La mise en représentation des grands textes : modernité ou modernisation ?
l’occuper ou de le convaincre de « se laisser tenter » et de « se risquer » à venir dans l’antre sacrée
du théâtre où opèrent les vrais prêtres de l’art théâtral, mais qui pratique un seul et même travail
d’artiste autour d’une représentation dans ce qu’elle implique nécessairement et par définition de
mise en œuvre… sur le terrain. Parler d’un spectacle ne sert pas, à mon sens, à grand-chose – à
plus forte raison quand on en parle de l’extérieur. Je rechigne souvent moi-même, en tant que
metteur en scène, à aller « parler » aux classes d’un spectacle qu’ils vont voir. J’aime en parler
après, dans l’espace citoyen du débat et de la réflexion où nous ont conduit le rire et l’émotion du
spectacle. Parler, c’est du sens, du discours, de la raison, de la communication. La représentation
crée des signes, de l’imaginaire, de la communion par le rêve… C’est ce fil là qu’il faut suivre et
enrouler tout autour des représentations au sein d’une théâtre : en exportant les représentations
hors les murs, en menant un travail de résidence qui tisse inextricablement des liens entre
amateurs et professionnels autour de productions qui sont développées ici (au théâtre) et là (dans
la ville) dans un même concept, un même désir, une même vision…
Le « remplissage » des salles renvoie donc à un problème autrement plus existentiel que du
simple marketing : à quoi sert le théâtre et à qui s’adresse-t-il ? Double question qui touche à la
modernité de la représentation et donc des publics, publics pluriels comme les strates de lecture
d’une œuvre doivent l’être. Molière le savait bien qui touchait à la fois le parterre composé
d’artisans, de valets, de gens du peuple debout et les loges des aristocrates et des bourgeois.
Adressons nous au « Japonais du troisième rang », comme le serinait Pierre Debauche (faisant
allusion à un Japonais qui avait suivi plusieurs représentations et qui, lorsque Pierre, un peu
intrigué, l’avait interrogé sur son intérêt pour le spectacle avait décrypté tous les signes, les plus
cachés, de la mise en scène), comme au scolaire, casquette vissée sur la tête et walkman branché
(mais quelle victoire quand il l’enlève au bout de dix minutes de représentation). Adressons-nous
au retraité habitué souvent à aller voir des « grosses machines » au théâtre Michel ou Antoine
(parce que c’est là que le service des personnes âgées d’une ville l’emmène…) comme à
l’enseignant qui a la mémoire du spectateur (de tous les spectacles vus et engrangés), etc. La
question des codes et de l’accessibilité nous renvoie une fois de plus à notre travail d’artiste, et
renvoie les structures à une véritable réflexion sur leur programmation et sur leur… mise en
œuvre.
L’opposition ou la défense que certains programmateurs mettent en avant en décrivant les
deux camps opposés du théâtre « commercial » dit « populaire » et d’un « théâtre exigeant » (donc
« de qualité ») qui peut par conséquent se revendiquer expérimental – tant il touche peu de
monde, ou qui en tout cas vide les salles (comme on a pu le voir une année terrible au Festival In)
nous ramène à la définition même du théâtre populaire. Le théâtre populaire n’est en aucun cas
un théâtre populiste qui va chercher le « peuple » avec ce que l’on croit être son humour et son
langage. La véritable exigence d’un théâtre populaire, c’est d’inclure la multiplicité des codes de
notre société, de ses populations donc de ses publics – de TF1 à Arte-deuxième partie de la
nuit… En cela le théâtre est plus fort que la télévision : il ne cible pas, il rassemble et il rassemble
dans un même geste universel. Les farces de Molière (encore lui !) ou les pièces de Shakespeare,
avec leurs double sens et leurs jeux de mots, servaient à la fois le bas et le haut, le graveleux et le
mystique. La polyvalence d’une représentation est le gage de son exigence, celle du fameux
« théâtre élitaire pour tous » qu’avait défini Antoine Vitez au théâtre des Quartiers d’Ivry. Et qui
dit polyvalence sémiotique ne veut pas dire contextualité facile pour autant : l’univers fantastique