au fil des années. Une analyse de la
pratique, dans le champ de la psychanalyse, a accompagné le travail mis en œuvre, tant
par les éducatrices que par les étudiants, jusqu’à ces dernières années…
1-2-3-2 - Le cheminement vers le travail en collaboration avec l’école
L’ouverture
du
dispositif
d’Entraide
Scolaire
vers
l’école
s’est
faite
progressivement. Né dans les années 1980, encore aux prises au militantisme de ses
"permanents", ce fut tout d’abord un dispositif distribuant, sans contre partie, des
étudiants aux "familles", dans le don, en réponse en quelque sorte en miroir aux griefs des
parents, victimes d’une société les marginalisant. La coopération avec l’école n’était pas
envisagée, dans une certaine ignorance, voire un déni, faits de partis pris contre cette
école qui n’arrivait pas à enseigner à ces enfants là… Au fil de l’expérience, de la
réflexion, avec les apports de professionnels arrivant avec d’autres ouvertures de travail (
milieu ouvert ), le dispositif d’Entraide Scolaire a affiné ses prestations, les a mises à
l’épreuve de limites, qui eurent pour effet de prendre en compte différemment les parents
et les enfants. Du don, nous évoluâmes progressivement à la prise en compte de là où en
était chaque famille, laissant place au temps nécessaire pour que chacun s’approprie sa
propre demande et puisse la formuler. Ce cheminement ouvrait une autre perspective
pour les personnes manifestant une demande d’aide, sans doute plus douloureuse car
plus exigeante, mais leur permettant de s’éprouver autrement que victime, de l’école, de la
société, du travailleur social, de l’enseignant… Poser des limites à nos prestations eut
pour effet de proposer un travail plus approfondi, de prendre conscience de nos propres
insuffisances, et donc de nous porter à aller vers les intervenants qui rencontraient
l’enfant et sa famille dans un autre contexte.
Cette démarche vers l’école nécessite de travailler notre positionnement par
rapport à la famille aidée, et de prendre en compte ce en quoi nous nous sentons
mandaté ou non par cette dernière pour aller à la rencontre de l’autre professionnel.
Notre collaboration avec les enseignants se fait de différentes façons, selon les
26
circonstances. En premier lieu, afin que l’étudiant et l’enfant puissent se rencontrer dans
une relation le moins possible parasitée par ce qui fait échec pour l’enfant, nous ne
souhaitons pas que les étudiants aillent rencontrer les enseignants, sauf exception. Par
contre, les éducatrices, autant que faire ce peut, rencontrent ces derniers, en s'assurant de
l’assentiment des parents et de l’enfant.
Ces contacts permettent de préciser aux
enseignants dans quelle logique est proposée cette aide, permettent des échanges, voire
l’accompagnement de parents que l’école n'a jamais rencontré, ou seulement dans le
conflit. Nous avons intensifié nos contacts avec les collèges afin de préparer "au moins
pire" - et autant que possible - le moment où les jeunes quitteront le collège, lâchés sans
acquis scolaires, dans l’impasse qui se présente indubitablement à eux. Nous essayons de
prévenir, en cherchant avec le jeune, avec le soutien du collège, les "à côté" qui pourraient
éventuellement correspondre au mieux à ce jeune.
Ces rencontres avec les enseignants, provoquées généralement à notre initiative,
permettent de réaliser à quel point ces derniers sont souvent isolés dans leur pratique,
peu disponibles ou disposés à aller vers d’autres échanges, quelque peu méfiants, mais
aussi parfois très diserts tant la confrontation à un enfant en difficulté les laisse
quelquefois meurtris, face à leur impuissance et à ce qu’ils peuvent vivre comme un
échec... Ces rencontres permettent de préciser comment chacun se sent investi, de sa
place, auprès de l’enfant, ou de l’élève… Préciser les limites d’intervention de chacun,
reconnaître ses propres impuissances, évoquer les possibles que l’on souhaiterait pouvoir
proposer à l’enfant, tout ceci peut permettre un réel travail de coopération entre un
professionnel oeuvrant "dans les murs", dans un espace et sous mandatement déterminé,
l’enseignant, et le travailleur social, "hors les murs", "se" mandatant, au gré des
accompagnements, dans un rôle de prospecteur d’autres possibles, de passeur de liens, de
"bousteur" de certitudes…
Dans le dispositif que nous venons de décrire, nous avons abandonné la notion
de partenariat au profit des termes rencontre, collaboration, nous pouvons même parler
là de coopération active issue de volontés subjectives. Nous avons quitté le partenariat
27
institutionnel pour nous situer au niveau du microcosme, de l’intersubjectivité, thèmes
que nous développerons dans la seconde partie de ce chapitre.
Dans cette première partie, nous avons repéré à quels moments les termes
partenariat, réseaux, sont apparus dans les textes de loi, évoqués comme allant de soi, au
titre d’injonction incontournable.
Nous allons conclure cette première partie en
déclinant quelques définitions de ces notions, et nous ferons référence à un article de
J.DAMON, titré "la dictature du partenariat" 27, cet article faisant partie d’un des éléments
venus alimenter notre questionnement quant à la vulgarisation du terme partenariat, et
ayant en quelque sorte participé à l’orientation de ce travail de recherche.
1-3 – QU’ENTEND-ON PAR PARTENARIAT ET PAR
RESEAU ? 28
1-3-1 – Essai de définition
Concept "fourre-tout", aux acceptions variant du familier, forme de sens commun,
au professionnel, le vocable partenariat est récent, utilisé depuis les années 1980. Du
terme partenaire, nous retiendrons une définition du Petit Robert 29 : le partenaire est celui
avec qui on est allié ( associé pour gagner ), dans un jeu, au besoin contre d’autres joueurs. Concept
de jeu, il suppose : des règles du jeu, un objet commun, des protagonistes de niveau à peu près égal".
Dans l'air du temps, le partenariat est sous-tendu actuellement par une demande sociale
forte qui s’exprime autour des idées de non concurrence, d’absence de rivalité, d’égalité
de position, une forme de relations qui s’opposerait à la hiérarchie, avec l’idée de
négociation, consensus, accords… Idées faisant abstraction des pressions et résistances
hiérarchiques et professionnelles, laissant supposer le partenariat comme allant de soi.
On parle d’ailleurs de paradigme du partenariat.
27
.DAMON J. , La dictature du partenariat, vers de nouveaux modes de management public, in fituribles, analyse
et perspective, mars 2002, n°273
28
Cette question est traitée à partir d'extraits du cours les paradigmes du partenariat de M. N. DUCHAMP,
Docteur en Sciences de l'Education, IRTESS, DIJON, 1996
29
Petit Robert, dictionnaire, 2005
28
Nous allons nous arrêter sur les déclinaisons de ce terme du côté de l’Action
Sociale, de l’Education et de la Santé. Relevant plus du management public que de droit
public, il n'appartient pas encore au domaine juridique. Les pratiques, règles, limites du
partenariat ne pouvant être actuellement définies de manière générale, nous retiendrons
cette définition de D. ZAY et C. LANDRY 30: "le partenariat résulte d’une entente réciproque
entre des parties ( personnes – services – institutions ) qui de façon volontaire et égalitaire, partagent
un objectif commun, et le réalisent en utilisant de façon convergente leurs ressources respectives".
On parlera aussi "d’actions communes négociées", où chacun conserve ses objectifs propres,
tout en acceptant de contribuer à un objectif commun. "l’objet du partenariat ou des
partenariats, est le plus souvent la création commune d’un projet, d’un programme d’actions, de
ressources, mise au service d’un territoire, d’un public, d’une thématique, ou d’une meilleure
collaboration entre ces services". Dans le domaine du travail social, nous réserverons le terme
de partenariat à "l'engagement de différentes institutions par la mise à disposition à temps complet
ou partiel d'un ou plusieurs agents, pour une durée à définir, afin de parvenir en commun à la
réalisation d'une action précise ou d'un programme d'actions – dont les objectifs sont clairement
définis – négociés - et contractualisés". 31
Le partenariat est une question complexe qui se regarde à différents niveaux : de
manière verticale, construite par les décideurs et effectués par les acteurs ou horizontale,
construite par les acteurs locaux . Il est important de ne pas confondre les niveaux, et de
ne pas appeler toute collaboration partenariat. En effet, si le principe est identique,
coopération, mise en commun des ressources, engagement, il n’y a rien de commun entre
un partenariat de quelques professionnels sur un territoire, et le partenariat de l’Etat et
des collectivités locales.
1-3-2 – Le partenariat institutionnel ou partenariat "descendant"
Partenariat des décideurs, ce sont eux qui lancent un projet d’action, le
contractualisent, ou détachent des agents institutionnels sur des actions avec des
missions, sur le terrain.
30
31
Ce sont des partenariats de conception, des partenariats
LANDRY C. et ZAY D. , revue des Sciences de l'Education, vol. 21, 1995
d'après M.N. DUCHAMP, les paradigmes du partenariat, 1996
29
financiers, dont la mise en œuvre locale sera imposée ou au mieux proposée. Ces projets
d’actions redescendent sur les territoires et les chefs de services locaux vont agir pour les
faire mettre en place. Ainsi au niveau de l’Etat, de la Région, du Département, des
décideurs impulsent, obligent, contraignent des acteurs de terrain à entrer dans une mise
en œuvre d’actions déjà pensées. Les acteurs de terrain s'empareront de ce partenariat
imposé par intérêt personnel pour le projet, par souci de participation à une action
pertinente, par envie de s'inscrire localement dans la déclinaison de cette action, par
certitude du bien fondé de cette action. Ils s'en empareront d'autant plus qu'une certaine
marge de manœuvre leur est laissée. Avec l’expérience d’une vingtaine d’années à travers
les politiques de la ville, ou les Zones d’Education Prioritaires, ou depuis 10 ans sur les
politiques et dispositifs autour de la Loi contre les exclusions, les impacts positifs de ce
partenariat en sont la mutualisation, la créativité, les meilleures connaissances et
proximités inter-institutionnelles… Ils peuvent être également le constat d'une mutation
des politiques ( logique de décentralisation ). Moins verticales, elles essaient de construire
des libres coopérations horizontales au niveau local. Par contre, lorsque les marges de
négociation des partenaires restent floues, on assiste à des jeux locaux pas très clairs, et à
des "marchandages" dès qu’il est question de budget à engager… Le risque principal est
de croire qu’en s’unissant on va tout résoudre, alors qu’il y a un désengagement de plus
en fort et lourd de l’Etat. Les meilleurs partenariats, coopérations, collaborations, ne
combleront pas le désengagement financier de l’Etat.
Ce partenariat institutionnel, imposé, requiert un exercice d’analyse critique que nous
propose J. DAMON
32
:"… Le partenariat apparaît plus comme un mot d’ordre ou une figure
imposée de la configuration actuelle de la décentralisation, que comme un exercice totalement libre
et négocié de coopération. Par l’expression ironique "dictature du partenariat", nous souhaitons
montrer que le recours à ces pratiques de coopération, dans le domaine des affaires sociales, est
aujourd’hui une nécessité contrainte, avec ses impacts positifs mais aussi ses obscurités politiques.
Car, dans le jeu du partenariat, l’Etat est un partenaire particulier, qui impose, finance, arbitre et
contrôle. Il dessine des orientations, et peut laisser aux autres protagonistes la responsabilité de les
32
.DAMON J. , La dictature du partenariat, vers de nouveaux modes de management public, in fituribles, analyse et
perspective, mars 2002, n°273.
30
mettre en œuvre et d’en assumer les conséquences. Au final, le succès du partenariat est un signe
des errements actuels d’un Etat providence qui cherche à s’adapter à de nouvelles donnes. Il n’est
pas une réponse à la crise ou aux insuffisances supposées ou constatées de l’Etat providence, mais
une de leurs manifestations". Nous avons là une vision particulière du partenariat, décliné
en terme de symptôme d’un état de crise des institutions.
1-3-3 - Le partenariat des acteurs, ou partenariat "ascendant"
Il s’agit là de volonté commune d'acteurs locaux qui, à partir de diagnostics
sociaux et à partir de leurs connaissances du territoire s’appuient sur des liens existants et
essaient d'associer les usagers, pour proposer un programme d’actions visant à la
réalisation de différents objectifs sociaux producteurs de lien social. L'engagement des
acteurs, la construction de réponses collectives, avec l'aval de leur institution, s'instituent
en partenariat. Lorsque les actions se développent, il arrive que le groupe d’acteurs, de
partenaires ne puisse plus travailler seul, une instance inter-institutionnelle du type
groupe de pilotage peut alors se mettre en place. Ce type de partenariat ascendant,
partenariat des acteurs, au cœur des pratiques de développement social local, sera de plus
en plus encouragé par les nouvelles orientations des Conseils Généraux.
Pour que ces modes de coopération soient efficaces et surtout viables, pour que
chacun ait le sentiment de participer à une action d’intérêt, il est nécessaire que chaque
acteur, délégué par son institution, ait du temps dégagé pour cela, et qu'il puisse
s’exprimer personnellement, selon ses compétences, ses savoirs… Il est donc nécessaire
d'être dans une posture favorisant sa propre expression et l'expression de tous. Les
préalables à poser sont : pas de suprématie d’une institution sur l’autre, développer
l’écoute réciproque afin d'entendre les logiques différentes de chaque acteur et de chaque
institution, être capable de confronter ses arguments pour résoudre le problème de façon
créative, étudier toutes les propositions afin de dégager clairement les points d’accord et
de désaccord… Malgré tous ces préalables, le partenariat n’est pas si simple à mettre en
place, à faire fonctionner, à faire durer. De nombreux obstacles surgissent, tensions entre
31
acteurs, tensions institutionnelles.
ANADON
33
, évoque la notion de "situations
tensionnelles" comme faisant partie des stratégies institutionnelles.
Ces situations
tensionnelles sont révélatrices des enjeux professionnels et des enjeux personnels des
acteurs. Ces stratégies sont à regarder pour chaque acteur, au regard de son institution et
au regard de l’inter-système auquel il participe.
Question complexe s'il en est, à l'égal du partenariat institutionnel, le partenariat
des acteurs ne va pas de soi, et en appel à des vigilances éthiques, professionnelles et interprofessionnelles.
1-3-4 – Le réseau et le travail en réseau
Par rapport au partenariat institué, le réseau s’établit de façon moins formelle,
plus directe, sans hiérarchie. Pour beaucoup de théoriciens, le réseau ne concerne que
des individus, jamais des institutions. Dès que l’on est dans un réseau d’institutions, on
est dans des partenariats constitués, contractualisés. Nous définirons le réseau comme "la
mise en synergie, sur un territoire, d’acteurs différents, concernés par un domaine de compétence ou
d’action donné, qui vont se mettre en capacité de se connaître, reconnaître, d’échanger de
l’information, et de mutualiser leurs réponses face à un problème social donné".34
Dans la mise en place très concrète des actions par les partenaires de terrain, la
différence est nettement sensible entre la pratique de réseau, plus souple, plus créative, et
les partenariats engagés dans l’injonction.
Un réseau vise généralement à la communication et à l'aide.
Pour cela, il
développe trois caractéristiques : l’intérêt commun qui permet d'établir des échanges, la
compréhension qui recherche un langage commun, une culture commune, ou des valeurs
partagées, enfin la crédibilité réciproque mêlant confiance et reconnaissance des
compétences et des singularités.
33
34
Cité dans le cours
Ibid
32
Le travail en réseau est une pratique sociale, plus informelle, plus souple que le
partenariat, mais aussi plus fragile, plus éphémère, toujours à renouveler et qui, lorsqu'il
s’institue, s’organise en un partenariat institutionnalisé.
Dans ce premier sous-chapitre, nous avons mis en évidence les référentiels
dominants sur lesquels s’appuient l’école et le travail social, dans le souci d’appréhender
les difficultés de l’enfant en échec scolaire ou en difficulté d’intégration scolaire, et
quelles en sont les conséquences sur les postures professionnelles, ainsi que sur les
instances de remédiation mise en place. Ces référentiels sont ceux de la médecine et ceux
de la psychologie dite scientifique, issus des sciences de la vie, dans une approche
objectivante, le subjectif n’étant pas l’objet de ces sciences.
Nous allons maintenant, dans le champ de la psychanalyse et de la philosophie,
sortir de la lecture objectivante pour nous intéresser différemment à la question de cet
autre à propos duquel nous nous mobilisons. Nous parlerons de ces professions du
travail dans le souci d’autrui, que ce soit celles qui on charge d’éduquer, de gouverner, de
soigner. Nous aurons alors une lecture différente de ces professions où paraîtra la prise
en compte de l’intersubjectivité comme incontournable, et où nous pourrons alors
évoquer les postures professionnelles en terme d’engagement dans une praxis, soustendues par un nécessaire travail de réflexion et d’élaboration, dans le champ de la
clinique, sur cette question éthique : au nom de quoi j’interviens ? Nous évoquerons à
l’issue de ce développement en quoi la rencontre entre professionnels sujets sociodésirants, dans le souci de l’autre lui-même socio-désirant peut de se fait être porteuse de
ce désirer ensemble, dans une posture professionnelle que l’on qualifiera de faire avec,
source d’une synergie subversive, c’est à dire permettant ce "pas de côté" ou de "sortir des
sentiers battus".
33
1-4 - APPROCHE CONCEPTUELLE SOUS L'ANGLE DE LA
CLINIQUE SOCIALE
Par une analyse du travail social, nous émettrons l’hypothèse que ce que nous
abordons dans la singularité de cette profession peut s’entendre de manière plus large
auprès de ces professions dans le souci d’autrui, que sont également l’enseignement et le
domaine du soin. Le propos étant : dans ma fonction, à quels rets suis-je aux prises tant
institutionnellement que de par ma propre subjectivité ? Comment mettre au travail ce
questionnement ?
En quoi cette mise au travail peut-elle, au-delà de nos missions
respectives, faire œuvre de dynamique proversive, vers une coopération active entre
partenaires.
1-4-1 – Le travail social sous mission et sous transfert 35
La mission du travail social se trouve dans un équilibre en tension : inscrit dans
une politique, la politique sociale, qui a affaire à la gestion de la globalité, il est
représentant du tout. Par ailleurs, il est impératif qu’il soit dans le souci d’autrui, de
l’ordre de la singularité et de l’altérité. Nous allons évoquer dans un premier temps, au
niveau du macrocosme, en quoi l’intervention sociale, "toujours déjà prise dans les rets de la
politique36, ne peut se revendiquer de neutralité. Nous développerons ensuite, au niveau
du microcosme, le concept d’intersubjectivité, d’altérité, et déclinerons les postures
professionnelles découlant de sa prise en compte.
1-4-1-1 - Le travail social en tension entre individu et société. 37
Le travail social s’inscrit dans une politique, la politique sociale. La politique,
c’est ce qui a affaire à la dimension collective, globale, c’est à dire le macro-politique .
35
KARSZ S. , L'impossible neutralité du travail social, in Actualités Sociales Hebdomadaires, 09/04/2004
Ibid
37
Ces points ont été travaillés à partir des cours de philosophie du travail social de A. RANDRION, agrégé
de philosophie
36
34
Ceci va à l’encontre du social, qui a à faire avec le souci d’autrui, l’éducatif : ce dernier se
situe dans le micro-politique.
1-4-1-1-1 - L’institution du travail social a été créée par la société
De notre société moderne, que l’on peut définir comme violente, au
fonctionnement implacable, E. WEIL 38 nous en décrit les caractéristiques :

Calculatrice, pour cela, la société a conscience de soi comme une conscience
collective de la société. Elle veut se développer, rester en vie, grandir. Cela
suppose une pensée pour utiliser les moyens les plus économiques afin d'obtenir
un résultat.

Matérialiste, la société se pense elle-même comme une nature, elle considère donc
les éléments de la nature comme des facteurs matériels.

Mécaniste, la nature, c’est un mécanisme, une machine ( cf. l’humain, étudié
comme une machine pour en comprendre les différents mécanismes
physiologiques ).
Dans ce mécanisme, l’individu qui émerge se trouve tout seul face à cette nouvelle
nature qu’est la société. C’est là le problème de l’homme qui n’y trouve pas sa place : la
société ne retient que ce qui peut lui être utile, rejette ce qui lui est inutile. Pourtant,
comme elle est calculatrice, elle peut entretenir certains mécanismes qui lui sont inutiles,
dans le seul but du maintien d’une paix sociale : prévenir la violence, acheter la paix sociale.
L’institution du travail social a été créée par la société, pour essayer de résorber
cette violence latente toujours là. Les politiques sociales ont un projet qui n’est pas
social : elles ne visent qu’à la pérennité de ce pour quoi elles sont construites : acheter la
paix sociale. Le travail social est là pour prévenir. IL se situe à ce niveau en tension entre
individu et société. Au sein de ce mécanisme, l’individu a du mal à être acteur. Il est
dans le système et n’est pas en face d’un interlocuteur. Se sentant happé par ce "monstre
froid", celui qui n’a plus d’espace pour être soi a quand même envie de survivre, aussi, par
instinct de survie, il s’exclut, et coupe le lien social. Le travailleur social a pour mission
38
WEIL E., violence et exclusion, une interprétation éthique, Paris, philosophie politique, 1984.
35
d’aller chercher cet individu pour qu’il revienne là où il est écrasé… Ce qui correspond à
une deuxième violence imposée à l’individu, par une atteinte à cet espace qu’il s’est
approprié. C’est une violence qui se joue entre l’individu et la société.
1-4-1-1-2 - Du travail de normalisation sociale au "pas de côté" 39
Nous emprunterons cette métaphore à Saül KARSZ dans l’analyse qu’il fait du
rapport du travailleur social à l’appareil d’état :
"Le travail social est par essence une composante des appareils d’état. On ne saurait
imaginer l’intervention sociale en état de lévitation sociale et politique. Sous tutelle directe de
structures établies ( Conseils Généraux, Mairies, Protection Judiciaire de la Jeunesse, Aide Sociale à
l’Enfance… ), ou dans le cadre d’Associations de droit privé financées sur fonds publics et inscrites
dans des politiques sociales, le travail social est et reste une composante des appareils d’état. Ce
rattachement de fait et de droit aux appareils d'état définit la place objective du travail social : c’est
à partir de l’ensemble des valeurs, des modélisations, idéaux en vigueur que l’aide va intervenir. Les
travailleurs sociaux ne sont pas là pour que les gens aillent mieux en général, mais pour qu’ils aillent
aussi bien que possible dans un éventail de comportements considérés comme légitimes. Leur travail
consiste à labourer le terrain des décalages entre les comportements considérés comme normalisés et
ceux qui ne le sont pas ( ou plus ). Agents chargés par la société de soutenir certains comportements
scolaires, certains fonctionnements familiaux, certaines dynamiques de socialisation, ils s’opposent à
ce qui est alors perçu comme les constructions inversées de ces modalités ( qu’on appellera
défaillances, inadaptations, désaffiliations, exclusions… ). Ils ne sont donc pas les libérateurs
spontanés du bon peuple. Mais ce ne sont pas non plus les contempteurs des appareils idéologiques
de l’Etat, sauf à le vouloir, car ils possèdent une marge de manœuvre qu’il leur revient d’avoir ou
non à utiliser."
Les interventions sociales ne sauraient être neutres. C’est là le prix de leur
efficacité. Impossible neutralité à laquelle les populations ouvrent ou n’ouvrent pas la
porte, livrent ou ne livrent pas leurs confidences, leur histoire… Impossible neutralité à
39
KARSZ S. , "L’impossible neutralité du travail social", in Actualités Sociales Hebdomadaires, 09 Avril 2004.
36
laquelle elles se fient, un peu, beaucoup, jamais sans quelques réticences. C’est pourquoi
chaque rencontre est une aventure, au résultat relativement incertain.
Le libéralisme dans lequel nous baignons nous rappelle qu’il repose sur une
logique implacable, productrice d’exclusion. Les travailleurs sociaux, sur leur terrain,
rencontrent les mécanismes qui broient l’individu.
Les entreprises utilisent les
mécanismes sociaux et savent comment les utiliser à leur profit.
Le travailleur social est devant un choix éthique : comment faire avec ce qui
existe, sans "vendre son âme" ? Comment transformer le réel qui nous est imposé ?
Qu’est-ce que je fais, moi, avec l’ordre social dont je suis porteur ? Comment je participe
en tant qu’entrave ? Le travailleur social doit connaître les rouages, les mécanismes, pour
faire avec, "en user sans en abuser", c’est à dire pouvoir être capable de discuter de logique
à logique, et non dans une logique d’efficacité momentanée. Le travailleur social s’expose
à son propre engagement. Il se trouve devant un choix fondamental, éthique, ce qu’il
pense être son humanité est en jeu. Lui aussi, au même titre que l’usager, est sur la corde
raide !
1-4-1-2 - Le travail social a pour impératif le souci d’Autrui 40
1-4-1-2-1 - L’intersubjectivité - Le concept de sujet socio-désirant
"IL n’y a pas eu de vie sans collectivité, pas de travail sans collaboration, pas
d’apprentissage sans émulation des autres. Une constante de l’humain à ne pas perdre, celle où "je"
n’est pas sans "l’autre". Nous entrerions dans le règne d’une auto-suffisance sinon, alors que
l’intersubjectivité jusqu’à présent est le fondement de notre subjectivité" 41.
La question de l’intersubjectivité nous plonge dans la philosophie du sujet. Dans
l’intersubjectivité, il y a plusieurs sujets et une rencontre. Il y a moi, en tant que sujet, et
autrui, en tant que sujet.
40
Ce paragraphe a été travaillé à partie des cours de philosophie du travail social de A. RANDRION,
DSTS 9, 2005
41
IMBERT F., préface de CIFALI M. , "Vivre ensemble, un enjeu pour l’école", Paris, E.S.F.éditeur, 1997.
37
Nous ferons référence à E. HUSSERL
42
, qui définit ainsi le concept
d’intersubjectivité : "autrui est parlé en terme d’alter ego. C’est un sujet autre que moi, mais
comme moi. Comment connaître ce sujet là ? Un ego se définit par sa subjectivité - l’alter ego se
définit par sa subjectivité - la subjectivité est commune entre nous, mais entre nous, il y a l’inter, soit
la séparation". Selon E.LEVINAS 43, ce qui structure l’homme, c’est à la fois la séparation
et la transcendance : deux mouvements à l’intérieur du sujet. La séparation pour être soi,
la transcendance pour rencontrer l’autre. Nous citerons J.P.SARTRE 44 :"Le mouvement de
transcendance, c’est aller au-delà de son ego".
Le développement de l’altérité passe par la façon d’être autre : c’est chercher
l’autre en tant qu’autre, en dehors de la connaissance, de la science, de l’objectivation. Le
souci des autres ne passe pas par la constitution d’un savoir, l’enjeu en est différent.
Comment autrui peut me permettre de me connaître ? Ma subjectivité est l’expression
subjective de l’humanité : je suis constitué par les autres, l’histoire, l’humanité.
L’intersubjectivité, c’est ce fond sur lequel je suis inscrit et dont je ne peux me défaire.
C’est ce lien entre moi comme sujet et moi comme citoyen, dimension qui permet de
parler du lien, de l’humanité. Cette définition nous semble rejoindre celle que donne
S.KARSZ
45
du concept de sujet socio-désirant : "le sujet socio-désirant,, pour sortir du sujet
psychologique, est pris dans son inextricable et double dimension idéologique et inconsciente",
autrement dit, le sujet est toujours socio-désirant, pris dans une histoire sociale qui le
dépasse.
1-4-1-2-2 - De la charité à la prise en compte
A l’origine, le travail social s’est organisé autour du concept de besoin : "pour que
la personne s’en sorte, elle a besoin de…
", dans une recherche d’identification,
d’énumération des besoins, pour en venir à bout. Dès la fin du XIXème siècle, tout est
prêt pour que les pauvres soient observés scientifiquement. Or, le travail social s’inscrit
42
Cité dans le cours de A.RANDRION
LEVINAS E., entre nous, essais sur le penser à l’autre, Paris, grasset, 1991.
44
Cité dans le cours de A.RANDRION
45
Colloque déconstruire le social, séminaire 2001, Pourquoi l’école ? sous la direction de S. KARSZ
43
38
dans une logique de manque : la commande initiale ne va pas de soi, il ne suffit pas de lui
donner ce qui leur manque pour qu’elle se réinscrive dans le circuit.
S.KARSZ définit trois figures à la base de l’encodage théorico-pratique de la réalité
sociale 46 :
"la première d’entre elles correspond à cette charité qui cherche avant tout à combler le fossé
entre ce que les hommes sont et ce qu’ils devraient être selon un idéal immanent relevant de la
conviction qu’il existe une cause première et un sens ultime au monde et aux hommes.
La seconde figure, celle de la prise en charge qui se réfère au socle éthique de la dignité et de
la reconnaissance minimales dont doit jouir tout être humain : droit au logement, à un revenu, à
une scolarisation… Là où la charité prétend faire le bien en ne concevant pas que son bénéficiaire
puisse le refuser, la prise en charge guide l’autre vers le bon port où il est censé aboutir, de préférence
de son plein gré. L’une s’adresse à des créatures dans le manque dont on attend qu’elles expriment
leurs détresse et leurs malheurs, l’autre présume des destinataires porteurs de demande dont on
attend qu’ils la formulent. L’une met en oeuvre des bénévoles et des acteurs empreints de vocation,
l’autre des salariés utilisant une méthodologie et une technique relationnelle.
La troisième figure est celle de la prise en compte : elle considère l’autre à une place de sujet
désirant et entend quelque chose de ce qu’il est de ce fait porteur. On n’est plus dans le "faire pour"
mais dans le "faire avec". On renonce aux paradigmes qui prétendent déterminer la clé universelle
donnant accès à la cause première des difficultés, pour être à l’écoute de l’individu considéré comme
l’acteur principal de sa propre évolution… Il serait artificiel d’opposer ces figures les unes aux autres,
car chacune d’entre elles s’interpénètre en permanence".
La prise en compte induit l’accompagnement et la nécessaire rencontre avec les autres
corps de métier : faire avec, échanger à partir de nos singularités, accompagner au plus
juste malgré les déterminants dans lesquels chacun peut être pris.
1-4-1-2-3 - L’accompagnement - Le "faire avec"
L’accompagnement nécessite tout d’abord une rencontre avec l’autre : il est porté
par un désir, celui du professionnel, ici le travailleur social, auquel l’autre répond par son
46
KARSZ S., Pourquoi le travail social ? Définition, figures, clinique, Paris, Dunod, 2004
39
adhésion ou par sa résistance. Il s’élabore à partir de ces rencontres qui viennent en soi
interpeller quelque chose du professionnel. Ce dernier ne peut alors faire l’impasse dans
ce parcours de ces questionnements : au nom de quoi j’interviens tant
institutionnellement que subjectivement ? De quel mandatement suis-je porteur ?
Questionner ce "au nom de quoi j’interviens" permet de situer l’autre dans une
prise en compte de sa subjectivité et dans une prise en compte de l'univers socio-affectif
qui lui est propre et avec lequel le professionnel a à faire avec. Cela permet de garder
vigilance quant à ses propres limites, limites en tant que bordures et en tant que manque,
je ne suis pas tout, mais, là où je suis, j’y suis, porteur de mon investissement. Cela peut
permettre d’accompagner l’autre vers le un parmi d’autres, dans ce tissage de liens qui
permet étayage et intégration progressive de nouveaux repères.
L’accompagnement est cheminement avec l’autre. C’est "faire avec", en laissant
place et espace pour que l’autre puisse mettre à l’épreuve ce qu’il en est de ses aspirations
et de la réalité. C’est être là pour entendre cette douloureuse confrontation, pour
entendre ce qui fait écho pour lui de son histoire familiale : quels liens peut-il en faire,
pour quelle déliaison, mise à distance et appropriation de ce qui lui appartient ?
.
Mouvements de flux et de reflux, qui peuvent induire de grandes phases de repli, de déni,
d’errance, de fuite… où le temps doit être laissé au temps pour que, au fil des rencontres,
des écueils, des rebondissements, des prise de conscience progressives un "pas de côté"
puisse s’effectuer, supporté par de nouveaux points de repères venus laisser trace,
"quelque part", pour s’éprouver autrement.
Ce
travail
d’accompagnement
demande
au
professionnel
une
grande
disponibilité, ( rien n’est acquis, surtout pas ce travail là ), et une grande ténacité :
pouvoir bousculer son emploi du temps, devoir rassembler son énergie dans des moments
où l’on aurait bien aimé "lever le pied"… Aller chercher ou laisser revenir, au risque qu’il
ne revienne pas… Sur fond de questionnement : jusqu’où aller dans la prise de risque,
comment repérer à partir de quel moment l’étayage proposé n’est plus suffisant ? Ainsi,
ce travail nécessite t-il une garantie institutionnelle, "je me sens autorisé à… ".
L’analyse de la pratique, d’orientation clinique, est un outil essentiel pour pouvoir
s’engager dans cette forme de travail sans savoir sur l’autre, sans solution implacable, sans
40
réponse, mais porté par le doute, sur fond de conviction : ce songe qui habite l’alchimiste
que nous sommes tous quelque peu… de quel songe me sens-je mandaté ? 47
Le social n’est pas une scène dont on peut se dérober. C’est ce dont nous
sommes porteurs en tant que sujets socio-désirants, nous sommes pris dans une histoire
sociale qui nous dépasse de tous côtés. Du point de vue du travail social, il y a une
dimension psychique à prendre en compte : le pari pour le sujet est un pari
idéologiquement engagé. Ce n’est pas seulement le pari psychique ou institutionnel.
Dans la question du travail social, il y a le nécessaire développement de la clinique,
psychologique ou transdisciplinaire. La rencontre avec l’autre se fait sous transfert, et
aussi sous mandat : c’est ce qui organise la confiance ou la méfiance du bénéficiaire à
l’égard du professionnel.
Nous allons nous arrêter maintenant sur deux approches différentes de la clinique
du travail social. L’une, avec J.RIGAUX
l’autre, avec S. KARSZ
"hors" discipline.
49
48
, se réfère précisément à la psychanalyse,
, propose une clinique transdisciplinaire, c’est à dire dans le
Comme précédemment, tout en traitant cette question dans la
singularité du travail social, nous avançons l’hypothèse que cette démarche peut
s’appliquer à tout corps de métier travaillant dans le souci d’autrui : "…une démarche
clinique peut suggérer quelques voies de dégagement : identifier aussi rigoureusement que possible les
enjeux des pratiques contribue au ressourcement subjectif des professionnels, à leur recentrage autour
des noyaux durs de leurs pratiques, à l’élaboration d’interrogations toujours en cours relatives aux
compétences et territoires d’intervention. " 50
47
.BACHELARD G.,"Ce songe véritablement matérialiste qui est celui de l’alchimiste : il rêve les choses et les
matérialise" France Culture, référence de l'émission non notée
48
RIGAUX J., pratiques de formation, n°16, nov.1988.
49
KARSZ S., Pourquoi le travail social, définition, figures, clinique, Paris, Dunod, 2005
50
Ibid
41
1-4-2 – L'abord clinique du travail – la praxis
1-4-2-1 - Pour une clinique psychanalytique
1-4-2-1-1 - Le concept de pulsionnalité
Dans la perspective objectivante, il s’agit d’intervenir transitivement sur le
comportement de l’autre. La rationalité Freudienne en souligne le leurre en définissant
l’usager du travailleur social comme aux prises avec une conflictualité intra-psychique qui
met en résonance la propre conflictualité intra-psychique du praticien. L’enjeu n’est plus
d’objectiver le problème de l’autre pour intervenir dessus et le résoudre, mais d’activer les
possibilités auto-réorganisatrices à l’œuvre chez lui.
"Une nouvelle rationalité a émergé avec FREUD, dès le début de ce siècle.
Cette
conceptualisation, que l’on peut désigner par "psychopathologie clinique" fonde son heuristique dans
une conception d’un homme qui ne fonctionne pas essentiellement par les facteurs de son milieu
socio-économico-culturel, mais à partir de la valeur symbolique que prennent pour lui ces facteurs
sous l’action de son "appareil psychique". Par là même, il y a lieu de faire jouer au mieux cette
fonction de métabolisation des réalités historico-socio-biologico-génético-culturo…
qui constitue
l’environnement de chacun, et à quoi s’articulent, pour une large part, les difficultés d’adaptation et
autres troubles dits psycho-pathologiques" 51.
Cette conceptualisation part de ce postulat : il existe un appareil psychique.
S.FREUD 52 propose un modèle où l’idée de pulsionnalité l’emporte sur celle de besoin –
ce qui modifie le langage du travailleur social qui s’en inspire.
Pour le clinicien, "la
notion de besoin n’est pas adéquate pour qualifier toutes les attentes d’un individu"
53
.
FREUD introduit le concept de pulsionnalité pour qualifier l’individu reconnu
comme une dynamique proversive, qui va au-dehors, à la recherche de… Si la pulsion
n’est pas prédéterminée génétiquement ou biologiquement, la forme qu’elle prend est
cependant le produit du travail de l’appareil psychique, à savoir le fruit d’une élaboration
51
GAGEY J., Introduction à la clinique psychopathologique, Presses de l’université de Grenoble, 2000
Cité dans le cours de J.RIGAUX
53
Ibid
52
42
historique du passé vécu, dont l’individu est partiellement prisonnier, ( ce passé pèse sur
lui ), mais dont il est en mesure, sous certaines conditions, de se déprendre, "comme il
aurait pu, sous certaines conditions et dans certaines limites, le vivre autrement, le faire advenir
autre"
54
. Parler de la pulsionnalité, c’est reconnaître que ce que chacun appelle ses
besoins renvoie en fait à ses investissements. S.FREUD propose le concept de libido
pour rendre compte de cette réalité que nous avons tous, en tant qu’individu, à organiser
notre jouissance, à créer et mettre en place notre style de jouissance.
Ainsi, l’heuristique clinique amène à prendre en compte l’organisation libidinale
de l’être humain, dans sa double composante de la jouissance et de la souffrance. Cette
prise en compte offre la possibilité de se demander : "quoi d’un dysfonctionnement des
investissements et quoi de l’absence objective de moyens matériels est en cause dans telle ou telle
souffrance ?
L’expérience psychothérapique le montre : à partir du moment où la capacité
d’investissement est débloquée, il n’est pas rare que les intéressés parviennent à se donner les moyens
dont ils ont besoins pour les investissements qui leurs plaisent" 55.
L’acte freudien nous conduit à réarticuler la question de la souffrance. Ce faisant,
il renoue avec l’étymologie - souffrance vient de subferre : toute souffrance porte ( ferre )
toujours quelque chose sous ( sub ) elle.
1-4-2-1-2.- De la primauté du relationnel au travail d’implication
Parler de pulsionnalité et d’investissement plutôt que de besoin, c’est mettre
l’accent sur le désir et reconnaître la tournure réfléchie : "je m’intéresse à", comme
constitutive de la singularité humaine. Il existe une relation intersubjective peu lucide,
mais bien réelle, sous-jacente au langage, où les éléments affectifs - mes investissements l’emportent de loin sur les éléments cognitifs - mes rationalisations. Dans la relation
professionnelle, comme dans toute relation humaine, on met en jeu quelque chose de soimême qui favorise ou empêche le cheminement auto-réorganisateur de l’autre.
54
GAGEY J., opusc. Cité.
Ibid
55
43
En évoquant en différé, dans le groupe d’implication, sa pratique professionnelle,
le travailleur social convoque son identité professionnelle particulièrement éprouvée dans
les situations surprenantes, difficiles, mal comprises ou incomprises, mais aussi les
situations routinières, stéréotypées qui viennent aussi faire question. Par ailleurs, nul
n’exerce sa pratique professionnelle d’éducateur, d’assistant de service social, et cela vaut
pour toutes les pratiques relationnelles, avec un pur empirisme d’inspiration instantanée.
La relation ne va pas de soi, c’est sans doute même la chose la plus difficile qui soit ! Si
neutre se veut-on par respect des méthodes d’observation apprises, on ne peut pas éluder
la rencontre qu’impose le travail social, comme le travail éducatif, quelles que soient leurs
formes, au décours des longs moments passés avec les personnes dont on s’occupe.
L’observateur est toujours lié à l’observé, et il faut bien que le praticien affronte
l’interpellation, muette ou vociférante, dont il est l’objet de la part de la souffrance de
l’autre. Ainsi n’est-il pas possible de seulement écouter l’autre. Il est nécessaire de
s’écouter écouter l’autre. Par une évocation en différé, la parole libérée va donner
naissance à du sens. Expression de la subjectivité et de l’intériorité du sujet, aux prises
avec une pratique professionnelle sollicitante, bousculante, cette parole qui se risque
provient d’un remaniement des représentations mentales. Quelque chose se passe qui
inscrit la relation professionnelle, dans sa complexité, dans les méandres de cette vie de
relations affectives qui sont aux origines de toutes les conduites, et bien évidemment des
conduites pathologiques.
Le travail du tiers clinicien consiste à proposer et à animer un dispositif
impliquant qui empêche les bavardages de se développer, qui évite les études de cas, les
discours sur l’autre, enfin de compte les discours objectivants, pour que la praxis
56
de la
rencontre avec l’autre et avec soi-même émerge. Si l’implication, catégorie majeure de la
démarche clinique, est négation du savoir, elle est dans le même mouvement affirmation
d’une présence.
56
RIGAUX.J.,"La praxis est une pratique de soi, qui n’est possible que parce qu’on a une distance par rapport à soi".
44
1-4-2-2 - Pour une clinique transdisciplinaire
"Aucune discipline ne peut rendre compte exclusivement de ce qu’est le travail social"
affirme S. KARSZ 57. Nous allons suivre son raisonnement quant à sa .conception d’une
clinique du travail social qui serait transdisciplinaire, c’est à dire dans le hors discipline.
Le travail social ne prend en compte les besoins et les problèmes qu’en les
réinterprétant dans sa propre logique, selon ses méthodologies d’intervention, ses
catégories d’analyse, ses fonctionnements institutionnels. Quand on est travailleur social,
une seule alternative est possible : se soumettre aux positions prescrites, ou "faire un pas de
côté" afin de forger d’autres orientations, afin de faire du travail d’analyse une condition
sine qua non des pratiques quotidiennes.
1-4-2-2-1 - Qu’est-ce que clinique veut dire ?
L’appellation clinique est surtout utilisée par des courants psychologiques ou
psychanalytiques. Il existe également une ou plusieurs sociologies cliniques, une ou des
socio-analyses.
La clinique est une version modernisée de la supervision. Elle désigne le genre
d’écoute que le professionnel est censé mobiliser vis à vis de ses publics, ou encore les
"cas" qu’il rencontre, les cas cliniques. La clinique semble partager le statut ambigu de
l’analyse de la pratique.
Appellation à contrôler, car il s’agit ici non pas de clinique en général, mais d’une
clinique supposée adéquate à un objet spécifique, l’intervention sociale. Il s'agit de
forger une modalité clinique singulière, qualifiée de transdisciplinaire, qui convoque à la
fois des dimensions psychiques, idéologiques, politiques et théoriques. L’enjeu est de
donner à comprendre le travail social dans ses œuvres vivantes, pour en repérer les
dynamiques et les contradictions, à la hauteur de situations concrètes, là où des femmes
et des hommes en chair et en os sont pris.
Si l'on se réfère au dictionnaire, nous retiendrons une définition du Petit Robert :
la clinique, "c’est l’observation directe de la maladie au chevet du malade" Le malade, mais pas
57
KARSZ S., Pourquoi le travail social, définition, figures, clinique, Paris, Dunod, 2005
45
la maladie en général, mais la maladie incarnée, faite chair. La clinique implique de se
confronter à des manifestations en attente d’interprétation, à des désordres du vivant
qu’il s’agit de mettre en sens. L’observation directe est charnelle, vécue, expérimentée.
Pour que l’observation directe relève de la clinique, c’est à dire pour qu’elle soit
cliniquement significative, encore faut-il qu’il s’agisse d’une observation instruite,
travaillée par des éléments objectifs, auxquels s’ajoutent des éléments subjectifs. Le travail
clinique suppose qu’il y ait un praticien détenteur d’un savoir, l’autorisant à pratiquer un
certain genre d’observation directe, et à qui le malade fait confiance ou dont il ne se
méfie pas trop.
1-4-2-2-2 - Premier principe clinique : "un par un"
Pour qu’il y ait clinique, un principe comme celui du "un par un" doit s’y trouver
concrètement à l’œuvre. "Un par un" veut dire que la clinique l’est toujours du singulier,
chaque situation étant abordée dans sa particularité, dans ses caractéristiques propres. Il
suppose le rejet du déjà vu, de l’imaginaire, de la répétition. Le principe du "un par un"
vient contrer une posture bien précise : le sociologisme. A la différence avec la sociologie,
le sociologisme donne un rôle exhaustif omni - explicatif aux structures sociales. Le
particulier s’y dilue au profit du général. Le "un par un" s’oppose à la prétention que la
série viendrait expliquer chacune de ses composantes, mais nullement au fait que des
structures psychiques, sociales, jouent un incontournable rôle explicatif.
Le "un par un" ne veut pas dire élément par élément. On sait à partir de
G. HEGEL58 que le particulier et le singulier ne sont pas des synonymes interchangeables.
Le singulier, c’est l’universel ici et maintenant, incarné, fait chair, présent dans tel enfant,
telle famille, tel discours.
C’est pourquoi la clinique transdisciplinaire vise les
occurrences chaque fois singulières d’un universel, classes sociales, structures psychiques,
séries statistiques, qui comprend bien d’autres occurrences, selon une logique qu’aucun
cas particulier cependant n’épuise.
58
cité par S. KARSZ
46
1-4-2-2-3 - Deuxième principe clinique : le souci du concret
Sommée de se confronter à ce qui existe, la clinique suppose de l’invention, de la
découverte, de la trouvaille.
Bien qu’instruite par des théories qui lui permettent
d’opérer, elle relève bel et bien de l’expérience, cette aventure à risque à jamais gagnée
d’avance. S.KARSZ distingue le concret, donnée immédiate ( le visible, le palpable, le
reconnaissable ) -et le concret acquis ( résultat d’un travail d’enquête 59 ). C’est au concret
acquis que la clinique transdisciplinaire s’intéresse, dans un triple mouvement : prise en
compte du concret tel qu’il se présente ( propos d’un usager, récit qu’un travailleur social
fait d’une situation ), travail d’enquête qui questionne cette présentation et les discours y
afférant, ( qui s’en distancie, qui effectue "un pas de côté", qui décode et interprète
différemment le concret du départ ), pour aboutir à un enrichissement et à une
rectification du point de départ grâce au résultat obtenu par l’enquête. Le concret y est à
la fois point de départ et point d’arrivée. C’est le réel qu’il s’agit de comprendre, c’est de
lui qu’on part et c’est à lui qu’on revient, et en même temps, le concret d’arrivée ne fait
pas double emploi avec le concret du départ, des problèmes nouveaux émergent, d’autres
déjà repérés s’en trouvent minorés ou bien majorés, des significations se font
progressivement jour : il n’est pas question de cercle, mais bien de spirale.
En
conséquence, le concret du point d’arrivée, qui marque en effet une distance significative
vis à vis de son point de départ, constitue lui-même le début d’un autre processus. La
clinique transdisciplinaire est sans fin, rythmée par des haltes, des répits, des
ponctuations significatives, elle se trouve aux antipodes de tout savoir absolu, supposé
être le miroir du réel.
1-4-2-2--4 - Colmatage imaginaire
Il y a, d’après S. FREUD, trois tâches impossibles : éduquer, gouverner, soigner.
Non pas parce qu’infaisables ou impraticables : depuis des millénaires, selon des
59
référence à G.BACHELARD
47
modalités et des résultats fort disparates, on éduque, on gouverne, on soigne.
L’impossibilité n’est pas matérielle, elle concerne les idéaux de perfection, de réalisation
accomplie, de satisfaction universelle : toute éducation est plus ou moins bancale, toute
gouvernance est partisane, aucun soin ne préserve de toutes les maladies, ni de la mort.
Qu’en est-il de la clinique ? Fine, argumentée, préoccupée de rigueur théorique et de
pertinence pratique, soucieuse du "un par un" et du "concret", jamais pourtant la clinique
n’épuise ce dont elle traite. Elle ne vient pas à bout du réel. Elle le catégorise, l’explique,
en identifie les mécanismes et les logiques, émet des hypothèses objectives et qui le restent
jusqu’à preuve objective du contraire, sans nullement l’épouser sans déchet. Le réel,
énonce J. LACAN, ne peut que se "mi-dire", se dire incomplètement, imparfaitement, par
bribes. Dans chaque situation, des composantes, sinon des pans entiers échappent au
travail clinique, ne sont pas vus, ne sont pas reconnus dans leur valeur propre. La
clinique ne peut-être que trouée, percée, et finalement décevante vis-à-vis de l’espoir de
transparence et de l’idéal de maîtrise. Ce n’est pas un acte, mais un processus rythmé par
des avancées significatives, par des points de non retour, par des erreurs pratiques et
théoriques d’envergure
1-4-2-2-5 - La clinique, toujours psychologique ?
La dimension psychique joue un rôle incontournable dans le travail social, qu’il
s’agissent des usagers ou des praticiens. A défaut de donner une place significative à la
logique de l’inconscient, la clinique de l’intervention sociale procède à des analyses
formelles
plutôt
organisationnelles,
voire
superficielles.
Toutefois,
s’agissant
d’intervention sociale, et non de cure ni de groupe de parole, la clinique se doit d’être
précisément adéquate à cet objet. Elle est supposée rendre compte de ce qui se passe au
cours des pratiques professionnelles du travail social.
Elle ne saurait donc être
unilatéralement psychologique, psycho-sociologique ou psychanalytique, sous peine
d’escamoter des aspects tout à fait déterminants des situations abordées.
Ainsi, nous retiendrons de la dimension psychique une dimension aussi
éminemment incontournable que radicalement partielle.
48
1-4-2-2-6 – la praxis
En objectivant l’homme, le risque est d’enfermer l’individu dans des classifications,
dans des déterminismes.
Il n’y a alors plus d’évolution possible.
Si le savoir est
quantitatif, il s’adresse à tout le monde , accumule des informations, des grilles de lecture
expliquant le monde : pour le travailleur social, pour l’enseignant, pour le psychologue, le
travail est de faire éclater les données de connaissance pour une réorganisation des savoirs
en savoir qualitatif. L’abord clinique de la pratique permet la mise en question de ces
supposés savoirs.
Nous pourrions appeler praxis une pratique professionnelle inscrite dans un
constant processus d’interrogation d’elle-même, de ses certitudes, de ses convictions
adoptées comme allant de soi. Nous citerons J.GRANIER 60, qui définit ainsi le concept
de praxis: "la praxis, c’est moins ce que l’homme fait et le comment de ce faire que ce qui fait
l’homme se faisant". L’homme se fait, se transforme en transformant le monde. A la
conception métaphysique d’une nature humaine une fois pour toute déterminée, se
substitue la conception d’une humanité qui ne cesse de se transformer à travers ses
activités de transformation, une humanité non achevée et pouvant s’ouvrir sur un projet
historique. La praxis à trait au subversif : il ne s’agit pas d’interpréter le monde mais de le
transformer en vue de lutter contre l’aliénation humaine.
La praxis, comme projet d’émancipation, voilà la pointe la plus acérée du concept
de praxis. C’est ce projet d’émancipation que met en évidence C. CASTORIADIS
lorsqu’il écrit : "nous appellerons praxis ce faire dans lequel l’autre ou les autres sont visés comme
l’agent essentiel du développement de leur propre autonomie. La vraie politique, la vraie pédagogie,
la vraie médecine, pour autant qu’elles ont jamais existé, appartiennent à la praxis" 61. Et nous
citerons J.RIGAUX
62
: "le vrai travail social, pour autant qu’il n’ait jamais existé, appartient à
la praxis".
60
GRANIER J., Penser la praxis, P.U.F.,1980
CASTORIADIS C., L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil,1975
62
.RIGAUX J., cours d’épistémologie du travail social, IRTESS Dijon,DSTS9, 2005
61
49
CONCLUSION DU PREMIER CHAPITRE
Le travail avec des enfants en difficulté scolaire renvoie de "plein fouet" aux
rouages et aux impasses du système scolaire : des enfants souffrent, sont niés dans leur
singularité, dans leurs potentiels, sont ignorés d’eux-mêmes, ne sont pas pris en compte.
Dans ce système, des enseignants, des travailleurs sociaux, encore trop fréquemment dans
l'ignorance de l'autre, sont témoins ou acteurs de décisions, d’orientations, que l’on sait
bien souvent déjà porteuse d’exclusion.
Toutefois, les rencontres avec certains
enseignants, sous la forme que nous définissons de coopération active volontaire, nous
ont permis de découvrir que, derrière les découragements, des professionnels étaient prêts
à se mobiliser, à partir de leur singularité professionnelle, pour soutenir des projets
sortant des orientations déterminées, pour rencontrer autrement un parent, pour
entendre différemment la difficulté d’un enfant.
Ces rencontres induisirent le propos de cette recherche : sur quoi reposent les
entraves à une mise au travail ensemble, dans le respect de nos singularités
professionnelles, pour vivre "en conscience", dans la prise en compte et le souci d’autrui,
ce pour quoi nous sommes missionnés ? Nous avons alors formulé la problématique de
ce travail de recherche sous cette forme :
Alors que le partenariat est évoqué, posé, au titre d’injonction, ou comme allant
de soi, qu’en est-il de ce qui se joue entre partenaires pour qu’il soit, dans les faits, aussi
difficile à mettre en place, à mettre en actes, et pour quels actes ? Ne pourrait-on
regarder le partenariat sous l’angle d’approche de la rencontre entre sujets sociodésirants ?
Le premier sous-chapitre de ce travail traite de "ce que fait l’homme et du comment de
ce faire", c’est à dire consiste en une investigation, du côté de l’enseignement, puis du
travail social, pour essayer de comprendre comment ça marche, sur quelles certitudes en
est-on venu à créer instances de remédiations sur instances de remédiations. Nous avons
mis en évidence les effets d'une logique objectivante, isolant le manifeste de la difficulté,
50
et risquant d'enfermer l'individu dans des classifications et dans des déterminismes. Ces
effets s'illustrent par la multiplication de professionnels spécialisés justifiant leur
particularité par la défense de leur territoire… Sommés de se rencontrer, ces derniers se
retrouvent dans un "côte à côte", chacun préoccupé de sa logique de travail, le "cas" dont
il est alors question exposé aux discours qui ne s’entendent pas forcément, pris dans un
réseau de nouvelles solutions qui ne font bien souvent qu’entretenir la machine à exclure.
L’injonction incontournable au partenariat ne serait-elle pas, plutôt qu’un remède, le
symptôme d’un état de crise d’une société en délitement ?
Le second sous chapitre propose d’aller voir du côté de la singularité, propre à
chacun, et référée à l’universel, à l’humanité. L’abord de l’intersubjectivité, le "je" n’est
pas sans "l’autre" rappelle "ce fond dans lequel nous sommes tous déjà pris", en tant que sujets
"socio-désirants".
Ces concepts, appliqués à ces professions dans le souci d’autrui, permettent
d’entrevoir une autre approche, mettant au travail, dans le champ de la clinique, ce fond
sur lequel nous sommes inscrits, que l’on soit prince ou bien mendiant.
La prise en compte de l’autre, lui-même sujet socio-désirant induit d’autres
postures professionnelles, non plus dans le "savoir sur" , ou le "faire pour", mais dans le
"faire avec" ce dont l’autre est déjà porteur : "ce qui fait l’homme se faisant".
Conscients alors de leur incomplétude, de leurs limites, mais aussi de leurs
possibles, les professionnels peuvent alors s’éprouver porteur d’une synergie proversive,
leur donnant envie, avec d’autres, d’effectuer, au niveau du microcosme, ce "pas de côté" ,
dans une coopération active volontaire, qui peut alors alimenter cette question
:.comment je participe, en tant qu’entrave ?
Ce faisant, notre hypothèse de réponse à notre question de départ est :
Quand les partenaires sont en mesure de pouvoir quitter leurs a priori
professionnels et qu’ils se retrouvent entre sujets socio-désirants, un "pas de côté" peut
être fait pour sortir de l’illusion de toute puissance, ou de la désillusion dans laquelle
chacun peut-être pris. L’autre, sujet de la rencontre, peut alors se situer dans une place
de sujet désirant, en s’appropriant quelque chose de ce dont il est, de fait, déjà porteur.
51
Dans ce deuxième chapitre ayant trait à la recherche empirique, nous irons à la
rencontre d’enseignants, sur leur terrain. Ce travail d'investigation nous permettra
d’explorer, par l’analyse de leur discours, les représentations qu’ils ont de leur travail, de
l’enfant en échec scolaire, du travail en partenariat, les interrogations qui sont les leurs, et
nous permettra de vérifier si ce qu’ils disent renvoie bien aux propos que nous
défendons.
52
DEUXIEME CHAPITRE
2 - Cadre de la recherche et méthodologie de
l'outil d'investigation
53
Notre intuition de départ est de décrypter, à partir de rencontres avec des
professionnels de l’Education Nationale ce qui peut faire entrave, ou au contraire faciliter
les échanges entre partenaires appartenant à des secteurs différents, afin de comprendre,
de manière plus humaniste, l’autre institution, et de contribuer à un partenariat non
utilitariste mais porteur de synergie. La rencontre d’enseignants, sur leur terrain, nous
permettra d’explorer, par l’analyse de leur discours, en quoi les représentations qu’ils ont
de l’enfant en échec scolaire, leurs postures professionnelles, dans leur institution, dans
l’exercice de leur profession, les interrogations qui sont les leurs peuvent être porteuses
ou non de ce désir d’aller vers d’autres professionnels pour œuvrer ensemble, auprès d’un
même sujet.
Nous évoquons dès à présent la limite de cette investigation : notre intention initiale était
de faire une enquête symétrique auprès des enseignants et des travailleurs sociaux, dans la
logique de la partie conceptuelle déclinée dans le premier chapitre. Les limites de ce
travail, liées au temps appartis pour cette recherche, ne nous a pas permis de travailler sur
cette double enquête. Nous avons donc fait le choix de nous adresser unilatéralement à
des enseignants, alors que notre propos prenant appui sur la question de l'interface
enseignants / travailleurs sociaux, la rigueur aurait nécessité que ces derniers soient
également interrogés, afin de croiser les données et la lecture de ces données.
2-1 – METHODOLOGIE DE L'ENQUETE
2-1-1 – le choix de l'enquête qualitative
Au regard de notre intuition de départ, la démarche de recherche qualitative, par
recueil d’entretiens et par l’analyse de discours, nous a semblé pertinente. La démarche
compréhensive est en effet l’instrument privilégié lorsqu’il s’agit de recueillir les
représentations exprimées et d’en extraire un système explicatif de la réalité en s’appuyant
sur la raison invoquée par les personnes rencontrées et sur leur manière d’appréhender
cette réalité.
54
Il semble également important de préciser que ce choix était porté par notre désir,
lié à notre pratique, d'aller investiguer du côté du corps enseignant, par des rencontres sur
leur terrain, notre position de chercheur légitimant ces entretiens.
2-1-2 - La population cible de l’enquête
2-1-2-1 - Choix de la population
Nous avons fait le choix de rencontrer des professionnels de l’Education
Nationale, oeuvrant dans le primaire, en tant que professeurs des écoles stagiaires,
professeurs des écoles dans l'enseignement ordinaire, 63, professeurs des écoles spécialisés,
tous ayant une fonction pédagogique d’enseignement ou de remédiation. Nous avons
choisi le primaire pour deux raisons : l’une, pragmatique, pour limiter notre champ
d’investigation, l’autre, plus fondamentale, le champ de l’enseignement primaire offrant
plus d’opportunité de rencontres avec des professionnels oeuvrant dans des instances de
remédiation, l'enseignement secondaire en étant pratiquement dépourvu.
Un travail de pré-enquête auprès d’une professeur des écoles, en formation
maître E ( rééducateur en pédagogie ) et auprès d’une équipe d’un RASED ( Réseau
d’Aide aux Elèves en Difficulté ) nous a permis de vérifier l’intérêt porté par ces
professionnels quant à notre propos de recherche.
2-1-2-2 - Démarche d’échantillonnage de la population cible
Notre choix a porté sur des enseignants travaillant dans des registres différents, les
classes dites ordinaires, l’enseignement spécialisé, mais ayant en commun le fait d’être
partenaires du travail social. Nous avons souhaité rencontrer un panel d’enseignants
assez divers permettant, à partir d’un même support d’investigation, de recueillir ou non
des avis divergents. Nous connaissions 3 professionnelles avec lesquelles nous avons été
en collaboration dans le cadre de notre travail. Nous avons été mis en contact ou avons
pu nous adresser à d’autres personnes par connaissances indirectes. Enfin, le "bouche à
63
Il nous arrivera par la suite d'utiliser l'expression dans "l'ordinaire" terme générique utilisé par les
enseignants pour différencier les classes à enseignement classique des classes dispensant un enseignement
spécialisé
55
oreilles" lié à nos premiers entretiens nous conduisit vers d’autres professionnels
susceptibles d’être intéressés par notre propos.
Nous avons rencontré 64 :

3 professeurs des écoles stagiaires, ( Ps1, Ps2, Ps3 ) en 2ème année de formation à
l’IUFM

4 professeurs des écoles en classe ordinaire, deux travaillant en écoles
d’application ( "O"a1 et"O"a2 ), au centre ville de Dijon, en grande section de
maternelle et en CP, une ( "O"1 ), en milieu rural en CM2, et une ( "O"2 ), jeune
professeur des écoles, travaillant en ZUS ( Zone Urbaine Sensible ), en CE1. Les
deux enseignantes en école d’application ont été choisies suite aux contacts établis
avec elles à propos d’un même enfant, B., dans le cadre d’un travail
d’accompagnement effectué durant l'année scolaire 2004-2005, en grande section
de maternelle et durant l'année suivante en CP. Il nous semblait intéressant
d’entendre ces deux enseignantes, ne travaillant pas dans la même école, mais
rattachées aux mêmes conseils de cycle . Elles ne furent pas averties qu'elles
feraient partie l'une et l'autre des personnes interviewées.

3 professeurs des écoles spécialisés option D ( déficience intellectuelle, troubles
du comportement ), deux, ( C1 et C2 ) en CLIS ( Classe d’Intégration Scolaire ),
dont une avec laquelle nous avons des échanges de travail par rapport à un même
enfant depuis deux ans, et une ( S ) en SESSAD ( Service d’Education Spécialisée
et de Soins à Domicile ). Cette dernière, avertie par l’une des enseignantes de
CLIS de notre démarche proposa elle-même que l’on puisse se rencontrer. Cette
proposition fut une opportunité, car nous souhaitions prospecter en direction
des SESSAD, afin de découvrir un autre aspect de l’enseignement spécialisé,
détaché de l’Education Nationale vers le SESSAD.

4 professeurs des école spécialisés option E ( difficulté scolaire ), deux travaillant
dans le même RASED, en ville, et deux dans une ville de campagne, ( E1, E2, E3,
E4 ) .
64
Le sigle, entre parenthèses et en italique, permet de resituer chacun dans les citations à venir
56

3 personnes ressources, avec le même support d’investigation :
- 1 secrétaire de CCPE ( commission de circonscription de l’enseignement préscolaire et
élémentaire )
- 1 psychologue scolaire
ces deux premiers, car ils furent souvent cités lors des entretiens lorsqu’il s’agissait de
coordination et de prise de contact avec les autres professionnels
- 1 assistante sociale scolaire, exerçant en collège et en lycée professionnel. Le service
social en faveur des élèves n’existe pas dans l’enseignement primaire, pour autant, il nous
semblait utile à notre propos d’entendre une professionnelle du travail social dont
l'intervention s'inscrit dans un établissement scolaire, en tant que seule professionnelle du
social intégrée au sein de l’Education Nationale.
Sur les 17 personnes rencontrées figurent 14 femmes et 3 hommes, ces derniers étant
2 professeurs des écoles stagiaires et le secrétaire CCPE.
2-1-3 – les entretiens
2-1-3-1 - Le choix de l’outil d’enquête
Nous avons procédé par interview non directive, ou compréhensive centrée
65
,
fondée sur l’empathie de l’interviewer envers l’interviewé, afin de recueillir des
informations qui dépendent de la subjectivité des acteurs ( "de votre point de vue… ", "en
votre nom", "quel ressenti avez-vous face à…
" ).
Cette attitude non directive laisse à
l’interviewé la liberté de parcourir comme il l’entend la question ouverte qui lui est posée.
Une grille d’entretien a été énoncée afin d’obtenir des développements de discours sur
des thèmes comparables, rattachés à l’hypothèse de départ, thèmes donnés qui constitue
l’axe central de l’entretien. L’interviewer doit s’abstenir de toute intervention directive
qui introduise dans le champ d’expérience de l’interlocuteur une structure ( manière de
65
Mucchielli.A. , Psychologie de la communication, Paris, P.U.F., 1995, in dictionnaire des méthodes qualitatives en
sciences humaines et sociales, Paris, Armand Colin, 1996
57
percevoir, valeur, but ), et n’intervenir que pour augmenter l’information de cet
interlocuteur sur lui-même.
Les techniques retenues d’appel à l’expression furent le paralangage de
compréhension ( acquiescement, regard attentif centré, encouragement à l’expression… ),
signifiant une centration sur l’autre et une compréhension de ce qu’il dit, ce qui
concrétise l’empathie définie plus haut.
C ROGERS et G.M.KINGER
66
La reformulation fut également utilisée :
ont démontré les inductions positives de la
reformulation, qui apporte la certitude d’être compris, et permet à l’interviewer une
compréhension authentique de ce que l’interviewé veut dire. L’interviewer intervient,
non pas sur le fond, mais sur l’organisation du contenu de ce qui lui est dit. Il soutient
sans arrêt l’interlocuteur dans sa réflexion.
Nous nous sommes inspiré de ces
fondamentaux, tout en reconnaissant la difficulté de garder une vigilance par rapport à la
posture de chercheur, les risques d'effraction étant toujours possibles.
2-1-3-2 - Préalable aux entretiens
2-1-3-2-1 – Le premier contact
La plupart des professionnels ont été contactés par appel téléphonique, excepté les
deux enseignantes de CLIS ainsi que la Maître D exerçant en SESSAD, que nous avons
rencontré toutes les trois lors de déplacements professionnels sur leurs lieux de travail.
Nous avons légitimé cette première prise de contact tout d’abord en resituant
dans quel contexte se situe notre démarche de recherche, puis en précisant
synthétiquement le thème de notre sujet de recherche : "à propos de l’enfant en difficulté
scolaire, notre souhait est de questionner ce qui nous donne envie ou non, professionnels du social et
de l’enseignement, de nous rencontrer ", ce thème nous ayant conduit à désirer aller à la
rencontre de professionnels de l’Education Nationale.
Nous avons ensuite précisé les modalités de la rencontre : entretiens enregistrés
d’une heure ½ environ, sur leur lieu de travail si possible, dans un espace où nous
66
Rogers C. et Kinger G.M., Psychothérapie et relations humaines, éd. de l’Université de Louvain, 7è éd., 1966,
in dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales, Paris, Armand Colin, 1996
58
pourrions ne pas être dérangés, l’expérience des deux rencontres de pré-enquête nous
ayant fait prendre conscience de la nécessité d’un cadrage du temps et du lieu. Le respect
de la confidentialité de ce qui serait dit est rappelé afin que l’interviewé puisse s'exprimer
en son nom propre.
2-1-3-2-2 – Premiers constats liés à cette prise de contact
Toutes les personnes contactées ont accepté d’être rencontrées, en leur nom
propre, sans faire référence à leur hiérarchie. Nous avons déjà vu poindre une différence
d’approche de ces professionnels selon qu’ils sont dans l’enseignement spécialisé ou dans
l'enseignement ordinaire : les premiers exprimant pour la plupart leur intérêt par rapport
au sujet, les seconds soulignant régulièrement : "si ça peut vous aider…"
2-1-3-3 – Les entretiens
Nous avons introduit chaque entretien en resituant les informations données lors
du contact téléphonique, et en étant plus précise par rapport à notre thématique de
recherche. Nous avons précisé le sujet support de cette réflexion : l’enfant en échec
scolaire ou en difficulté d’intégration scolaire, ( en laissant ouverte ces deux
interprétations de l’enfant en difficulté scolaire ), auquel nous sommes aux prises, que
l’on soit enseignant ou travailleur social, sujet induisant le propos de la recherche : qu’estce qui nous donne ou non envie de nous rencontrer, entre professionnels oeuvrant à
propos de ce même enfant ?
Notre hypothèse se soutenant de ce souhait d’aller vérifier en quoi le fait de
quitter ses a priori professionnels et de se chercher en tant que sujet socio-désirant peut
être porteur d’une représentation différente de la problématique de l’enfant et d’un
mouvement vers l’autre professionnel, nous avions élaboré une grille d’entretien
permettant d’alimenter la question du sujet socio-désirant . Après avoir rappelé que nous
souhaitions que chacun s’exprime en "son for intérieur", nous avons demandé à notre
interlocuteur de parler :
59
-
de son parcours professionnel, des choix qui accompagnèrent ce parcours …
Comment il définirait l’enfant en difficulté scolaire ? En échec scolaire ? Quel
ressenti a-t-il par rapport à cet enfant ?
-
de son questionnement par rapport à l’échec scolaire : que peut- il dire de la prise en
compte qui en est faite au niveau institutionnel ?
-
des possibilités de soutien, de questionnement de sa pratique, de réflexion ? Ici,
nous évoquions la notion d’analyse de la pratique
- de ses connaissances des instances de remédiation interne à l’institution, pour quelle
coopération ?
- de ses connaissances du travail social, son expérience de partenariat, quelle définition
en donnerait-il, quelles seraient ses aspirations ?
Ces thèmes ont été présentés verbalement, de manière générale, en début
d’entretien, notre idée étant de permettre à l’interlocuteur d’avoir une vue d’ensemble sur
nos attendus, d’éventuellement le rassurer quant à ce qu’on allait lui demander, et afin
qu'il puisse élaborer sa pensée à partir de ce qu’il a entendu de ces propositions. Cette
grille, préalablement posée, nous servit pour relancer l’entretien, pour recentrer celui-ci,
ou pour nous recentrer personnellement.
2-1-3-4 – Premiers constats liés à ces entretiens
Il fut dans l’ensemble plus délicat pour les enseignants en école ordinaire de se
dégager du temps : ainsi, nous avons rencontré une enseignante dans sa classe, le
mercredi, alors qu’elle n’avait pas cours ; une autre, dans l’espace temps entre midi et
deux heures ; une maître E nous reçu chez elle, sur son temps de congés, faute de temps
disponible dans le contexte de son travail. N'ayant pas d’espace de travail déterminé,
nous avons rencontrés les professeurs des écoles stagiaires chez eux, pour deux d’entre
eux, dans notre service pour la troisième. Tous les autres furent interviewés sur leur lieu
de travail, et réussir à ménager un espace de confidentialité.
Au cours de l’entretien, chacun osa progressivement une parole qui lui était
propre : un accent de sincérité et d’engagement de soi est sensible dans tous les
60
témoignages. Quatre enseignantes firent référence à des éléments douloureux de leur vie
personnelle ou familiale, en lien avec ce qu’elles exprimaient à un moment de l’entretien.
Les entretiens avec les enseignants ayant affaire au groupe classe : en classe ordinaire et
pour une moindre mesure en CLIS, nécessitèrent plus de relance qu’avec les enseignants
spécialisés travaillant en réseaux.
Toutefois, toutes les personnes rencontrées
s’exprimèrent longuement, et il fut souvent nécessaire de se rappeler à une certaine
rigueur pour mettre fin aux entretiens ( des informations précieuses arrivant quelquefois
en fin de rencontre, quand le magnétophone était éteint ! ).
Le propos de notre travail de recherche étant étroitement lié à nos préoccupations
professionnelles, la position de chercheur ne fut pas toujours facile à tenir,
particulièrement au moment où une situation de travail vécue dans le contexte
professionnel vint rappeler la problématique articulation de travail non seulement entre
travail social et enseignement, mais également entre services sociaux.
2-1-4 – Cadre conceptuel de l’analyse de contenu
2-1-4-1 – Méthode employée
Pour utiliser les données contenues dans les entretiens, nous nous inspirons de
l’analyse de contenu par théorisation, obtenue par opérations successives de construction
théorisante. Cette méthode repose sur un examen systématique préalable des données,
auxquelles elle revient constamment en cours d’analyse, en même temps qu’elle hisse à
un niveau toujours plus élevé les catégories les plus significatives du phénomène à l’étude.
Elle laisse de côté l’objectif de production d’une théorie, pour celui, plus réaliste, plus axé
sur le processus de théorisation. L’expression théorisation permet de désigner à la fois le
processus et le résultat, tout en indiquant que le résultat lui-même n’est pas une fin mais
plutôt l’état dans lequel se trouve, à un moment donné, une construction théorique
donnée. Théoriser, c’est déjà amener des phénomènes à une compréhension nouvelle,
insérer des événements dans des contextes explicatifs. C’est en même temps s’acheminer
vers cette compréhension, ou mise en relation. Le matériau empirique est à la fois le
point de départ de la théorisation, le lieu de vérification des hypothèses émergentes, et le
61
test ultime de la validité de la construction d’ensemble. C’est une démarche itérative,
c’est à dire qu’elle ne parvient que progressivement, par le jeu d’approximations
successives, à la conceptualisation de son objet.
Nous utilisons 4 étapes caractéristiques de l’analyse qualitative de théorisation,
chacune de ces opérations peut être traduite sous forme de questions posées au corpus :

la codification : les mots ou expressions retenus pour résumer le propos recueilli
doivent être très proche du témoignage livré : "Qu’est ce qu’il y a ici ? " - "Qu’est ce
que c’est ? " - "De quoi est-il question ? "

la catégorisation : une catégorie est un mot, ou une expression désignant, à un
niveau relativement élevé d’abstraction, un phénomène culturel, social, ou
psychologique tel qu'il est perceptible dans un corpus de données : "Qu’est ce qui se
passe ici ? " - "De quoi s’agit-il ? " - "Je suis en face de quel phénomène ? "

la mise en relation des catégorisations : "Ce que j’ai ici est-il lié avec ce que j’ai là ?" "En quoi et comment est-ce lié ? "

l’intégration : "Quel est le problème principal ? " - "Je suis en face de quel phénomène en
général ? " - "Sur quoi mon étude porte t-elle en définitive ? "
2-1-4-2 –Codification et catégorisation
Au cours de la transcription de chaque entretien, puis par relecture, nous avons
procédé à cette première étape de codification, ce qui nous a permis par la suite
d’élaborer des catégories et sous- catégories qui nous servirent de guide pour exploiter les
entretiens.
Nous avons choisi de reprendre les entretiens par spécificités professionnelles,
c’est à dire les trois professeurs des écoles stagiaires, les quatre professeurs des écoles
"ordinaires", les deux maîtres D en CLIS, les trois maîtres E et la maître D en SESSAD.
Les trois entretiens ressources exploratoires de l’Education Nationale ne seront pas
exploités de cette façon, ils nous serviront par la suite à alimenter notre travail de
conceptualisation.
62
Ce guide mis à l’épreuve des premiers entretiens, trouva sa forme définitive après
la reprise d’entretiens de catégories professionnelles différentes. Par ce biais, il nous
parut nécessaire de traiter l’entretien de la maître D travaillant en SESSAD avec celui des
maîtres E, la singularité de ces professionnelles étant de représenter "ce corps d’enseignants
qui n’enseignent pas", et qui ont pour mission de remédier aux difficultés de l’enfant, soit
en petit groupe d’enfants, soit en relation individuelle.
2-1-4-3 – Les catégories retenues
Cinq catégories ont été définies :
-
Le parcours professionnel au sein de l’Education Nationale
-
Le soi professionnel face à l’enfant en échec scolaire
-
Le soi professionnel face à l’Institution Education Nationale dans sa prise en compte
de l’échec scolaire
-
La coopération interne à l’Institution
-
Le partenariat
Les trois premières catégories permettent d’isoler dans les entretiens ce qui a trait
au soi professionnel, à savoir, en référence à cet enfant en difficulté, sur quelles logiques
professionnelles chacun se rattache personnellement et institutionnellement, les deux
dernières catégories, illustrent ce qui a trait à l’ouverture à l’autre, professionnel de la
même institution ou partenaire.
63
2-2 – ANALYSE DE CONTENU
2-2-1 – Recueil de données et analyse catégorielle
2-2-1-1 - Parcours professionnel au sein de l’Education Nationale
Dans cette première catégorie, la présentation de leur parcours au sein de
l’Education Nationale par ces enseignants nous permet de repérer au nom de quel choix
professionnel ils se positionnent.
Les trois professeurs des écoles stagiaires et une enseignante en école ordinaire ont
effectué ou effectuent leur formation à l’IUFM ( Institut Universitaire de Formation des
Maîtres ). Ils ont moins de 30 ans. Les professeurs des écoles stagiaires sont tous trois
impliqués dans le mouvement des CEMEA ( Centre d’Entraînement aux Méthodes
d’Education Active ) , en tant qu’animateurs.
Les dix autres enseignantes ont effectué leur formation initiale à l’Ecole Normale,
dont trois : " entrée par la petite porte" ( E2 ), c’est à dire par concours interne. Elles ont
toutes plus de 40 ans. Les deux enseignantes de CLIS sont dans leur dernière année
d’enseignement.
Les deux professeurs des écoles en classe d’application ont toutes deux une
expérience d’une dizaine d’années de Directrice. Elles ont fait le choix, par la suite, de
passer l’examen pour obtenir le CAFIPEMF ( Certificat d’Aptitude pour être Maître
Formateur ), leur choix étant porté, pour l’une, par une certaine lassitude de la fonction
d’enseignant : "on a beau aimer les enfants, au bout d’un moment, on tourne en rond" ( "O"a1 ),
pour les deux par leur désir d’échanger avec des adultes : "donner une autre dimension à mon
métier" ( "O"a2 ) .
la plus jeune des professeurs des écoles a eu aussi une expérience de Direction :
elle a accepté une décharge de direction, afin de pouvoir se rapprocher de Dijon.
Les trois maîtres D ont toujours travaillé dans l'enseignement spécialisé :
"… tombée très jeune en AIS " ( C1 ). Ce ne fut pas par choix au départ, ce fut leur premier
poste après leur formation initiale à l’Ecole Normale, mais ce type de classe leur a plu, et
64
leur a donné envie de travailler avec des enfants en difficulté. Elles passèrent ensuite le
Certificat d’Aptitude à l’Enfance Inadaptée, CAEI, après une année de formation. Deux
d’entre elles travaillant en CLIS ont affaire à une classe à effectif réduit ( 12 enfants
maximum, reconnus en situation de handicap ). La troisième maître D intervient en
SESSAD, dans la cadre de l’intégration scolaire. Elle affirme ce qui a motivé son choix :
"j’ai été habituée à travailler en équipe pluri-disciplinaire dès ma sortie d’école, et c’est pour cela que
j’ai choisi le spécialisé … "
Les quatre maîtres E viennent d’effectuer leur formation de maître spécialisé,
option E ( enfants en difficulté scolaire ) après plus de vingt ans en tant que professeur
des écoles. Elles parlent toutes quatre de leur reprise de formation en termes de :
"besoin… je ronronnais" ( E3 ), "de réalité à prendre en compte… tant qu’à faire de m’occuper
d’enfants en difficulté, autant que je ne fasse que cela" ( E2 ). Cette formation, en alternance,
réduite dernièrement de moitié en temps : "véritable marathon" ( E3 ), est définie comme
"une sacré remise en question" ( E2 ), et confrontent certains professionnels à faire
l’expérience de l’échec lié à la formation : "quand on a X années d’expérience derrière soi,
l’échec est difficile à supporter… " ( E4 ).
2-2-1-2 – Soi professionnel face à l’enfant en échec scolaire
Nous souhaitons dans cette catégorie recueillir l’expression de ce qu’éprouve
chaque professionnel dans sa rencontre avec l’enfant en difficulté, et en quoi cela vient
ou non interroger sa vocation, dans le sens défini par F. DUBET, c’est à dire son
accomplissement de soi dans son activité professionnelle. Nous nous arrêterons tout
d’abord sur la déclinaison que font chaque professionnel de ces notions d’enfant, gamin,
élève, écolier, en référence à la partie théorique de notre travail de recherche "l’enfant à
côté de l’élève" ( p.6 à 9 ), puis d’enfant en échec scolaire : comment décline-il ces notions
qui ont trait à cet "autre" à propos duquel il se mobilise ? Puis nous nous intéresserons
aux valeurs professionnelles sur lesquelles s’appuie chaque enseignant face à cet enfant, et
à ce qu’il exprime de ce que lui renvoie l’enfant en difficulté par rapport à sa vocation.
65
2-2-1-2-1 - Déclinaison de cet autrui 67 sur lequel travaille l’enseignant
2-2-1-2-1-1 – Déclinaison des notions d’enfant, gamin, élève, écolier.
La mise en dualité des concepts d’enfant et d’élève est particulièrement sensible à
travers ce que les professeurs des écoles stagiaires définissent des apports transmis par
l’IUFM : "on nous demande de parler d’élèves … l’élève, c’est l’enfant apprenant, ça évacue un
peu l’aspect éducatif, psychologique, tout ce qu’on ne voit pas à l’IUFM… " ( S3 ), "quand j’écris
mes fiches, je fais attention, je mets bien élève, mais souvent, je pense plutôt enfant" ( S3 ). Sur
leurs lieux de stage, ils ont repéré qu’il sera plutôt question d’enfants en ZEP ( Zone
d’Education Prioritaire ) alors que "en école d’application, où enseignent les maîtres formateurs,
on en parle en tant qu’élève, apprenant" ( S1 ). Cette dernière citation se vérifie par les
définitions distinctes de l’enfant, de l’élève, voire de l’écolier données par les deux maîtres
formateurs, enseignantes en école d’application : "l’élève, pour moi, c’est l’objet de mon travail
… c’est celui dont je peux faire abstraction de la famille…" ( "O"a1 ), "l’élève rejoint la notion
d’écolier, c’est à dire un enfant en situation d’apprentissage à l’école" ( "O"a2 ), alors que leurs
deux collègues, enseignantes en école "ordinaire", ( l’une enseignante depuis 30 ans,
l’autre, jeune enseignante issue de l’IUFM ), donnent une définition plus nuancée de ces
notions : "on parle d’enfant et d’élève", "je parle rarement d’élèves, même si j’ai appris les
distinctions : je suis une professionnelle à qui l’on attribue des élèves… " ( "O"2 ). Toutefois, cette
enseignante précise que lorsqu’elle rencontre les parents elle privilégiera la notion d’élève,
pour ne pas empiéter sur ce qui a trait au domaine familial : " je me dis que les parents ont
peut-être besoin qu’on dissocie les deux, et que l’on ne parle pas de l’enfant mais de l’élève … parce
que les soucis éducatifs, financiers, je me dis qu’ils y a peut-être une pudeur, et qu’ils n’ont pas envie
qu’on parle de cela.. quand c’est en dehors de l’aspect élève, je fais appel à la directrice, je préfère
garder un lien là avec les parents" ("O"2 ).
Cette mise en dualité s’affirme également dans le discours de "ces enseignants qui
n’enseignent pas", ici les quatre Maîtres E, particulièrement lorsqu’elles définissent leur
mission au titre de la remédiation :" … il faut voir comment l’enfant fonctionne… " ( E1 ),
"moi, quand je suis au niveau de la difficulté, je travaille avec l’enfant, pas seulement au niveau de
67
voir p. 6 partie théorique
66
l’élève… " ( E4 ), "on va travailler sur son rôle d’élève … " ( E3 ), "un enfant qui n’a pas l’attitude
d’élève" ( E4 ). Le terme d’écolier sera également précisé : "l’écolier, il vient à l’école… comme
si c’était un état, un statut, il est écolier. L’élève, c’est celui qui est prêt à apprendre, qui accepte
d’être enseigné, et puis au milieu, il y a l’enfant…
c’est comme s’il y avait trois
personnalités" ( E3 ).
La prise en considération de l’enfant à côté de l’élève vient toutefois brouiller les
cartes de la certitude, l’une des maîtres E précise qu’auparavant, lorsqu’elle était dans
l’enseignement ordinaire : "je m’accrochais à cette notion d’élève, je me disais, l’enfant, c’est
dans sa famille, et puis, une fois qu’il est à l’école, il est élève … en fait je me rends compte que c’est
pas si simple, c’est peut-être ridicule de dire cela aussi longtemps après, un enfant, il est à l’école, il
peut-être écolier; mais il peut aussi être élève, apprendre… il peut être aussi enfant, avec tout ce qui
lui arrive autour, je sens qu’il y a plusieurs dimensions … " ( E2 ).
Derrière la catégorisation de ces termes, le discours d’ensemble des enseignants
laisse place de manière dominante au terme enfant, voire gamin. Le terme enfant est
associé à "en difficulté", "en souffrance". Le terme enfant est utilisé lorsque les parents sont
évoqués, et lorsque, très rarement, les autres professionnels sont cités. L’utilisation du
terme gamin laisse poindre quelquefois comme une pudeur, une retenue pour parler de
ses affects face à l’enfant : "le quotidien au gamin" ( "O"1 ), "si le gamin va très mal" ( "O"1 ), "le
passé d’un gamin" ( "O"1 ), "le gamin fragile" ( C1 ), "nos ressentis par rapport au gamin" ("O" 2 ).
L’enfant est également évoqué comme étant "pris dans sa globalité" par les deux
enseignantes en école ordinaire, et par la maître D en SESSAD. Nous pouvons déjà
préciser, et cela se confirmera lorsqu’il sera question de coopération, que cette expression
est porteuse de deux sens différents : pour les enseignantes en école "ordinaire", ce terme
définit une prise en compte de l’enfant dans une dynamique d’apprenant : "… si on prend
un enfant dans sa globalité, ce sera un enfant, l’élève c’est l’enfant en situation d’apprentissage"
( "O"1 ), alors que pour la maître D en SESSAD, ce terme évoque plutôt la prise en
compte de l’environnement socio-affectif de l’enfant. Elle est la seule à évoquer la notion
de partenariat pour définir le terme enfant, associant cela avec le fait qu’elle travaille en
équipe pluridisciplinaire : "je crois que c’est ça, ce partenariat, d’entendre parler de cet enfant, de
67
sa famille, j’ai beaucoup tendance à parler d’enfant … je l’envisage dans quelque chose de plus
global, de plus dynamique…" ( S ).
2-2-1-2-1-2 – Déclinaison de la notion d’enfant en échec scolaire : "à savoir pourquoi ils ne
peuvent apprendre ?.." ( "O"a1 )
La notion d’enfant en situation d’échec est particulièrement définie par "ces
enseignants qui n’enseignent pas", les maîtres E et la maître D en SESSAD, en référence à
ce qu’on attend de l’enfant, élève en classe :" … un enfant qui n’a pas compris ce qu’on vient
faire à l’école… Il n’a pas compris ce que c’était que le statut d’élève… " ( E4 ).
Tous les enseignants évoquent l’échec scolaire comme conséquence de difficultés
vécues par l’enfant : "Pour moi, c’est déjà un enfant qui a des difficultés ; après, l’échec scolaire,
ça vient dans un deuxième temps… " ( Ps2 ). Ces difficultés sont définies en deçà du système
scolaire : "ce sont des gamins qui sont intelligents, qui sont capables de faire plein de choses, mais
qui sont tellement parasités par plein d’autres choses… " ( C2 ).
La famille de l’enfant est alors citée, tout d’abord en référence à l’environnement
socio – économico - culturel de l’enfant : "… dans ces milieux où les parents ne se lèvent pas
pour aller travailler, l’enfant va à l’école avec au moins ce statut d’écolier, qui peut être une
enveloppe vide" ( E3), "c’est aussi une question d’éducation, de stimulation, d’éveil, de langage, de
communication dans la famille… " ( C1 ), les parents semblent alors victimes de systèmes
( dont le système scolaire auquel ils eurent à faire ) : "… qui n’ont pas trop un regard positif de
l’école… " ( "O"a1 ), "des familles qui ont peur de venir à l’école, parce qu’ils ont déjà un passé avec
l’école douloureux" ( "O"a2 ).
Puis la responsabilité des parents est évoquée, avec une certaine virulence, qui fait
souvent écho au sentiment d’impuissance, sur lequel nous reviendrons par la suite,
exprimé par ces professionnels :"… un cas social, avec de grosses carences éducatives… " ( E2 ),
"… rien n’est fait à la maison, ses apprentissages ne sont pas renforcés… il y a manque éducatif… "
( "O"a1 ), "l’échec, pour moi, c’est quand il n’y a pas d’évolution, quand on sait que les parents ne
veulent rien faire… " ( "O"a2 ). Responsabilité de l’institution Famille, " je me demande s’il
n’y a pas confusion des rôles… on attend de l’école qu’elle fasse le travail des parents… " ( "O"a2 ),
68
alors renvoyée "dos à dos", nous le verrons plus loin, à cette autre institution qu’est
l’Education Nationale : " l’échec, on le vit surtout par rapport à la prise en compte de la difficulté
de l’enfant, aussi bien au niveau des parents, qui ne prennent pas en compte la difficulté de
l’enfant, et aussi de l’Education Nationale qui ne donne pas aux enseignants les moyens d’agir … "
( C2 ).
2-2-1-2-2 - Posture professionnelle face à l’enfant en échec scolaire
Les professeurs des écoles stagiaires s’expriment en référence à leur vocation :
"pour moi, on est des éducateurs, à part entière… ça fait partie du métier… ça permet de situer
comment la personne va s’impliquer dans son métier… " ( Ps2 ). Ils essaient de se définir une
posture volontariste, dans le jonglage entre gestion du groupe classe et pédagogie
différenciée : "il faut être fort sur le moment, je crois ; c’est à dire qu’il faut avoir cette capacité sur
le moment à s’adapter… " ( Ps2 ), "il vaut mieux valoriser les réussites, c’est capital pour réussir
avec des enfants comme cela… " ( Ps3 ), "… comment faire travailler tout le monde, sans en perdre
en route, c’est une question qui m’interpelle beaucoup… " ( Ps3 ).
Les professeurs des écoles "ordinaires" évoquent la prise en compte de ces enfants
en difficulté comme une nécessité incontournable : "ça fait partie de notre travail aussi de
participer à l’intégration des enfants… " ( "O"2 ) ,"ça fait partie de l’éducation de se dire : on est
chacun différent, on fait avec ce qu’on est et qui on est… " ( "O"2 ). Ce faisant, elles expriment
avec beaucoup de force leur solitude, leur découragement, ou leur sentiment
d’impuissance : "… on est face à de telles lacunes, c’est très compliqué pour moi de l’aider… "
( "O"1 ), "… et qu’est ce qu’il va devenir ? " ( "O"1 ), "qu’est-ce qu’on peut faire, comment ? "
( "O"1 ) ,"ça été très douloureux, parce que chaque maîtresse a fait ce qu’elle a pu… " ( "O" a2 ).
Enjeu différent pour les enseignants spécialisés, qui expriment un certain
dégagement vis à vis de l’obligation de réussite.
Aussi, en référence à l’enfant en
difficulté, auront-ils un autre rapport aux attendus de l’école: "… notre seul souci est d’aider
les enfants à progresser, sans échéances particulières, ça change tout… Quand on a réussi, je trouve
que la satisfaction est autre pour tout le monde" ( E4 ), et par rapport à la notion de temps
nécessaire aux apprentissages : " … là, la notion de temps est abolie, on a pris le temps de se dire
69
pourquoi on le faisait, comment on le faisait… " ( E3 ). La notion de relation, autre que
pédagogique, est évoquée, comme étant bien une réalité à prendre en compte : "… dans le
pédagogique, il y a le didactique, mais il y a quand même ce qui est de l’ordre de la relation, quoi …
Il y a du cognitif, et il y a du psycho-affectif à côté, et tout cela c’est un tout, et ça nous regarde… "
On n’est plus l’enseignant qui arrive avec son savoir, c’est une approche tellement différente que, si
je retourne dans une classe, je ne serai plus totalement comme j’étais avant … " ( S ),."… dans le
spécialisé, il y a quelque chose de l’ordre du transfert, comme en psychothérapie … " ( E2 ).
Seuls les professeurs des écoles ordinaires, et les futurs enseignants évoquent
l’échec de l’enfant comme faisant retour sur leur compétence d’enseignants : "C’est la
compétence de l’instit qui rejaillit sur le gamin… L’instit se sent coupable des problèmes que peut
rencontrer un gamin" ( "O"1 ), "… on ne parle pas d’échec … parce que l’échec scolaire, ça veut dire
échec pour nous aussi" ( "O"a1 ) "si on n’y arrive pas, on n’est pas un bon enseignant… "( Ps1 ),
l’échec de l’enfant les renvoyant à une faillite de leur mission et de ce que l’institution, et
leurs pairs ( collègues spécialisés, professeurs des collèges… ) attendent d’eux : "on est jugé,
noté, classifié, donc, obligatoirement, on a aussi cette peur là, d’être jugé par un autre collègue" ( S )
Nous verrons les conséquences de ces ressentis sur ce qu’ils expriment autour de la
coopération au sein de l’institution, avec les enseignants spécialisés, ces derniers étant
dans la remédiation de la mission de leurs collègues.
2-2-1-2-3 - Analyse de cette catégorie
Nous retrouvons les logiques opposant le caractère didactique de l’enseignement
et l’abord psychologique de l’enfant à travers cette utilisation de manière clivée,
objectivante, de ces notions d’enfant et d’élève. La dualité enfant / élève reste une
référence forte, permettant à l’enseignant de délimiter son champ d’intervention : pour
les professeurs des écoles, ce sera en référence au vécu socio–éducatif de l’enfant, pour les
enseignants spécialisés, ce sera en référence aux fondamentaux sur lesquels repose leur
mission de remédiation, essentiellement les sciences cognitives. Cette dualité ouvre peu
l’espace lié au continuum environnemental de l’enfant, et par conséquent, comme nous
70
le verrons par la suite, ne peut donner place à ces autres oeuvrant à propos de ce même
enfant.
A ce clivage enfant / -élève vient se greffer, lorsqu’il est parlé de l’environnement
socio-affectif de l’enfant, le clivage famille / école. Ce clivage semble d’autant plus
important que l’on sent poindre, avec une grande force, la conscience chez le
professionnel que ce dont il est question se joue bien en deça de ce clivage, ceci venant
renforcer un grand sentiment de découragement.
Du côté des enseignants spécialisés, nous pouvons souligner le paradoxe entre ce
qu’ils disent de leur mission, et ce qu’ils expriment de leur rencontre avec l’enfant. On
voit poindre alors le "c’est pas si simple" ( E2 ) , exprimé par cette maître E, mais aussi le
"petit plus" de la rencontre à l’autre qui fait tomber son supposé savoir, et qui vient
interroger quelque chose de la notion de pédagogie, comme introduire la question de la
relation intersubjective, voire même l’évocation de la notion de transfert.
Leurs
témoignages révèlent l’expression d’un sentiment d’accomplissement de soi dans leur
mission, alors que, a contrario, les enseignants dans "l’ordinaire", expriment un grand
désarroi face à cet enfant en difficulté. Est-ce seulement lié à leurs missions différentes ?
Nous essaierons ultérieurement d’analyser de quoi peut-être fait ce désarroi.
2-2-1-3 – Soi professionnel face à l’institution Education Nationale dans sa
prise en compte de l’échec scolaire
Après nous être arrêté sur ce qu’expriment ces professionnels de leur vocation et
de leur posture professionnelle face à l’enfant en difficulté, nous nous tournons vers ce
qu’ils disent de la prise en compte de l’enfant en échec scolaire par leur institution. En
quel terme est évoquée la notion d’échec, comment les enseignants sont-ils sensibilisés
par l’Education Nationale aux difficultés scolaires des enfants. Nous verrons par la suite
quelles connaissances ont les professionnels des remédiations proposées par leur
institution, et quel regard ils portent sur les moyens mis en place .
71
2-2-1-3-1 - Déclinaison par l’Education Nationale de la notion d’échec scolaire
Tous les témoignages concourent à dire : "… On ne parle pas d’échec… Il est en
difficulté, c’est ce qu’on dit … " ( "O"a1 ) . La difficulté scolaire est très peu abordée à
l’IUFM : "enfant en difficulté, on n’en parle pas; c’est un thème qu’on n’aborde pas… On tourne
souvent autour du pot", ( Ps2 ), ou abordée dans le registre de la nosologie : " un cour
magistral, sur les QI, pour déceler des signes de handicaps" ( Ps2 ). Cette notion, évoquée par
défaut, élevée à l’ordre de tabou, indifféremment attribuée aux enfants scolarisés en AIS
comme aux enfants scolarisés en ZEP, est d’autant plus décrite en terme de crainte, de
peur : "… je n’ai pas été traumatisée par mon passage en ZEP… " ( Ps3 ), "au niveau formation,
j’ai passé une ½ journée dans un IME, pour nous montrer que ça fait pas peur, et que si l’année
suivante on y était, fallait pas qu’on ait peur… " ( "O"2 ). Car la confrontation à l’enfant en
difficulté scolaire est soulignée comme un passage obligé pour les enseignants sortant de
l’IUFM : "on a de grandes probabilités d’être envoyer dans les classes dont personne ne veut, c’est ce
qu’on dit… " ( Ps3 ). Dans ces classes seront orientés les futurs enseignants qui ne sont pas
dans la réussite immédiate, qui ont raté le concours d’entrée à l’IUFM, et qui se
retrouvent sur liste complémentaire. Cette orientation, imposée ou choisie par défaut :
"c’est tout à fait mathématique, c’est pour rester sur D., sinon, elles sont envoyées à la campagne… "
( C2 ), sans formation appropriée : "… Pour enseigner en CLIS, normalement, il y a une
formation, mais je crois qu’il y a plus de 30 % des CLIS qui ne sont pas tenues par des enseignants
spécialisés" ( C1 ), portant tous les a priori liés à la méconnaissance, à la dépréciation même
du professionnel entrant par la "petite porte" ( E2 ), questionne quant à la prise en compte,
par l’Education Nationale, de l’enfant ne répondant pas aux exigences de réussite : "C’est
clair et net qu’on nous oriente vers des enfants qui peuvent apprendre… On va dire, un élève
moyen, vers une certaine norme …" ( Ps2 ), "c’est comme si on avait un enseignement pour un enfant
moyen qui n’existe pas, quoi… " ( C2 ). Cela interroge également sur la reconnaissance de ces
professions qui ont affaire aux enfants en difficulté : "… il y a aussi un problème de l’AIS,
c’est pas des postes qui sont très attractifs… Au niveau rémunération… La formation est quelque
chose de lourd… " ( C2 ).
72
Pour autant, la notion de réussite reste une notion floue, utilisée comme allant de
soi : "comment on définit la réussite ? Et là, à l’IUFM, on n’en parle jamais … Et ça c’est grave
Dans le scolaire, on a tendance à penser que la réussite, c’est réussir ses études" ( Ps2 ).
2-2-1-3-2 – Connaissance des réponses institutionnelles aux difficultés scolaires
A la différence des enseignants en remédiation, qui déclinent leur mission et le
chemin parcouru par l’enfant pour en bénéficier, tous les autres professionnels ayant
affaire à une classe affichent dans l’ensemble une grande méconnaissance des réponses
institutionnelles : les professeurs des écoles stagiaires précisent à quel point, à l'IUFM,
peu d’intérêt et de temps est consacré à ce domaine au titre de l'information: "… On a eu
un module AIS, d’ailleurs, je ne sais toujours pas ce que ça veut dire… " ( Ps3 ), "à l’IUFM, on
nous parle rapidement des partenaires de l’école au sens vraiment large, le RASED, je l’ai connu
pendant mes stages… " ( Ps1 ). L’impasse faite par l’Institut de formation sur l’information
des futurs enseignants se confirme dans les dires des professeurs des écoles dans
l’enseignement "ordinaire", qui n’ont pas plus d’information par la suite, même lorsqu’il
est question de projets ou de programmes qui s’appliquent à leur mission : "… On a eu
une réunion, et il va se faire , ça s’appelle un PPRE 68, un plan… de je ne sais pas quoi ? " ( "O"a1
), "… les PPAP, projets d’aide personnalisé, qui n’existe plus, ça va être… en fait, cette année, on
est dans l’année où il n’y a rien ! Si j’ai bien compris,( les PPRE ) ça va être pour les enfants en
plus grande difficulté … " ( "O"2 ). Les enseignantes en CLIS n’avaient aucune information
concernant la Maison Départementale de la Personne Handicapée, MDPH, et les
bouleversements que cela allait provoquer au sein de l’Education Nationale - suppression
de ce que sont actuellement les CCPE, CDES, les secrétaires CCPE - : "… le secrétaire
CCPE m’en a vaguement parlé, alors ça, c’est le Conseil général qui va plutôt gérer… C’est un
sujet qui est encore complètement inconnu pour moi… " ( C1 ).
68
Le Programme Personnalisé de Réussite Educative ( PPRE ) émane du Ministère de l'Education
Nationale, Art. 16 et 17 de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école du 23/05/2005. Le
PPRE prend le relais du Programme Personnalisé d'Aide et de Progrès ( PPAP ) paru au B.O.n°44 du
26/11/98 – Circulaire n°98 - 229
73
2-2-1-3-3 – Lecture critique des réponses institutionnelles par les enseignants : "nous, on
est la seule institution, et l’école n’a pas forcément la bonne façon d’aborder les choses… " ( C2 ).
Tous les professionnels en exercice évoquent les moyens inadaptés, insuffisants ou
inexistants des réponses institutionnelles : l'inadaptation due aux suppressions des classes
d’adaptation, regrettées par toutes les professeurs des écoles ordinaires,.l'inadaptation due
à la suppression des classes de perfectionnement, regrettées par les deux enseignantes de
CLIS, ayant auparavant enseigné dans ces classes. Pour ces deux dernières, avec la
transformation de ces classes en CLIS a disparu la prise en charge d’enfants : "… qui
n’avaient qu’un retard scolaire… ce qui permettait quelquefois de les réinjecter dans l’ordinaire …"
( C1 ) , pour regrouper désormais dans ces CLIS des enfants aux problématiques de plus
en plus lourdes : "… on a eu des enfants qui étaient dans le handicap mental ! et avec beaucoup
d’autres pathologies associées… " ( C1 ). En conséquence, de plus en plus d’enfants se
trouvent ne plus répondre à aucun créneau proposé par l’Education Nationale : "Partout,
on a l’impression qu’on reçoit des gamins qui ne sont pas… adaptés… Ou du moins que la
structure n’est plus adaptée au gamin… Il y a une inadaptation quelque part, je ne sais pas où elle
est, mais il y a quelque chose qui va pas là… Ils sont à la marge partout… " ( "O1" ) dit une
professeur des écoles dans l’enseignement ordinaire, propos teinté d'un sentiment de
désarroi et colère relayé par l’ensemble des enseignants en exercice. Ces enfants sont
maintenus en classe ordinaire, sans réels moyens prenant en compte leurs difficultés : les
aides aux devoirs inexistantes dans certaines écoles, les prises de position inflexibles de
certains inspecteurs opposés coûte que coûte au maintien,( redoublement ), les instances
de remédiation internes à l’institution, les RASED : "… qui sont tellement peau de chagrin, et
dans le rural, c’est le
plus" ( "O"1 ).
bouquet… Ils n’ont plus de frais de déplacement donc, ils ne se déplacent
Les interventions des réseaux , chargés de prendre en charge les enfants
relevant auparavant des classes d’adaptation sont définies comme : "insuffisantes",
"manifestement pas assez efficace, pas satisfaisant… " ( C2 ) par les enseignantes dans
"l’"ordinaire" ou en CLIS, faute de moyens suffisants.
Ces professionnels semblent désabusés par l’inadaptation des moyens,
nostalgiques de ce qui existait auparavant, prennent en dérision tout nouveau projet pour
74
lequel : "c’est toujours la même chose chez nous, on n’arrête pas de nous en donner des projets, mais
pour les mettre en place… Ma collègue de CM1, elle a tellement d’enfants en difficultés dans sa
classe, elle dit : je vais faire des pépères ( PPRE ), il m’en faudrait au moins 10 dans ma classe… "
( C2 ). Professionnels non informés, comme nous l’avons vu précédemment, inquiets, ce
qui vient renforcer leurs a priori par rapport à toutes nouvelles réformes, ainsi concernant
celles dues à la création de la Maison Départementale de la Personne Handicapée : "… Il
ne va plus y avoir de secrétaire de CCPE ! on arrivait à avoir des choses au niveau de la
circonscription, on arrivait à avoir un référent, qui était quelqu’un d’accessible, le secrétaire de la
CCPE, là, ça me semble très fumeux, très lointain … " ( C2 ). Ils évoquent la Politique de
l’Education Nationale ne prenant pas en compte les conditions nécessaires à une réelle
qualité de la prise en charge : " c’est une politique, je dirais : le souci de cet inspecteur, c’est de
balayer le plus possible le secteur; même si les aides ne sont pas approfondies… " ( E2 ), ne
reconnaissant pas l’intérêt d’une prise en compte différente des enfants en difficulté : "…
Il y a quand même une politique globale de l’Education Nationale qui est de retirer tous les gens qui
n’ont pas de classe… l’inspectrice m’a quand même demandé : prouvez-moi que vous êtes utile et
que vous servez à quelque chose… " ( S ).
En conclusion, tous les professionnels rencontrés, agents de l’Education
Nationale, semblent faire unanimement le procès de leur institution : "… C’est l’Education
Nationale qui offre ou qui n’offre pas les possibilités de prendre en charge ce gamin selon ses
problèmes ; et en général, qui n’offre pas… " ( C2 ). En conséquence, ces enseignants
confirment ouvertement une intuition sous jacente à ce travail de recherche : n’y a-t-il pas
de plus en plus d’enfants oubliés par le système scolaire actuel ?
2-2-1-3-4 – Analyse de ces premières catégories
Ces trois premières catégories ont permis d’extraire le positionnement des
professionnels dans leur rencontre avec l’enfant que l’on a définit en échec scolaire.
Expression de leurs propres ressentis par rapport à leur vocation, expression de ce qui les
interpelle par rapport à leur propre institution. Nous avons pu repérer des divergences de
ressenti, selon les fonctions, particulièrement entre les enseignants qui ont affaire au
75
groupe classe, et ceux en remédiation. Tous ces professionnels sont critiques par rapport
à leur institution, qui ne leur donne pas les moyens de prendre en compte ces enfants en
difficulté, et tous confirment avec grande inquiétude, voire même colère ce constat
grandissant d’enfants non pris en compte et oubliés.
De nombreux témoignages laissent deviner un grand désarroi, un sentiment
d’impuissance face à ces constats.
Pourquoi ces professionnels se sentent t-ils si
malmenés ? Expriment-ils tous leurs ressentis de la même manière ? Quelle est leur
attente ? En quoi les logiques dans lesquelles ils sont enclavés les renvoient-ils à tant
d’impuissance ? Nous reviendrons sur ces questions dans la partie analyse des données,
lorsque nous aborderons le thème de la clinique professionnelle.
Nous allons auparavant prolonger notre investigation dans les deux catégories
suivantes sur ce qu’expriment ces professionnels du travail en coopération, interne à
l’institution, puis en partenariat. Ce qui précède nous sensibilise au fait d’un manque de
connaissance, mais peut-être également d’un manque de curiosité, par rapport aux autres
professionnels. Comment déclinent-ils ces autres gravitant autour de l’enfant ? Quel
regard sur cet autre pouvant également intervenir auprès de l’enfant ? Quelle coopération
est possible ?
2-2-1-4 – Coopération interne à l’institution
Notre échantillon fait se croiser les dires de personnes travaillant pour la même
institution, dans des fonctions différentes.
2-2-1-4-1 – Les acteurs cités en terme de coopération
Les parents sont évoqués essentiellement par les professeurs des écoles ordinaires,
dans une recherche de leur soutien dans le travail scolaire de l’enfant : " si on réussit à
établir cet échange, on a une partie de gagnée dans la valorisation du travail du gamin" ( "O"a1 ).
Ils sont également évoqués par les enseignants en remédiation dans le souci de les
sensibiliser à leur intervention, or :" les parents ne se mobilisent que très rarement : la prise en
charge est sur le temps scolaire, donc, ça ne les dérange pas… " ( E1 ).
76
Le travail en équipe sera cité particulièrement par les enseignantes en
remédiation, les maîtres E en découvrent tout l’intérêt après leurs années d’enseignement
dans l’enseignement classique : "… j’ai trouvé une nouvelle équipe, on créé quelque chose… Il y
a un cercle de personnes autour de l’enfant … " ( E1 ). A contrario, les enseignantes qui ont
affaire à une classe, dans l’enseignement ordinaire ou en CLIS, disent toutes combien la
référence à l’équipe est inexistante : "… on n’en parle pas… C’est comme si, quand on n’a pas
des élèves difficiles, on n’a pas besoin des collègues … " ( "O"2 ), ou alors évoquée au titre de
remède : "la question de l’équipe, c’est quasiment la solution qui intervient pour tous les problèmes
qui se posent en ZEP, on va dire… " ( Ps3 ). Toutefois, l’une d’entre elles témoigne de
l’intérêt des cycles qui "ont au moins apporté cela, que ce soit un peu plus collectif… qu’il puisse
quand même y avoir un échange… " ( "O"2 ), et qui permettent, dans son école : " une réflexion
globale, on essaie d’organiser l’espace commun… on arrive à faire une cour où les enfants jouent… "
Une enseignante en CLIS, dans le même lieu géographique que ses collègues de
l’enseignement ordinaire, mais très isolée dans sa fonction, et en manque de repères,
exprime son attente d’un retour sur son travail par ces derniers.: "je discute beaucoup avec la
maîtresse de CM, et au vue du cahier de certains de mes élèves, je m’entends dire que c’est très
bien" ( C1 ). Elle évoque également l’importance du secrétaire CCPE, qui est son seul
recours pour avoir quelques informations sur les enfants qui lui sont confiés : "… Ce que
je regrette, c’est qu’on nous parachute des enfants, et on ne sais rien de leur problématique, entre
enseignants, il y a un problème de communication" ( C1 ). Les références à un savoir médical
sont encore très sensibles, le médecin scolaire, l’orthophoniste, et la psychologue scolaire
sont également cités.
La logique institutionnelle sur laquelle ont été fondées les instances de
remédiation au sein de l’Education Nationale induit un clivage entre fonctions, et
n’encourage pas la coopération : "… Un RASED est constitué uniquement d’enseignants
spécialisés ; c’est vraiment une structure à part entière, dans laquelle l’enseignant ordinaire n’est pas
invité … " ( E3 ), "l’AIS, l’Adaptation et l’Intégration scolaire, je dirais que c’est un autre monde
dans l’Education Nationale, c’est assez cloisonné finalement, qu’on est plus enseignant comme les
autres… " ( E4 )…
77
Le "travail ensemble", c’est à dire ce travail d’échanges et réflexion, en apport
mutuel, avec l’autre professionnel appartenant à la même institution sera cité au cas par
cas, effet de volonté subjective : "c’est une question de personnes, plus ou moins prêtes à
partager" ( S ), "s’il y a des atomes crochus entre les gens" ( E4 ), "c’est pas dit que les collègues vont
avoir envie" ( E1 ), "c’est à l’initiative personnelle de l’enseignant" ( E3 ), "c’est une question
d’individualité" ( S ). Ce seront plutôt les enseignants en remédiation qui citeront certains
exemples de travail en coopération avec certains enseignants, tout en précisant combien
cette démarche peut être délicate. Nous verrons sur quels a priori repose le regard porté
par chaque professionnel sur cet autre appartenant à la même institution, mais n’exerçant
pas la même fonction, et en quoi cela peut venir parasiter le désir de coopérer.
2-2-1-4-2 – Regard sur l’autre professionnel à l’intérieur de l’institution
Les professeurs des écoles dans l’enseignement ordinaire, qu’ils soient stagiaires
ou en exercice parlent avec réserve de la coopération avec les enseignants travaillant en
RASED, peur du jugement pour les uns, déséquilibre dans les possibilités de prises de
décision d’orientation pour les autres : "… le RASED nous dit : non, il ne relève pas de …
C’est pas forcément à eux de le dire, quoi… C’est le RASED qui connaît le spécialisé, mais c’est
nous qui sommes responsables des orientations, en lien avec eux…
ça créé ce déséquilibre, ce qui
fait qu’il y a un peu une toute puissance … " ( "O"2 ), "avant la CCPE, c’est déjà jouer… Parce
que, qui siège à la CCPE, c’est le psychologue, il y a un certain filtrage… " ( "O"2 ), "en CDES,
seul va aller défendre le dossier le secrétaire de la CCPE, les enseignants ne sont pas invités" ( C1 ).
Les deux professeurs des écoles en classe d’application exprimeront un certain
mépris par rapport à ces instances : "en fait, les situations remèdes, c’est à eux de nous les
fournir normalement, puisque c’est leur métier, ils ont une formation pour… " ( "O"a1 ), et les
opposeront à plusieurs reprises aux CAMPS "on a quand même une instance qui marche bien,
c’est le CAMPS… Par rapport au RASED, on a affaire à plein de spécialistes, qui sont autour de
l’enfant,
qui font, je crois, un travail très pointu…
Et qui se concertent, qui travaillent
ensemble" ( "O"a2 ).
78
En retour, les enseignants spécialisés en remédiation parlent avec une certaine
condescendance de leurs collègues enseignants : "l’enseignant, par sa formation, aime être
maître à bord… " ( E2 ),"Je crois que les collègues ont beaucoup de mal à être dans la relation à
double sens … " ( S ), "… Il doit rencontrer des problèmes, mais il ne demande pas à ce qu’on l’aide"
( E1 ), "une espèce d’inquiétude, de peur que l’autre soi meilleur que soi… " ( E4 ).
Ces professionnels ont une place particulière, comme nous l’avons vu
précédemment, qui est de remédier aux difficultés scolaires de l’enfant, donc d’aller voir
là où l’enseignant s’est trouvé en difficulté. Ils interviennent quelquefois dans la classe :
"… il y a vraiment à rassurer l’autre, resituer les champs de compétence de chacun… " ( S ), et
conviennent qu’ils peuvent se sentir investis d’un rôle de personne ressource, que
l’enseignant leur accorde quelquefois tant il est en quête de solutions.
Des a priori très forts sont exprimés par une professeur des écoles stagiaire, relayés
par une enseignante en exercice en ce qui concerne les relations avec le collège, dans ce
qui devrait être la préparation du passage du CM2 au collège : "… Le relais avec le collège,
c’est au bon vouloir du principal, il n’y a rien d’institué : c’est encore une cloison étanche, là, et
puis, souvent, les relations profs et instits… C’est pas facile du tout… soit on rejette la faute sur les
uns ou sur les autres, soit, on sent des réticences comme cela, à parler de sa pratique, c’est difficile…
D’ailleurs, on se voit pas, on se connaît pas, au vol, comme cela, une fois par an … On a
l’impression que tout le monde est là parce qu’il le faut" ( "O"1 ).
2-2-1-5 – Le partenariat
2-2-1-5-1 – Les acteurs cités en terme de partenaires : "le partenariat interne, entre
enseignants, c’est déjà pas facile… " ( E2 ) .
Le fait de définir qui est partenaire a amené les interviewés à se questionner sur
cette notion, appliquée indifféremment dans un premier temps aux professionnels de la
même institution et hors institution, voire même à l’enfant et aux parents : la maître D
travaillant en SESSAD cite l’enfant, puis conclue : "non, parce que l’enfant il est le sujet pour
être aidé" ( S ), les enseignants en remédiation déclineront tous les parents en terme de
partenaires : "… s’ils sont pas partie prenante, partenaires, ça ne va pas fonctionner… " ( E1 ).
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Pour les professeurs des écoles ordinaires, le degré d’éloignement du professionnel en fera
un partenaire ou non, sachant que ce terme sera utilisé de manière opposée : pour une
enseignante, le RASED sera partenaire car trop peu rencontré, et pour une autre, les
travailleurs sociaux ne seront pas partenaires, car trop éloignés. Cette dernière parle de
partenariat avec ses collègues : "… On se sert beaucoup les coudes, l’équipe est importante, là, je
pense que c’est plus du partenariat" ( "O"2 ). La maître D travaillant au SESSAD parle dans
un premier temps de partenariat interne, pour différencier ses relations avec ses collègues
du SESSAD et ses collègues enseignants rencontrés lors de ses interventions dans les
classes, puis elle conclut : "Alors que le partenariat, c’est plutôt avec l’extérieur, et qu’à l’interne,
c’est plus le travail avec… " ( S ). Une maître E affirme : "… Le partenariat avec le collègue
instit est obligatoire, avec un O majuscule…
" ( E3 ), et citera également les divers
intervenants oeuvrant dans le domaine médical et para-médical ( médecin scolaire,
médecin de PMI, infirmière, orthophoniste … ).
2-2-1-5-2 –Connaissance des partenaires
Durant leur formation, les professeurs des écoles stagiaires témoignent : "travailleur
social, c’est pas un mot que j’ai déjà entendu à l’IUFM… " ( Ps2 ), sauf pour être employé dans
la négation par une coordinatrice ZEP : "… mais, que nous, on n’était pas assistantes sociales…
" ( Ps3 ). La méconnaissance du travail social sera déclinée par les professeurs des écoles
ordinaires du registre contrôle ou surveillance à l’ancienne ( hygiène, habillement,
nourriture… ), au domaine de l’exclusion, insertion sociale : "… entre un suivi judiciaire, un
suivi social, un suivi prévention, moi je ne fais aucune différence entre tout cela" ( "O"a1 ). Pour
les enseignantes en CLIS, les références aux textes parlant de partenariat sont inconnues :
"… Dans les textes officiels sur la CLIS, le partenariat, je ne sais pas si on mentionne les
partenaires sociaux ? " ( C1 ). Une enseignante en CLIS exprime très fortement le constat
qu’elle peut faire, après de nombreuses années d’expérience : " dans les faits, j’ai l’impression
qu’on travaille dans deux mondes différents… on travaille sur les mêmes enfants, mais, on se voit
pas pour en parler, tout cela reste quand même très étanche… " ( C2 ).
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2-2-1-5-3 – Expérience - aspiration au partenariat : "… et puis, ça remet en cause, c’est un peu
difficile, quoi, de se rencontrer… " ("O"a1 ).
Des expériences positives de partenariat seront citées, particulièrement par les
enseignants travaillant en remédiation. Une professeur des école dans l’enseignement
ordinaire, ayant plus d’une vingtaine d’années de métier, avec laquelle nous avions
travaillé l’an dernier dans le souci d'un enfant qui nous était commun
professionnellement, témoigne : "… La seule expérience du partenariat que j’ai eue c’est avec
vous… ça m’a permis de mieux comprendre ce qui se passait chez cet enfant, j’avais trouvé que
c’était bien de prendre le temps de se rencontrer, de discuter, tout en restant dans la confidentialité
… Je crois que pour l’enfant, et pour les parents, c’est important qu’on se rencontre… Ils ont bien
vu, qu’on était là pour aller dans le sens de l’enfant et non contre les parents… " ( "O"a2 ).
Tous les autres témoignages positifs seront apportés par les enseignantes
spécialisées travaillant en remédiation, les maîtres E et maître D travaillant au SESSAD :
"… Et puis, il y a une espèce de réversibilité, de relation à double sens… on peut partager des idées,
échanger autour, il y a pas faute, jugement, c’est un éclairage différent… ( S ). Une maître E cite
un exemple de bonne coopération avec le SESSAD : "… J’ai passé le relais, parce que c’est
plus de mon ressort ; par contre, on fait toujours le lien, il y a une relation qui se crée… " ( E3 ).
Une autre découvre qu’avec les travailleurs sociaux de l’Unité Territoriale d'Action
Sociale de son secteur : "… ça fonctionne bien, on a des synthèses ponctuelles, on a leurs
coordonnées, et puis l’enfant est toujours au cœur, c’est ce qui est le plus important… " ( E2 ), elle
fait alors le constat que cela peut-être différent de l’idée qu’elle se faisait des travailleurs
sociaux lorsqu’elle était enseignante : "… J’avais l’impression que c’était lointain, que les gens
étaient intouchables. Il y a fallu que, par ce nouveau rôle que je tiens, pour que ça me semble plus
ouvert que l’idée que je m’en faisais" ( E2 ).
Une enseignante en école ordinaire se questionne sur le positionnement qu’elle
doit avoir face aux parents, lorsque ces derniers sont accompagnés d’un travailleur social :
"… Je ne sais jamais, je trouve que c’est déstabilisant… Parce que moi, je parle aux parents… Je ne
me vois pas parler à l’éducateur… Suffit qu’il y ait l’enfant au milieu… Peut-être que, si on veut
garder le lien avec les parents, c’est bien qu’on ne mélange pas tout… ( "O"2 ).
81
Par contre, ce seront surtout les professeurs des écoles dans l’enseignement
ordinaire et ceux travaillant en CLIS qui citeront des exemples de partenariat difficile,
particulièrement avec les CMPP et les hôpitaux de jour : "… Entre nous et le CMPP, il y a
un mur… " ( "O"1 ),"… Il y a la confidentialité, je trouve que cette frontière est toujours difficile…
Des fois je me dis: il suffirait de pas grand chose et je comprendrais mieux… " ( "O"2 ). Ce seront
eux qui évoqueront le temps non prévu par leur Institution pour qu’ils soient dans une
dynamique de recherche de partenariat : "… On n’a aucun temps, c’est au dehors de notre
temps de travail… " ( "O"1 ), "… Je voudrais qu’on revoie le fonctionnement de l’AIS… J’estime
qu’on devrait nous dégager du temps pour parler des enfants qu’on a… " ( E1 ), "la volonté de se
rencontrer, elle existe chez beaucoup de personnes conscientes de cette nécessité, mais elle ne se fait
pas, surtout, je crois, pour des problèmes matériels de temps … " ( C2 ). Le manque de temps
sera évoqué de manière aiguë par les enseignantes en remédiation, et associé au manque
crucial d’effectif.
Car le partenariat est bien institué dans les textes, les circulaires, mais quels
moyens donne l’Education Nationale pour que ça fonctionne ? "… Je ne sais pas ce que va
donner le plan BORLO… Si l’idée, c’est qu’on décloisonne, qu’il y ait un lien qui se fasse entre les
diverses personnes qui peuvent intervenir au niveau de la famille de l’enfant, alors, c’est
formidable… Comment ça va se faire concrètement ? " (C2 ). Une professeur des écoles dans
l’enseignement ordinaire pense qu’il n’y aura propention au partenariat que si
l’Education Nationale institue un temps payé, obligatoire :" qui revienne régulièrement… La
mayonnaise se fera ou ne se fera pas, mais au moins, on en aura le cadre au départ… " ( "O"1 ).
2-2-1-5-4 – Définition du partenariat
Nous retrouvons chez un professeur des écoles stagiaire cette connotation liée à
une forme de culpabilité de ne pas y arriver, à une démission, par la définition qu’il nous
donne du partenariat : "… Le partenariat, c’est pour moi un petit peu comme une décharge…
S’en remettre à une personne parce que je n’y arrive pas… " ( Ps1 ).
82
Ce seront les enseignants spécialisés qui seront les plus diserts sur cette notion, les
enseignantes en CLIS en parlent au conditionnel, car en manque de communication avec
les autres professionnels : "… Le partenariat, comment je le vois, des personnes que je pourrais
aider, qui pourraient m’aider, et c’est toujours intéressant de chercher des solutions plutôt que d’être
seul face à un problème qu’on n’arrive pas à résoudre… " ( C1 ). Une enseignante en
remédiation donne une définition qui rappelle la nécessité d’une position subjective du
professionnel : "… pour moi, partenariat, c’est avoir besoin de tisser des liens… A partir du
moment où on respecte le champ professionnel de l’autre, et puis qu’on sait qu’on est là pour un
projet autour d’un enfant, dans un respect mutuel, je crois, il n’y a pas de souci, de peur à avoir, je
crois que c’est à chacun d’être le garde fou de l’autre… " ( S ).
2-2-1-5-5 – Analyse de ces deux catégories
La méconnaissance, source d’a priori, la peur d'être jugé dans son travail,
l’ignorance voire le désintéressement pour l’autre, qu’il soit de la même institution ou
non, mais aussi le manque de moyens et de temps s’avèrent être les constantes, à des
degrés divers, de ces témoignages ayant trait à l’expérience de coopération ou de
partenariat. Nous repérons à nouveau une différence de posture selon que l’on soit
professeur des écoles ayant affaire au groupe classe, ou que l’on soit dans la remédiation :
- En interne, isolés dans leur classe pour les professeurs des écoles ordinaires,
isolés parmi les autres classes ordinaires pour les enseignantes en CLIS, les a priori
dominants sont la peur du jugement ou du regard critique de l’autre. Les premiers
expriment une grande réserve par rapport à leurs collègues qui ont fait le choix de se
spécialiser.
Inversement, ces derniers, anciennement dans l’enseignement classique
s’autorisent désormais un regard critique sur ces professionnels fermés sur eux-mêmes, ou
expriment une certaine condescendance qui ne porte pas à l’échange d’égal à égal.
Investis d’une autre mission, ayant d’autres connaissances, il est alors parlé de
"déséquilibre" dans les prises de décisions. Nous pouvons retenir de ces réflexions à quel
point ce terreau est peu propice à la notion de coopération.
- "Hors les murs", la notion de partenariat reste floue dans sa définition même,
non mise en pratique par les enseignants non spécialisés, leurs rares expériences attestent
83
de persistance d’a priori dominants, de part en part, les renvoyant à une certaine
humiliation : "on a l’impression qu’on ne doit surtout pas être au courant des conclusions du
CMPP… Parce que leurs conclusions sur l’enfant, on ne les donne pas à ceux qui s’occupent des
élèves" ( "O"1 ), décourageant toute initiative : "avec le CMPP, il n’y a pas de retour, les choses
sont à sens unique, ça sert à rien" ( C1 ).
Toutefois, le fait de reprendre une formation, la découverte d’une pratique
différente orientée sur une rencontre singulière de l’enfant ont permis aux enseignants
spécialisés ce "pas de côté" dont elles témoignent à plusieurs reprises. L’enfant est alors
considéré dans sa globalité, dans le sens évoqué par l’enseignante en SESSAD,( cf. p. 72 ),
c’est à dire dans une prise en compte de son environnement socio-affectif, ou également
pris en compte dans sa dynamique intra - psychique, en situation d’apprenant. Ce "pas
de côté" a permis aux maîtres E de découvrir le travail en équipe, comme le travail en
pluridisciplinarité a permis à l’enseignante en SESSAD de découvrir l’enfant derrière
l’élève.
2-2-1-6 – synthèse de cette analyse catégorielle
Dans un premier temps, nous avons retenu ce que chaque professionnel, en son
nom propre, pouvait exprimer en référence à l’enfant en échec scolaire, quelles étaient ses
représentations et sa posture professionnelle face à cet enfant. Nous repérons à plusieurs
reprises une différence de positionnement entre professeurs des écoles dans
l’enseignement classique et enseignants spécialisés : tout d’abord lorsque chacun
s’exprime par rapport à son accomplissement de soi dans sa rencontre avec l’enfant en
difficulté,.nous soulignons alors comme cette distinction peut en partie se comprendre
par la différence de mission de ces enseignants, les uns pris dans l’exigence de mener un
groupe classe, les autres ayant pour mission d’œuvrer à partir de cet enfant en difficulté.
Ensuite, dans ce que ces enseignants expriment de leur isolement et du peu d’expérience
qu’ils peuvent avoir du travail avec l’autre professionnel. Nous retiendrons l’expression
de désarroi communément exprimé par ces enseignants face à l’enfant en difficulté,
teintant leur vocation d’un certain dépit.
84
Par rapport à leur institution commune, tous auront un discours critique, toutefois, nous
retrouverons une manière différente de faire référence à l’institution : les professeurs des
écoles stagiaires ou dans l’enseignement ordinaire mettent en accusation leur institution
sous la forme : " à l’IUFM, on ne…
" ( Ps 1,2,3 ) ou "c’est l’Education Nationale qui … ",
( "O"1 et "O"2 ), alors que d’autres enseignants en parleront avec des termes moins
distanciés : "c’est comme cela chez nous … " ( C2 ). Serait- ce lié au degré de révolte, de
désenchantement renvoyé par ces professeurs ? Expression commune d’un sentiment
d’impuissance de tous ces professionnels, lié au regard porté par chacun sur son
institution, tous conscients d’un système non seulement producteur d’inégalités, mais
d’exclusion.
Mise en accusation de l’institution, sentiment d’impuissance, et posture ne
favorisant pas le travail avec l’autre professionnel, nous allons dans cette seconde partie
tenter de comprendre de quoi est faite la part revenant à l’institution, puis dans quelles
logiques professionnelles et personnelles peuvent être enclavés ces enseignants, pour
exprimer un tel désappointement.
Nous conclurons cette investigation par cette
interrogation : quels préalables au partenariat ? Cette question nous permettant de
valider ou non notre hypothèse.
2-2-2 – Analyse des résultats
2-2-2-1 – Une institution pleine, fermée sur elle-même
2-2-2-1-1 – Dans la "toute puissance"
Tournée sur elle-même, divers témoignages attestent des stigmates dans lesquels
l’Education Nationale reste enfermée : "nous, on est pris dans notre circuit d’enseignants" ( C2 )
Elle forme des enseignants à une mission où l’autre, l’élève, n’est pas pris en compte en
tant que sujet, mais en tant qu’apprenant, objet à instruire par l’école, dans une logique
de réussite, celle déclinée par l’Institution : "je crois qu’on est un peu formaté, mis dans un
moule, avec des œillères" ( S ). L’enfant en échec scolaire fait symptôme dans ce système. A
ce symptôme seront données des réponses institutionnelles, compensations assurées par
85
des professionnels formés au sein de l’Education Nationale, ( même l’Assistante Sociale
scolaire a droit à une formation "maison" ). Cette institution, non manquante, ne créée
pas les espaces nécessaires à un retour sur ce qui, en son sein, participe à une production
de plus en plus importante d’enfants déjà inscrits dans l’oubli et l’exclusion.
Le poids de l’institution est évoqué par les professionnels : "L’institution a quand
même une forte emprise et personne n’ose se détacher des textes" ( Ps1 ), représenté de manière
verticale par des textes, circulaires, dont les inspecteurs se saisissent : "tout ce qu’on demande
à l’inspecteur, c’est de respecter la loi… s’il estime qu’on peut continuer de fonctionner comme cela,
tout en respectant la loi … " ( secrétaire CCPE ), circulaires qui ne sont pas débattues, même
à l’IUFM, pourtant institut de formation où devrait s’élaborer la réflexion : "On débat très
peu des questions éducatives du moment. L’an dernier, il y avait eu la loi Fillon, bon, c’est resté la
loi Fillon, on n’en n’a jamais détaillé le contenu" ( Ps2). Ces circulaires non "habitées" par les
enseignants, faute de communication : "on n’en parle pas", chacun semble paradoxalement
continuer d’agir à sa guise, avec son savoir faire, dans un repli prudent : "rien n’empêche de
faire un petit peu de subversion… mais, il faut pas que ça se voie, oui… " ( Ps1 ).
2-2-2-1-2 – Une ouverture frileuse au partenariat
Le partenariat est institué dans les textes, nous l’avons vu dans la partie
théorique : le partenariat est une des missions des conseillers pédagogiques de chaque
circonscription. Depuis la loi n° 2005 – 102 du11 février 200569, l’Education Nationale
est invitée à travailler en partenariat pour les enfants handicapés, mais aussi pour les
enfants en difficulté. L'ouverture partenariale est soulignée dans les textes, mais pas dans
les actes : les composantes pour que "ça" fonctionne dans la pratique n’étant pas réunies ,
tel que l’attestent les témoignages recueillis - méconnaissance des diverses instances - a
priori sur l’autre professionnel - manque de moyens pour pouvoir se rencontrer.
Sur ces constats : formations "maison", remédiations internes, décisions verticales,
système hiérarchisé qui semble ne pas se remettre en question : " des apports qui amènent à
réfléchir le sens de l’Education Nationale, alors là… Il faudrait qu’il souffle un vent de remise en
69
Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées .
86
cause… " ("O"1 ) et ne donne pas aux enseignants les moyens de se rencontrer et de
l’interroger, quelle prise en compte par cette institution de ce que vivent ces enseignants
dans leur pratique professionnelle ?
2-2-2-2- – Une pratique non soutenue
Les divers témoignages dont nous avons fait écho au cours de cette investigation
laissent deviner un grand désarroi chez certains enseignants, particulièrement les
professeurs des écoles travaillant dans l’enseignement ordinaire, ainsi qu’un sentiment
d’impuissance et l’expression de révolte, de colère, chez tous les enseignants face à leur
institution et le déni qu’elle renvoie de l’enfant en difficulté scolaire.
Par ailleurs, des enseignants spécialisés évoquent la relation inter-subjective avec
l’enfant, une professeur en école d’application s’interroge sur la manière d’aider les
enseignants stagiaires sans les juger, une enseignante en CLIS précise comme il s’avère
délicat de dire aux parents "que leur enfant ne rejoindra pas un cursus normal, pour qu’ils ne se
fassent pas d’illusion ; c’est pas évident… " ( C2 ). Des enseignants doutent, ont peur de se
tromper, de nuire à l’enfant : "parce que moi, j’ai peut-être mal orienté mon travail, par rapport
à tel enfant, ne sachant pas sa problématique" ( C1 ), "c’est affreux ce que le vais dire, mais à
vouloir les couler dans un moule d’élève, parce qu’on sait qu’il va falloir que l’apprentissage se fasse,
une espèce de crainte … " (C2 ).
A l’expression de tous ces questionnements qui ont trait à ce que chacun ressent
en soi dans son engagement à l’autre, nous allons nous intéresser maintenant aux moyens
mis à disposition de ces professionnels pour "mettre en mots" ces questionnements.
Seuls les professeurs des écoles stagiaires et la maître D travaillant en SESSAD
évoquent l’analyse de la pratique, les premiers, parce qu’elle leur est proposée à l’IUFM :
"ils appellent cela de l’analyse de la pratique" ( Ps1 ), la deuxième, proposée seulement aux
éducateurs de son service : "ça me fait hurler, c’est pour quand pour les instits ? "( S ). Cette
analyse de la pratique proposée par l’IUFM a lieu deux fois dans l’année, au retour de
chaque stage : "ce sont des séances facultatives, ça passe pas toujours très bien aux yeux des
enseignants stagiaires" ( Ps3 ), elle est animée par des professeurs de l’IUFM : "pas toujours
87
très bien animée… Il y a un décalage entre les intentions de départ, la personne qui anime et les
enseignants stagiaires qui n’osent parler des problèmes qu’ils rencontrent… " ( Ps3 ). Les trois
professeurs des écoles stagiaires témoignent de leur intérêt pour cette démarche : "on essaie
justement d’enlever tout ce qui est jugement de valeur… Finalement , c’est très rassurant de voir que
les autres ont les même difficultés" ( Ps1 ), "ça fait du bien d’en parler, on parle très peu de nos
motivations, très peu de nos pratiques, c’est dommage quelque part … " ( Ps3 ), même si c’est une
démarche difficile " … Je pense qu’il faut être honnête avec soi-même pour oser en parler" ( Ps1 ).
Les professeurs des écoles dans l’enseignement ordinaire comme dans le spécialisé,
ne feront pas référence à l’analyse de la pratique. Les premiers évoqueront, au titre
d’instances d’information, d’échanges, les conseils de cycle : "c’est un effectif réduit… On
peut parler du cas du gamin, là tout le monde est concerné, parce que tout le monde l’a eu, ou va
l’avoir, ça parle quoi… ( "O"1 ), "c’est la 27ème heure, qu’on ne fait plus en présence des enfants,
mais qu’on réserve pour le conseil d’école, le conseil de cycle , et un troisième conseil " ( O1 ).
Seront également évoqués les professionnels des RASED : "c’est le seul interlocuteur qu’on
ait, et à ce moment là, il s’agit de conseils, quoi" ( "O"1 ). Les enseignantes en CLIS citeront le
secrétaire CCPE, ainsi que l’enseignante exerçant en SESSAD : "au SESSAD, on peut
discuter, on a besoin de nous, par moment on doute sur la façon de présenter les choses aux parents,
et ça fait du bien d’en parler à quelqu’un… C’est quelque chose d’essentiel pour moi" ( C1 ).
Si le besoin d’échanger avec les collègues s’avère une constante dans ces
entretiens, dans l’ensemble, ces témoignages ne font pas référence à l’analyse de la
pratique ni à l’analyse institutionnelle. Ce n’est pas porté par l’Education Nationale :
"Mais l’école, ça ne se remet pas vraiment en cause, hein… " ( "O"1 ), même si quelques
tentatives affleurent à l’IUFM.
La maître D travaillant en SESSAD illustre la logique qui semble de mise à l’Education
Nationale pour conduire à cette impasse sur le retour sur sa pratique : "… C’est pour quand
pour les instits? Parce que, on n’est pas censé se questionner sur notre travail… On met en avant
que les éducateurs ont plus besoin que nous, parce que eux travaillent avec les familles, et c’est très
dur de travailler avec les familles… Mais vous savez, travailler avec des équipes pédagogiques,
travailler avec un enfant en grand échec, qui renvoie des choses parfois… C’est vraiment très centré
88
sur l’éducatif… Comme si les enseignants n’avaient pas vocation à réfléchir, comme si on était
uniquement là pour une espèce de transmission, comme si on ne recevait pas aussi des choses un peu
douloureuses qu’on aimerait bien dénouer quelque part… C’est quelque chose qui n’est pas bien
vécu par les équipes de direction, il y a des craintes de ce côté là, je crois… " ( S ).
Nous pouvons également supposer que les logiques qui s’imposent à ces
professionnels depuis leur formation initiale ne les portent pas à une démarche
d’interrogation de leur pratique, pris qu’ils sont dans les stigmates référés encore au rôle
plein de l’enseignant, pris également dans leur isolement, aussi restent-ils enfermés dans
leur mal être et leur désillusion.
Interroger le sens de leur pratique reviendrait à
s’émanciper de la peur du jugement, mais également à élaborer une réflexion interrogeant
les convictions adoptées comme allant de soi, les a priori, les entraves auxquelles chacun
est aux prises, tant institutionnellement que par sa propre subjectivité, et donc à
s’éprouver sujet socio-désirant professionnel.
2-2-3 – Quels préalables au partenariat ?
Pourquoi y a t-il rencontre ? Qu’est ce qui postule la légitimité des rencontres ?
Le partenariat n’existe déjà que parce que il y a légitimation par les institutions : cela
suppose, au moins en théorie, une articulation des politiques publiques de la protection
de l’enfance, de lutte contre l’exclusion, des politiques de l’Education Nationale. Tout
concourt à convenir que les textes légitiment, au moins théoriquement, notre posture
d’aller vers l’autre, l’enseignant ou le travailleur social.
Le partenariat sous-entend un travail d’inter - connaissance avec le respect de
l’institution de l’autre. Nous rappellerons ici les bases philosophiques du partenariat : se
sentir à part égale, dans une même prépondérance, dans le respect de la parole de l’autre,
de sa logique différente, non dans la critique, et au sujet de… Cela passe par l’acceptation
d’être à part égale, dans une posture qui permet le dialogue. La question du partenariat
est la question de la place de l’autre, semblable en tant que sujet socio-désirant. Le
partenariat est en prise à la question d’être en rapport avec un autre autour du même
sujet : à partir de cet enfant sujet, ce qui anime la rencontre est le souci de cet enfant que
89
j’accompagne, "je", sujet socio-désirant professionnel, dans une adhésion commune avec
cet autre lui-même en position de sujet socio-désirant professionnel. Dans le contexte de
cette investigation, le sujet du partenariat est cet enfant qui a un ailleurs, autre que
l’école. Or, comment prendre en compte cet ailleurs alors que l’institution semble encore
grandement tournée sur l’élève à l’intérieur de ses murs, qu’elle continue de créer ses
propres réseaux de remédiation sans se référer aux autres partenaires et qu’elle ne donne
pas les moyens à ses agents d'être dans une démarche proversive ?
Dans cette institution "non manquante", aucun des préalables énoncés
précédemment ne s’avèrent respectés pour que le partenariat soit réellement habité.
CONCLUSION DU DEUXIEME CHAPITRE : retour sur
l'hypothèse
Nous allons tout d’abord rappeler notre hypothèse de départ :
Quand les partenaires sont en mesure de pouvoir quitter leurs a priori
professionnels et qu’ils se retrouvent entre sujets socio-désirants, un "pas de côté" peut
être fait pour sortir de l’illusion de toute puissance, ou de la désillusion dans laquelle
chacun peut-être pris. L’autre, sujet de la rencontre, peut alors se situer dans une place
de sujet désirant, en s’appropriant quelque chose de ce dont il est, de fait, déjà porteur.
En référence à la première partie de l’hypothèse, certains témoignages,
particulièrement ceux des maîtres E, mettent en évidence cette part irréductible liée à la
personne et à l’inter - personnalité dans la capacité de quitter ses a priori et de faire "un
pas de côté" par rapport à ses propres convictions ou entraves. Nous avons pu alors repérer
comme ces enseignants pouvaient alors parler de leur vocation positivement, et donner
place à la question de la subjectivité de l’enfant ainsi qu’à ce qui se noue dans
l’intersubjectivité. Toutefois, au vu des éléments d’analyse, nous pouvons tirer
l’enseignement suivant : pour que les partenaires puissent quitter leurs a priori, il faut
aussi que l’institution le permette.
Or, comme nous l’avons vu, les préalables au
partenariat, c’est à dire une perméabilité entre institutions, ne sont pas là.
90
Aussi, si notre hypothèse nous semble tenir théoriquement, nous ne pouvons la
valider empiriquement. Notre question est en décalage, trop en amont : elle s’avère
prématurée dans cette réalité observée localement.
Cette question des modes de travailler avec d'autres partenaires dépend pour une
part des réalités locales.
Empiriquement, nous avons regardé un endroit précis,
localement. Nous savons que, par ailleurs, certaines instances sont déjà un peu plus dans
le mouvement pour promouvoir un travail ensemble. Nous évoquerons certaines écoles
expérimentales dépendant de l'Education Nationale, où l'accessibilité et la disponibilité
des acteurs sont prises en compte. Ces initiatives nécessites une synergie au niveau de
toutes les instances engagées, institutionnellement et de professionnel à professionnel.
Ceci nous renvoie à cette question : Que pouvons-nous mettre en place pour que
ce mouvement devienne possible, là où nous sommes ? C'est ce que nous allons évoquer
dans ce troisième chapitre.
A l'issue de ce travail d'investigation, noue tenons à en rappeler la limite majeure
de ce travail puisqu'il fut entièrement orienté sur le corps enseignant et l'Education
Nationale. Le développement de notre recherche questionne la dynamique relationnelle
dans l'interface enseignant / travailleur social. Aussi, la rigueur aurait nécessité une
investigation sur ces derniers et sur leurs institutions. Cette investigation aurait nécessité
un long travail de sélection de professionnels à enquêter, dans cette "nébuleuse" qu'est le
service social. Nous regrettons, faute de temps, de n'avoir pu nous engager dans ce
complément d'enquête qui aurait certainement donné une autre densité au propos de
notre recherche.
91
TROISIEME CHAPITRE
3 – Applications professionnelles des résultats de
l'enquête
92
Nous allons faire retour sur notre champ professionnel. Nous évoquerons tout
d’abord les apports de ce travail d’investigation et en quoi ces apports viennent alimenter
notre désir d’œuvrer au développement d’une coopération enseignants / travailleurs
sociaux, pour une meilleure prise en compte de l’enfant en difficulté d'intégration
scolaire, et ainsi ouvrir des espaces de possibles hors des sentiers battus et des a priori
tenaces.
3-1 – LES APPORTS RECUEILLIS PAR CE TRAVAIL
D'INVESTIGATION
3-1-1 –La rencontre avec les enseignants
L’accueil fait par ces professionnels lors de nos interviews, leur participation active
à ces entretiens, en leur nom propre, renforça notre intérêt pour ce corps de métier trop
fréquemment enfermé dans le huis clos de son institution, et peu encouragé à faire retour
sur sa profession et son institution. Ces rencontres, orientées autour d’un travail de
recherche, n’avaient pas une utilité immédiate. Elles ont pu peser sur les emplois du
temps de certains professionnels. Pourtant, la bienveillance avec laquelle ils participèrent
laisse penser que notre questionnement rejoignait leur propres questions. Cela nous
confirma que quelque chose était en germe, à aller glaner là…
Ces rencontres nous ont permis d’entendre, de découvrir ou de comprendre une
autre logique professionnelle, de saisir les limites avec lesquelles nous avions à composer .
Mais elles nous permirent également d’entendre des paroles d’humanité propre à notre
simple appartenance à la condition d’être humain, vibrantes d’affects et de ressentis.
Nous avons entendu des enseignants pour certains désabusés, quelquefois
résignés, et tous confirmèrent notre inquiétude de départ, à l’origine de notre
investigation : de plus en plus d’enfants sont oubliés par le système scolaire, inscrits déjà
dans un système d’exclusion. Les termes utilisés par les enseignants furent fortement
chargés de colère et de désappointement : "véritable gâchis" ( "O"2 ), "c’est affolant le nombre
d’enfants laissés pour compte" ( C2 ), "on est entrain de créer une génération d’enfants
93
oubliés" ( E2 ). Ces enfants dont nous parlent ces enseignants sont ceux avec lesquels nous
travaillons, de milieu socio-affectivo-culturel peut contenant, enfants dans "l’entre-deux"
par rapport à l’école, entre éducation spéciale et enseignement ordinaire.
3-1-2 - La rencontre avec les personnes ressources
3-1-2-1 – Le secrétaire CCPE
Souvent nommé par les enseignantes en CLIS ou dans "l’ordinaire", en tant que
détenteur et transmetteur d’informations, nous avons découvert l’étendue de ses
missions, sachant que toutefois la création de la Maison Départementale de la Personne
Handicapée, MDPH allait modifié son statut et réduire ses missions au handicap.
3-1-2-1-1 – Des enfants de plus en plus "laissés en marge" ( "O"1 )
Le secrétaire de CCPE nous confirma, arguments à l’appui, comme, avec la
création de la MDPH, "la difficulté scolaire ordinaire est entrain de glisser sur l’ordinaire", c’est à
dire qu’elle est en risque de ne plus être, si ce n’est prise en compte, prise en charge.
Cette notion de "difficulté scolaire ordinaire", définie dans la circulaire relative aux
RASED
70
, déterminait la prise en charge par ces derniers de l’enfant en difficulté.
Désormais, s’il n’est pas reconnu handicapé : "l’enfant en difficulté scolaire ordinaire n’existe
plus, pour l’instant", affirme le secrétaire CCPE. Les enseignants spécialisés prennent
désormais l’appellation "enseignant spécialisé handicap" et seront détachés à la MDPH.
Les enseignants spécialisés travaillant dans les RASED risquent de disparaître : " ce sont
les seuls qui ne dépendent pas de l’Inspection Spécialisée, ils dépendent de l’Inspection Nationale
Ordinaire ( .S/ CCPE ), et donc, redeviendront des enseignants ordinaires.
Nous nous permettrons de souligner comme ce "n’existent plus, pour l’instant"
renvoie à "cette année, on est dans l’année où il n’y a rien" , ( "O"2 ), évoqué précédemment
par cette enseignante lorsqu’elle essaie de se retrouver entre l’abandon du Programme
Personnalisé d’Aide et de Progrès, ( PPAP ), et l’évocation de "ces plans de je ne sais quoi", le
Programme Personnalisé de Réussite Educative, ( PPRE. ). Ce PPRE devrait désormais
70
Circulaire n°90-082 du 09 avril 1990, B.O. n°16 du 19 avril 1990
94
s’appliquer à ces enfants en difficulté scolaire ordinaire, avec toutes les réserves que l’on
peut avancer, vu l’absence d’information des principaux intéressés par cette commande,
les enseignants, et vu l’absence de moyens proposés, ne serait-ce que à la réflexion, à ses
agents par l’Education Nationale.
Comme le rappel régulièrement ce bientôt "ex"
secrétaire de CCPE "on travaille en moyens constants", c’est à dire les réformes passent, les
moyens restent les mêmes, insuffisants et inadaptés.
3-1-2-1-2 – Le Programme de Réussite Educative et le Programme Personnalisé
de Réussite Educative
Nous avons évoqué ces deux dispositifs avancés l'un par le Ministère de la
Cohésion Sociale, le Programme de Réussite Educative, ( PRE ) 71, l'autre par le Ministère
de l’Education Nationale pour le Programme Personnalisé de Réussite Educative,
( PPRE ) 72. Toutes les deux font partie des orientations sociales dans la lutte contre
l’exclusion. "L'objectif du PRE est d'accompagner les enfants et adolescents en difficulté, ainsi que
leurs familles. Celui du PPRE est de réagir face aux difficultés qu'a l'élève à maîtriser le socle
commun de connaissance. Les moyens du PRE sont définis comme des actions dans les domaines
éducatif, périscolaire, culturel, social et sanitaire. Ceux du PPRE sont définis comme du soutien
scolaire individualisé"
73
. Nous retrouvons là la différence de déclinaison de la notion
d'enfant pris dans sa globalité, entre l'enfant pris en compte dans son univers socioaffectivo- culturel du Ministère de la Cohésion Sociale et l'élève apprenant de l’Education
Nationale Concernant les budgets avancés, "le PRE a été budgétisé à hauteur de 62 millions
d'euros en 2005, à environ 100 millions en 2006. Par contre, aucuns moyens spécifiques n'ont été
proposés en 2005 pour le PPRE, et, pour la rentrée 2006, il était annoncé 1100 postes dédiés au
PPRE et à l'accueil des élèves handicapés" 74.
Nous découvrons que, sous pratiquement les mêmes appellations, et les mêmes
dates de parution, Janvier 2005 pour l’un, Mai 2005 pour l’autre, orientés vers le même
destinataire, l’enfant en difficulté scolaire, ces dispositifs ont été pensé séparément et
Loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005, art.128
Loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école du 23 mai 2005, art. 16 et 17
73
Extrait du lien social n° 783, du 02 février 2006
74
Ibid
71
72
95
n'évoquent qu'à "demi-mots" l’autre dispositif. N’y a t-il pas là illustration à nouveau de
ce clivage entre institutions ? Logiques différentes, ou souci de préserver quelque chose
dont on ne veut pas que l’autre se saisisse, nous pouvons nous poser la question au vu des
inquiétudes exprimées par le secrétaire CCPE, liées à la création de la Maison
Départementale de la Personne Handicapée, devant l’emprise par le Conseil Général de
ce qu’il estime être la part revenant à l’Education Nationale.
Sur ce constat d’institutions fonctionnant de manière peu fertile, dans le clivage et
dans l’ignorance de l’Autre, comment nous-mêmes, travailleurs sociaux, enseignants, en
tant que professionnels de terrain, pouvons- nous nous saisir de ces initiatives pour
œuvrer modestement, en tissant notre toile, à une plus grande cohérence entre dispositifs
existants séparément. Revenant à ces deux programmes, à la fois si loin, si proches, reflet
de clivages institutionnels, ne pourraient-ils pas être le tremplin d’une réflexion à mener
ensemble, entre professionnels orientés dans le domaine du social, et professionnels ayant
charge de pédagogie, afin d’habiter ces circulaires en les soumettant à la réflexion
transversale, puisque, de part en part, le même sujet, l'enfant en difficulté, nous
interpelle ?
3-1--2-2 – L’assistante de service social en collège et lycée technique
Cette professionnelle fut rencontrée du fait qu’elle représente le seul travailleur
social reconnu au sein de l’Education Nationale : "vieux restes, du temps où l’on était
rattachées au corps médical". D’ailleurs, le service social en faveur des élèves n’existe que
dans l'enseignement secondaire, pour l'enseignement primaire, son rôle est relayé par le
corps médical, médecin scolaire, médecin de PMI.
Nous avons retenu son témoignage, car il nous a semblé être une illustration d’un
réel travail d’apprentissage à la connaissance et à la reconnaissance mutuelle. Nous
retiendrons de cette rencontre deux thèmes venant alimenter notre réflexion : l’un,
concernant la posture professionnelle de ce travailleur social dans son partenariat avec les
enseignants, et l’autre concernant sa position face à la notion de secret professionnel.
96
La mission du service social auprès des élèves est de concourir, sur les
établissements scolaires, à la diminution de l’échec scolaire. C'est un vaste programme,
qui a trait au secteur administratif, au secteur financier, mais aussi à la protection de
l’enfance, à la prévention…
Cette professionnelle, en place depuis plus de 10 ans, détermine sa posture
professionnelle : " je travaille l’institution en même temps que je travaille avec les familles… Mon
boulot, c’est d’arriver à donner des relais, dans la médiation" et définit sa manière de travailler :
"ça a été de former des équipes, pour pouvoir bosser avec elles". Ces équipes sont définies tant
en interne, avec les professionnels de l’Education Nationale, qu’à l’extérieur, avec les
institutions qui ont en charge les jeunes. Elle précise qu'il lui a fallu du temps pour se
faire accepter, pour s’adapter : "tout passe par la négociation, la diplomatie", mais affirme
comme d’apprendre à se parler, à se connaître, à se concerter a permis un gain de temps à
long terme : "en faisant les groupes de suivis, où les gens ont compris ce qu’était mon boulot, celui
du CPE, on a tous gagné un temps fou ! maintenant, les situations sont traitées… ", et peut
permettre un travail de partenariat avec l’enseignant, en prenant le temps de redéfinir le
cadre d’intervention de chacun, le dénominateur commun de la mobilisation autour du
jeune et de sa famille, sur un projet scolaire.
L’assistante de service social auprès des élèves n’a pas de compte à rendre sur les
élèves qu’elle reçoit, là se situe le secret professionnel. Par ailleurs, elle confirme ce que
les enseignants évoquaient comme l’étendard des services sociaux, les décourageant de
toute velléité d’échanges, et précise "le secret professionnel, c’est un faux problème ! Je crois que
c’est une façon de garder son territoire… ", et reconnaît : "… Je casse le secret professionnel, je ne
peux faire autrement, je pense qu’on ne peut travailler en partenariat si on ne se dit rien ! "…
"Alors, comment je m’en déprends ? " Cela passe par l’apprentissage de la vigilance par
rapport à ce qui va être évoqué, cela passe par la négociation avec les professionnels de ce
que l’on s’autorise à leur transmettre ou non, cela passe par la discussion autour du secret
professionnel avec l’enfant et sa famille, et par l’autorisation de ces derniers de
transmettre des informations les concernant ou de les transmettre eux- mêmes… Cela
97
passe également par le cheminement du professionnel de l’enseignement qui ose aller
plus ouvertement à la rencontre de l’autre, parent ou enfant.
3-2 – APPLICATIONS PROFESSIONNELLES : établir un
réseau de professionnels soucieux de réfléchir dans la
transversalité
Nous avons à plusieurs reprises insisté sur ces enfants "oubliés" par le système
scolaire, car ce sont ces enfants auxquels nous avons affaire dans ce service travaillant avec
des familles paupérisées. Notre but, dans le contexte de ce projet, serait d’œuvrer à créer
un continuum environnemental, fait de ce maillage parents / enseignant / éducateur…
participant de l’étayage nécessaire à l’enfant pour qu’il ose prendre ailleurs, ou qu’il ait
envie de prendre ailleurs. Nous nous situerons au niveau du microcosme, c'est à dire au
niveau des initiatives locales existantes ou à faire vivre.
3-2-1 – Modalités à envisager
3-2-1-1 – Au niveau des instances décisionnelles
3-2-2-1-1 - Légitimation par notre institution
Notre appartenance à un service de prévention, lieu de diagnostics ou de constats
du vécu local, nous convoque, par définition, à être éventuellement maître d’œuvre ou
catalyseur d’actions collectives au niveau du microcosme. Les services de prévention se
sont souvent intéressés à la question scolaire, et, parmi les dispositifs mis en place au sein
de notre établissement, l’entraide scolaire y figure depuis une vingtaine d'années. Tout
en maintenant le dispositif existant, il conviendrait d'obtenir légitimation par notre
Direction de s'engager plus avant dans des rencontres favorisant un meilleur partenariat
avec l'école. Une étude qualitative de ce dispositif inscrit depuis de nombreuses années
dans ce service pourrait permettre d'analyser en quoi ce mouvement vers le corps
enseignant et vers d'autres instances référées au secteur social peut venir alimenter le
98
travail élaboré par le service de prévention, et répondre aux préoccupations des familles
accueillies.
3-2-2-1-2 - Rencontres institutionnelles
Pour qu'un travail de réflexion puisse s'élaborer entre partenaires, des rencontres
entre responsables institutionnels seraient nécessaires ( Direction du service de
prévention, Inspecteurs de Circonscription, Inspecteur d'AIS, Coordinateur ZEP, Conseil
Général, … ), donnant de ce fait leur aval à cette initiative. Il pourrait être intéressant de
s'appuyer sur l'opportunité conjoncturelle des orientations sociales actuelles dans la lutte
contre l'exclusion dont font parties les programmes énoncés précédemment.
3-2-2-2- - Au niveau des professionnels
A l'appui de cette légitimation institutionnelle, nous pourrions alors activer les
rencontres auprès de professionnels de l'Education Nationale, du travail social qui, à des
degrés divers, accompagnent ou s'interrogent sur la question de l'échec scolaire. La
finalité étant de s'informer, se connaître, non seulement d'institution à institution, mais
aussi de professionnel à professionnel, afin de démystifier le rôle de chacun et de sortir
progressivement des a priori liés à la méconnaissance.
Pour cela, nous pourrions maintenir notre participation à la commission
périscolaire sur le quartier de G., proposée par le Centre Social, sous l'égide de la
coordinatrice ZEP. Notre participation depuis l'année scolaire 1998-1999 à cette instance
nous a permis de découvrir les diverses associations maîtres d'œuvre de soutien scolaire,
et d'appréhender les logiques différentes sur lesquelles reposent le domaine du
périscolaire. Ces rencontres nous ont permis d'échanger sur nos savoir-faire respectifs,
sur nos questionnements mutuels, et, dernièrement, d'engager un travail de partenariat
avec certaines instances, fruit de ces rencontres.
Ces réunions, sous l'égide de la
coordinatrice ZEP, nous ont fait prendre conscience de la vigilance déployée par
l'Education Nationale afin de garder le contrôle sur le périscolaire. Au fil des années, par
la connaissance mutuelle, nous pouvons affirmer que désormais, les échanges s'effectuent
99
dans une plus grande acceptation de l'autre, et cheminent vers une reconnaissance de nos
complémentarités. Nous pourrions prendre des contacts et voir s'il serait possible de se
rattacher à la commission de réflexion mise en place par l'Espace Solidarité Familles de C.
autour du Programme de Réussite Educative. Nous pourrions utiliser les rencontres que
nous avons eues avec certains enseignants ( par exemple l'Association Météores mise en
place par des maîtres E ). Ces divers contacts permettraient de progressivement tisser des
liens inter-professionnels préparant les conditions à un travail de réflexion ensemble, et
ne faisant pas l'impasse de la question de la confidentialité.
Ce mouvement de contact avec d'autres instances serait restitué régulièrement à
notre service au titre d'information.
3-2-2-3 – Délimiter un territoire pilote
Sur la base de ces liens inter-professionnels, l'objectif serait de participer à faire
vivre ces modalités visant à une meilleure prise en compte de l'enfant en difficulté
"ordinaire".
3-2-2-3-1 – Délimiter un territoire géographique
Une des particularités du service de prévention est de ne pas être localisé sur un
quartier défini, mais de s'adresser à des familles domiciliées sur D. et son agglomération.
Le dispositif d'entraide scolaire s'adresse donc à des enfants relevant de groupements
scolaires différents. Nous retiendrons le côté positif de cette particularité géographique
puisque cela peut nous permettre d'ancrer ce projet de réseau là où se trouvent le plus
grand nombre d'acteurs animés de cette volonté de travailler ensemble.
3-2-2-3-2 – Délimiter un espace temps
Cet espace temps est à déterminer dans le sens de cadrer, donner une régularité à
ces rencontres de co-élaboration, et dans le sens de donner une limite à ce qui s'engage
pour en faire une évaluation par la suite. Ce temps pourrait éventuellement se répartir en
deux phases. La première, sur une année scolaire, préparerait les préalables à l'inter -
100
connaissance, c'est à dire se connaître, se reconnaître, témoigner de ses savoirs-faire,
découvrir nos complémentarités dans ce travail de lien avec l'enfant et sa famille. Cela
pourrait être également l'élaboration d'un code de déontologie à partir de ce qui
s'échange, resituant le sujet enfant, enfant de ses parents, au centre de nos
préoccupations, en gardant vigilance également par rapport aux projets sécuritaires du
moment… La seconde, d'une année scolaire également, serait la mise en œuvre sur le
terrain, à partir de nos pratiques respectives, de ce "travailler ensemble", à partir de ce que
nous donne à désirer pour lui cet enfant qui nous préoccupe… La délimitation de cet
espace temps permettrait de faire retour sur ce qui a pu se mettre en mouvement, sur ce
qui a fait entrave, et d'évaluer la synergie nous portant à désirer un engagement pour une
nouvelle phase de co-construction de nouvelles compétences professionnelles.
3-2-2-4 – Les objectifs opérationnels
Se connaître, se reconnaître, s'estimer… cela passe concrètement par la définition
de temps de réunion réguliers, où chacun est repéré en référence à son institution, et où
chacun définit au nom de quoi il intervient. Cette inter- connaissance passe par l'échange
verbal autour de sa pratique, mais également par la transmission et la réflexion à partir de
textes, d'écrits, ( de se saisir, par exemple, des circulaires émanant des instances de
décision… )
Ces rencontres permettraient de partager ses expériences mutuelles, ses
questionnements, pour aboutir à des propositions concrètes liées à nos pratiques : à partir
de l'enfant, à partir de ce qui nous amène à désirer nous rencontrer, à partir de ce que
l'enfant et son environnement familial nous amène à désirer pour lui… Ce travailler
ensemble pourrait induire par la suite ce désir d'interroger ensemble nos pratiques, dans
une démarche clinique porteuse de synergie…
Apprendre à s’entendre, de logique à logique différente, permettrait de créer un
terreau commun, qui pourrait être également porteur d’un autre regard sur le secret
professionnel.
101
En faisant retour sur nos institutions respectives, l'intérêt pour ces propositions
permettrait d'évaluer le temps et les moyens nécessaires à leur réalisation.
3-2-2-5 – Retours institutionnels et évaluation
Au niveau du service de prévention, des bilans réguliers avec le Directeur du service, des
retours aux collègues, amenant débat, permettraient d'évaluer les effets de ce travail de
coopération sur la dynamique du service lui-même, et également sur la manière dont les
personnes accompagnées se saisissent de ce maillage.
D'institution à institution, des bilans écrits adressés à toutes les instances engagées
permettraient d'informer, de sensibiliser et d'évaluer l'intérêt de ce travail en réseau.
Serait alors à envisager comment évaluer la synergie de ce travail de co-construction.
CONCLUSION DE CE TROISIEME CHAPITRE
En partant du postulat d'un accord de principe de nos institutions respectives, nous
avançons, dans ce chapitre, quelques propositions réalistes, faisables, qui prennent appui
sur de l'existant, à savoir : la dynamique du dispositif d'entraide scolaire, la connaissance
de personnes ressources dans l'enseignement comme dans le travail social, l'existence de
commissions de réflexion jusqu'alors, pour certaines, collégiales. Nous savons que cette
co-construction d'un travail ensemble, professionnels soucieux des autres partenaires, de
l'enfant et de son environnement socio-affectif, ne peut être que de longue haleine. Mais
nous avons l'intuition de ses effets, sur le long terme. Cette intuition prend appui sur
cette conviction professionnelle faite de ces petits pas observés au fil des années, au
niveau du microcosme. Ce sera, par exemple, chez ce jeune parent, que nous avons
connu lorsqu'il était enfant alors qu'il traversait ses années d'école sans rien trop pouvoir
en prendre, le voir se saisir de l'entrée de son propre enfant à l'école pour exprimer son
souhait de le soutenir autrement dans ses apprentissages… Ce sera l'affirmation, dans
cette commission périscolaire, de l'acceptation de la singularité de notre dispositif
102
d'entraide scolaire ne faisant plus entrave à une réflexion commune, dans une
reconnaissance de nos complémentarités respectives…
103
CONCLUSION GENERALE
104
Ce travail de recherche a été porté par notre désir, ancré dans notre pratique
d’éducatrice spécialisée, de mieux comprendre ce qui peut faire entrave, ou au contraire
faciliter les échanges entre partenaires afin de contribuer à un partenariat porteur de
synergie.
Nous avons pris appui sur l'expérience empirique, celle liée à notre travail avec des
enfants de milieu socio-affectivo-culturel peu contenant, pour lesquels l'école est souvent
le premier révélateur de difficultés. Notre question professionnelle est celle-ci : comment
travailler ensemble, travailleurs sociaux et enseignants, pour créer un continuum
environnemental soutenant afin de prévenir le plus précocement possible l'échec
scolaire ? Nous postulons qu'un travail de coopération active avec les enseignants permet
d'oeuvrer à une meilleure prise en compte de l'enfant et de sa famille et permet d'ouvrir
des espaces de possibles parmi et hors des sentiers balisés.
Notre investigation a porté, de manière limitative, sur l’institution Education
Nationale. Cette dernière, mise en procès par ses agents, mise en procès dans cette
analyse, nous avançons l'hypothèse que nous aurions pu observer quelque chose de
semblable dans ces institutions du travail sur autrui, que sont les institutions sanitaires et
sociales ou les institutions ayant trait au médical.
Imperméabilité, scléroses des
institutions, injonction à un partenariat utilitaire énoncé comme allant de soi, ça ne va
pas de soi pourtant pour leurs agents d’avoir à se confronter à la souffrance de l’autre et à
ce que leur renvoie cette souffrance, dans l’isolement de leur profession. Comment ne
pas céder à une nostalgie réactionnelle et à un replis sur soi : or, "nous demandons à l’Etat
de faire ce que l’on ne veut pas faire, de faire ce qu’on lui demande de faire… Essayons de trouver
des réponses intelligentes à ce qui nous est proposé… L’insupportable, c’est de ne pas contrôler le
processus. Là où les gens travaillent, construisons des espaces civilisés".75 nous dit F.DUBET.
C'est dans cette logique que nous avons souhaité aborder cet en-deçà du
partenariat : Dans la partie théorique et l’investigation liée à cette recherche nous avons
tenté d’approcher cette part à mobiliser, à mettre en jeu, propre à chaque acteur
professionnel, pour qu’un réel travail de coopération active puisse habiter le partenariat.
75
F.DUBET, conférence dur le déclin de l’Institution, IRTESS de Dijon, Juin 2006
105
Nous avons fait référence pour cela à la notion de sujet socio-désirant, sujet se laissant
traverser par cette question : au nom de quoi j’interviens ? C’est à quel sujet ?
Le croisement entre notre élaboration conceptuelle et notre travail d'investigation
nous a permis de repérer comme l’objectivation de cet autrui sur lequel des
professionnels travaillent peut créer un enfermement sur son seul savoir ou savoir faire, et
maintenir ces professionnels dans un sentiment de toute puissance ou d’impuissance, ne
les engageant pas à une démarche proversive. Nous avons a contrario pu constater cette
part liée à la personne et à l’inter personnalité dans la capacité de quitter ses a priori et de
faire un "pas de côté" par rapport à ses propres convictions ou entraves. Toutefois, nous
avons pu repérer la part revenant à l’institution, ici, dans le cadre restreint de cette
investigation, l'Education Nationale, institution ne donnant pas les moyens matériels et
humains à une réelle coopération, et maintenant ses agents dans un formatage renforçant
le fonctionnement cloisonné des divers partenaires autour de l'enfant. .
Les préalables pour que le partenariat soit habité n’étant pas là, nous en
déduisons que notre question est en décalage, mais n’est-elle pas malgré tout la question
du moment : comment construire les conditions même du partenariat pour qu’il soit
vraiment fait de rencontres entre sujets socio-désirants, quand bien même sont-ils acteurs
institutionnels ? Nous empruntons à C. FREINET la notion de coopération active,
essence de la pédagogie mise en œuvre par ce dernier, pédagogie pensée dans la prise en
compte de la singularité de l'enfant, et lui proposant, dans une interaction entre
individualisation et socialisation, les conditions pour être acteur de son apprentissage.
Appliquée à notre propos, cette notion interroge les conditions à créer et à mettre en
œuvre, en tant que professionnel du travail dans le souci d'autrui, pour que, quelque soit
l’institution à laquelle nous ayons à faire, nous ne cédions pas à une nostalgie
réactionnelle devant ce que nous renvoie notre conscience d’être "les malgré nous" de
systèmes gestionnaires, voire même créateurs d’exclusion, mais pour que chacun, de là où
nous intervenons, sujet professionnel socio-désirant, conscient de notre incomplétude,
nous soyons acteur dans une dynamique de co-construction, faite de ce dont chacun est
porteur.
106
Cette question interroge la validité des rencontres : qu’est- ce que je peux faire de
là où je suis pour que la rencontre avec l’autre partenaire puisse se faire sur un autre
plan ? Cela passe par l’inter connaissance des logiques propre à chaque institution, ainsi
que par l’inter connaissance de nos logiques professionnelles, traversés que nous sommes
par cette logique institutionnelle dont nous ne pourrons nous affranchir qu’en en
connaissant les rouages : le fait de mieux comprendre l’institution d’en face nous permet
de mieux en connaître les écueils, de faire avec la marge de manœuvre de chaque acteur
et d’ajuster une coopération plus humaine. L’enseignement que nous pouvons tirer de ce
travail de recherche nous confirme la nécessité d’apprendre à se connaître de logiques à
logiques différentes, de clarifier le rôle de chacun pour une reconnaissance mutuelle afin
de sortir progressivement de l’habitus professionnel, et de pouvoir créer alors une
dynamique nouvelle permettant d’habiter autrement la notion de partenariat et de
développer des compétences nouvelles.
Nous sommes là dans un enjeu subversif, au-delà des cloisonnements
professionnels, dans une pratique militante posant l’homme autrement que dans le
déterminisme.
107
bibliographie
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Loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005, art. 128 relatif au
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éducatif local ( CEL ) / charte nationale de l'accompagnement à la scolarité de juin 2001
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Ministère de l'Education Nationale, n°spécial 4 du 31 août 1989
Circulaire n° 82-128 du 19 Mars 1982, relative à la conception et mise en œuvre des
projets dans les ZEP
3
Nom : BAUDRY
Prénom : Marie- Noëlle
Date du jury :18 Janvier 2007
Formation : Diplôme Supérieur du Travail Social
Titre :
" C'est à quel sujet ? "
Contribution à une lecture clinique du partenariat
à travers les actions de soutien scolaire
Résumé :
Face à l'échec scolaire rencontré par les enseignants, face à la difficulté d'intégration
scolaire à laquelle les travailleurs sociaux ont affaire auprès d'enfants de familles paupérisées,
quelles sont les postures professionnelles adoptées par ces deux catégories d'agents ? Quelles
influences ont-elles sur l'articulation de travail enseignement /travail social ?
Alors que le partenariat est de plus en plus évoqué, tant dans les circulaires
ministérielles, au titre d'injonction, qu'à travers la vulgate populaire, comme allant de soi, sur
quoi reposent les entraves à une mise au travail ensemble ?
A l'appui du concept de praxis défini par C.CASTORIADIS "ce faire dans lequel l'autre
est visé comme l'agent essentiel du développement de sa propre autonomie", l'hypothèse de
cette recherche propose ce postulat : lorsque les partenaires sont en pouvoir de quitter leurs a
priori professionnels et qu'ils se retrouvent entre sujets socio-désirants, "un pas de côté" peut
être fait pour sortir de l'illusion de toute puissance ou de la désillusion dans laquelle chacun
peut être pris. L'autre, sujet de la rencontre, peut alors se situer dans une place de sujet désirant,
en s'appropriant quelque chose de ce dont il est, de ce fait, déjà porteur.
Nombre de pages : 107
Volume annexe : 0
Centre de formation :
Institut Régional Supérieur du Travail Educatif et Social
2, rue Professeur Marion
21000 DIJON
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