Saga Information - N° 296 - Avril 2010
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Christine da Boa Vista, membre de la Commission de volcanisme de la SAGA.
Photo 1. Carte géologique générale du Cantal.
Le massif culmine au Plomb du Cantal, à 1 855 mètres.
Notre petit groupe d’une dizaine de participants de
la Commission de volcanisme de la SAGA, sous la
houlette d’Alain Guillon, était accompagné par
plusieurs membres du Club Géologique de la Haute-
Loire. Cette longue excursion de presque trois jours
(du 3 au 5 octobre 2008) dans le massif volcanique du
Cantal a été guidée sur le terrain par Fabrice Filias,
géologue, animateur scientifique de Vulcania, le Parc
européen du volcanisme, près de Clermont-Ferrand.
Les trajets choisis nous ont montré, au fur et à
mesure de nos arrêts, l’histoire de ce stratovolcan
que nous allons développer dans ce compte rendu.
Le socle du Cantal
Sur le socle hercynien du Massif central, âgé d’en-
viron 300 millions d’années (Ma), et sa couverture
sédimentaire plus récente, le Cantal se met en place,
entre – 13 et – 3 Ma. Cette activité peut être subdivi-
sée en plusieurs grandes périodes que nous allons
maintenant décrire.
Il y a 300 Ma, existait un supercontinent : la Pangée.
En son centre, la chaîne hercynienne formait un
gigantesque bourrelet ayant la taille des Alpes,
provoqué par la collision entre l’Afrique et l’Europe
du Nord. Sa surrection s’est traduite par la fusion des
parties profondes et moyennes de la croûte, induisant
du métamorphisme et la formation de magmas
granitiques.
L’érosion de cette chaîne a produit des sédiments
riches en végétaux à l’origine du charbon et de la
houille, piégés dans les bassins le long de grandes
failles, la plus importante étant le Sillon houiller du
Massif central.
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La totalité du massif a ensuite été recouverte par une
mer épicontinentale durant une partie du Jurassique
(de – 200 à – 135 Ma). La sédimentation a oscillé
entre un environnement de bassin peu subsident et
une plate-forme carbonatée, et son exondation défini-
tive s’est produite à la fin du Jurassique. Mais
l’ensemble de la couverture sédimentaire a été érodé
dès la fin du Crétacé (de – 135 à – 65 Ma).
Le Cantal émerge à nouveau de – 65 à – 37 Ma. Au
début du Tertiaire, la surrection s’accompagne d’une
altération intense des roches sous un climat subtro-
pical qui engendre des terrains ferrugineux. Une série
de bassins sédimentaires s’est formée bien avant les
premières émissions volcaniques.
Au cours de l’Oligocène (de – 37 à – 23 Ma), va
s’accumuler une sédimentation détritique et marno-
carbonatée dont on retrouve les affleurements à la
périphérie de l’édifice volcanique cantalien.
Nous avons pu examiner quelques affleurements de
ce socle dans le cœur du volcan :
- au Falgoux, on retrouve le granite ;
Photo 2. Fabrice, notre guide sur un affleurement
de granite du socle.
- à Thiézac, le micaschiste ;
- à Laqueuille, dans la vallée de la Santoire, perchés à
1 100 m de hauteur dans le talus d’un virage, nous
avons observé les terrains sédimentaires du sub-
stratum : des argiles d’un bassin sédimentaire datant
de 23 Ma.
L’observation à travers le massif du Cantal d’autres
sites de sédimentation oligocène démontre un
basculement général du socle du NE vers le SO, ayant
eu des implications dans la mise en place ultérieure
du volcan.
Début du volcanisme cantalien.
Épisode effusif infracantalien : les basaltes
Entre – 13 et – 9 Ma, des émissions de basalte se
sont mises en place de façon éparse sur le substratum.
Le début de l’activité volcanique du Cantal voit la
formation d’édifices dispersés composés de coulées et
de cônes de scories essentiellement basaltiques. Ils se
mettent en place directement sur le socle cristallin et
les formations sédimentaires, vaste plateau dont
l’altitude s’abaisse globalement de 400 m du nord-est
vers le sud-ouest. Ces coulées et scories forment par
endroit de grandes étendues qui dépassent parfois
100 mètres d’épaisseur. On nomme ces basaltes
« infracantaliens » parce qu’ils constituent la base de
l’édifice qui va s’élever ensuite.
Seuls les basaltes anciens les plus centraux, d’un âge
de – 11,5 et – 9,5 Ma, sont qualifiés de basaltes
infracantaliens. Nous avons pu les observer dans la
tranchée du chemin de fer, à Murat, et ils servent de
socle aux maisons qui sont construites dessus.
Photo 3. Une maison de Murat construite
sur le basalte infracantalien.
Construction et destruction
d’un grand stratovolcan
Édification du stratovolcan trachyandésitique
(de – 9 à – 7 Ma)
Entre – 9 et – 7 Ma, un grand stratovolcan trachy-
andésitique, de 15 kilomètres de diamètre et plus de
3 500 mètres de hauteur, se met en place.
Sur les basaltes infracantaliens, les émissions trachy-
andésitiques se sont poursuivies au cours de l’édifica-
tion du stratovolcan. C’est durant cette période que
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laves et volcanoclastites primaires se sont accumulées
à proximité des points de sortie.
Au col de la Serre nous avons pu, à la base de la
coulée, récolter des échantillons relativement frais :
tachyandésite porphyrique de teinte claire et texture
microlitique porphyrique, avec phénocristaux de
feldspaths blanc pur (andésine à labrador), minéraux
ferro-magnésiens qui sont des baguettes d'amphibole
brune (hornblende) et des pyroxènes (augite et
hypersthène). La mésostase qui forme le fond est
constituée de verre, d'andésine, d’un peu de sanidine
et de tridymite (quartz haute pression). Il ne s’agit
plus de basalte, car la composition des laves varie au
cours de la différenciation magmatique. Ici, nous
sommes dans une série moyennement alcaline
évoluant vers les trachyandésites, puis les rhyolites.
Photo 4. Schéma de la différenciation magmatique des laves.
Diagramme de Cox.
Ensuite, les matériaux meubles ont été repris par les
lahars et se sont déposés, formant le talus volcano-
clastique secondaire autour de l’édifice. Plusieurs
glissements gravitaires de grande ampleur ont affecté
les flancs de l’édifice volcanique. Ces phénomènes
contribuent non seulement à étaler les matériaux, mais
fournissent également de nouveaux matériaux meu-
bles repris par les lahars.
Par conséquent, alors que la partie centrale du
Cantal, de 24 kilomètres de diamètre, ne montre
qu’un empilement de laves, de brèches et tufs pyro-
clastiques recoupés de filons, les parties périphériques
voient une augmentation des faciès de lahars.
Nous avons observé un de ces lahars sur la route du
col de Serre, montant au puy Mary, dont ils consti-
tuent une partie de la base.
Photo 5. Coulée de lahar en bord de route
(coupe érodée par les glaciers).
Initialement, le puy Mary devait être un cumulo-
dôme trachytique classique, avec un sommet
aplati. Lors de la croissance continue du dôme,
les flancs se sont parfois déstabilisés à cause de la
gravité, ce qui a entraîné la mise en place de
nuées ardentes.
Le sommet est un dôme péléen constitué d’un
trachyte à phénocristaux d’oligoclase, de sanidine
et de hornblende brune. Son âge est de 6,45 Ma.
Sa morphologie pyramidale, que l'on observe
bien au Pas de Peyrol, est secondaire : elle résulte
de la forte capacité érosive des glaciers.
Photo 6. Le puy Mary (1787 m) encore sous la neige.
Le trachyte que nous avons échantillonné au puy
Mary est de teinte très claire, à texture porphyrique, et
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contient des phénocristaux d'oligoclase et de
hornblende. Les feldspaths, blanc à gris, peu contras-
tés sur le fond très clair, sont des oligoclases et des
sanidines. Ils contiennent de nombreux petits prismes
aciculaires de hornblende brune, et de nombreux
cristaux trapus, de l'ordre du millimètre, de pyroxène.
La mésostase est riche en sanidine et contient 10 % de
tridymite.
Le long de la N122, en montant au col du Lioran,
nous avons pu échantillonner un talus dont l’âge est
de 9 Ma : c’est un dôme de rhyolite, mis en place
tardivement, puis sectionné et broyé. Nous y avons
observé, à l’endroit d’un contact, l’arkose et les
rhyolites des Chazes. Un peu plus loin, nous avons
photographié un dyke de basalte à leucite, minéral
très visible en taches d’un blanc laiteux. Ce petit dyke
s’est mis en place tardivement, en se frayant un
chemin dans les débris d’avalanche.
Déstabilisation du volcan vers – 7 Ma.
Avalanches de débris
Des causes qui restent à élucider ont conduit à la
déstabilisation du stratovolcan et à l’accumulation
d’avalanches de débris jusqu’à des distances supé-
rieures à 40 kilomètres du centre du volcan. Il y en
aurait eu trois, au minimum, entre – 7,4 et – 7,2 Ma.
La mise en évidence de l’importance volumétrique
des dépôts d’avalanches de débris permet de penser
que le stratovolcan a dépassé les 3 000 mètres.
Ces dépôts d’avalanche ont pu être provoqués par un
important volume de matériel trachyandésitique
visqueux ayant généré de fortes pentes, et des facteurs
de déstabilisation comme l’altération hydrothermale
de la base du volcan ou le basculement vers le sud-
ouest de l’ensemble du volcan.
Enfin, la semelle de ces dépôts est constituée
d’argiles et de marnes qui affleurent en périphérie de
l’édifice volcanique dans les bassins sédimentaires,
mais elle est présente aussi probablement sous
l’édifice. Leur plasticité aurait pu contribuer à
favoriser le déclenchement et la mobilité des
avalanches.
Dans la vallée du Mars, au-dessus du Falgoux où
nous avons vu le granite du socle, nous avons observé
une falaise d’avalanche de débris où l’on peut
distinguer des blocs de très grandes dimensions, de
plusieurs dizaines de mètres : il s’agit d’une portion
d’avalanche peu remaniée, de faciès dit « proximal ».
On se rend compte que la taille des roches emportées
par les avalanches diminue par fragmentation au fur et
à mesure de leur étalement.
Photo 8.
Photo 7. Au-dessus du Falgoux, la falaise de la Peubrélie,
une partie de l’avalanche de débris.
Nous avons tous été étonnés de découvrir au cours
de ce voyage les événements qui avaient causé la
destruction de ce géant du Cantal. La découverte de
ces événements est celle de géologues professionnels
faite récemment, alors qu’ils n’avaient pas su inter-
préter une masse énorme d’observations précisément
reliées à ce phénomène destructif.
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C’est l’éruption du mont Saint Helens qui a permis
de comprendre le phénomène de dépôts d’avalanches
de débris longtemps inexpliqués et soumis à
conjectures.
Remobilisation des dépôts d’avalanches de
débris : les coulées de débris
Nous poursuivons nos observations en abordant un
faciès distal, jusqu’au Pas de Cère. Le dépôt impor-
tant de blocs plus petits forme un talus bréchique,
avec un mélange intime très varié de roches vol-
caniques et de roches sédimentaires entraînées par
l’avalanche : cinérites rouges, trachytes, trachyan-
désites, silex, argiles, etc.
Photo 9. Prélèvement d’au moins sept sortes différentes de
roches dans une avalanche de débris.
En remontant la vallée, on longe des falaises où les
blocs deviennent de plus en plus gros et peuvent
atteindre plusieurs centaines de mètres. En position
proximale, les blocs ont subi une translation par
glissement, alors que dans les fractions éloignées de
l’avalanche, celle-ci s’est fragmentée et se trouve en
désordre.
Un arrêt au belvédère de la cascade de la Roucolle
permet d’observer, outre la cascade, un contact entre
un méga-bloc de lave et la semelle de l’avalanche de
débris constituée de roches broyées (carbonates,
argiles, trachyandésite) arrachées par l’avalanche lors
de sa progression et incluses dans une matrice
polygénique.
Nous sommes ensuite descendus dans les gorges de
la Cère qui ont été creusées par un glacier dans l’ava-
lanche de débris (pendant 10 000 ans). Les méga-
blocs de matériaux basaltiques ont créé d’imposants
verrous glaciaires.
Photo 10. Méga-bloc d’une coulée de lave reposant
sur une semelle de débris.
Photo 11. À la recherche d’ankaramite dans la
profonde gorge de la Cère.
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